6 mai 2024
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L’économie, c’est d’abord l’être humain et la politique

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Usine désaffectée. Image par 12019 de Pixabay

L’un des plus connus des proverbes relatifs à l’économie, né d’un grand intellectuel du XVIe siècle, Jean Bodin, est « Il n’est de richesses que d’hommes». Cet article a pour objet de porter une critique sur la dérive « scientiste » et la multiplication des chroniqueurs de l’économie sans ancrage dans une définition globale et politique des êtres humains.

Pourtant je n’emprunterai à Jean Bodin que l’un des volets de son raisonnement par ce proverbe. Car il est inclus dans une théorie générale de la souveraineté et du bon gouvernement dans des idées du XVIe siècle qui ne peuvent être les miennes tant elles sont contestables.

Commençons par analyser ce qu’est véritablement une réflexion sur l’économie par ce proverbe, à une période où sa conceptualisation débuta. L’économie en elle-même étant aussi ancienne que l’humanité.

Puis nous commenterons le mécanisme d’une dérive de plus en plus accentuée qui éloigne l’économie de sa base fondamentale. Elle n’est pas constatée par ma seule personne mais s’inscrit dans un débat dont l’origine est assez récente.

L’économie s’est progressivement éloignée du proverbe de Jean Bodin. C’est ce processus que nous évoquerons dans cet article par étapes successives qui étayent le fond de la critique.

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La croissance économique, c’est d’abord par la population

Comme souvent l’intellectuel de cette époque comme Jean Bodin est pluridisciplinaire. Né en 1529, en pleine Renaissance où la culture, l’art et la pensée explosent pour prémices du XVIIIe siècle qui sera l’aboutissement, celui des Lumières.

Il fut juriste, philosophe et économiste. Son étude sur la souveraineté le porte « indirectement » à conclure sur l’une des questions essentielles de l’époque, encore d’actualité de nos jours dans la réflexion économique. Quelle est la bonne quantité de population pour arriver à une production maximale des richesses ?

  • Pour Jean Bodin, la population humaine est le facteur clé de la croissance de la richesse. Il n’y a donc d’économie florissante que si les bras sont nombreux pour y parvenir.

Thomas Malthus qui a engendré le mot « Malthusien » exposera au XVIII ème siècle une thèse opposée « La population progresse plus vite que les subsistances » ce qui engendre un « déséquilibre croissant ». Il part d’un constat classique de bon sens « Les surfaces cultivables s’additionnent alors que les bouches à nourrir se multiplient ».

Cette controverse est fondamentale car elle conduira à bien des débats idéologies pour les époques futures.

Karl Marx en fera la base de sa réflexion en mettant en opposition l’équilibre inégalitaire entre le travail et le Capital. Mais tous, depuis les libéraux jusqu’aux marxistes, affirment cette évidence que la somme des deux conduit à la production de la richesse. L’homme est donc enfin intégré comme acteur fondamental de la croissance économique.

Ce qui semblera évident pour les siècles futurs ne l’était pas à l’époque, le travail était partie négligeable car entièrement sous l’autorité féodale des propriétaires.

Jean Bodin met donc en lumière que la force humaine est fondatrice de la richesse économique. Mais là s’arrête mon accord avec ce philosophe car pour lui, il est bon que la population croisse pour des raisons contestables.

De son point de vue, les pays à faible population sont sous le risque permanent de division et donc de menace à la consolidation de la souveraineté autour du monarque. Plus tard, au XIX ème siècle, on appellera cela « la chair à canon » car cette population servira également à la puissance militaire des gouvernants.

Malgré tout, Jean Bodin nous tend une perche en affirmant l’apport indispensable de la population à la richesse des pays. C’est cela le vrai débat en économie.

L’économie est toujours politique

Par son affirmation Jean Bodin nous ramène à la définition première de l’économie que les techniques et méthodes mathématiques ultérieures avaient tendance à nous la faire oublier.

Nous apprenons lors de la première semaine de la première année en économie que sa racine étymologique est la contraction de deux mots grecs. Oikonomi vient de oikia « la maison » et de nomos « la loi ». On peut donc traduire aisément par « la gestion ou l’administration de la maison ». Le mot maison faisant la correspondance avec la cité grecque soit la communauté humaine sur un territoire.

Quant au mot politique, il nous renvoie à une étymologie qui fait le lien direct avec l’expression précédente. Il est composé du mot « Polis » qui veut dire « cité » et du suffixe « ikos » qu’on pourrait traduire pour l’ensemble par « qui concerne le citoyen ».

Qui concerne le citoyen, nous voilà donc au cœur de la définition originelle de l’économie. Elle  s’assimile fondamentalement à la politique dans ses différents aspects car elle a pour objectif la gestion des hommes dans la cité.

L’économie est la science qui essaie de résoudre le dilemme permanent de l’humanité soit lutter contre la rareté des biens pour satisfaire ses besoins, primaires ou secondaires. Elle va donc commencer par observer les contradictions entre les deux éléments de l’équation, l’offre et la demande.

Puis elle proposera des outils pour arriver à résoudre ce dilemme de la non-correspondance des biens avec les besoins. En mettant en œuvre tout cela l’économie est donc « le lien social de l’humanité ».

Or la politique est justement le lien avec « l’administration de la maison ». Sa raison d’être est de prendre une décision pour la production et le partage des richesses sans laquelle la cité ne serait plus une entité humaine viable et plongerait dans l’anarchie, la guerre et la barbarie.

Il ne peut donc y avoir d’économie sans politique car les deux sont une imbrication dans leur définition. L’homme est donc au cœur de l’économie, il est l’agent qui va résoudre le dilemme par sa prise de décision collective et par son intelligence.

Sinon quelle est la place de la démocratie si ce sont des lois fondamentales hors de la décision des citoyens qui gouvernent ?

Tout le reste n’est qu’outils, physiques ou conceptuels, dont l’être humain est le créateur. Et c’est justement ce point qui est à l’origine d’une grande dérive.

La dérive « scientiste »

Vers la fin du dix-neuvième siècle est apparu un clivage entre deux conceptions de l’étude économique. L’une la cantonnait à une science humaine et sociale au même titre que la philosophie,  la sociologie et l’histoire notamment.

Mais une seconde avait voulu la placer dans le camp des « sciences lourdes » pour deux raisons, l’une affirmée, l’autre dissimulée. La première serait la volonté d’échapper à l’emprise de l’obscurantisme et au relativisme. La seconde était en fait la volonté de prouver qu’il s’agissait bien d’une science au même titre que les « sciences dures » pour conforter sa crédibilité.

On peut citer Léon Walras qui exprime ce désir de reconnaissance et de crédibilité. Ainsi est née une pratique « physico-mathématique » qui allait s’abattre sur cette discipline, notamment par le courant libéral. Tous les libéraux ne se sont cependant pas résolus à cette dérive.

Ces économistes voulurent croire en l’existence de lois fondamentales qui régiraient les mécanismes et les relations économiques entre les acteurs.

C’était oublier que les « sciences dures » avaient comme terrain d’étude des phénomènes totalement liés aux lois de la nature. Ce qui n’est pas le cas de la science économique qui ne se qualifie pas en tant que science par l’étude de lois fondamentales mais par son approche.

Or l’usage des modèles physico-mathématiques par l’économie est une approche ésotérique complètement déconnectée du réel par un foisonnement de formules mathématiques théoriques. La période du « scientisme » allait définitivement s’installer jusqu’à nos jours.

Si certains économistes ont été reliés au réel malgré les formulations mathématiques c’est parce que la politique s’est emparée de leurs théories pour justifier ses doctrines. C’est le cas très connu de Marx ou celui de Keynes pour les plus connus.

Nous en revenons donc à notre point de départ, l’économie est d’abord du domaine de la décision politique, donc des citoyens.

Attention, le lecteur ne doit pas se méprendre, l’économie a besoin des approches mathématiques. Elle ne pourrait s’en passer pour confronter les théories et les hypothèses avec la réalité, autant qu’il est possible de le faire.

Mais croire qu’il existe des lois fondamentales physico-mathématiques dans une science humaine est une illusion. L’être humain n’est pas une équation ou alors avec une infinité de variables.

Les chroniqueurs des chiffres et de l’actualité économique

Nous terminerons par une autre dérive, moins fondamentale mais qui m’exaspère car elle donne une fausse idée de l’économie. Cette dérive est due à la croissance des médias pendant le vingtième siècle et son explosion dans notre période contemporaine.

Se sont substitués aux théoriciens des chroniqueurs de l’économie, en quelque sorte des journalistes spécialisés dans l’actualité économique.

Attention, il ne faut pas se méprendre, la chronique économique est éminemment respectable et honorable. Elle atteste du niveau sérieux de ceux qui contribuent ou en ont fait un métier dans les médias.

Mais s’ils ont un rôle à jouer dans la transmission pédagogique ils ne peuvent prétendre être des économistes au sens académique. Certains ont cette dimension académique et c’est très bien mais d’autres se servent de leurs titres pour être des répétiteurs de chiffres et de tableaux accompagnés de commentaires parfois très scolaires ou expéditifs.

Dans cette catégorie les plus légitimes sont ceux qui défendent un choix politique car, nous l’avons dit, l’économie est avant tout politique. Et s’ils ne veulent pas se positionner ils doivent poser toutes les options politiques qui découlent de l’analyse économique d’une manière qui ne laisse pas de place à l’approche édulcorée. La politique est une opposition frontale des choix  humains, pas un cours d’économie dans une salle de classe.

Ils ne peuvent se contenter d’étaler le travail statistique et d’analyse des organisations dont c’est le rôle (Banque mondiale, FMI etc.). Ils deviendraient alors des chroniqueurs mais doivent être clairement identifiés comme tel.

En conclusion nous devons rappeler le débat houleux que connaissent les responsables des programmes scolaires et universitaires en Europe. Pour le moment, il semble que le travers « scientiste » l’emporte encore pour la même raison que celle qui l’a fait naître, « Faire science » par des approches mathématiques.

J’ai la certitude que cette supercherie finira par trouver ses limites.

Boumédiene Sid Lakhdar, enseignant retraité

 

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