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Ma protection est légitime, celle des autres est liberticide ?

Liberté

« La liberté des uns s’arrête là où commence celle des autres », célèbre proverbe qui « tente » de définir la notion de liberté.

Une belle approche que la sagesse reprend dans tous ses discours. Une pensée devenue universelle et qui affirme donc que l’humanité a enfin défini la liberté, une abstraction depuis des millénaires si ce ne sont les tentatives de la définir par de grands philosophes antiques et ultérieurs.

 « …là où commence… », cela suppose qu’il y a une frontière qui délimite le droit de chacun. C’est à ce moment que débute tout le problème qui nous rappelle à la modestie de penser que la définition n’est pas si sûre que cela.

La liberté n’est ainsi pas définie par ses attributs propres mais par des frontières. Elle se définirait par toute pensée, opinion ou action qui est à l’intérieur de ces frontières et ne les dépasserait pas.

Sa définition peut être appréhendée par l’approche lexicale. Dans le Larousse, quatorze acceptions nous sont proposées en fonction de la situation. Ainsi, aucune ne peut prétendre avoir directement une réalité juridique concrète. Le droit, lui également, ne définit pas la liberté mais raisonne en termes de « droits et obligations ».

Il est donc impossible de définir la liberté si ce n’est par son approche philosophique. On ne peut que décrire les actions et pensées qui sont susceptibles d’être des droits dans les limites des frontières individuelles. Mais l’approche philosophique ne nous convainc pas non plus car il y a autant de définitions que de philosophes.

Puisque l’être humain est grégaire, se pose alors l’éternelle question qui est souvent posée dans cette rubrique, qui définit le contenu légitime à l’intérieur de la frontière et qui décide de son étendue ?

Pour exemple, cela n’a jamais raté tant la réaction des étudiants  a été observée. Onze années à enseigner le droit de la propriété intellectuelle à des étudiants en licence en arts appliqués et toujours la même réaction.

Les séquences de cette thématique se déroulent sur un mois mais débutent toujours, comme il est naturel, par la définition du droit sur la protection intellectuelle dont le principal, le droit d’auteur. Ce dernier constitue la connaissance fondamentale de leur future activité en arts appliqués.

Qu’importe le pays de la législation que j’ai eu à enseigner car pour son principe premier l’écriture du texte de loi est à peu près identique partout.  L’article 111-1 du Code la propriété intellectuelle pose le principe de base «L’auteur d’une œuvre de l’esprit jouit sur cette œuvre, du seul fait de sa création, d’un droit de propriété incorporelle exclusif et opposable à tous ../..».

Si le professeur s’arrêtait à cette simple affirmation du droit son cours se terminerait assez rapidement car, de plus, pas la peine d’avoir fait de longues études juridiques pour que ces brillant(e)s étudiant(e)s sachent que leur œuvre de l’esprit est tout autant libre que protégée contre la contrefaction (terme juridique qui ne concerne pas seulement un objet).

Oui mais, il faut justifier le salaire du professeur car au bout de multiples séances, les étudiants s’aperçoivent qu’il y a tellement d’exceptions, de jurisprudence et de doctrines qu’il finissent par me dire « En fin de compte, monsieur, on n’a aucun droit de protection ».

Ce n’est pas vrai mais ils venaient de comprendre que leur droit de création et sa protection venaient buter contre le droit de création des autres. Leur liberté s’arrêtait là où celle des autres commençait.

Je leur fait comprendre que le principal problème de la création est qu’elle est elle-même en accusation de plagiat car dessiner une pomme ou une charte graphique d’un site Internet serait  difficile sans une certaine ressemblance avec une création existante. Et cela est vrai en tout temps et dans tous les arts.

Quelle est la morale de tout cela ? C’est que la liberté politique et la démocratie sont les fondements de tout le reste. C’est par la volonté souveraine de la majorité, à travers ses représentants élus, que seront définis les contenus des libertés accordées à l’intérieur des frontières individuelles et l’étendue de ces frontières.

Autrement dit seuls, la liberté politique et la démocratie, peuvent donner du sens et du contenu au proverbe très vague « La liberté des uns s’arrête là où commence celle des autres ».

Le droit, lorsqu’il émane du consensus à peu près obtenu d’une société fait ce qu’il peut pour ménager les libertés des uns sans compromettre celle des autres.

Le droit est l’émanation des évolutions de la société, la démocratie permet de les introduire dans les droits et obligations. Ainsi les frontières des libertés individuelles trouvent à peu près leur équilibre dans les contenus comme dans leur étendue.

Le reste est du débat philosophique. Indispensable mais qui ne peut se concrétiser et, surtout, crée des affrontements. Ils sont nécessaires au développement des esprits mais ne disent jamais comment faire pour les appliquer.

Droit et philosophie ne sont pas concurrents, ils sont les deux facettes d’une même approche des libertés.

Sid Lakhdar Boumediene

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