Les plus chanceux d’entre nous pouvaient se voir offrir, dès l’âge de 10/11 ans, un petit couteau, sans doute par mimétisme car, dans notre monde paysan, tous les hommes avaient un couteau en poche, le fameux DoukDouk, très simple de conception, mais bigrement efficace.
Un canif pour tailler nos propres jouets
C’était un compagnon de tous les jours et son utilité aux champs était de tous les instants : couper le pain ou éplucher un fruit à l’heure du repas (mmm…les figues de barbarie (« tikermoussin » !), tailler une canne ou en guise de gaule ou un bâton pour la marche, décorer ledit bâton en lui retirant soigneusement une partie de l’écorce dans des circonvolutions savamment orchestrées, concevoir un outil, souvent ingénieux, pour se faciliter la tâche,…
Nous autres, gamins, utilisions ces petits objets tranchants, que nous maîtrisions parfaitement après quelques égratignures, pour façonner nos propres jouets. Ainsi, nous fabriquions le tire-boulettes appelé aussi lance-pierre (une tige d’olivier ou de frêne en Y, deux lanières de chambre à air, une petite pièce de cuir et le tour est joué).
L’arc était l’arme la plus facile à réaliser (une branche d’olivier de bonne section mais assez souple, un bout de ficelle et il n’y avait plus qu’à préparer des flèches en roseau). Dans la simplicité, il y avait aussi « Avuzhar » (la fronde), avec une pièce de cuir et deux ficelles. Là, le canif n’intervenait pas beaucoup. L’arbalète (un bout de roseau creux, une petite lanière de caoutchouc, un S en fil fer assez rigide en guise de gâchette, un bout de bois rectiligne et sec pour le projectile et beaucoup de dextérité). « Azerbod », c’était la toupie de ceux qui n’avaient pas de quoi l’acheter ; il (car c’est un masculin en kabyle) était grossièrement façonné dans du bois d’olivier puis, un vieux clou et une ficelle faisaient l’affaire.
L’innocence dans les jeux à At Yenni
« Tavuzerefraft » était une hélice réalisée avec une languette taillée dans un bout de roseau, deux carrés en papier collés de part et d’autre de cette languette avec la chaire d’une figue sèche et là, il fallait convoquer un petit souffle de vent en chatant : « Alid alid a yadu,si tiɣilt igawawen … ».
Il y avait aussi « Takarust » (la voiturette). Là, il suffisait d’un roseau d’un peu plus d’un mètre cinquante environ, d’un peu de liège pour fabriquer trois ronds (deux de même diamètre pour les roues et un plus grand pour le volant), une tige de bois de quinze à vingt centimètres pour le train avant…et en voiture Simone !!! Le reste se passait dans la tête.
Dès l’adolescence, les plus habiles d’entre nous pouvaient réaliser des merveilles. Je me rappelle l’instrument à vent fabriqué par mon ami Youcef, excellent musicien du reste, un soir d’été en deux temps trois mouvements : « Tizzemarin » (parent proche de la cornemuse). Avec deux sections de roseau assez fines et d’égale longueur, percées de six trous chacune, deux autres plus fines encore et plus courtes en guise d’anches (« Tiqessavin »), et deux cornes de vachette préalablement évidées, il avait fabriqué en un rien de temps, un instrument de professionnel avec lequel il avait animé un mariage le soir même. Cette opération ne lui avait pas pris plus d’une à deux heures.
D’autres jouets plus élaborés étaient fabriqués par nos petites mains avec une perfection plus ou moins aboutie selon l’âge. Il en était ainsi du ‘’Roulement’’ (en roulant le ‘’R’’). C’était un tricycle avec trois roulements à billes de voiture (de récupération bien sûr, comme tout le reste d’ailleurs), des planches éparses, des clous et un écrou assez grand pour la direction. Là, il n’y avait plus qu’à pousser. Les plus téméraires conduisaient le tombereau ainsi réalisé, sans freins, et les autres, moins audacieux, les poussaient dans les descentes… et des descentes, on n’en manquait pas. Cela se finissait parfois sur le bas-côté de la route, ou dans les ronces, avec quelques petits bobos, mais rien de significatif comparé à la dose plaisir engrangée.
Enfin, il y avait « Tiddas »… Pour le coup, le canif n’y était pas pour grand-chose mais nous ne pouvons pas clore cet inventaire sans consacrer quelques lignes à ce proche parent du jeu d’échecs (ou de dames?) local, gravé en creux dans de grandes pierres plates scellées sur le dessus des bancs maçonnés de « Tajmayt » (espace de rassemblement des hommes à l’entrée du village). La grille était carrée, subdivisée en vingt-cinq carreaux plus petits (cinq sur cinq). Deux joueurs se plaçaient de part et d’autre et chacun choisissait dix cailloux de même taille ou couleur (pour pouvoir les différencier de ceux de son compagnon de jeu) et les posait sur sa partie de la grille.
Le but du jeu était qu’un des joueurs, qui avaient la main à tour de rôle, arrive à en disposer trois sur la même ligne. Il y avait aussi d’autres façons d’y jouer, avec des règles plus complexes, mais, dans tous les cas, cela restait un jeu de stratégie. Ce jeu ancestral se pratiquait de 7 à 77 ans tout comme se lisait une célèbre bande dessinée arrivée un peu plus tard au village.
Comme quoi, on reste toujours un enfant quelque part, ou on le redevient par le jeu, l’âge de l’état civil n’étant pas prépondérant.
Cherfi Mouloud