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vendredi 10 octobre 2025
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Marseille en friction : Guillaume Chérel et le chaos lumineux de la cité phocéenne

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Entre polar et chronique sociale, Guillaume Chérel poursuit son exploration de Marseille, ville foisonnante, inégale et résolument vivante. Après Last Exit to Marseille, il revient en octobre 2025 avec Retour à Marseille, publié chez Gaussen à Marseille, une intrigue où son détective public, Jérôme Beauregard, se confronte à la violence, aux injustices et aux mutations d’une cité toujours aussi imprévisible.

Marseille est ici bien plus qu’un décor : elle devient un personnage à part entière, avec ses ruelles, ses marchés et ses habitants hauts en couleur. Chérel y décrit les fractures sociales, les tensions, mais aussi les solidarités et la vitalité de ses quartiers populaires. Son écriture, à la fois vive et engagée, invite le lecteur à plonger au cœur d’une ville qui refuse la fatalité. Dans ce deuxième tome, humour, danger et nostalgie se mêlent, offrant un récit à la fois sombre et lumineux, fidèle à la « marque Chérel ».

Le Matin d’Algérie : A nouveaux, après Last Exit to Marseille, vous publiez ce nouveau roman en octobre. Comment s’inscrit-il dans la continuité du premier livre ?

Guillaume Chérel : L’intrigue paraîtra, une fois encore, foutraque (ma marque de fabrique, semble-t-il) mais pas plus que le monde en général, et la cité phocéenne en particulier. Je ne prétends pas l’avoir comprise, encore moins conquise. Ce que je peux dire, c’est que Massalia, comme au temps des Grecs, n’est pas pauvre, mais inégalitaire. Sa richesse, c’est sa population bigarrée, le soleil et la mer. Je n’avais pas prévu d’écrire une suite à Last Exit to Marseille (Gaussen, 2023), dont le titre est évidemment un clin d’œil au Last Exit to Brooklyn de Hubert Selby Jr. Jusqu’au jour où j’ai découvert Retour à Brooklyn, du même Selby (le titre original est Requiem for a Dream, 1978). Opportunément baptisé ainsi par son éditeur français, Les Humanoïdes associés, il a été adapté au cinéma en 2000 par Darren Aronofsky.

Ça tombait bien parce que j’étais loin d’en avoir terminé avec cette ville de fadas… Retour à Marseille peut se lire séparément du premier opus, comme c’est le cas pour le livre de l’écrivain new-yorkais. Outre la référence à la toxicomanie, encore une fois, il n’a pas grand-chose à voir avec l’univers sombre et désespéré de Selby. C’est surtout un nouveau rappel à la trilogie de Jean-Claude Izzo, publiée à la Série noire au début des années 1990.

Le Matin d’Algérie : Votre personnage Jérôme Beauregard, ancien journaliste devenu détective public, revient dans cette suite. Qu’avez-vous voulu approfondir ou faire évoluer chez lui ?

Guillaume Chérel : J’ai imaginé ce personnage de détective « public » il y a bien longtemps, avec un court polar intitulé : « Zarma le zarbi » (collection Nuit Grave, Fleuve Noir, 1998), qui était une sorte de synopsis à mon premier « gros » roman, Les Enfants rouges (Flammarion, 2001). Il s’appelait Chérif Zarbi, alias Jérôme Beauregard, pour s’intégrer dans les cités… J’aime jouer avec les mots. Ce n’est pas un hasard si j’ai publié mon premier roman dans la collection du Poulpe (« Tropique du Grand Cerf », éditions Baleine, 1997), créée par Jean-Bernard Pouy. Bref, c’est un clin d’œil au sempiternel détective privé, anti-héros devenu has-been de nos jours. Dans cet épisode, Jérôme Beauregard est de plus en plus écœuré, désabusé par le contexte général, à Marseille, en France et dans le monde. Il songe à quitter la ville et prendre sa retraite au Pays-Basque.

Le Matin d’Algérie : On retrouve Marseille comme toile de fond. Qu’apporte cette ville à votre écriture et à l’intrigue de vos romans ?

Guillaume Chérel : On me demande souvent comment vient mon inspiration. Je réponds qu’il s’agit avant tout de concentration. Il n’y a pas besoin d’inventer quand on vit dans cette ville de « fadas ». Il suffit de lire les pages des faits divers, de regarder et d’écouter. Surtout quand on vit, comme moi, à la Porte d’Aix, que je surnomme Babel-Oued city pour rigoler. On me prend souvent pour un « Arabe », un Kabyle surtout, parce que j’ai les yeux verts. C’est parfait pour m’intégrer dans mon quartier. Je me suis inspiré de la vie réelle, notamment mon travail de médiateur et d’animateur culturel, que je mélange à la fiction, en faisant travailler mon imagination. Tout est dans le style, l’écriture, la mise en forme. Il faut que ça coule. C’est du travail. Le talent ne suffit pas. Écrire, c’est réécrire.

Le Matin d’Algérie : Dans Last Exit to Marseille, vous convoquiez l’ombre de Jean-Claude Izzo. Est-il encore présent dans ce nouveau volume, et comment dialogue-t-il avec votre écriture ?

Guillaume Chérel : Izzo, que j’appelle « J-C » – comme le Christ rouge – est cité mais Jérôme n’a plus besoin de son aide post-mortem, car il vit à Marseille depuis près de cinq ans. Il connaît mieux la ville et s’est fait sa propre opinion. De plus, il a lu et rencontré d’autres écrivains, comme le regrette Henri-Frédéric Blanc, et René Frégni, entre autres.

Le Matin d’Algérie : La question de la drogue, des trafics et des marges sociales était centrale dans le premier tome. Quels sont les nouveaux terrains d’enquête explorés par Jérôme ?

Guillaume Chérel : Dans le précédent épisode, Jérôme Beauregard mettait fin à la « carrière » d’un caïd, surnommé l’Albinos, d’une manière rocambolesque. Cette fois, la fille d’une ex (qui aurait pu être son enfant) a été enlevée et tuée dans des conditions particulièrement horribles. Son enquête à peine commencée, son pote flic, Péra, le prévient qu’un contrat a été lancé sur sa tête par un ex-caïd, devenu « influenceur » en prison. Il doit quitter la ville impérativement.

Le Matin d’Algérie : Vous vous revendiquez “communiste tendance Pif Gadget”. Est-ce que cette identité continue d’imprégner le regard de votre narrateur sur Marseille et sur le monde ?

Guillaume Chérel : Pour qui a connu cette BD qui a vendu jusqu’à 500 000 exemplaires dans les années 70 grâce à ses gadgets, ça veut dire que j’ai choisi l’humour et l’aventure, plutôt que le côté sectaire et stalinien du marxisme mal compris. J’ai plus appris de Gai-Luron, de Gotlib et Corto Maltese, donc de Hugo Pratt, que de Georges Marchais. À Marseille, malgré le contact tendu et violent dans les quartiers Nord, mon anti-héros ne peut pas s’empêcher de déconner, rigoler, faire des jeux de mots vaseux avec son copain flic, Péra. Cette fois, c’est en clin d’œil à San Antonio. Je préfère les dialogues de Michel Audiard et d’Antoine Blondin. Pour résumer, Pif Gadget m’a appris à relativiser et à penser, donc d’agir, de manière progressiste. Jérôme Beauregard est un justicier avant tout libertaire, mais il a des défauts, évidemment. Sa part d’ombre.

Le Matin d’Algérie : Votre premier roman, Les Enfants Rouges (2001), parlait déjà de banlieue et de fractures sociales. Que reste-t-il aujourd’hui de ce regard dans vos textes actuels ?

Guillaume Chérel : On me dit souvent que c’est mon meilleur livre, le plus personnel, le plus attachant. Mon but était de donner la parole à celles et ceux, avec qui j’ai grandi, qui ne l’ont pas, ou plus. C’est la première fois qu’apparaissait Jérôme Beauregard, alias « Chérif Zarbi », mon double romanesque, détective public. J’avais commencé ce travail sur les quartiers avec Zarma le zarbi (1998), synopsis de mon futur grand roman. Jérôme Beauregard est revenu dans Prends-ça dans ta gueule (2006), mon roman le plus politique, et Les hommes sont des maîtresses comme les autres (2013). En 2001, Les Enfants rouges tirait la sonnette d’alarme sur ce qui se passait en banlieue parisienne. Je voulais raconter ces quartiers, tant décriés ou trop loués, en donnant la parole aux habitants. La majorité tentait de vivre normalement. Les incidents de violence restent une minorité, mais l’injustice sociale et les tensions demeurent.

Le Matin d’Algérie : Le polar est souvent un miroir social. Quels aspects de la société marseillaise ou française vouliez-vous mettre en lumière dans ce nouveau livre ?

Guillaume Chérel : Près de trente ans après, les quartiers dits « sensibles » sont des pétaudières et la situation ne fait qu’empirer. Les livres ne changent pas le monde mais peuvent ouvrir les yeux de certains, endiguer le fascisme, le racisme et l’obscurantisme. Last Exit to Marseille et Retour à Marseille s’inscrivent dans la continuité, réactualisée, des Enfants rouges. Écrire, c’est résister.

Le Matin d’Algérie : Marseille est une ville en pleine mutation. Comment avez-vous travaillé cette tension entre mémoire, quartiers populaires et gentrification ?

Guillaume Chérel : Je vis à la porte d’Aix, comparable à la porte de Montreuil ou Bagnolet à Paris. Les enfants rouges sont devenus incontrôlables, éloignés du centre-ville. Le quartier va devenir trop cher. Je raconte ce contexte dans mes polars. L’esprit d’entraide, de solidarité et de fraternité se perd, mais il reste des lieux de résistance, comme la librairie « L’île aux mots », à Arenc.

Le Matin d’Algérie : Votre héros se débat dans un monde où la justice institutionnelle semble défaillante. Est-ce une façon de dire que la littérature peut rendre justice autrement ?

Guillaume Chérel : Il m’était impossible de rester indifférent à l’actualité. Mes histoires empruntent les chemins du réel, car c’est là que tout se joue. L’horreur dépasse de loin toutes les fictions. La littérature ne peut pas changer le monde, mais elle peut ouvrir les yeux de centaines, voire de milliers de personnes.

Le Matin d’Algérie : Vous publiez en octobre, un mois où la rentrée littéraire bat son plein. Comment percevez-vous la place du polar dans ce paysage saturé de nouveautés ?

Guillaume Chérel : Je ne pouvais pas rester les bras croisés à écrire sur mon nombril. Les histoires de famille pullulent. Ça manque de souffle et d’ouverture sur le monde. Heureusement qu’il y a des romans étrangers.

Le Matin d’Algérie : Enfin, si vous deviez résumer ce deuxième tome en une image, une scène ou une atmosphère, laquelle choisiriez-vous pour donner envie au lecteur d’entrer dans votre Marseille ?

Guillaume Chérel : La nouveauté, c’est que pour écrire cette œuvre de « friction », je me suis basé sur mon expérience personnelle, mon vécu en tant qu’agent de sécurité aux Jeux olympiques de Paris 2024. Après quelques jours de mise au vert en Auvergne, Beauregard revient à Marseille, croit trouver un boulot tranquille, mais rencontre Tango, un chien-robot, qu’il adopte pour le sauver des griffes de son propriétaire, le transporteur albanais Rudolph Saadik. Pour affronter le milliardaire, il a recruté sept mercenaires spécialistes de la « manchette japonaise ». Ce livre est plus fluide, plus léger, même si les sujets restent graves. Comme le disait Jean-Claude Izzo : « Toujours à mi-distance entre la tragédie et la lumière, elle se fait, comme il se doit, l’écho de ce qui nous menace. » Nous y sommes

Entretien réalisé par Djamal Guettala 

Mention finale :

Retour à Marseille ou Whisky Charlie de Guillaume Chérel, 250 p, 20 euros, Gaussen Éditions.

Sortie prévue le 16 octobre dans vos librairies.

Rencontres et dédicaces : Rencontre à la Librairie L’île aux mots Marseille 13003 le 16 octobre à partir de 18 h 00.

Salon du livre métropolitain du 17 au 19 octobre à la Citadelle du Fort Saint-Nicolas Marseille , où l’auteur dédicacera son livre le samedi 18 octobre de 10 h à 19 h.

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