« Portraits de France » est une publication du ministère français chargé de la Ville, où l’animation politicienne se réalisait entre Nadia Haï, Joël Giraud et Jean Castex, une radicalité gauchère bien de droite.
Tout y a été troussé le long des 452 pages dans lesquelles nous pouvons admirer les noms d’intellectuels, écrivains, poètes et artistes algériens et algériennes d’origine ou ayant vécu en France et contribuer au rayonnement à la culture et la civilisation française version « macroniste ».
Des Kateb Yacine, M’hamed Issiakhem, Mohamed Georges Iguerbouchène, Mahieddine Bachetarzi, Mohamed Zinet et bien d’autres ont dû se retourner dans leur tombe le jour où ce manuel du néocolonialiste a vu le jour. Mais au milieu de fiertés et sans exclusive, un nom attira notre attention du fait qu’il est totalement ignoré dans son pays d’origine, n’ayant jamais fait l’objet d’une quelconque recherche ou investigation du côté de la rive sud de la Méditerranée.
Peut-on y remercier le triumvirat ministériel du CAC 40 et des usuriers de la « nouvelle Europe », de nous avoir donné matière à réfléchir davantage sur notre propre héritage mondial ? La gifle est bien reçue.
Une femme méconnue dans le milieu de nos mélomanes de la musique classique de chambre, et dont on n’a pas fêté cette année, ni le 120e anniversaire de sa naissance ni la 41e commémoration de son décès. Il s’agit de Mme Leila Marguerite-Georgette Ben Sedira (LBS) et dont l’état civil y mentionna, dit-on, le prénom de R’zeila (petite gazelle) qui est née à Alger le 17 février 1903 et décédée à Paris le 1er juin 1982.
On ne mentionne que son grand-père, l’érudit philologue et grammairien Belkacem Ben Sedira pour être sa petite-fille du côté paternel et qu’elle est enterrée au cimetière de Saint-Nom-le-Bretèche (Yvelines).
La cantatrice aux 104 représentations en France, en Algérie et dans le monde, disparaît de notre mémoire en nous laissant une trentaine de 78-tours dont certains ont été reproduits en CD, de mêmes quelques enregistrements de spectacles d’opéras reprient sur Youtube. Mais sa véritable demeure fut la scène de l’Opéra-Comique de Paris, et elle fut bien imposante que la bâtisse elle-même puisque son âme artistique, elle l’a doit à ce don que la mère-nature lui a promulguée dès son jeune âge, une voix rossignole de soprano léger.
Dans l’annonce nécrologique parue dans Le Monde du samedi 5/6/1982, on pouvait lire que « Leïla Ben Sedira était une cantatrice très estimée dans les années 1930 et après-guerre. Sa voix fraîche et poétique convenait particulièrement bien aux œuvres de Debussy et Ravel ».
Parlons d’une des belles voix d’Algérie de l’opéra classique, les propos qu’elle a légués à notre mémoire, à la fin de son spectacle en interprétant le personnage de « Lakmé » qui « semble avoir été écrit pour elle dont la pointe d’exotisme de son origine convient à merveille à une action qui est censée se passer aux Indes », dont la partition musicale est de Léo Delibes (1836-1891) et le texte d’Edmond Gondinet Philippe Gilles, attestent de son attachement à son pays natal.
Le 9 février 1930, Maurice Braugère de L’Afrique du Nord Illustrée a eu l’exclusivité d’approcher LBS chez elle sur son invitation, pour parler « plus longuement de la belle Algérie et de son Alger ». Et dira entre autre :
« Oui, je suis d’origine arabe, dites-le bien, car j’en suis frère, car j’en suis fière, je suis née à Alger et c’est sous notre beau ciel que, toute jeune, je manifeste mon goût pour la musique… ».
Au sujet du chant qui illumine sa carrière d’artiste, elle répondit, que « non, pour le piano, car, sans encore penser à la scène, j’étudiai ce bel instrument. Je fus élève de M. V. Llocan, pis à mon arrivée à Paris, je travaillai avec l’excellent pianiste Wurmser et reçus les conseils de l’éminent professeur au Conservatoire National, M. Lazare Levy ».
Elle délaissa le clavier pour le chant sur les conseils de sa tante, Mme Murat, qui remarqua chez la jeune Leïla des dons extraordinaires. Elle a sut la première, les mettre en valeur à Alger qu’une fois à Paris, Mme Lalande prendra le relais afin de parfaire cet enseignement.
LBS ajoutera: « C’est Lazare Lévy qui me décida à aborder le scène de l’Opéra-Comique, en avril 1929, je débutai dans « La Poupée des contes d’Hoffmann », puis, le 23 janvier dernier, j’interprétai, pour la première fois, le rôle de « Lakmé » ». Le spectacle en question s’est déroulé en présence du roi Moulay Hafid du Maroc et qui ne la ménagea pas de ses applaudissements en tant que cantatrice « nord-africaine ». Avec beaucoup de modestie et légitime fierté, esquissant un sourire énigmatique, écrivait le journaliste, elle enchainera sur le spectacle en disant que « … Depuis j’ai repris « Lakmé » et je joue demain dans, « Masques et Bergamasques ».
Elle n’avait que 27 ans lorsqu’on lui évoque ses projets. Elle dira qu’en principe « je dois partir avec les Concerts Lamoureux qui se rendront à Alger, à l’occasion du Centenaire ; croyez que c’est pour moi un immense plaisir que de revoir mon pays natal… ». Ce produira-t-elle sur la scène de l’Opéra d’Alger, interroge l’envoyé de L’Afrique du Nord :
«… Peut-être, répondra-t-elle, se sera pour moi une grande foie, si mes engagements me le permettent ». Au sujet de ses impressions personnelles, elle confia à l’hebdomadaire « Algérien » de l’époque et à ses lecteurs, que :
« Je ne leur cacherai pas que j’ai un trac fou avant d’entrer en scène, ma respiration me manque, je suis nerveuse, sitôt « sur le plateau », j’abandonne ma personnalité de la ville, je vis avec naturel mon personnage, je m’identifier à lui, surtout dans « Lakmé » que j’affectionne particulièrement ».
En y ajoutant : « J’aime la peinture, je serais heureuse d’assister à des conférences artistiques et littératures ; les voyages ont pour moi beaucoup d’attrait, mais maintenant, le théâtre seul compte, j’adore mon art, j’y consacre tous mes instants c’est un envoûtement… ».
L’ensemble de la presse française des années 1930, parisiennes en tête, évoquaient LBS comme une « charmante, douce, câline, maîtresse délicieuse, tendre, passionnée, menaçante, elle reste toujours « simple et naturelle ». Une artiste qui, durant les 03 actes de l’opéra « Lakmé », a su interpréter sans aucune défaillance, avec une aisance admirable, le rôle si redouté par d’autres.
Sa voix est jugée ravissante et d’un talent de grande comédienne et se joue de toutes les difficultés qu’elle rencontre. Le chef d’orchestre de l’Opéra-Comique de l’époque disait à son sujet « qu’elle conduisait sa voix comme un violoncelle ». Sa voix de soprano léger est appelée par les professionnels, de coloratur qui est un certain type de voix qui doit pouvoir donner les notes aiguës tout en gardant un certain charme étoffé dans le medium, et le rôle le plus conforme à cette voix est le personnage de Lakmé et l’artiste qui possède les dons les plus typiques est bien Leïla Ben Sedira (Voilà du31/5/1940).
Une cantatrice algérienne qui avait raffinée par cette voix naturelle de France, en interprétant des rôles majeurs dans La Flûte enchantée (Ravel), Le Boléro (Boieldieu) , La Psyché (Manuel de Falla) et notamment, Le Rossignol amoureux (Rameau), son plus grand succès par son air élégant, tendre et ingénu datant du 18e siècle.
La voix transparente, de fraîcheur cristalline permettait à LBS de chanter dans la langue originale de la composition musicale entre l’espagnol et l’italien sans aucune entrave de diction avec souplesse et exactitude. Il est bien regrettable qu’une telle artiste hors du commun, faisant partie intégrante de notre patrimoine culturel dans sa porté humainement universel, soit encore ignoré par son pays et objet de manipulations idéologiques et politiciennes en France et en Navarre. Pourtant c’est bien cette Algérie qu’elle a de tout temps portée dans son cœur, qui lui donna cette pureté de timbre et agilité vocale qui lui permettait le long de son parcours artistique de filer la note de la façon la plus exquise et qui « avec cela, un enjouement naturel qui fait que ses « agréments » paraissant aussi peu apprêtés que les trilles d’un rossignol », juge-t-on avec convenance et respect de son vivant.
Il est intéressant de rappeler que dans les archives audio de Radio-Luxembourg, on pourrait retrouver ce concert symphonique du mois de juillet 1939, où à elle seule, interpréta sous la direction de l’orchestra de Pensis, Guillaume Tell (Rossini), Aria del Re Pastore, et Aquesto sono den vieni ou encore, Voi che sapete (Mozart), la Suite de ballet (Lulli-Motti). Enfin, deux compositions de Schubert, à savoir Der Hirt auf dem Felsen et la Symphonie n° VI en do majeur. Nous ne lasserons de citer encore qu’entre 1930 et 1935, Mme Leila Ben Sedira avait été sur scène pour Les contes d’Hoffmann et La Chanson de Fortunio (Offenbach), Mireille et Roméo et Juliette (Gounod), de même dans Lakmé et Les Filles de Cadix (Delibes), Les noces de Figaro (Mozart), Le Barbier de Séville (Rossini), Air et Variations (Proch), Manon Lescaut (Auber), Fortunio (Messager). Enfin, Ö mon bel inconnu (Hahn) et Mimi Broadway (Ellis et Fietter) où nous remarquons qu’à travers un tel répertoire, LBS est marquée par son adhésion à la recherche musicale et le renouvellement, c’est ainsi quelle rejoint l’ensemble Ars Rediviva dirigé par Claude Crussard, dès 1936 et au sein duquel elle contribua énormément à ce projet qu’avait lancé Nadia Boulanger autour des questions de faire revivre les musiques anciennes françaises et étrangères des 17e et 18e siècles. Enregistrant et montant des spectacles de cantates, ariettes et madrigaux et autres airs de Scarletti et de Monteverdi, LBS, consacra ses dernières années d’existence artistiques à l’enseignement musical, formant des relèves qui sont toujours regroupés de nos jours, sous forme d’associations d’art et d’étude.
Les titres de presses consultés couvrant la période de 1929 à 1952, nous montrent que cette artiste algérienne ne s’est jamais arrêtée, peut-être même au détriment de sa santé, – chose qu’il serait intéressant d’évoquer – aussi des contraintes politiques qu’elle a pu traverser.
Durant la Seconde Guerre mondiale, elle se retira de la scène pour des conditions qui méritent d’être évoquées un jour, en laissant sa voix retentir sur toutes les radios du monde. Le Los-Angeles Times, par exemple, annonçait fidèlement chacune de ses productions la considérant ainsi comme une des stars incontournables de l’opéra mondial contemporain aux côtés de Maria Callas, Victoria De Los Angeles, Janet Baker, Kathleen Ferrier et bien d’autres.
Nous l’évoquons, aujourd’hui, avec toute la fierté de la voir un jour proche reprendre son entière place d’une de nos composantes mémorielles dans un art des plus nobles. Un art qui exige une immense tenue morale et intellectuelle que possédait déjà LBS dès son enfance en Algérie dans un contexte de colonisation dont elle a compris plus tard que l’on pouvait mener sa propre forme de résistance et dont l’Histoire retiendra les plus nobles sacrifices auxquelles LBS y a été obligé à s’y confronter.
En restituant LBS à la mémoire de son peuple et à ses cultures, il semble bien que c’est l’unique réponse qu’il serait juste d’adresser à ceux et celles qui se sont effacés d’eux-mêmes en spoliant, une fois encore, à la pointe du rogne-pied.
Mohamed-Karim Assouane, universitaire
Quelques liens utiles concernant Leila Ben Sedira :