Mercredi 15 novembre 2017
Les autorités ont-elles vraiment tiré toutes les leçons ?
Pluies et neiges sont annoncées pour les jours à venir ; elles seront suivies de fortes précipitations, un petit peu partout sur le territoire national. Pour autant, les élus locaux ont-ils prévu et mis en place un dispositif d’urgence pour préserver leurs administrés et leurs biens ?
Il faut reconnaître qu’en l’état, nos communes sont démunies devant ces périls ! La plupart d’entre-elles ne disposent même pas d’un « système d’alerte et d’information de la population ».
Il y a aussi cette campagne électorale qui mobilise les élus sortants dont un grand nombre espère « rempiler » et des candidats obnubilés par le « fauteuil » de maire et les privilèges qui s’y attachent.
En conséquence, les communes fonctionnent au ralenti ! Les élections locales, au lieu de provoquer un regain de dynamisme et de croissance, d’entrain social, ont pratiquement tétanisé toute activité. D’ici au 23 novembre, ce sera un vide sidéral et, pourtant, tous les candidats et leur staff au renouvellement des assemblées populaires communales et de wilaya ne jurent que par le rétablissement de la bonne gouvernance locale.
Pourtant, la problématique des inondations doit être, à l’orée de cette basse saison, une priorité pour les maires du pays qui
seront au premier plan en termes de prévention, d’intervention et de secours aux populations menacées : sont-ils, pour autant, préparés à ces échéances, sachant que près de 600 communes sur les 1541 que compte le pays, nécessitent des opérations de mise à niveau en matière de moyens d’intervention et de lutte contre les risques majeurs ?
A l’orée de chaque hiver, les algériens vivent le calvaire. Le moindre déplacement, la plus petite des activités se transforment en épreuves titanesques : rues gorgées d’eaux, boue, gravats jonchant la chaussée et bloquant la circulation automobile sont le lot des habitants de la ville. Cette situation qui, hélas, se répète bon an mal an, est due généralement à l’inexistence des réseaux d’évacuation des eaux de pluie ou à leur vétusté, ce qui a eu pour effet de raviver les souvenirs douloureux des inondations de Bab-El-Oued et de Ghardaïa ; les autorités locales ne semblent pas avoir retenu la leçon.
Rappel
1. Les inondations de Bab El-Oued (10 novembre 2001) et les torrents de boue qui se sont déversés dans l’oued principal du Frais-Vallon ont fait plus de 700 victimes et près d’une centaine de disparus ; les dégâts matériels ont été estimés à 33 milliards de dinars !
2. Celles de Ghardaïa en 2008, ou des pluies diluviennes se sont abattues sur la région pendant 48 heures. En amont, elles ont trouvé comme réceptacle des oueds et de là, les eaux ont déferlé, débordé et emporté tout sur leur passage, à travers huit communes, dont celle située dans la vallée du M’zab, Ghardaïa. Pourtant, les services météorologiques ont bien mis en garde les responsables concernés, en diffusant des BMS alertant sur les risques à venir !
Quid de la responsabilité des élus ?
Les maires et de façon plus générale les Collectivités Locales, doivent faire usage des outils de planification urbaine qui sont à leur disposition (le PDAU notamment) afin d’assurer la prévention du risque « inondation » en empêchant le développement de l’urbanisation dans certaines régions qui ne s’y prêtent pas (les lits d’oued).
Les opérations d’entretien préventif, quand elles ont lieu, ne doivent pas, en principe, s’inscrire dans un calendrier saisonnier, dans la mesure où les calamités sont imprévisibles, n’ont cessé de répéter tous les spécialistes de la question qui, par ailleurs, font remarquer qu’en matière d’intervention, la coordination interministérielle doit revêtir, obligatoirement, un caractère intersectoriel, ce qui n’est pas souvent le cas et les résultats s’en ressentent.
Il y a aussi le manque d’informations concernant la consistance et l’état des moyens à mutualiser et à mobiliser à l’échelon national et aussi des ressources humaines à réquisitionner quand la catastrophe touche une ou plusieurs wilayas, ce qui laisse perplexe les responsables en charge de coordonner les secours, en l’absence d’un fichier central informatisé.
Plus encore, on a entendu parler « d’une étude sur le phénomène des inondations en Algérie et les moyens de réduire leur impact », financée par l’Union européenne pour un coût de 1,2 million d’euros, dont les conclusions devaient être rendues publiques.
Toujours est-il qu’au jour d’aujourd’hui, les inquiétudes demeurent et l’esprit des citoyens est encore hanté par les inondations passées : faut-il se résigner à penser que le « déchaînement des éléments » est seul responsable de ce qui s’est passé à Ghardaïa, mais aussi à Bab El-Oued ?
En France, des élus ont été poursuivis par la justice pour avoir signé des permis de construire pour des maisons de plain-pied qui auraient dû comporter un seul étage, en raison du risque fort de submersion de la digue censée protéger les habitations. Les victimes se sont même portées partie civile ! Les deux anciens élus ont prétendu n’avoir pas pris connaissance du risque d’inondation, car celui-ci n’a jamais été, clairement, expliqué par les services de l’Etat, qui avaient, en outre, validé des permis de construire avant qu’ils ne soient autorisés par la commune.
En Algérie, pas de procès, encore moins de jugement ! Mais si, à Dieu ne plaise, il venait à se produire une quelconque catastrophe dans une région où « on aurait fermé les yeux sur des habitations édifiées sur des conduites de gaz, ou des bâtisses construites dans des lits d’oueds, ou plus encore des travaux de réalisation ou de réfection bâclés par des entreprises non compétentes et qui auraient impacté, gravement, sur des citoyens ou leurs biens », chaque responsable, direct ou indirect, de cette situation aurait à répondre de sa gestion, pour ne pas dire négligence !
Et la responsabilité des citoyens ?
Si l’Etat et les Collectivités Locales s’attachent aux mesures collectives, il revient, aussi, à chaque citoyen de prendre ses responsabilités au regard des aléas auxquels il est exposé, en s’assurant lui et ses biens. A Ghardaïa, par exemple, les inondations ont détruit les cultures mais également les commerces dont seulement 5 propriétaires sur les 500 recensés étaient assurés, pour dire que les citoyens se passent, non seulement, d’assurance pourtant obligatoire comme la CATNAT, mais n’hésitent pas aussi à se débarrasser de leurs gravats, n’importe où, ce qui a eu pour effet de boucher toutes les conduites d’évacuation, d’aggraver la situation et partant alourdir le bilan de la catastrophe
De quels moyens disposent les communes pour gérer les risques ?
A la décharge des communes, il faut dire, que les responsabiliser sur tout et rien, c’est quelque part aller vite en besogne au regard de la faiblesse des moyens mis à leur disposition. Dans l’absolu, que peuvent faire ces collectivités locales devant le «dérèglement climatique » qui touche l’ensemble des pays du bassin méditerranéen ?
Aujourd’hui, les collectivités locales se meurent et plongent davantage dans les problèmes du quotidien financés, majoritairement, par les subventions de l’Etat. L’économie locale, par exemple, est quasi inexistante dans le processus de développement initié par l’Etat où un manque est perceptible en matière de management, de stratégies
et de capacités d’anticipation, de création d’entreprises locales, de valorisation des ressources, du patrimoine et des revenus fiscaux !
Quel pourrait être le rôle du ministère de l’Intérieur et des Collectivités locales ?
Noureddine Bedoui, le ministre de l’Intérieur et des Collectivités Locales, avait intégré dans la stratégie de son département, outre « l’amélioration des services publics » qui était pour lui une exigence, et qui est devenue aujourd’hui une réalité, la nécessité d’enclencher « un plan de réforme des collectivités locales » susceptible de les doter en nouveau mode d’organisation et de gestion, en mécanismes et outils, de manière à leur permettre de réaliser leurs objectifs. Ces réformes vont être lancées incessamment, semble-t-il.
Après avoir mené avec succès le « choc de simplification » des procédures administratives en matière d’attribution du passeport biométrique délivré par l’APC, une grande première en Algérie, Noureddine Bedoui le ministre de l’intérieur, baisse du pétrole oblige, a musclé son discours à l’adresse des responsables des collectivités locales leur demandant de se muer, en « managers créateurs de richesse et d’emploi ».
L’attractivité économique est d’ailleurs une expression qui revient fréquemment dans ses déclarations, lui qui ne désespère pas de faire des collectivités locales des pôles de création de richesses et d’emplois.
Cela passe, nécessairement, par le changement des mentalités, l’engagement des responsables locaux, la dépénalisation de l’acte de gestion, mais également et surtout, par la « réforme des finances et de la fiscalité locales », celle-là même qui permettrait aux maires de valoriser leur patrimoine, et ainsi profiter de leurs ressources et gisements fiscaux pour monter des projets et les financer sans recourir aux subventions de l’Etat !
Conclusion
Dans notre pays au climat semi-aride, voire aride dans la majeure partie, la survenance d’inondations, ne peut-être qu’un paradoxe, mais quand cela se produit, l’impact est dramatique, autant sur les personnes que sur les biens.
Si certaines régions, comme la Capitale ou l’Est du pays sont concernées par ces risques, tout le territoire y est, en définitive, sensible. Malheureusement, le laisser-aller, l’absence, parfois, de plans Orsec et les interventions conjoncturelles d’un personnel non formé pour la circonstance aggravent la situation, quand la catastrophe se produit.
Aujourd’hui, les oueds menacent nos villes et les alertes météo vont être fréquentes et il n’est pas question de se défausser sur les autres, comme l’a fait, par exemple, un maire qui s’expliquant sur les inondations provoquées par les premières pluies qui ont bloqué la circulation automobile pendant des heures, a affirmé : « je pense que cela s’est produit à cause des travaux qui sont en cours et notamment le sable utilisé dans les chantiers ; il ne faut pas oublier aussi le manque d’effectif ».
A la question de savoir qui était responsable, le maire a pointé du doigt les entreprises SEAAL et Sonelgaz « qui font la sourde oreille à nos réclamations en refusant de remettre en état les lieux quand elles interviennent sur la chaussée, laissant sur place les gravats qui obstruent les avaloirs et les égouts ! ».
Un autre président d’APC d’une ville qui a été submergée par la boue et inondée jusqu’à la moindre maison, n’a pas trouvé de mieux pour expliquer la catastrophe que de dire : « il n’y a pas eu mort d’homme, donc ce n’est pas si grave ! ».
Le 23 novembre prochain, les algériens iront faire le choix de leur maire parmi une foultitude de candidats dont la majorité, une fois élus, ne disposent pas de compétences, pour anticiper les événements, alerter les populations, secourir les sinistrés voire les reloger même provisoirement !
C’est pourtant le rôle des responsables des collectivités locales, pour peu qu’on leur en donne les moyens et une formation en matière de management opérationnel et de gestion des risques majeurs.
C. A.