27 avril 2024
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Lettre à « maître » Aït Larbi : Le droit ne peut pas plier

Tribune

Lettre à « maître » Aït Larbi : Le droit ne peut pas plier

Il est des histoires politiques où des populations sont soumises par la violence à une dictature. De Jules César à Napoléon, de Staline à Pinochet et de Saddam à Bouteflika, la force brute était l’apanage des oligarques que seuls les religieux ont toujours soutenus mais les scientifiques, les philosophes et surtout les juristes ont été souvent du côté du réprimé, du côté du peuple et de la justice à défaut d’être à l’avant-garde de révolutions contre les tyrannies.

Or, en Algérie, et c’est de l’actualité puisque Alger reste une des dernières citadelles du népotisme bureaucratique et de dictature militaire absurde, des journalistes aguerris, des militants dévoués et des artistes reconnus se liguent en soutenant, toute honte bue, un régime mafieux et une oligarchie impitoyable contre une population démunie et une jeunesse désarçonnée et perdue.

Nous ne parlons pas de ces faux journalistes émergés dans la médiocrité ambiante, ni de ces politiciens de pacotille biberonnés à la sève de l’autoritarisme rentier et encore moins de ces opposants fomentés qui courent à la mangeoire à la première cloche.

Non, nous sommes ébahis face un positionnement pour le moins incompréhensible d’une personnalité au long parcours militant et à l’engagement avéré en faveur du droit. C’est d’une grande figure de la lutte contre l’injustice étatique et un des principaux initiateurs du combat pour les droits de l’homme et l’identité qu’il s’agit, du célèbre avocat Mokrane Aït Larbi en l’occurrence.

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Cher maître ! Il est de votre droit absolu de soutenir un général algérien en retrait mais pas à la retraite, puisque à peine retiré de l’armée, l’anonyme général Ghediri revient en « sauveur de la république » pour briguer la présidence. « Sauveur » certainement il l’est comme l’ont été ses collègues « janvieristes » qui ont plongé l’Algérie dans un tourbillon de violence et de contre violence d’une terrible guerre et dont les blessures et les séquelles auront marqué à jamais l’histoire contemporaine ainsi que les générations futures.

D’ailleurs les deux décennies de léthargie et de corruption instaurée par le régime Bouteflika ne sont que la conséquence directe de la fameuse décennie noire où 200 000 personnes ont sauvagement perdu la vie et des milliers d’autres déplacées.

Cher maître ! Oui, comme vous êtes un homme de droit, vous avez tout à fait le droit en tant que personne et en tant que citoyen de soutenir qui vous voulez et de porter la parole de qui vous souhaitez sauf que vous n’êtes pas une personne simplement ni un citoyen ordinairement. Vous êtes d’abord et avant tout un militant des droits de l’homme, ensuite un avocat populaire et les citoyens simples vous connaissent grâce à ces deux dernières caractéristiques.

Par conséquent, votre position politique ne serait ni simple ni ordinaire. Votre position pèse et vous devriez en prendre compte. Cher maître ! Vous conviendrez avec moi que pour prétendre à prendre la tête et le destin d’un pays, vous êtes censé avoir un capital pour reprendre le sociologue Pierre Bourdieu, un capital politique, comme c’est le cas dans les démocraties libérales européennes, ou financières comme c’est le cas aux USA. Les seuls pays où une junte militaire a pris le pouvoir sont parmi le monde dit arabe, les dictatures latines et la Russie de Poutine.

Où situez-vous l’Algérie ? La Tunisie voisine, après une révolution de jasmin est en voie d’instaurer un modèle libéral unique dans l’hémisphère sud avec une démocratie participative, une législation égalitaire et une économie productive grâce à l’engagement de son élite intellectuelle, la volonté de sa jeunesse et la lutte de ses travailleurs.

D’où sort le général que vous soutenez ? Il est quand même intéressant de voir que sa candidature a pris de l’ampleur juste après votre annonce publique et, selon votre déclaration, « suite à des échanges » comme si la légitimité manquante au général-candidat ne devrait émaner ni d’un capital intellectuel ou militant, ni d’une puissance financière affairiste mais d’un crédit populaire accordée pour un notable avocat avec un parcours d’opposant avéré.

Pourquoi, étant donné votre engouement à la chose politique et surtout à ce soutien brusque et bruyant, vous ne vous présentez pas vous même à cette joute électorale qui n’inspire depuis longtemps que dégoût et désaffection au sein des populations ? Pourquoi accorder un crédit à une élection discréditée ? Pourquoi légitimer un pouvoir et un personnel illégitimes ? Pourquoi rajouter de la confusion à la confusion ? Au-delà des qualités morales dont peut se prévaloir le soldat-candidat, il est reconnu que tous les soldats ne sont pas tous idiots et encore moins tous corrompus, mais la question dépasse l’ordre moral et éthique. C’est une question éminemment politique d’où la nécessité de vous interpeller à propos de votre choix.

Dans quelle école militaire était le général-candidat quand la troupe soldatesque de Ben Bella incendiait les montagnes et violait les femmes kabyles lors de l’assaut militaire contre la rébellion du FFS en 1963 ? 413 anciens maquisards de la Wilaya III contre le colonialisme ont été achevés au lendemain de l’indépendance alors que l’armée des frontières se distribuait les postes et les honneurs.

Où était le soldat Ghediri quand les chars de Chadli Bendjedid circulaient dans les rues de Tizi-Ouzou pour sécuriser les policiers qui violaient les franchises universitaires et arrêter des étudiants pour les embastiller. 24 militants ont été condamnés à la peine capitale pour avoir protesté contre l’interdiction d’une conférence sur la poésie kabyle ancienne.

Beaucoup ont été vos amis, cher maître. Le soldat Ghediri, on ne sait pas où il était. Bis repetita en 1985 quand vous, cher maître, sous la houlette de l’inénarrable Ali Yahia Abdenour et vos camarades, avez créé la première ligue algérienne pour la défense des droits de l’homme. Vous étiez condamnés pour « atteinte à la sûreté de l’État » et croupissiez dans les geôles de Lambèse et de Berrouaghia. Cela, on le sait, mais on ne sait rien du soldat Ghediri que vous voulez porter aujourd’hui à la magistrature suprême.

Nous savons aussi que quelque temps après la tentative de créer un parti démocratique, vous avez claqué la porte avec fracas. Récemment encore, vous avez affirmé dans une interview que les lecteurs peuvent consulter sur youtube que votre démission était due au financement occulte que vous ne cautionniez pas et à la décision politique qui « venait d’ailleurs ». Vous avez dénoncé les mêmes pratiques quand vous avez claqué la porte du Sénat algérien au sein duquel vous étiez « désigné » dans le tiers présidentiel. Cela aussi on le sait de vous mais rien de votre poulain d’aujourd’hui. Dans les années de feu et de sang démarrées avec l’interruption du processus électoral, la junte militaire tenait le pouvoir d’une main de fer pour « préserver la république ». Des journalistes assassinés, des militants disparus à jamais et des femmes éventrées.

Où était le général que vous parrainer aujourd’hui ? Il était dans quel service ? Car pour être général, il doit y avoir au moins une carrière et un service rendu ! On a appris, suite à la candidature loufoque d’Ali Ghediri que maître Mokrane Aït Larbi soutient, que le général était chef de personnel au sein du ministère de la Défense. Il est facile à deviner qu’il était au cœur même des promotions et des déchéances tous azimuts qui ont rythmé les quatre quinquennats de Bouteflika. Question, ne faisait-il pas partie des maîtres d’œuvre à défaut d’être un pion ou un exécutant ? Et dans ce cas-là précis, maître Ait Larbi, votre soutien n’en est pas un mais simplement une caution à un jeu ficelé d’avance mais que vous contribuer à faire avaler.

Les militaires algériens ont toujours gouverné et su garder le pouvoir, ils n’ont nullement besoin de vous ni de votre implication pour la besogne mais ils resteront à la marge de l’histoire, l’histoire avec un grand H, celle qui s’écrit par le courage politique et les grandes luttes pour la liberté.

Ce sont les militaires qui disent « A vaincre sans péril, on triomphe sans gloire » ce qui est loin d’être votre cas.

À défaut de vous présenter vous-même, craignant certainement que « l’étiquette kabyle » vous desserve dans les jeux claniques au sommet, pourquoi vous ne soutenez pas une véritable candidature opposante qui ne vient pas du sérail algérien ni de l’institution militaire qui le porte ? Pourquoi vous ne soutenez pas, quitte à la susciter, une candidature ou une mouvance jeune et audacieuse comme c’est le cas à travers le monde moderne ?

Au final, vous aurez peut-être perdu l’élection mais vous aurez gagné l’histoire et ravivé l’espoir. Dans le cas ou Ali Ghediri renverserait la table, comme vous semblez le suggérer, et gagnerait miraculeusement la présidence, vous serez le premier avocat de l’histoire à placer un général en président. Cher maitre ! Sommes-nous condamnés à être des éternels seconds ? Sommes-nous condamnés à être gouvernés par nos bourreaux ? Sommes-nous inaptes à prendre notre destin en main et de le rattacher toujours à « l’autre » ? Sommes-nous condamnés à taire notre soif de démocratie, de liberté et d’authenticité en attendant qu’elles nous soient « accordées « ? Quelle leçon êtes-vous en train de donner à cette jeunesse qui vous respecte mais pour laquelle vous montrez le mauvais chemin ?

Vous savez certainement, cher maître, que « la justice ne peut pas attendre pas et le droit ne peut pas plier » (proverbe malgache). Dans tous les cas de figure et dans l’absolu, oui cher maître, vous avez le droit de soutenir un général mais vous n’avez pas le droit de nous interdire de nous interroger, de poser des questions sur le parcours de nos « anciens « , de nos aînés et de nos pères spirituels et surtout sur leurs péripéties en fin de parcours. Vous avez le droit de conforter une supercherie, de cautionner un simulacre mais vous n’avez pas le droit de nous berner.

Vous avez le droit de finir votre carrière, nous avons le droit de vouloir continuer le combat que vous avez initié ensemble ou séparément. « Si vous avez la force, il nous reste le droit » disait Victor Hugo dans Cromwell.

Mes respects, maître !

Auteur
Ahviv Mekdam

 




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