20 avril 2024
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L’Etat postcolonial est resté l’enfant de la colonisation

Ferhat Mehenni

L’Etat postcolonial est resté l’enfant de la colonisation

Le développement industriel en Europe avait, à partir du XVIIIe siècle, suscité le besoin d’extension des marchés, bien au-delà du Vieux Continent. Il a été satisfait par la colonisation qui, à l’insu de ses partisans, jetait les bases de la mondialisation.

Si, de nos jours, partout sur la planète, tous les humains utilisent les mêmes technologies, ont des écoles, des administrations et se rencontrent à l’ONU, c’est parce que, entre autres principales raisons, la colonisation était passée par là. Mais incapables de gérer ces gigantesques empires coloniaux à partir de Londres ou de Paris, les pays colonisateurs trouvèrent la solution des Etats auxquels on confia, à travers leurs appareils, administratifs, fiscaux et sécuritaires, le contrôle des personnes et des biens, des marchés et de l’ordre. Ils allaient niveler le monde, le façonner dans un même moule. C’est ainsi que l’Etat est devenu l’instrument actuel le plus adapté à la gestion du monde et de la mondialisation. Il est l’outil le plus approprié pour se prémunir contre le chaos mondial.

Cependant, le degré de performance et d’efficacité de chacune de ses variantes est très différencié. L’Etat bâti par la colonisation n’a que l’apparence de celui qui lui a donné naissance. Pendant que celui de la métropole a pour objectif le bien-être de ses citoyens, celui issu de la colonisation continue de considérer les individus et les communautés qu’il domine comme des sauvages contre lesquels il faut toujours sévir et se méfier.

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En fait, l’Etat européen a évolué pendant que le colonial, devenu postcolonial, a stagné, quand il n’a pas carrément régressé. 

D’instrument de contrainte et de répression qu’il était au service de l’autorité royale, l’Etat européen est devenu le régulateur des relations entre citoyens, acteurs et organisations de la société en général. Il est devenu le lieu où respire la démocratie et se garantit la liberté et la dignité de la personne humaine. 

L’Etat postcolonial, lui, est resté l’enfant de la colonisation. Celle-ci l’avait conçu comme un appareil de coercition des peuples colonisés pour les amener à l’obéissance et à la soumission, il continue, malgré de louables tentatives ici et là de le faire évoluer, d’avoir les mêmes réflexes et les mêmes missions qu’à sa naissance. C’est dans ce sens que, globalement, nous allons traiter du postcolonial français.

Le postcolonial est une discipline qui essaie d’appréhender la manière dont les ex-colonisés évoluent. Une école anglo-indienne, dans le sillage d’Edward Said, s’intéresse particulièrement à l’individu par rapport à sa communauté d’origine et à celle notamment de son ex-métropole. Son terrain de prédilection est la culture en général. Ce n’est pas sous cet angle que nous intervenons. 

De notre point de vue, le postcolonial ne relève pas du complexe du colonisé. Nous ne nous focalisons sur le domaine des Etats créés par la colonisation que pour mieux mettre en relief leur évolution face à leurs insolubles problèmes politiques internes et à leur mère patrie, l’ex-métropole qui continue d’avoir un œil sur eux. 

Le postcolonial se définit par les deux mots qui le composent : « post » et « colonie », que l’on peut comprendre comme l’ère d’après la colonisation, une sorte de « The day after » politique. Le domaine qui nous intéresse en lui, en traitant des Etats créés par la colonisation française, est la manière dont ils évoluent, une fois remis entre les mains de ceux que, jadis, l’on appelait les « indigènes ». 

C’est au XIXe siècle que la France s’était taillé un immense empire colonial qui, en Afrique, allait de manière continue, des rives Sud de la Méditerranée, aux frontières Nord de la Zambie. Un peu plus au Sud il y a également Madagascar. Cet empire français en Afrique comptait plus de 13 millions de km2 pour une population actuelle évaluée à près de 340 millions d’âmes.  

Les indépendances africaines, pour la plupart octroyées, ont été réalisées entre la fin de la Seconde Guerre mondiale et le début des années soixante. En examinant les Etats qui en sont issus, on leur découvre d’étranges similitudes et d’inquiétantes perspectives.

Leur nature coloniale les inscrit davantage sur le registre de la répression que celui de l’administration. Elle les condamne au format de la dictature à la place de la démocratie.

Ennemis de la liberté, ils sont dotés d’un logiciel incapable de mise à jour. Ils avaient bénéficié d’un temps de grâce qu’au lendemain des indépendances leur avait octroyé la Guerre froide.  Durant cette dernière, ils étaient individuellement courtisés et couvés par les deux camps qui se partageaient le leadership mondial. Ainsi, d’Etats satellitaires des métropoles coloniales, nombre d’entre eux avaient échappé à l’emprise de celles-ci pour atterrir dans la cour soviétique. Mais la chute du Mur de Berlin les a ramenés dans le giron de la tutelle coloniale qui, depuis, les somme de se libéraliser et de se démocratiser. A près de trente ans de cette injonction, seul le Sénégal a eu une alternance au pouvoir correcte.

La France, comme les autres pays colonisateurs, par un pacte international tacite, est en charge de la stabilité de ses anciennes colonies. Elle y fait le gendarme et veille à ce que les sanguinaires qui y sont au pouvoir n’altèrent pas sa propre image comme c’était le cas au temps de Bokassa ou du génocide rwandais. Malgré les déclarations solennelles de chaque président français, depuis Mitterrand, affirmant qu’il n’y a plus de Françafrique, la France n’a fait que s’embourber d’année en année dans le marécage politique africain. Nombre de coups d’Etat étaient téléguidés de Paris. Pas moins de 43 interventions militaires dont les trois dernières (Côte d’Ivoire, Mali et Centrafrique) n’ont rien résolu.

Aussi, est-il temps de réfléchir autrement à l’Elysée.
1) L’empire colonial français relève toujours de la politique intérieure de la France au lieu des affaires étrangères. Ses interventions sont sous-tendues par des considérations erronées que nous essayons de signaler en vain aux géostratèges français.

2) La politique du modèle français, celle de l’Etat jacobin qu’elle s’échine depuis plus d’un demi-siècle à imposer en Afrique, est un échec. Les rares Etats ayant réussi à engendrer un semblant de nation sont l’exception. Même en France où les régions et leurs langues, jusqu’ici férocement combattues, frappent à la porte de la Constitution et la Corse, semble-t-il va même y faire incessamment irruption. Les Etats africains qu’elle a édifiés sur le modèle français ont failli à plus de 90%.

3) Les intérêts stratégiques français en Afrique n’ont plus besoin des dictatures africaines pour être sauvegardés, voire développés.

4) Les frontières héritées de la colonisation se révèlent non seulement comme le plus grand frein à la démocratie, au respect des droits humains et à la paix sur le continent africain, mais surtout comme le plus grand crime contre l’humanité après l’extermination de certains peuples, l’Holocauste et la Traite des esclaves. Elles sont la plus affreuse des atteintes actuelles à la dignité humaine, à celle des peuples et des communautés. Elles sont même toxiques pour la France puisque ce sont les injustices de leurs Etats qui poussent des millions d’Africains à immigrer en France au péril de leur vie. Elles sont la source principale des troubles internes qui minent ces pays artificiels 

5) La politique de rang, celle au nom de laquelle la France justifie sa place disputée de 4e ou 5e puissance du monde, n’a plus besoin de maintenir, par procuration donnée aux dictatures, des peuples africains en esclavage. 

6) Le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes est plus légitime aujourd’hui, avec les Kabyles, les Peuls, les Senoufos, les Kurdes, les Touaregs, les Issas, les Afars, les Malinkés et les Ba-malinkés… qu’il ne l’était hier avec l’Algérie, le Sénégal, le Togo ou le Gabon…

Si nous en arrivons à ces conclusions, c’est parce que, nous-mêmes en tant que Kabyles, sommes victimes à ce jour du postcolonial français. La Kabylie était souveraine avant son annexion par la force des baïonnettes à l’Algérie française, à partir de 1857. Après avoir tout fait durant plus de 55 ans à nous intégrer dans une Algérie qui nous rejette tant que nous resterons un peuple debout, nous n’avons pas d’autre choix que de chercher une solution loin du déni dont nous sommes frappés, en nous basant sur la légalité internationale le droit universel, consacré par les textes de l’ONU, le droit des peuples à l’autodétermination.

La colonisation avait fait ce monde inique, puisse la sagesse kabyle aider l’humanité à le reconstruire sur la base du respect des valeurs humaines, du droit des peuples et des personnes, de la nature et de l’Espace. 

Cambridge le 30/05/2018
Ferhat Mehenni

 

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Ferhat Mehenni

 




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