Lorsque Jean-Marie Le Pen fonda le Front National en 1972, l’un des commentaires les plus repris sur sa composition fut, en termes à peu près équivalents, « Un ramassis d’anciens vichystes, de nombreuses organisations fascistes et paramilitaires ainsi que de l’OAS (Organisation Armée Secrète) ».
À l’heure d’une montée fulgurante des partis d’extrême droite en Europe et la menace d’une prise de pouvoir en France, il est utile de rappeler ce qu’est l’extrême droite et son histoire sombre, particulièrement avec l’OAS.
L’article présent n’a pas pour objectif d’être un traité d’histoire de l’OAS, l’auteur pourrait en prendre leçon auprès de la majorité des lecteurs même si à son âge de 7 ans la mémoire du vécu est à peu près valide et que les faits lui ont été rappelés en histoire des idées politiques.
Pourquoi placer tous les partisans de « l’Algérie française » dans une filiation avec l’extrême droite, un mouvement doctrinaire très ancien ? Après tout, on pourrait considérer que l’OAS est tout simplement une branche extrême, sanglante et hautement condamnable du refus de l’indépendance algérienne qu’exprimait la majorité des Pieds noirs sans qu’ils aient basculé dans la violence armée.
Pour y répondre, impossible d’appréhender ce qu’est l’extrême droite sans évoquer ses racines historiques et l’évolution de ses idées. Autrement on ne pourrait pas comprendre son lien étroit avec les partisans de l’OAS.
La genèse
Tout commence lors de la révolution française de 1789. L’Assemblée s’était divisée en deux positions radicalement opposées. Fallait-il préserver la royauté ou la destituer ?
Ce n’est que plus tard que la sémantique rattachera l’évènement à deux termes en opposition, les conservateurs (en référence avec l’ordre, anciennement monarchique) et les progressistes (par les idées révolutionnaires de la république et de la liberté).
Parfois il y a des terminologies mystérieuses dont l’origine est pourtant stupéfiante de hasard et de simplicité. Les partisans du roi étaient assis à droite et les révolutionnaires hostiles à la royauté, à gauche. Voilà l’origine de la qualification politique de droite et de gauche. Pour la suite de l’histoire, par la radicalisation des premiers leur sera attribué le qualificatif « d’extrême droite » ou « d’ultras ».
Les partisans du roi affirmaient qu’il détenait le « pouvoir spirituel » depuis le sacre de Clovis. Le monarque est donc de droit divin. La noblesse serait détentrice du « pouvoir séculaire » (dans le siècle, en quelque sorte dans la réalité terrestre).
Nous voilà plongés dans les premières racines de l’extrême droite. La France est catholique, non républicaine, antiparlementaire et opposée à la démocratie (puisque l’origine du mal est une assemblée qui se voulait être une représentation de la souveraineté populaire).
Quant à la déclaration des droits de l’homme, elle délie le peuple de sa soumission au roi et à la noblesse, donc à Dieu, ce qui représente pour eux un sacrilège.
Bien que l’histoire qui a suivi ait vu de nombreuses ramifications et strates se rajouter avec leur cortège de différents mouvements, en passant par celui de l’OAS, tout démarre à cet instant de rupture. Les bases idéologiques naissent de ce tronc originel, on les retrouvera toujours même si les événements sont de circonstances diverses.
Le développement du terreau idéologique
C’est tout d’abord le nationalisme dont la définition diffère du patriotisme. Alors que ce dernier est l’amour de son pays, ce qui est un fait largement partagé, le nationalisme renvoie à l’idée d’une exaltation de la nation.
Par ses racines chrétiennes et par son vaste empire, la France détiendrait une supériorité « raciale » et des valeurs universelles qu’elle doit assumer dans un rôle de « civilisation » des peuples des territoires coloniaux.
Par cette affirmation de l’extrême droite, elle est raciste et, surtout à l’origine, antisémite. La détestation des juifs trouve sa cause très lointaine dans la trahison de Jésus par le peuple hébreu. Ils sont les pestiférés du monde, avides et pervers.
Quant à la détestation des musulmans, elle apparait dès le moyen âge avec ce qui était considéré être une menace contre les lieux saints chrétiens et qui avait provoqué les Croisades. Puis à l’heure actuelle par le fantasme du « grand remplacement » que nous explique Eric Zemmour qui descend de Jeanne d’Arc dans l’arbre généalogique familial.
Pour cette raison l’extrême droite est toujours « suprémaciste » en affirmant la supériorité de la race pure, celle des blancs chrétiens.
Ainsi, l’extrême droite lutte avec constance contre toute cause qui entraîne la défaite de la puissance, militaire, coloniale et civilisationnelle. Raison pour laquelle elle réapparait fortement lors des défaites militaires comme celle de 1870 contre les Prussiens, d’autres suivront.
Puis, en corolaire, elle refuse le déclin culturel et économique, son discours est toujours fondé par une France qui serait assiégée par des ennemis de toute part. L’extrême droite sera anti dreyfusarde pour la menace juive, boulangiste et poujadiste pour le populisme et anti musulmane pour la menace contre les racines chrétiennes, nous l’avons déjà dit, et ainsi de suite.
Pour tout cela, il faut deux conditions. Tout d’abord un solide ordre moral (catholique), policier et militaire, des pouvoirs hérités de la souveraineté du roi nommés régaliens (encore cette racine monarchique).
Puis le culte de l’homme fort en leader, celui qui protège et permet de redonner à la France son prestige, l’obsession de l’extrême droite. Soit la résurgence de l’image de la puissance du roi (encore !) et par conséquent la détestation du parlementarisme et de la démocratie, cause du désordre, comme le furent le comportement et les idées de l’assemblée des révolutionnaires.
Pour conclure ce rapide exposé, précisons que tous les partis et gouvernements de l’extrême droite dans le monde ont les mêmes bases idéologiques.
Arriva la guerre d’Algérie
La perte du territoire colonial de la France ne pouvait être meilleur réceptacle pour attiser l’extrême droite dont nous venons de rappeler le socle idéologique. Tout y est, les conditions troubles et la revendication nationaliste, l’affirmation de la supériorité des racines françaises, la mission civilisatrice, la défense du territoire hérité d’un passé colonial puissant et noble ainsi que le racisme en défense des valeurs chrétiennes.
Il faut rappeler que la France venait de connaître en 1954 une grande humiliation après sa défaite à Dien Bien Phu au Vietnam qui, justement, avait revendiqué son indépendance. C’est en concordance de temps avec le début de la même revendication armée pour l’indépendance de l’Algérie. On comprend que dans cette atmosphère, les militaires et leurs officiers ainsi qu’une partie de la population française d’Algérie tombe progressivement dans les réactions historiques de l’extrême droite.
L’OAS est bien l’une des filles de l’extrême droite française, il n’y a aucun doute à ce sujet. Les anciens de l’OAS comme leurs partisans ne se privèrent d’ailleurs jamais par la suite de le revendiquer.
Lorsque le général de Gaulle annonce en 1960 un référendum pour l’indépendance de l’Algérie, le moment était venu pour les ultras de l’Algérie française de passer au combat armé. La création de l’OAS fut le 11 février 1961 par des activistes d’extrême droite exilés à Madrid, dont les plus connus sont Pierre Lagaillarde, Jean-Jacques Susini et les généraux Salan et Jouhaud qui les rejoindront
Il n’en fallut pas plus pour que quatre généraux, dans la nuit du 21 au 22 avril 1961, fomentent un putsch militaire pour maintenir l’Algérie française. Après l’échec de celui-ci, les généraux Challe et Zeller se rendirent, mais Salan et Jouhaud passèrent à la clandestinité et prirent la tête de l’OAS. Ainsi, dès 1961, l’OAS regroupe environ un millier d’hommes, déterminés à agir.
Pourquoi la création de l’OAS en Espagne ? Tout simplement parce que le régime fasciste de Franco était au pouvoir, soit un ancien allié des Nazis et de Mussolini. Une telle création ne pouvait en effet s’organiser et en faire sa publicité sur le territoire algérien.
Franco leur avait ouvert ses bras pour des raisons évidentes de ses relations très conflictuelles avec les démocraties européennes, dont la France. S’il fallait une preuve supplémentaire que l’OAS se positionnait clairement dans la lignée doctrinaire et historique de l’extrême droite, elle est inscrite dès sa naissance.
Le projet consistait en une politique de terre brûlée par le massacre, la peur et la torture envers une population tétanisée. Dès la signature des accords d’Evian du 18 mars 1962 et l’indépendance du 5 juillet suivant, le terrorisme et les violents attentats de l’OAS ont redoublé pour perpétrer l’innommable.
«L’OAS frappe où elle veut, quand elle veut » fut son slogan en organisant la terreur des « nuits bleues » avec des centaines d’explosions. Voilà ce qu’est l’ancrage historique du parti de Marine Le Pen. Un parti qui revendique sa coupure avec le passé et qui en porte, encore aujourd’hui, les relents par ses idées détestables et par sa légitimation à peine voilée de la cause de l’OAS pour « sauver la patrie et sa civilisation européenne chrétienne ».
Nostalgie des larmes et nostalgie de combat
De nombreux écrits posent la question d’une justification de cette action meurtrière désespérée alors que la cause était définitivement perdue. L’une des réponses est certainement la plus crédible et qui constitue encore une preuve de l’ancrage de l’OAS dans l’histoire de l’extrême droite.
L’objectif aurait été celui de frapper les esprits en terrorisant la population française (en plus des Algériens) qui est condamnée à l’exil pour beaucoup et les inciter à rejoindre les idées fascistes de l’extrême droite pour alimenter sa puissance. Il faut dire que le crédit de l’idéologie d’extrême droite, fasciste, avait pris un gros coup car dix-sept ans seulement s’étaient écoulés après sa mise à terre pour sa collaboration avec le régime de Vichy.
Dès l’arrivée en France a fleuri un nombre pléthorique d’organisations et associations pour la mémoire dont celles qui eurent pour objectif une affirmation identitaire et la poursuite du combat.
« J’ai perdu mon pays » dira Enrico Macias et « La France aux Français » dira Jean-Marie Le Pen en rétorsion à l’exil des anciens français d’Algérie et à l’arrivée de l’immigration. Si la majorité des anciens Pieds noirs se sont donc réfugiés dans la culture nostalgique, souvent appréciée car teintée du soleil et de l’accent d’Algérie, d’autres n’avaient absolument pas l’intention de solder les comptes de la défaite de l’OAS. Le Front National réussira plus de dix ans après à agréger ces nostalgiques militants de la force et faire de ce parti le plus fidèle héritier de l’OAS. Il est au service du grand projet nationaliste fasciste que partagent tous les partis européens de l’extrême droite.
Marine Le Pen et Jordan Bardella ne peuvent dissimuler l’origine sulfureuse de leur parti d’extrême droite (dont elle refuse d’ailleurs la qualification). L’effort de dédiabolisation ne trompe personne et la cravate des députés et cadres du RN ne peut cacher la couleur noire et l’odeur nauséabonde de l’OAS.
Boumediene Sid Lakhdar