29 mars 2024
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Le témoin d’un monde bouleversé

Hans Koning

Le témoin d’un monde bouleversé

« Impossible d’écrire en ne s’impliquant pas. L’écrivain ne peut pas demeurer un simple touriste ». Hans Koning

Né en Hollande, Hans Koning est le produit d’une culture germano-franco-britannique. Après des études à l’université de Zurich, il sert pendant la Seconde Guerre mondiale dans l’armée britannique. Démobilisé, il commence à écrire et devient un écrivain de langue anglaise. Reporter pour la revue The New Yorker, il a beaucoup voyagé notamment en Asie et en Extrême-Orient d’où il a rapporté, en 1967, un des meilleurs ouvrages écrits par un occidental sur la Chine de Mao. Bien qu’il soit résident new yorkais depuis 1961, c’est dans le midi de la France  qu’il a écrit un de ses derniers romans et en Asie qu’il a vécu ses dernières années.

Je n’ai pas lu son premier roman, « L’affaire », et ne peux en parler. Quant à « Une romance américaine », c’est une histoire très simple, presque banale. Cultivé, pauvre, fraîchement arrivé à New York et, de ce fait très seul, Philip, un jeune homme de 26 ans, rencontre Ann, une belle jeune fille diplômée de Radcliffe. Les deux jeunes gens sont des idéalistes qui rêvent d’un paradis perdu. Ils s’aiment, se marient et constatent six mois plus tard l’échec de leur couple. Pourquoi cet échec ? Il est imputable à un troisième personnage qui est la ville — ou mieux encore, le genre de vie citadin, la civilisation ambiante de la ville. Dans la préface de l’édition française, Dominique Rolin indique « que la ville vient insensiblement à la rencontre du couple ». « Bruyante et vertigineuse, cette ville les rejoint bientôt, les dépasse en les encerclant. Elle s’organise autour d’eux, les prend à revers. »

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Le cauchemar de la vie quotidienne, l’ennui, l’automatisme des gestes répétés dans la ville-prison les accule au désespoir. Il y a « les magasins d’alimentation, le parking des voitures, l’autobus qu’il ne faut pas manquer, un hâtif week-end en banlieue, il y a le train qu’on attend, le trop froid et le trop chaud, le crédit, le journal et ses petites annonces, les faits divers, il y a la radio… les parents, les amis, les bars, un verre de whisky, une robe, un complet, la foule incessante, le cinéma, le vent, la poussière, le théâtre, le bureau, une machine à écrire, des dépêches, et par-dessus tout cela, jetés comme un immense filet, les réseaux du téléphone recouvrant la ville de ses droites imaginaires, coupant recoupant des milliers de destinées humaines, le destin d’une seule passion déjà condamnée. »

Peut-on échapper par l’amour aux problèmes du monde ? L’amour peut-il survivre à la civilisation urbaine ? « Une romance américaine » apporte une réponse  pudique, triste, lancinante :

    — Tu n’es pas heureux de vivre à notre époque ? demande Ann à son mari au milieu du récit.

    — Grands Dieux, non !, répond-il et il ajoute :

    — J’aurais aimé vivre au Moyen-Age ou à Athènes, n’importe où mais à une époque où le monde était encore jeune.

C’est justement au Moyen-Age que se passe le roman suivant « Une promenade avec l’amour et la mort ». Dans ce récit, la question posée par « Une romance américaine » est étudiée dans un contexte différent. Nous sommes en 1358 – deux ans après la bataille de Poitiers. Le roi de France est en prison en Angleterre, la guerre fait rage, des mercenaires ravagent le pays et les paysans acculés au désespoir commencent à se révolter.

Le narrateur, Héron de Foix, est un étudiant de dix-neuf ans qui, exclu de l’université de Paris pour avoir écrit un poème un peu trop libre, part pour Oxford afin d’y poursuivre ses études.  Il parcourt des routes infestées de brigands et ravagées par les soldats et les paysans. En route vers Oxford, il rencontre une jeune fille de très bonne famille, âgée de seize ans, dont il tombe amoureux. Il poursuit sa route jusqu’à Calais, loue un bateau pour l’Angleterre mais décide de revenir sur ses pas lorsqu’il apprend que la ville de son amoureuse a été pillée par les paysans. Il retrouve Claudia dont le père a été massacré et l’emmène avec lui, lui parlant sur la route du « Roman de la rose » et essayant de la protéger contre les horreurs de la guerre. Les deux jeunes gens deviennent amants et se réfugient dans une passion qui sera plus forte que la mort. Mais quel avenir ont ces deux amoureux assiégés de tous côtés par un monde cruel de violence et de destruction.

« Je sais ce que je fais » est l’histoire d’une jeune anglaise d’une vingtaine d’années qui aime sa liberté par-dessus tout. Arrivée à dix-sept ans aux Etats-Unis, elle accepte les avances de plusieurs garçons sans se laisser dominer par eux. Puis elle rencontre un homme marié qui restera symboliquement anonyme et ne sera désigné que par le terme de Client. Elle devient sa maîtresse. Querelles, séparation, réconciliation, rupture définitive. L’héroïne cherche à « tuer le temps sans douleur » Elle croit au plaisir et au désir mais pas à l’amour. Si aimer signifie souffrir, n’est-il pas plus raisonnable d’éviter l’un et l’autre ? Si à la fin du livre, elle se marie avec un brave garçon, c’est qu’ »il faut toujours par se marier quand on est une plante humaine » et qu’on n’a pas envie de devenir une « femme de métier »..

Le problème central est celui de la liberté. L’héroïne est émancipée mais seule : « ce qui est formidable, c’est l’idée d’avaler la pilule le matin en se brossant les dents pour être libre, libre pendant vingt-quatre heures de faire exactement ce qu’on veut, sans aucune arrière-pensée, comme un homme. Cela me semble être la véritable émancipation. » L’héroïne n’a pas le sens du péché : « Je n’ai pas de péchés, il n’y a que les hommes qui en ont. » Et cependant, elle est à la fois complètement libre mais abandonnée.

A…, le héros anonyme de « Révolutionnaire » est un jeune homme de bonne famille — étudiant à l’université locale. Idéologue passionné, indigné par l’hypocrisie de ses aînés et par la malhonnêteté des gouvernants, il entre dans l’opposition. Il participe à diverses manifestations, est molesté par la police et sort de sa première expérience d’activiste avec une jambe cassée. Plus tard, il est chargé par son parti de diverses missions dangereuses et condamnées d’avance à l’échec par l’insuffisance des moyens employés et la médiocrité des responsables. Il décide alors de se joindre aux véritables révolutionnaires. Le dernier acte d’A… sera de lancer une bombe contre un juge coupable à ses yeux d’avoir condamner à mort des grévistes. A… est un jeune homme en colère qui, à la fin du récit, est totalement engagé dans une lutte contre le régime. Il est prêt à payer le prix de l’engagement : rupture avec sa famille, exclusion de l’université, pauvreté extrême, impossibilité de trouver du travail et obligation de se cacher pour échapper à la police. Fils unique couvé par sa mère, , élevé dans une famille bourgeoise, il a conservé des aspirations pour le confort, pour la douceur des rapports humains. Il ne se contente pas des amours passagères d’une camarade de combat. La jeune fille qu’il désire, qu’il aimerait s’il pouvait aimer, c’est une petite bourgeoise. A… est malgré son engagement révolutionnaire torturé par une véritable nostalgie pour ses racines de la haute société.

A… a rejeté le dieu de sa famille auquel il a substitué son idéologie politique. Il est à la fois athée et profondément religieux, prêt à tuer pour ses idées et foncièrement innocent. L’auteur se penche sur son cas avec une sympathie qu’il réussit à communiquer au lecteur, sympathie non dénué d’ironie. Volontairement, Hans Koning s’abstient de nous donner des détails sur le lieu et le temps de l’intrigue. Je pense à la France du XIXème siècle, à la Russie des tsars, à l’Europe centrale d’hier. En fait, le « Révolutionnaire » est un jeune homme de tous les temps et de tous les pays.

Ce qui frappe dans les romans de Hans Koning, c’est la pureté de l’expression. L’auteur d’ »Une romance américaine » possède un style perpendiculaire. Il écrit directement avec un ton dépouillé — ses phrases sont courtes et ses dialogues brefs. Nets, authentiques, puissants, ses ouvrages sont chargés du poids humain.

Dans une interview, Hans Koning déclare : « Je n’ai jamais eu à écrire un roman de pure distraction.  Il faut toujours écrire un livre sérieux. Le vrai romancier est un homme qui écrit parce qu’il faut écrire. Dans un monde bouleversé, il est impossible de le traverser comme touriste. » 

Auteur
Kamel Bencheikh

 




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