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Les œuvres universitaires, objet de convoitise et d’appétits féroces ?

Tribune

Les œuvres universitaires, objet de convoitise et d’appétits féroces ?

Les transports Tahkout des étudiants s’offrent un marché très juteux.

Après l’université que nous avons décrite précédemment comme étant coupée de son environnement social et économique, viennent en aval les œuvres universitaires sur lesquelles il y a  beaucoup de choses à dire. Censées assurer le confort et le bien être de près d’un million d’étudiants assoiffés d’instruction et de réussite professionnelle, les œuvres universitaires sont devenues, malheureusement,  au fil des ans, l’objet de convoitise et le lieu propice d’incurie et de corruption. La gabegie dont souffre cette institution dont l’intention initiale est pourtant fort louable est devenue quasiment l’unique mode de « bonne gouvernance », pourrait-on dire. Les détournements en nature et en espèce (commissions, fausses factures et surfacturation monnayées en argent…) des biens publics qui s’y opèrent sont devenus si répétitifs et si fréquents qu’ils emplissent les chroniques judiciaires du pays, chroniques dont les quotidiens nationaux, publics et privés confondus, font souvent l’écho.

Ces détournements dont certains auteurs sont heureusement épinglés par la police et la justice, se font , d’abord, au détriment du bien être des étudiants dont la nourriture se trouve réduite tant en quantité qu’en qualité du fait de cette même gabegie et de cet agiotage, et ensuite, au détriment du trésor public qui se trouve amputé d’une partie de ses finances.

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Le paradoxe d’un Etat providence…

Il serait injuste de dire que l’Etat algérien est avare, et que  tous les membres du gouvernement sont corrompus. Il y a certes corruption, corrompus et corrupteurs dans ce pays, mais au milieu de tout cela, il y a pourtant des choses qui se font, qui se réalisent au profit des différentes fractions de la population, notamment la population estudiantine. La démocratisation de l’enseignement, sa généralisation, la construction des routes et des logements sociaux en faveur des démunis, la subvention des produits de première nécessité par l’Etat, etc., tout cela a un coût, et un coût élevé en termes financier. Un des signes de ces « largesses », entre autres, dont fait preuve l’Etat est l’attribution des bourses, fussent-elles maigres, à  tous les étudiants remplissant les critères requis par la loi, et d’un logis à chacun, aux résidences universitaires. Outre les bourses, ils disposent des moyens de transports au prix fort abordable. L’ex-ministre du MESRS, Rachid Haraoubia, n’a point tort lorsqu’il déclarait que : «L´Algérie est parmi les rares pays au monde qui continue d´allouer des bourses aux étudiants et qui continue de leur dispenser des cours gratuitement ».

Le logement social attribué, via les municipalités, aux couches les plus démunies, est un autre signe de cette « largesse » due à l’Etat providentiel. Il y a mieux : le seul pays, à notre connaissance, dans le monde actuel, pauvre ou développé, dont les attributaires des logements sociaux deviennent propriétaires à part entière, c’est bien l’Algérie. Après un certain temps d’occupation ( variant entre 5 et 10 ans) avec paiement de loyers, les bénéficiaires de ces logements sociaux accèdent à la propriété privée par le biais de l’achat. Les prix de ces appartements sont généralement très modérés et donc bien en deçà des prix du marché.

Ouargla

Cuisine de l’université de Ouargla.

Quand la corruption réduit en une portion congrue la ration alimentaire des étudiants …

En dépit de toutes ces largesses manifestes de l’Etat envers ses citoyens, il existe pourtant de graves entorses aux lois qu’attestent les anomalies dans la gouvernance de la chose publique, anomalies qui contrarient à la fois les efforts de l’Etat en matière d’investissements productifs et favorisent  grandement les tentations corruptrices. Comme les autres secteurs et institutions économiques, sociales et culturelles, les œuvres universitaires ne dérogent point à la règle et se trouvent être l’objet des convoitises, le lieu où s’exaspère le désir de s’enrichir rapidement et à tout prix. En effet, certains gestionnaires, tels que directeurs, intendants, chefs de départements, n’hésitent pas, au mépris de l’éthique, de l’islam, de la Mecque, du pèlerinage et de la ‘Omra, de détourner une partie des produits alimentaires destinés aux étudiants, en réduisant en peau de chagrin la ration alimentaire revenant à chacun. Gestionnaires des œuvres  et fournisseurs s’arrangent, par le jeu des prix fictifs , de fausses factures et d’autres trafics de registres, de se partager les bénéfices des produits détournés.

Exemple : le responsable des œuvres universitaires passe commande au marchand de viande de l’ordre de 20kg d’un prix X (X=800×20=16 000 DA). Or, le marchand de viande, au lieu de fournir les 20kg de viande, il en fournit seulement 10, mais tout cela se fera, bien entendu, de connivence avec le directeur des œuvres universitaires…. Les deux complices se partageraient alors à égalité la différence de prix, soit 4000 DA chacun, et le tour est joué ! La qualité de la viande pourrait être très mauvaise, mais qu’importe, car l’essentiel étant que les deux complices se remplissent leur panses et escarcelles respectives.

Malnutrition et intoxication alimentaire

On comprend dès lors pourquoi les étudiants sont mal nourris, et mal « lavés » pourrait-on dire. Ainsi par exemple : au campus nord de M’sila, qui abrite 8000 lits, l’eau ne coule qu’une fois par semaine ! Dans ces conditions où la nourriture et l’hygiène sont lamentables, il n’est pas difficile d’imaginer dans quel état piteux vivent et travaillent nos pauvres étudiants. Nous supposons qu’ailleurs, dans d’autres villes universitaires du pays, les conditions de vie, de nourriture, d’hygiène, de transport, et d’étude  ne sont guère plus propices qu’à M’sila où la bonne « gouvernance », dans presque tous les secteurs de la vie sociale et économique, n’est point en odeur de sainteté….

Malgré les milliards alloués annuellement à l´Office national des œuvres universitaires pour répondre aux divers besoins de près d’un million d’étudiants répartis sur 220 résidences universitaires à travers le territoire national, il reste que la plupart de ces étudiants sont mal nourris et beaucoup d’entre eux montrent des signes de faiblesses évidents. Aux campus de M’sila, il n’est pas rare de voir des étudiants tombés en syncope, surtout les filles, et transportés dans des brancards avant d’être évacués par des ambulances toutes hurlantes…vers les hôpitaux.  Le stress seul n’explique pas ces évanouissements fréquents des étudiants. La malnutrition en est pour beaucoup. La presse écrite rapporte souvent des faits irréfutables concernant la très mauvaise qualité de la restauration offerte aux étudiants, et qui laisse l’observateur « pantois ». Un journaliste avisé a pu écrire que « Les menus «proposés» au niveau, soit des cités ou des campus universitaires, sont des plus misérables. Et tout au long de l´année, l´on a pu enregistrer des dizaines de cas d´intoxication à travers les différentes résidences universitaires du pays. Cette situation a d´ailleurs été de tout temps l´une des préoccupations des étudiants. Ces derniers n´ont de cesse, à chacun de leurs mouvements de protestation, de dénoncer cette situation qui empire de jour en jour. »

Heureusement que la justice du pays, en dépit de ses imperfections et malgré aussi la corruption notoire de certains magistrats, ne chôme pas, puisqu’elle parvient, assez souvent, à épingler et à placer en prison les auteurs coupables de détournement et d’ actes illicites. En témoignent, entre autres, l’arrestation récente de trois employés des œuvres universitaires de M’sila pris en flagrant délit de vol de produits alimentaires destinés aux étudiants. Mais dans ce cas, il s’agit plutôt d’un larcin, ou comme on dit en arabe skâtaa, que d’un vol en grand. Les auteurs en sont : un magasinier, un agent et une femme de ménage ! Le juge a requis, pour l’un d’eux, une année de prison ferme, alors que, paradoxalement, il se produit assez souvent dans ce pays d’«un million et demi de chahids » des détournements de plusieurs milliards de DA sans que les auteurs soient placés en détention, et pas même auditionnés par les juges, comme c’est le cas dans les pays qui se respectent et respectent le droit…

La corruption, les corrompus, la police et la justice

Ces quatre termes de l’équation ne chôment pas. La corruption et les corrompus, petits et grands,  qui gagnent de proche en proche des pans entiers du corps social et politique du pays travaillent sans répit, jour comme de nuit, à imposer leur règle du jeu à la société globale. En même temps, elles jouent au chat et à la souris avec la police et la justice qui tentent, elles, d’endiguer, à défaut d’éradiquer totalement ce phénomène extrêmement nocif pour la santé économique, éthique et morale de la société algérienne. Malgré que certain segment de la justice comporte des magistrats franchement véreux, il est pourtant indéniable que dans l’ensemble elle ne déroge pas aux règles communes du droit et se montre impitoyable envers les auteurs des infractions. En l’occurrence, et dans le cas précis des œuvres universitaires, la justice fait souvent son « boulot » malgré toutes les limites que lui imposent les circonstances et l’Exécutif…Quantité d’exemples montrent et démontrent sa volonté d’assainissement de ces Œuvres gangrenées par la corruption. Nous avons évoqué le « larcin » commis récemment à M’sila. Il nous faut y revenir encore et remonter dans le temps pour faire voir le travail qu’elle a accompli chemin faisant :  ainsi le directeur de la résidence universitaire 1er-Novembre 1954  de cette même ville, à savoir M’sila, a-t-il été écroué en 2008. Surpris « en flagrant délit de corruption par un fournisseur en pain pour la résidence universitaire.  L’enquête ouverte par les services de sécurité a déterminé que la somme exigée par le directeur en contrepartie de l’approvisionnement dans une boulangerie était de 15 millions de centimes. Le fournisseur a alors alerté la Police judiciaire qui a procédé à l’arrestation du corrompu, la main dans le sac. Il a été immédiatement placé sous mandat de dépôt. » En janvier 2008, également, le directeur des œuvres universitaires de Tizi Ouzou, le nommé A.A., a été pris également en flagrant délit, dans un hôtel près d’Alger, «  de corruption d’un fournisseur de viandes », et placé le même jour sous mandat de dépôt. Ayant fourni au directeur en question des liasses de billets de banque qu’il a préalablement photocopiées, le fournisseur avait déclaré aux enquêteurs qu’il avait usé de ce stratagème dans le seul but de mettre un terme : «  au chantage qu’il subissait de ce directeur, qui exigeait de lui des pots de vin, sans quoi, il changerait de fournisseur” Lors de son arrestation, la police découvre dans le coffre de la voiture de ce directeur  les 300 000 DA qui lui ont été remis en forme de pot de vin par le fournisseur. Cet acte lui a valu d’être condamné, en février 2008, à dix ans d’emprisonnement par le tribunal correctionnel d’El Harraach.

Deux ans plutôt, le directeur des œuvres universitaires d’El Oued s’est trouvé impliqué dans une série de scandales aux odeurs nauséabondes, mais qui ne lui ont valu cependant que d’être relevé de ses fonctions. Pour se remplir les poches, ce directeur, procédait comme tous ses pairs tentés par l’enrichissement illicite, au gonflement des factures,  «  ce qui est aux yeux de tous un détournement de deniers publics. Comment cela s´est-il produit? Au début de l´année universitaire en cours[2006] le responsable en question a lancé un avis d´appel d´offres en direction des fournisseurs en produits alimentaires. Néanmoins, il a opté pour le premier fournisseur ayant soumissionné, en lui remettant un bon de commande. Cependant, le hic dans cette histoire, c´est que entre le coût réel des produits et la facture élaborée, l´écart est aberrant ». Et le journaliste de citer l’ex-Ministre Haraoubia qui précise que «pour la viande de veau, l´écart est de 230 dinars le kilogramme; 100 dinars pour la viande fraîche, tandis que pour le prix de la pomme de terre l´écart est de 23DA/KG».Comme pour montrer une certaine fermeté et se laver de tout soupçon de laxisme envers les corrompus, Rachid Haraoubia, alors Ministre du MESRS, avait demandé au successeur du directeur limogé d’ester celui-ci en justice, et lui promettant que «Le ministère vous fournira les documents nécessaires afin que vous meniez à terme cette affaire» car «Il faut que ces gens soient dénoncés publiquement et qu´ils paient le prix de leur mauvaise foi »

Ces beaux propos de l’ex-ministre du MESRS sont un pur alibi et ne doivent pourtant pas masquer aux yeux du lecteur le fait que c’est durant toute la longue période  (septembre 2002-septembre 2013) où il était le patron incontesté de ce département que la corruption des œuvres universitaires avait pris des proportions inquiétantes. C’est aussi sous sa présidence de ce département que certains fournisseurs privés étaient devenus les clients favoris de l’université et des œuvres universitaires. C’est ce Ministre même qui faisait partie des cinq ministres qualifiés par les médias de« catastrophiques » et que le président Bouteflika avait congédiés lors du remaniement ministériel qu’il avait opéré le 12 septembre 2013. Cet homme a été aussi l’un des premiers fossoyeurs de l’université algérienne, et comme l’écrit à juste titre un observateur, la cause principale de « La déchéance de l’université algérienne » qui « est une réalité amère qui fait mal à tous les Algériens. Des classements internationaux accablants, des diplômés mal- formés et inadaptés aux besoins du marché de travail, népotisme et trafic d’influence dans l’obtention des diplômes,  des conditions de vie déplorables dans les résidences universitaires, des programmes pédagogiques dépassés et désuets, les problèmes de fonctionnement auxquels fait face notre université sont aigus et complexes. Ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche scientifique depuis septembre 2002, le bilan de Rachid Haraoubia est donc loin d’être positif. C’est même tout le contraire.

Durant toutes ces longues années, ce ministre a échoué à remettre l’université algérienne sur les rails. Et pourtant, de nombreuses voix se sont élevées pour réclamer son départ pour mauvaise gestion. » Chose faite en ce mois de septembre 2013….

Mais les ministres qui lui ont succédé depuis septembre 2013, MM. Mohamed Mebarki et Tahar Hadjar, ont en recueilli un héritage d’autant plus lourd qu’il s’avère ingérable en raison des passifs qu’il comporte. Ces deux ministres ont, en effet, essayé, chacun à sa manière, d’assainir ce secteur de l’enseignement supérieur en l’expurgeant de ses pratiques délétères, de son népotisme et de ses passe-droit, mais très vite ils se sont heurtés à des résistances de la part de ceux qui, avec le temps, les habitudes et les réflexes routiniers, ont acquis une situation de rente. Grâce aux œuvres universitaires, certains groupes d’intérêts privés, avaient pu, entre 2002 et 2013, se remplir les escarcelles ; de même certains recteurs des universités avaient pu, durant la même période, se constituer une belle fortune à la faveur  des appels d’offre portant sur des projets divers ( construction des cités universitaires, des Pôles, des annexes, des logements). Certains responsables des moyens généraux dont le niveau, pour quelques uns d’entre eux, ne dépasse guère le niveau moyen, sont devenus patrons privés à la faveur, sans doute du choix « judicieux » des fournisseurs et de la consistance de « la commission ». Leurs noms, la raison sociale de leurs entreprises ou commerces, les lieux de leur implantation, pourraient être facilement identifiables pour peu qu’une enquête sérieuse soit lancée…

Des recteurs se nommant eux-mêmes « Professeur X » et  « professeurs Y », mais qui  n’ont jamais rien produit qui vaille la peine d’être signalé, sinon des textes et des livres   ressortant de « copier-coller », sont devenus de véritables « entrepreneurs » au sens d’affairistes tout en régnant à la tête de l’université dont ils étaient les managers comme des « monarques » héréditaires….

A.R.

Notes 

1- Cité dans https://www.vitaminedz.org/tizi-ouzou-l-ex-directeur-des-oeuvres-universitaires/Articles_15688_82062_0_1.html

2- Dans l’Expression : r http://www.lexpressiondz.com/actualite/32945-%C2%ABLa-corruption-ronge-l%E2%80%99Onou%C2%BB.html

3- Lire https://www.liberte-algerie.com/actualite/le-directeur-de-la-residence-universitaire-sous-les-verrous-49445

4-  https://www.liberte-algerie.com/actualite/le-directeur-des-oeuvres-universitaires-ecroue-pour-corruption-48335]

5- Voir : https://www.vitaminedz.org/tizi-ouzou-l-ex-directeur-des-oeuvres-universitaires/Articles_15688_82062_0_1.html

6- Cité par http://www.lexpressiondz.com/actualite/32945-%C2%ABLa-corruption-ronge-l%E2%80%99Onou%C2%BB.html

Le prochain article : Les œuvres universitaires : gouffre où sont englouties les finances publiques

Auteur
Ahmed Rouadjia, Professeur d’université, M’sila

 




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