Mardi 19 janvier 2021
Lounis Aït Menguellet revisité : « Inasen », dis-leur… aux émigrés !
Crédit photo : Hayet Aït Menguellet.
C’est un album aux sonorités modernes, sous la direction artistique de Takfarinas, que nous concocte maître Lounis à l’été 2001.
Au-delà de la rumeur anecdotique relative au titre « dir iyi » (je suis mauvais) qui dit que Lounis voulait régler ses comptes avec ceux qui lui reprochaient de ne pas avoir suffisamment rendu hommage à Matoub Lounes, comme à son habitude, Aït Menguellet dissèque la société et les évènements avec cette lucidité infaillible qui lui est propre. Assurément le poète évolue trop haut pour les esprits étroits.
Dans « Inassen » que nous avons choisi de vous traduire, Lounis s’adresse à nous tous qui sommes partis au lendemain de la victoire FLiN-toxo-FIS-tons pour décrire cette Algérie qui n’existe que dans nos rêves et…les siens.
Nous qui brulions d’envie d’apporter la repartie à une récente chronique de Yasmina Khadra qui pose la question « que veut-on faire de notre pays ? » (*), l’occasion se présente ici. Il n’y a qu’à lire la traduction ci-après pour avoir la réponse. C’est cette Algérie rêvée par Lounis que nous voulons tous construire Monsieur Khadra.
Avec tous les efforts et toutes les bonnes volontés du monde, nous n’y arriverions pas, sauf si les généraux faisaient preuve d’un tant soit peu de lucidité et de bon sens et réalisent qu’il est impossible de construire un pays avec les militaires au pouvoir. Par soldatesque, s’entend aussi, bien évidemment, les fous…d’Allah, qui se doivent de retourner à leurs mosquées et ne plus s’occuper de politique !
Vision simpliste, voire utopiste ? Peut-être bien, mais écoutons plutôt maître Lounis ! Il le dit si bien, et mieux que mille discours.
« Inasen », dis-leur
À ceux que le vent a dispersé
Ce vent d’effroi qui a soufflé
Porte-leur le message ci-après
Je t’envoie leur dire ceci.
Rep.
Dis-leur que la malédiction n’est plus
Qu’ils peuvent maintenant rentrer
Nous avons trouvé le guide recherché
Parmi les perles rares de la société
Son père est un Kabyle des montagnes
Sa mère est une arabe des Chleuhs
Il est de la race des seigneurs
Nous ne pouvons que l’accepter
À son arrivée la brume s’est dissipée
Avec lui le pays va certainement ressusciter.
Dis-leur que la malédiction n’est plus
Nos querelles nous les avons oubliées
Dis-leur que nous les attendons
Le pays a besoin de tous ses enfants
Dis-leur que quand ils reviendront
Chacun la place qu’il lui faut l’attend
Chez eux avec les leurs il s’entendront
Autour d’eux l’allégresse des enfants
Dis-leur que la porte est grand ouverte
C’est ce que nous avons de nos yeux vu
Toutes les routes sont libres d’accès
Partout ça pullule d’étrangers
Hivers printemps comme étés
Par milliers ils ne cessent d’affluer.
Dis-leur que quand ils reviendront
L’injustice n’aura plus sa place
La tyrannie ordinaire d’antan
On n’a plus le droit d’évoquer son nom
Ceux qui étaient des durs avant
La plupart sont en prison
Les autres sont dans le droit chemin
Maintenant ils font tous leur devoir
Les militaires sont dans leurs quartiers
Les fusils ont fini par rouiller
Il n’y a ni tueurs ni tués
Où qu’il se trouve l’égaré est redressé
De l’ombre à la lumière nous sommes passés
Les rixes d’antan sont éradiquées.
Ceux qui aux maquis ont crapahuté
Au bercail ils sont rentrés
Ceux qui leur ont pardonné
Sur le droit chemin les ont ramenés
Personne ne cherche du travail
Chacun est occupé par son labeur
Personne n’est en souffrance
Ça se voit dans chaque visage
Le bon grain surpasse l’ivraie
L’abondance inonde les machés
Le paysan déborde de volonté
Il bosse, commerce et se nourrit
Et même jusqu’aux journaux
Ils versent tous dans la vérité.
Dis-leur que la paix s’est installée
Au printemps rendez-vous elle a donné
Tous nos vœux sont exaucés
Depuis longtemps nous en rêvions
Dis-leur quand ils reviendront
S’ils pouvaient voir les villes
De leur blancheur elles les accueilleront
Chaque rue qu’ils longeront
Ils verront ils sentiront
Le parfum des roses et du jasmin
Les filles et les garçons
Main dans la main se promènent
Ils se rendent ensemble à l’école
Toutes les langues sont unifiées
Dans nos écoles le Kabyle est enseigné
Tout comme l’arabe et le français
On l’étudie avec amour
Nos ancêtres communs nous cimentent
Dis-leur ce n’est pas tout
Il y a du nouveau partout
S’ils pouvaient voir nos mosquées
Elles se remplissent de musulmans
Elles s’alignent en égales
Aux côtés des églises des chrétiens
Les juifs reprennent leurs commerces
Avec eux nous vivons en frères
Enrico est à Constantine
Il est vendeur de guitares.
À leur descente d’avion
Les officiels les accueilleront
Sourires à pleines dents
Et des fleurs par bouquets
Ils verront le changement
Tous ceux qu’ils ont détesté
Trouveront sagesse et gaieté
Combien d’eux ils seront contents
Les cœurs ont achevé leur guérison
Tout blanc ils deviendront
Les peines de l’exil ils les oublieront
Ils en effaceront tous les tourments
Une autre vie ils commenceront
En construisant à leur façon.
Rentrez si vous me croyez
De vos propres yeux vous verrez
Les insensés comme moi
Il leur est permis d’abuser
Rentrez si vous me croyez
Pour qu’ensemble nous puissions rêver.
Tous ce que je décris n’est pas
Il ne s’agit que de mes attentes
Chacun par ses rêves se laisse bercer
Rajoutez donc les vôtres aux nôtres
Le champ des rêves nous le remplirons
Il y en aura qui détruirons
Ils anéantiront tous nos espoirs
Une fois leur sale besogne terminée
Qui sait si les choses seront épurées.
Kacem Madani
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