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L’indispensable adaptation de la politique étrangère de l’Algérie

Ahmed Attaf

Ahmed Attaf

Conseil de sécurité

La politique étrangère de l’Algérie subit ces derniers temps le feu des critiques. Les développements de l’agression israélienne à Gaza et en Cisjordanie offrent l’occasion aux opposants au pouvoir actuel ou à des voix particulières d’exprimer leur analyse de cette politique étrangère. Un article du magazine «Orient XXI » qui s’affiche comme « le journal de référence du monde arabe et musulman », se veut la synthèse de ces critiques.

Un ancien haut cadre de l’Administration expose également son point de vue dans une interview au journal électronique « Twala.info ». L’absence de débats publics contradictoires prive l’opinion nationale des confrontations d’idées qui aideraient à faire la part entre les critiques sérieuses et documentées et les préoccupations oppositionnelles. Ces dernières souvent traitées par le mépris, ne sont pas à rejeter.

Dans le cadre d’une démocratie assumée, elles constituent l’aiguillon du débat public contradictoire. Elles obligent les gouvernants à expliquer leur politique et à chercher à convaincre les citoyens. A l’approche de la présidentielle 2024, cela devrait inciter à alimenter le débat politique. On ne peut que regretter le manque de réactivité des responsables gouvernementaux.

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Selon l’auteur de l’article du magazine « Orient XXI », d’une part, le pouvoir algérien est « frileux » et ne pèse plus sur la scène internationale. D’autre part, le soutien de l’Algérie à la cause palestinienne est « sans consistance ». Frilosité et absence de consistance renvoient à des défaillances dans l’application d’une orientation générale partagée. En effet, rien dans l’article ne remet en cause cette orientation générale qui sous-tend le soutien à la cause palestinienne. Cette orientation se résume dans l’affirmation que « le Hamas est un mouvement palestinien de résistance nationale légitime face à l’occupation, et le pays rejette toute normalisation avec Israël ».

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Deux raisons sont invoquées pour expliquer la défaillance du pouvoir algérien. La première raison réside dans l’étouffement du mouvement populaire avec l’interdiction des manifestations. La deuxième raison se rapporte à « La volonté de ne pas s’aliéner Washington ». L’auteur renvoie non sans nostalgie à la période d’exercice du pouvoir par le défunt président Boumediene, période où Alger était proclamée « Mecque des révolutionnaires ». C’est justement un exposé caricatural de ce qu’il convient d’appeler la ligne Boumediene qui est source de comparaison trompeuse.

La politique étrangère parrainée par le président Boumediene semblait en effet bénéficier d’un soutien populaire. Mais dans cette période caractérisée par le parti unique et la domestication des organisations syndicales et de la jeunesse, la liberté de manifestation n’était pas reconnue. Malgré les adhésions volontaires au soutien à la cause palestinienne, les manifestations étaient officielles et solidement encadrées par les militants du FLN et les services de sécurité.

A l’échelle internationale, personne n’était dupe de la nature anti-démocratique du régime. Il ne faut donc pas chercher là une raison du prestige et de l’audace de la politique étrangère de l’Algérie au cours des décennies 1960-70. Il est vrai que la répression policière et judiciaire consécutive au Hirak marque profondément ce premier mandat du président Tebboune. Mais globalement, dans le domaine des libertés et malgré toutes les restrictions, la présidence Boumediene était autrement plus autoritaire et plus négatrice des libertés politiques.

La politique étrangère du président Boumediene est souvent réduite à son soutien aux mouvements de libération nationale particulièrement africains de la période 1960-70 ; à sa contribution dans le mouvement des non-alignés ; aux chocs avec la diplomatie américaine sur les questions palestiniennes et vietnamiennes. C’était une partie de la réalité de la politique étrangère algérienne.

Sa deuxième réalité s’exprimait dans les relations économiques avec les pays occidentaux avec à leur tête les Etats-Unis. On peut parler de dualisme de la politique étrangère algérienne. Même au moment de la rupture des relations diplomatiques avec les Etats-Unis dans les années 1968-69, il est observé un accroissement des relations économiques.

La plus grande réalisation économique de l’Algérie et qui continue à représenter la principale source de revenu en devises, est le fruit de la coopération américano-algérienne dans le domaine du gaz. Cette relation économique à grande échelle se déroulait pendant la période où le défunt président Boumediene multipliait déclarations et initiatives diplomatiques pour rassembler les pays non-alignés pour « un nouvel ordre économique mondial ».

Ainsi, le dualisme de la politique étrangère du président Boumediene permettait de privilégier l’idéologie dans les relations politiques et le pragmatisme dans les relations économiques. Ce dualisme doit être rapporté au contexte international marqué alors par la rivalité entre les deux grands blocs de l’Est (socialiste) et de l’Ouest (capitaliste). Ce qui a été dénommé la « guerre froide » offrait un espace à ce dualisme. Identifier la ligne diplomatique algérienne au non-alignement ne recouvre pas la totalité de la politique étrangère algérienne. C’est cette ligne politique et diplomatique, la ligne Boumediene, qui continue à constituer la doctrine de l’Etat algérien.

Cette orientation de la politique étrangère est mise à mal parce que le contexte international a subi de grandes modifications avec principalement l’effondrement des pays socialistes (bloc de l’Est). Les pays non-alignés « progressistes » (pays du Tiers-Monde à orientation socialiste) ont également connu la dépression économique et l’instabilité politique. L’Algérie qui assurait le leadership de ces pays a elle-même fait face à l’échec de son expérience socialiste et à la gestion de l’insurrection islamiste armée.

Son discours idéologique à l’adresse des pays du Tiers-Monde a perdu son fondement et son auditoire. C’est donc son discours idéologique non renouvelé qui est à la base de la politique étrangère actuelle de l’Algérie. La critique qui appréhende l’actuelle politique étrangère dans une opposition à la politique étrangère du président Boumediene ne comprend pas cette filiation.

Cette critique appartient donc au même paradigme que l’objet de la critique. Elle regrette l’anti-impérialisme idéologique de la période Boumediene. Cette critique tient aussi à la posture d’une opposition éloignée des responsabilités gouvernementales.

Ainsi, l’article du magazine « Orient XXI » reprend une critique sur l’abstention de l’Algérie au Conseil de sécurité lors du vote sur la résolution condamnant les attaques des Houthis contre la navigation en mer Rouge. Or aucun pays n’a voté contre cette résolution qui a été adoptée par 11 votes pour, zéro vote contre et 4 abstentions (Algérie, Chine, Mozambique et Russie). Quel Etat responsable peut soutenir des actes de piraterie qui font obstacle aux échanges économiques internationaux qui intéressent tous les pays ? L’Algérie est partie prenante de ces intérêts.

L’article considère cette « action à haut risque (les attaques des Houthis) » comme « le soutien le plus concret aux Palestiniens à Gaza ». De cette appréciation aurait pu découler une proposition « plus concrète », que l’Algérie perturbe à partir de Mers El Kébir la navigation dans la mer Méditerranée en soutien aux Palestiniens. Heureusement que la diplomatie de salon connait ses limites.

En fait, ce qui pose un problème à la diplomatie algérienne dans le contexte international actuel, c’est justement une position qui a la faveur de l’article du magazine « Orient XXI ». « L’Algérie ne transige pas : le Hamas est un mouvement palestinien de résistance nationale légitime face à l’occupation, et le pays rejette toute normalisation avec Israël ».

La revendication d’un Etat palestinien est largement partagée dans le monde. Mais le statut de l’organisation islamiste Hamas est l’objet d’une grande divergence. Dans le monde occidental, Hamas est classée organisation terroriste. D’autre part, ce qui place la diplomatie algérienne dans une position extrême, ce n’est pas le refus de la normalisation des relations avec Israël.

L’Afrique du Sud qui a trainé Israël devant la Cour Internationale de Justice a gelé ses relations diplomatiques avec Israël mais n’a pas remis en cause sa reconnaissance de l’existence de cet Etat. Une corrélation s’établit entre les liens de l’Algérie avec le Hamas et sa non-reconnaissance d’Israël.

L’agence de presse officielle, APS, pousse le zèle jusqu’à censurer les déclarations du président de l’Autorité palestinienne Mahmoud Abbas, en remplaçant systématiquement Israël par « l’entité sioniste ». Une affinité idéologique entre le Hamas et le gouvernement algérien constitue un obstacle de taille à la prétention à vouloir jouer un rôle significatif dans la résolution de la question palestinienne.

La diplomatie algérienne se trouve, dans les faits, marginalisée par cette posture extrême. Tous les pays impliqués actuellement dans la recherche de solutions immédiates ou à venir de la question palestinienne ne partagent pas la même posture que l’Algérie. L’expérience de la diplomatie algérienne comporte pourtant des cas où elle a pu jouer le rôle de médiateur comme entre les Etats-Unis et l’Iran.

Dans ces cas, elle a su adopter des positions médianes qui ont favorisé son action fortement appréciée. Dans le contexte actuel, il est utopique de s’attendre à une révision totale de la politique étrangère algérienne. Mais dans la continuité de son soutien de principe à la cause palestinienne, elle pourrait améliorer son positionnement international autour de deux points essentiels : Premièrement, limiter, en tant qu’Etat, ses relations à l’Autorité palestinienne, institution qui bénéficie de la reconnaissance internationale.

Libre aux partis politiques algériens d’établir des relations avec les organisations politiques palestiniennes de leur choix. Deuxièmement, exprimer nettement son adhésion à la solution à deux Etats comme solution au conflit Israélo-Palestinien. Ce qui équivaut évidemment à s’inscrire dans le cadre des résolutions des Nations-Unies (dont la résolution 242 du Conseil de sécurité du 22 novembre 1967) qui reconnaissent les frontières établies avant juin 1967 comme cadre possible d’existence des deux Etats palestinien et israélien.

Cette adaptation de la politique étrangère de l’Algérie serait en conformité avec les choix politiques intérieurs. Il n’y a pas de raison d’Etat pour que la diplomatie algérienne établisse des relations privilégiées avec des organisations islamistes étrangères qui sont loin d’afficher une quelconque modération.

Cette adaptation favorisera la coopération internationale dont l’Algérie a besoin pour son développement. Elle ouvrira des perspectives diplomatiques à l’Algérie. Elle peut inciter à une autre perception des conflits qui affectent l’environnement régional de l’Algérie. Les possibilités de paix dans la région s’en trouveraient renforcées.

 Saïd Aït Ali Slimane

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