9 mai 2024
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Le rappeur Médine électrise la rentrée politique française

Médine

Au cœur de plusieurs polémiques ces dernières années, l’artiste a été accusé d’antisémitisme quelques jours avant de participer à la rentrée politique de la gauche. Le bal des hypocrisies est ouvert. 

Toute la classe politique ou presque se met à danser sur un seul ton. Affolant comment un artiste peut mettre d’accord les hommes politiques les plus irréconciliables. Sans même être élu, Médine est devenu une figure qui électrise la classe politique à intervalles irréguliers. A croire que la torpeur de l’été laisse des traces sur la scène politique.

Comme l’a encore montré l’été 2023, Médine, rappeur de 40 ans, attire et fascine à gauche, autant qu’il repousse et irrite le reste de l’échiquier.

Le Havrais sera l’une des têtes d’affiche culturelles des rentrées politiques d’Europe Ecologie-Les Verts (EELV) et de La France insoumise (LFI), jeudi 24 et samedi 26 août. Des invitations que ne digèrent pas la majorité, la droite et l’extrême droite, et qui ont même créé des remous chez les écologistes, alors que l’artiste a récemment été accusé d’antisémitisme.

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Pour comprendre pourquoi Médine est invité à ces deux événements phares de la Nupes, il faut d’abord se pencher sur ses textes. Nombre d’entre eux véhiculent des messages que beaucoup portent à gauche, contre la guerre, la stigmatisation des musulmans, les violences policières, l’extrême droite ou le chef de l’Etat. « J’veux pas me payer le costard de Macron, j’veux lui tailler », lance-t-il dans Raison sociale (2017). « Politiquement j’suis Médiniste de gauche, entre Ademo, N.O.S [les rappeurs du duo PNL] et Pierre Desproges », revendique-t-il dans Médine France (2022).

L’engagement de l’artiste est au diapason. En mars 2023, il rend visite à des salariés d’une raffinerie normande en grève contre la réforme des retraites. Le 1er mai, il organise dans sa ville du Havre une contre-manifestation, alors que le Rassemblement national (RN) y tient sa « fête de la nation ». L’artiste assume clairement son activisme. « Je prends aussi des positions politiques qui sont clivantes. Cela me donne, en quelque sorte, une légitimité pour m’exprimer. On me connaît au-delà des frontières de la musique. (…) Je suis au pouls de cette société », expliquait-il au Télégramme, en avril.

Un an plus tôt, il assumait publiquement d’avoir voté pour Jean-Luc Mélenchon au premier tour de l’élection présidentielle, puis pour Emmanuel Macron « par obligation » pour faire battre Marine Le Pen, expliquait-il à Mediapart. Quoi de plus normal que de s’engager, quitte à déplaire ! Ce qu’assume Médine.

Des « combats communs » avec la gauche

Avec Médine, la gauche s’est trouvée une incarnation culturelle de ce qu’elle défend au quotidien. « On a beaucoup de combats communs », insiste auprès de l’AFP Marine Tondelier, cheffe de file des écologistes, pour justifier l’invitation du rappeur. « C’est un artiste qui s’est mouillé contre l’extrême droite, sur la bataille contre la retraite à 64 ans », prolonge Thomas Portes, député LFI.

« Dans le monde de la culture, peu d’artistes s’engagent aujourd’hui. » Thomas Portes, député LFI à franceinfo

La popularité du rappeur présente un autre attrait pour les raouts d’EELV, le 24 août au Havre (Seine-Maritime), et de LFI, le 26 à Valence (Drôme). « Il a une surface d’influence et peut passer des messages », défend Thomas Portes au sujet de l’artiste au million et demi d’abonnés sur les réseaux sociaux. « C’est important d’avoir des gens qui sont des marqueurs politiques et idéologiques. On a besoin d’avoir des digues culturelles, Médine en fait partie. »

C’est justement cette « digue culturelle » que de nombreux responsables politiques veulent faire tomber. La première polémique impliquant Médine remonte à 2015. Les paroles de sa chanson Don’t Laïk, sortie une semaine avant les attentats de Charlie Hebdo, provoquent l’indignation de la droite. « ‘Crucifions les laïcards comme à Golgotha’, c’est un oxymore », se défend le rappeur, qui précise avoir écrit ce morceau pour dénoncer le « laïcisme », une « dérive » de la laïcité « qui se drape dans la notion d’égalité en stigmatisant le religieux ».

Trois ans plus tard, la droite et l’extrême droite s’appuient notamment sur ce texte pour s’opposer aux concerts de Médine prévus au Bataclan, à l’automne 2018. « Aucun Français ne peut accepter que ce type aille déverser ses saloperies sur le lieu même du carnage du #Bataclan. La complaisance ou pire, l’incitation au fondamentalisme islamiste, ça suffit ! », lance alors Marine Le Pen sur Twitter. Des médias citent aussi à cette époque une vidéo non datée, dans laquelle on peut entendre le rappeur utiliser l’insulte homophobe « tarlouze », rappelle le HuffPost. Les familles des victimes des attentats, elles, sont partagées sur ces concerts, finalement délocalisés par le principal intéressé et la salle parisienne.

Une série de controverses

Puis c’est la députée LREM (ancien nom de Renaissance) Aurore Bergé qui attaque la participation de Médine à une conférence de l’Ecole normale supérieure, en 2021. « Vous avez ce rappeur islamiste Médine qui est invité, celui qui disait qu’il fallait ‘tuer les laïcards’ dans notre pays, est-ce que c’est légitime qu’une école aussi prestigieuse donne la parole à celui qui appelle au meurtre ? » Dans la foulée, le Havrais porte plainte contre celle qui est aujourd’hui ministre des Solidarités.

Désormais, ces polémiques « visent aussi les adversaires politiques dont Médine est devenu l’allié (EELV, LFI) », analyse Marie Sonnette-Manouguian, spécialiste de l’engagement politique dans le rap. Sitôt son invitation aux universités d’été d’EELV annoncée fin juillet, les accusations d’« islamisme » ont repris dans les rangs du RN, des Républicains et de Renaissance. « Quand Marine Tondelier affiche fièrement l’invitation de Médine (…), elle montre soit une ignorance coupable, soit une adhésion à des thèses favorisant la haine de la République, l’antisémitisme, l’homophobie et le séparatisme islamiste », estime la députée Caroline Yadan (Renaissance), fin juillet.

Un tweet du rappeur déclenche une nouvelle salve de critiques, jeudi 10 août. Il y qualifie l’essayiste Rachel Khan, juive et petite-fille de déporté, de « resKHANpée », après que celle-ci l’a traité de « déchet ». Médine décrit aussi l’écrivaine, qui a participé à la campagne présidentielle d’Emmanuel Macron en 2021 et a partagé un déjeuner avec Marine Le Pen, comme une « personne (…) dérivant chez les social-traîtres et bouffant au sens propre à la table de l’extrême droite ». Ses détracteurs dénoncent des propos antisémites et rappellent que le rappeur avait mimé la « quenelle » en 2014. Un geste antisémite popularisé par l’humoriste Dieudonné, et regretté par le Médine dans les pages de Libération.

Aussitôt, le Havrais juge bon de préciser qu’il ne fait « aucune allusion à une quelconque origine ou histoire familiale » de Rachel Khan. Mais les réactions politiques ne faiblissent pas. Dans un communiqué commun publié dimanche 12 août, une soixantaine de députés Renaissance et quelques MoDem appellent « fermement » EELV et LFI à désinviter le rappeur.

A droite, le président des Républicains Eric Ciotti juge que « maintenir Médine après ce jeu de mots antisémite serait cautionner cette ignominie ». Quant au vice-président du RN, Sébastien Chenu, il qualifie le rappeur de « nouvelle coqueluche de la gauche » et ajoute que « son antisémitisme affiché, son homophobie permettent de dire que ‘qui se ressemble s’assemble’« . Le lendemain, le rappeur « s’excuse » d’avoir « heurté des personnes » avec une « formule pas adaptée ».

L’invitation maintenue par EELV et LFI

C’est le bal des surenchères dans une grosse partie de la classe politique. A chacun sa petite phrase comminatoire… courageuse en ces temps de concessions à rallonge à l’extrême droite.

Malgré ce mea culpa, le ministre de l’Industrie Roland Lescure annonce le 12 août qu’il ne viendra plus à l’université d’été des Verts. « Ce qui me conduit à annuler ma présence, c’est justement que Marine Tondelier, qui se dit cheffe d’un parti républicain, a décidé, malgré ce tweet, de maintenir son invitation », explique-t-il au Parisien.

Chez les écologistes, un cadre reconnaît un « tweet plus que con », et nie tout antisémitisme au sein du parti. Mais la venue du rappeur divise, et plusieurs figures des Verts l’ont fait savoir, comme l’eurodéputée Karima Delli, ou l’ancien candidat à la présidentielle Noël Mamère, qui déplore sur France Inter que son ancien parti « prête le flanc » aux accusations d’« islamo-gauchisme ». D’autres, comme la députée Sandrine Rousseau, demandent que le Havrais « reconnaisse le caractère antisémite » de son tweet sur Rachel Khan. Malgré ces tensions internes, Marine Tondelier a maintenu l’invitation, mettant en avant le tweet d’excuses publié par le rappeur. « C’est une réponse sans ambiguïté, nécessaire », loue-t-elle auprès de l’AFP. Mais la pression s’est tout de même accentuée lundi puisque les maires EELV de Bordeaux et Strasbourg ont annulé leur participation.

La polémique a en tout cas mis un coup de projecteur sur la rentrée politique des Verts et des insoumis. « Je ne sais pas si on aurait autant parlé de notre université sans Médine », reconnaît l’eurodéputé EELV David Cormand.

Les insoumis ne comptent pas non plus déprogrammer le rappeur, qui échangera avec Mathilde Panot avant de donner un concert. Jean-Luc Mélenchon a lui-même pris la défense de l’artiste en tweetant « Médine n’est pas raciste ». « On a eu raison de l’inviter, ça les dérange d’avoir un artiste qui est populaire et qui prend des positions », insiste Thomas Portes, qui veut croire que leur rentrée ne va « pas se résumer à la présence de Médine ».

Reste à savoir si d’autres invités politiques renonceront à venir. Contacté par franceinfo, l’ancien Premier ministre Edouard Philippe, également convié par les Verts, n’avait pas confirmé sa présence au moment de la publication de cet article, mardi matin. Le maire Horizons du Havre a finalement tranché quelques heures plus tard et choisi de ne pas honorer l’invitation, a précisé son entourage à France Télévisions, confirmant une information du Parisien. Il recevra néanmoins des élus EELV dans sa mairie.

Avec Francetvinfos

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