2 mai 2024
spot_img
AccueilIdéeRécit-feuilleton. Exils (IV)

Récit-feuilleton. Exils (IV)

A El Combatta. Autre souvenir. Autres  douleurs. Le jour de la circoncision reste gravé dans la mémoire. Comme un DVD. Il se déroule avec son lot de peur enfantine. Nonobstant la famille réunie autour de lui dont sa sœur Djamila.

Il se rappelle que tôt le matin, on le prépara. Il fut  surtout vêtu d’une gandoura immaculée de blancheur. Et sans doute d’une chéchia rouge pour lui couvrir le chef. N’ayant qu’une vague idée de ce qui allait lui arriver, il  sautillait de joie. Et pour cause, ce jour est sans doute le plus marquant chez tout jeune musulman en tant qu’il ouvre l’entrée dans la vie de la communauté des croyants.

Récit-feuilleton. Exils (III)

A un moment donné, on le fit rentrer à la maison noire de monde, les femmes en sortirent. Ne restèrent que les plus proches mâles dont son père et le Tahhar, littéralement ce qu’on pourrait appeler le circonciseur. C’était un homme à mi-vie à la face barrée d’une moustache et aux cheveux grisonnants recouverts d’une chéchia rouge.

- Advertisement -

Il sortit son attirail dont l’essentiel était composé d’une paire de ciseaux dont il allait mesurer l’efficacité. Il fut bref ; il était assis dans une gass’â, ustensile en bois rond, sa gandoura relevée, deux adultes le tenant d’un côté comme de l’autre. On lui enroula autour du zizi une rondelle en cuir pour faciliter la besogne.

Devinant enfin ce qui l’attendait, ses pleurs redoublèrent d’intensité. Pour le calmer, quelques billets de banque commencèrent à pleuvoir ; il eut droit à une plaisanterie : Regarde le plafond, un oiseau va en sortir.

Le temps de lever ses yeux, il était décalotté. Ses pleurs reprirent de plus belle, face à tous ces visages hilares qui le regardaient et ces mains qui l’inondèrent de pièces et de billets. Pas comme les autres, ce jour reste gravé dans la mémoire la plus profonde…

Ils habitaient donc au quartier des Combattants. Par référence aux Moudjahidine qui prirent les armes pour libérer le pays du joug colonial. Quartier de villas qu’occupaient les Français prospères dans leurs affaires. Enfants, ils pouvaient alors les regarder danser sur des musiques typiquement occidentales.

Assis sur les trottoirs d’en face, ils étaient de parfaits spectateurs de ces fêtes baignant dans des éclats de musique et de rires. Surtout en été. Ce fut l’une des blessures qui restent béantes toute la vie. Ils étaient alors la proie facile des récits qui leur étaient narrés pas leurs parents, sans qu’ils eussent été en mesure de comprendre ces situations ; par exemple, celle qui faisait d’eux des spectateurs de ces fêtes sans y avoir accès pour partager ces moments agréables de la vie avec les gaouris. Et pour cause, à l’école, on leur enseignait encore  « Nos ancêtres les Gaulois ». Les Gaulois, leurs ancêtres ? Hérésie, avec le recul du temps. Ils ne pouvaient penser qu’il existait des différences avec eux car sinon pourquoi n’étaient-ils pas réunis ensemble lors de ces moments de joie ?

Proche de chez eux, hammam Si Rabah. Jeune enfant, il s’y rendait tantôt avec son père, tantôt avec sa mère. Ce furent des moments autant de joie que d’appréhension. Car devant leurs mères surtout, ils avaient honte de leurs corps nus. Et le soin de les laver leur revenait. Déjà dans l’antichambre du hammam, elles les déshabillaient pour les emmitoufler dans des foutas bigarrées aux mille couleurs.

A l’intérieur de la grande pièce chaude où collectivement ils se lavaient, sa mère usait de toutes ses forces pour le rendre propre comme un sou neuf. Mélangeant eau chaude et froide, elle débutait par ses cheveux pour ensuite astiquer son corps qu’elle mettait à rude épreuve. C’est seulement après qu’elle s’occupait de sa sœur et d’elle-même, non sans l’avoir fait sortir pour se retrouver dans l’antichambre recouvert d’une autre fouta propre pour se sécher, tout en se reposant sur les frèches lits à même le sol en alfa, étendus tout au long de la salle rectangulaire, sirotant une gazouza pour se remettre de ses émotions. C’était un rituel quasi hebdomadaire, peu de famille ayant alors la douche ou une baignoire pour se laver…

Un jour, il ne fut plus admis à aller au hammam avec sa mère. C’était à l’occasion de l’Aïd, il devait se préparer à cette fête en commençant par se laver. Ce fut dans un autre hammam que le verdict tomba de la bouche de la patronne des lieux. Il faillit rester dans l’antichambre. La dame à la grande gueule vitupéra sa mère. Elle lui jura que ce sera la dernière fois qu’elle l’admettra dans son hammam.

Comment pouvait-elle l’amener avec elle ? Pourquoi son père ne devait-il pas s’en charger ? Pour elle, il devenait un grand garçon. Et elle n’avait sans doute pas tort. Il se souvient d’avoir ressenti une émotion jamais éprouvée auparavant à la vue d’une jeune femme en face d’eux qui, dans la grande salle du hammam, se livrait à un naturel streap-tease pour pouvoir se laver. Plusieurs années après, il lui arrive de penser qu’elle était sans doute consciente de l’émoi qu’elle provoquait chez lui, quoiqu’elle mettait un soin particulier pour tenter de cacher les parties les plus charnues de son corps.

Il en sortit avec un sentiment diffus, ne réalisant pas encore alors qu’il venait de vivre là un moment d’apprentissage de l’autre sexe. Ce fut sa première leçon administrée par une jeune femme qui était vraisemblablement au fait des choses de l’amour. Il fut ainsi mis devant les inconséquences des tabous cultivés par une société aux aguets. Le gamin qu’il était devait rester en dehors de toute influence féminine quant aux immixtions de nature sexuelle… (A suivre)

Ammar Koroghli-Ayadi, auteur-avocat 
Email : akoroghli@yahoo.fr

LAISSEZ UN COMMENTAIRE

S'il vous plaît entrez votre commentaire!
S'il vous plaît entrez votre nom ici

ARTICLES SIMILAIRES

Les plus lus

Les derniers articles

Commentaires récents