Avocate à Tizi-Ouzou, Me Nacéra Haddouche a défendu depuis le début du mouvement de dissidence citoyenne de nombreux militants et détenus d’opinion. Elle a fait partie des avocats qui ont assisté au procès du 13 novembre la cinquantaine de détenus d’opinion devant le tribunal de Dar El Beida.
Le Matin d’Algérie : Le procès a duré presque 24 heures : qu’est-ce qui a été dur ?
Me Nacéra Haddouche : Le procès du 13 novembre 2022, devant le tribunal criminel de première instance de Dar El Beida, à Alger, n’était pas un procès comme d’autres, le régime, à travers sa police judiciaire, son parquet et ses relais médiatiques a voulu en faire un Nuremberg du MAK. Et pour ce besoin, des militants de différentes willayas, de Tizi Ouzou, de Bejaia et de Sétif (Beni Ouartilane), et qui n’ont en commun que d’être Kabyles et leur attachement à leur identité, ont été arrêtés et maintenus en détention provisoire pendant des mois puis traduits devant un tribunal criminel sur la base de l’article 87 bis du code pénal.
Le montage consistait à trouver et à fournir au tribunal et à l’opinion publique, pour le besoin de la propagande, une connexion entre la quarantaine d’accusés et ce qu’il aurait pu permettre à faire croire ou à en conclure de l’existence d’un réseau accréditant la thèse de l’entité terroriste.
C’est en appel devant la chambre d’accusation que les accusations criminelles furent requalifiées en correctionnelle pour Abdenour Abdesselam, Sofiane Mehenni, Tahar Amichi, Razik Zouaoui, Lahlou Bechakh et Hamza Bououne et ils seront poursuivis sur la base des articles 79 et 196 du code pénal. À l’exception, seulement Miloud Mebarki et les accusés considérés en fuite qui seront poursuivis sur la base de l’article de 87 Bis.
Le MAK n’est en vérité qu’un épouvantail, c’est le militantisme, l’apport important de la Kabylie dans le mouvement Hirak, la revendication amazighe et l’insolence de ces régions qu’on a voulu juger et punir.
Et pour inhiber ces régions et installer la peur, on a convoqué un tribunal criminel pour juger les meilleurs enfants de la Kabylie, des chercheurs, des universitaires et des militants politiques pacifiques.
JE vous explique les faits :
De Tizi Ouzou, il y a les détenus : Abdenour Abdesselam, Bouaziz Ait Chebib, Lounes Hamzi, Houcine Azzam et Soufiane Mehenni.
Les non-détenus : Ahmed Ait Bachir, Arezki Beldjoudi, Messaoud Belmokhtar, Massinissa Saindani, Ahmed Chabala, Ismail Achouche, Ferroudja Kaci, Mourad Kouidmi et Nafaa Kirreche.
Ibrahim Belaabas en fuite et Ferhat Mehenni, un mandat d’arrêt international a été délivré contre lui.
De Bejaia : Tahar Amichi, Razik Zouaoui et Miloud Mebarki ( tous en détention) et Mounir Boutegrabt (en fuite).
Mira Moknache, Achour Bensalem, Madjid Bentaleb, Fouzi Ben Yakhlef, Houcine Bouhala, Samir Bourachou, Mourad Bouzidi, Nadir Chelbabi, Khoudir Gana, Lyazid Abid, Kaci Akkouche, Mustapha Akouche, Mourad Chabane, Yahia Iguenatene, Toufik Boulkaria, Hakim Khebezzaoui,Houcine Ziani, Youba Merridja et Larbi Yahioune, comparaissent libres.
De Sétif : Hamza Bououne et Lahlou Bechakh, en détention tous les deux. Houcine Bellili, Khelifa Boussaadia, Khoudir Bouchelghame, Salim Boussadia et Nouredine Redouane (non-détenus )
Bouira : Younes Bounida (en détention à Oran), Zidane Lefdel et Salem Babouche (non-détenus )
Ils sont au nombre de 49 accusés dont 42 présents, 7 en détention et trois en détention pour une autre affaire (Bouaziz Ait Chebib, Lounes Hamzi, Houcine Azzam).
Le procès a été déjà reporté le 16 octobre 2022 et c’est rare en criminel.
À l’ouverture du procès, la présidente du tribunal a fait l’appel des prévenus en absence d’un détenu à la prison d’Oran et de ceux qui sont en fuite ou à l’étranger, Ferhat Mehenni, Mounir Boutegrabet, Zidane Lefdel et Brahim Belaabassi.
Le nombre des avocats qui s’est constitué pour cette affaire dépasse toutes les attentes, ce qui a rendu difficile de les contenir dans la salle prévue pour ce procès et ce, malgré la limitation de l’assistance qu’à un seul membre de chaque prévenu. Beaucoup de membres et proches des familles des accusés et des militants sont restés dehors et ils n’ont pu accéder à la salle d’audience.
En plus, trois procès en criminel ont été programmés dans ce même tribunal et ce qui a nécessité le report de notre dossier à 13 heures, après consultation de la défense.
Au moment de l’entrée des détenus dans la salle, on a constaté, à notre grande surprise, l’absence des trois détenus, Bouaziz Ait Chebib, Lounes Hamzi et Houcine Azzam, qui n’ont pas été extraits de leurs cellules, au niveau de la prison de Koléa. Et pourtant lors du procès de 16 octobre 2022, avant qu’il soit reporté, ils ont été présents. Il y a lieu de rappeler que ces trois détenus sont en détention pour une autre affaire, pas pour celle qui allait être jugée ce 13 novembre 2022.
Face à l’intransigeance des avocats pour leur présence, un report pour 18 heures est décidé afin de permettre au parquet de les extraire et les acheminer au tribunal. Leur apparition a nourri des salves d’applaudissements parmi l’assistance composée essentiellement des proches de détenus.
Après quelques heures, la fatigue a déjà commencé à nous gagner et à peser : debout depuis 6 heures, pour les avocats qui viennent de l’extérieur d’Alger, et au début de la soirée que le procès s’ouvre. Une nuit s’annonce longue et pleine de rebondissements.
Face au mépris, au rejet, à la défaillance du parquet et à l’attente, la sagesse de l’assistance l’emporte et leur détermination de prouver qu’ils sont des bons citoyens, ayant la soif de découvrir les faits constituant l’infraction et méritant la comparution de 42 personnes en criminel dont certaines en détention provisoire depuis 14 mois, voire 25 mois.
Le Matin d’Algérie : Quelle impression gardez-vous de ce procès qui restera sans doute dans l’histoire des procès en Algérie ?
Me Nacéra Haddouche : C’est un procès des intellectuelles et militants de la cause amazigh ainsi que de l’action pacifisme. Je retiendrai toujours la sérénité exemplaire de l’assistance.
Le Matin d’Algérie : Vous attendiez vous aux verdicts prononcés ?
Me Nacéra Haddouche : On s’attendait à un acquittement pour tous les accusés et ce, à la suite du débat à l’audience qui a montré que les faits reprochés ne constituent en aucun cas une infraction. Bien au contraire ce ne sont que des opinions consacrées par la Constitution et par le Pacte international relatif aux droits civils et politiques qui stipule dans son article 19 : « Toute personne a droit à la liberté d’expression; ce droit comprend la liberté de rechercher, de recevoir et de répandre des informations et des idées de toute espèce, sans considération de frontières, sous une forme orale, écrite, imprimée ou artistique, ou par tout autre moyen de son choix»
Plusieurs avis (jugements) rendus par le Groupe de travail sur la détention arbitraire des Nations unies confirment le caractère arbitraire de ces arrestations et de ces détentions et des recommandations ont en été suivies.
Le mandat de la rapporteuse spéciale sur la promotion des Droits de l’Homme et des libertés fondamentales dans le cadre de la lutte antiterroriste ; le Groupe de travail sur la détention arbitraire ; la rapporteuse spéciale sur la promotion et la protection du droit à la liberté d’opinion et d’expression ; du rapporteur spéciale sur le droit de réunion pacifique et la liberté d’association; la rapporteuse spéciale des défenseurs des Droits de l’Homme, ont émis une critique sévère et ont demandé au gouvernement algérien de mettre ses lois, en particulier, en conformité avec les engagements pris par l’Algérie en vertu du droit international des droits de l’homme.
Et en octobre 2022, l’Algérie est élue en tant que membre du Conseil des droits de l’Homme (CDH) auprès des Nations unies pour la période, de 2023 à 2025, ce qui implique le devoir et l’obligation aux autorités algériennes à se conformer aux recommandations de cette instance onusienne.
Le Matin d’Algérie : Comment préparez-vous la défense de ces détenus d’opinion tout en sachant qu’ils sont innocents et leur dossier est vide ?
Entre visites rendues aux détenus pour leur remonter le moral et les informer de contenu de leur dossier et de son évolution, on s’attèle à l’étude de l’ensemble des étapes de la procédure pénale et les règles de droit qui s’y appliquent pour nous permettre ainsi de soulever les diverses nullités qu’on peut rencontrer (vices de forme). Exemple : l’inexistence de mandat d’arrêt pendant l’arrestation, le non-respect de droit de visite de la famille pendant la garde-à-vue, la non-indication dans les PV de police les horaires de repos pendant l’interrogatoire …
L’étude et l’analyse des articles de poursuite de code pénal et leur conformité aux textes supérieurs ou de primauté sur les lois nationales : les conventions internationales et la constitution. Dans le cas contraire, cela nous permet de demander la recevabilité de l’inconstitutionnalité (exemple l’article 79 : atteinte à l’unité, article 144 du code pénal).
La défense sur le fond, les éléments constitutifs de l’infraction et généralement l’absence du fait ou les faits ne constituent pas l’infraction.
En conclusion : en s’appuyant sur les règles de droit, la défense démontre que ces arrestations et détentions sont arbitraires et que ces dossiers sont politiques.
En occurrence, les magistrats rejettent et prononcent le quasi-rejet des vices de forme et la non-recevabilité de l’inconstitutionnalité des articles de poursuites. Ils sont formatés à des condamnations ; ils conçoivent leur rôle se limitant à punir toute personne qu’on leur présente. Ils prononcent rarement des acquittements et des relaxes, de la réparation et de rendre justice ainsi qu’à rétablir un droit dans l’exercice d’une liberté.
Le Matin d’Algérie : Pour la 1ère fois, tamazight est entrée au tribunal, des prévenus se sont défendus dans cette langue officielle. Faut-il y voir une victoire ?
Me Nacéra Haddouche : Non ce n’est pas la 1ère fois que tamazight entre au tribunal, c’est un usage en Kabylie pour l’accusé ou le prévenu, mais uniquement pour celui qui ne connait que Tamazight comme langue d’expression. Malgré sa reconnaissance en 2016, après des luttes de plus d’un demi-siècle, comme langue officielle, (article 04 de la constitution), il n’en demeure néanmoins qu’elle reste cantonnée dans la région berbérophone. Car elle a été promulguée sans mécanismes d’application. Les prévenus qui n’ont que la langue tamazight pour s’exprimer, ils en ont fait usage et cela n’a pas nécessité un traducteur, la présidente du tribunal comprend tamazight. En 2005 déjà, dans le procès opposant le journal Le Matin à la Gendarmerie nationale à propos de l’affaire de torture pratiquée à l’encontre des habitants du village de Tkout, la juge près le tribunal de Sidi M’Hamed, Alger, avait fait appel à un traducteur parmi l’assistance pour traduire le témoignage de la mère du militant Salim Yezza, qui avait déclaré de ne pas parler la langue arabe.
L’usage de tamazight demeure dans la justice algérienne « l’apanage » uniquement des citoyens et des avocats, ni l’administration judiciaire ni les magistrats.
L’élément nouveau dans cette affaire que la présidente elle-même a utilisé directement tamazight pendant l’interrogatoire, comme langue officielle et non pas par défaut et cela, au moment nous vivons la régression totale et la confiscation des acquis.
Dans ce cas, on ne peut considérer le fait comme une victoire, il reste un effort individuel. Tant qu’il n’y a pas une politique générale qui optimise l’utilisation de la langue tamazight autant que langue officielle et parlée par un nombre considérable de la population dans l’objectif du respect des règles fondamentales des droits humains et de permettre un procès équitable.
Le Matin d’Algérie : Qu’est-ce qui vous motive, vous en tant qu’avocate à défendre depuis 2 ans sans relâche les détenus d’opinion ?
Me Nacéra Haddouche : Mouloud Mammeri (paix a son âme) disait : N’abandonne pas même si tout te semble aller lentement, car un souffle peut apporter la réussite.
Ce qui me motive mon ultime conviction que nous sommes sur la bonne voie et qu’avec notre participation massive et active au procès, avec la demande de l’application concrète des instruments internationaux relatifs aux Droits de l’Homme ratifiés par l’Algérie, et en tant que défenseurs des droits humains, cela nous permettra de montrer du doigt les violations des droits humains et à contribuer à y mettre un terme, à empêcher qu’elles ne se reproduisent pas ; de défendre le principe de responsabilité et de mettre fin à l’impunité et de participer à la diffusion d’informations sur les normes relatives aux Droits de l’Homme auprès du public.
Entretien réalisé par Hamid Arab
Tanemmirt Maitre. Tanemmirt akk i imastanen iqeddcen ghef izerfan n umdan. Mais petite remarque: à Nuremberg on a jugé des nazis. Les militants du MAK sont des humanistes respectueux de la vie humaine. Cette métaphore est déplacée.
Ils poussent le mimétisme jusqu’au malsain : « procès du 13 novembre » en écho au procès du même nom en France. A rappeler que le procès du même nom en France juge des terroristes en vertu des lois non des militants du droit et de la démocratie par justice du téléphone.
Victimes des attentats du 13 novembre 2015, reposez en paix.