Afin de « préserver la mémoire du sport national algérien », on inaugura le 26 novembre 2017, un Musée Olympique algérien (MOA) non loin de la salle omnisport Hacéne Harcha à Hussein-Dey. Nous avons le choix, en ce lieu, entre une chambre froide de l’histoire sportive algérienne ou sa propre morgue. Le MOA ne relate en fait que le seul avènement sportif qui serait à l’origine de toutes les victoires olympiques du sport algérien : l’Equipe sportive du FLN en 1958.
Le mois d’aout dernier, le musée reçoit son visiteur de marque, Mme Amélie Oudéa-Castéra, ministre des sports de France qui parcourue les stands garnis de trophées olympiques, médailles, photos et collections de timbres jusqu’à ce demander où sont les autres.
Négationnisme mémoriel en susurre
Hors du musée en question, la salle Harcha a finit par accueillir la Coupe du monde de sabre, regroupant 17 pays, dont l’Algérie avec 17 sabreurs. Le Comité d’organisation de la manifestation était sous la présidence de l’ancien ministre du sports et militant du parti TAJ, Raouf Salim Bernaoui. Le quotidien El-Moudjahid (9/11/2022) évoque quant à lui, la participation du même ex-ministre du gouvernement Bedoui, à la table-ronde organisée le 8/11/2022 par l’ambassade d’Italie et la Fédération italienne d’escrime, sur le thème « Sport et Diplomatie ».
Certainement que les 9 mois et 3 jours passés au sein d’un exécutif gouvernemental, ne peuvent suffire à cet international de l’escrime de s’imprégner de toute notre valeureuse histoire sportive au point de ce limiter à la seule fonction de « répétiteur » d’antan. La délégation italienne, n’ayant pas en ce jour, eu le temps de regagner de déposer ses bagages à l’hôtel, a très vite retenue le contenu de l’intervention politico-sportive : tout à commencer en 1958 avec le ballon rond. Avant cela, le néant.
Etonnante prestation historique d’un négationnisme mémoriel passé au bistouri. C’est durant ce début du XXIe siècle, que l’on a instauré en Algérie cette culture du ciseau où il faut coupé là où ça prête à réfléchir, à analyser et à contredire. Dans les prochains 20 ans, il sera question d’une Algérie qui a bien existé depuis 1962 et pas avant.
Toute réflexion faite, il fallait se penché sur l’excellente thèse de doctorat qu’avait soutenu en 2020, M. Rida Hocine à l’Université de Bordeaux et qui portait sur la question des trajectoires des personnalités entre sport et politique en Algérie, et analysant la fabrique des dirigeants d’un Etat du Maghreb en plein mutation au détour du phénomène sportif, un sport qui est « constamment rattaché à l’opinion politique publique en Algérie » avec des « idéologies formants des constructions pratiques, des instruments de directions politiques » (Gramsci, Cahiers de prison). Pour les gouvernés, ils ne sont qu’illusions et une tromperie subie, alors que pour les gouvernants, elles sont une tromperie voulus et consciente.
Un labeur de pointe qui s’ajoute à l’admirable ouvrage de M. Fatès Youcef, paru chez L’Harmattan en 2009 et portant sur Sport et Politique en Algérie, qui mérite d’être citer comme référence d’actualité, face au statisme des pouvoirs publiques qui enferme le fait sportif, propriété de la masse agissante dans des petites familles politiques bien inerte.
Si pour le n°1 de l’escrime national, le sport algérien et sa diplomatie n’ont débutés qu’en 1958, que diront alors les martyrs de la Mouloudia Sportive de Cherchell qui sont tous, sauf un survivant, tombés au champs d’honneur en 1956. Reviendront-ils cette semaine pour nous parfaire notre apprentissage de l’insignifiance ?
Du côté des « Ancêtres oubliés »
Face à cette léthargie révisionniste de notre mémoire sportive nationale, il est plus que nécessaire de rappeler ici un article militant, paru sur L’Echo sportif du travail de la Fédération du Sport et Travail (n° 7, novembre-décembre 1930) sous la plume d’El-Djazairi (Menouar Abdelaziz) et qui traita la question du sport sous le colonialisme. Il écrira notamment : « L’indigène, malgré l’obscurantisme dans lequel on le maintien est souvent un esprit étonnant.
Il a pratiqué le sport bien avant la conquête du sol. La course, la lutte, la danse, l’équitation, la marche, la nage, la chasse, les jeux physiques, lui sont familiers. Il y montre une endurance, une agilité, une force, un courage prodigieux.
L’indigène qui n’est pas gangréné par le lucre de la société capitaliste pratique le sport pour le sport et tire surtout fierté de sa performance. »
A méditer, tout en évoquant ce si maigre panel d’Algériens qui ont fait la fierté de toute une nation. Ne faut-il pas évoquer à « ces cinquantehuitard » le seul numéro d’Alger-Républicain du 25/7/1951 où à la suite d’un article de Mohammed Dib ouvrant une enquête sur le devenir des habitants de la Cité Vincy à Clos-Salembier, risquant de voir leurs habitations détruites, nous lisons qu’un regroupement a eu lieu à la mémoire du boxeur Bob-Omar associant quelques géants de l’art du gant, nous citons Allouche, Bob Youssef, et Djelloul au côté de Marcel Scotto et bien d’autres. Dans le même numéro et lors du Tour de France 1951, on évoque le « Lion de Chebli » Abdelkader Zaaf, qui se classa à la 66e place durant l’étape de Dijon et qui disait : « Eh bien, elle ne s’est pas mal défendue, aujourd’hui, l’équipe nord-africaine dans le groupe de tête. Il n’y a pas une autre équipe qui peut se vanter d’en avoir fait autant ».
Le « mythe » Zaaf est à mettre aux côtés de Menasri de Rouiba, Banacer du WRB, Assam du VSM. Au-delà des tenants algériens du cyclisme, de la boxe et du foot, le water-polo a connu sa gloire algérienne durant cette même année avec les Lamdi, Ouzegane, Baba-Moussa et Sebsadji.
Lorsque Rachid Dalibey, militant et cadre de la jeunesse démocratique algérienne à gagner son voyage au Festival de la jeunesse de Berlin, la jeunesse de Tlemcen et celle de Sidi Bel-Abbés s’hâtaient avec engouement à regagner le Front algérien de défense et de respect de la liberté autour du MTLD, UDMA et le PCA. Sport et action sociopolitique ont été de tout temps liés dans la lutte anticoloniale.
Cette dernière réalité poussa les Algériens de la colonie a adhérer à l’action sportive et leur participation aux compétitions n’était nullement chose facile ni acquise. Il fallait pour certains, rompre avec la tradition sociale et culturelle pour prouver la ténacité d’un peuple à ce libérer du joug impérialiste coloniale et ses attitudes racistes et dégradantes. Se surnommer « Bob » le noir ou Sliman « le coq », n’est nullement péjoratif à la fin, en un sens il y a un retournement de la parjure, en affirmation du physique obligeant le colonisateur à intégrer cet être inférieur dans sa propre nomenclature sociale et culturelle. Le colonisé qui s’affirme aussi sous d’autres ciels, c’est le cas de Bob Youssef à mener des combats aux Etats-Unis, même s’il fut aussi objet de transactions douteuses sur son dos entre les capitalistes colonialistes français et yankee.
En parallèle de la conquête coloniale du sol, les « ancêtres » du sport algérien ont menés leur conquête à eux. C’est en 1902 que des noms d’Algériens commencé à apparaître dans la presse coloniale. On évoque les noms de Madaoui et Zellali lors de la rencontre entre l’Olympique de Tizi-Ouzou et celui du Racing-Club Universitaire Algérien. A la même année, on avance les noms de Zermani et Ben Barek au sein de l’Olympique de Marseille.
Avec la gymnastique comme mode de vie colonial et base d’une activité corporelle de défense et de loisirs, l’incursion algérienne s’est faite lors des 39e fêtes de l’Union des sociétés de gymnastique de France qui a eu lieu à Vichy les 11, 12 et 13 mai 1913. Le nom de Ben Sadoum y figure dans la « pyramide » qu’il figura avec ses autres coreligionnaires de l’équipe de L’Avant-Garde d’ Alger. Que peut-on dire encore sur le rugbyman annabi, nommé Braka et bien d’autres disciplines en ce début du XXe siècle. Rien. Sauf qu’un siècle après nous continuons à les ignorer grâce à des interlocks qui se sont voués au culte de l’ignorance.
Mohamed-Karim Assouane, universitaire.