19 avril 2024
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Mes combats pour la survie à l’étranger (II) : le jour où tout s’effondrait !

Mémoires d’un émigré

Mes combats pour la survie à l’étranger (II) : le jour où tout s’effondrait !

Mi-octobre 1991. Tout juste deux semaines après avoir quitté l’EIST pour rentrer à Alger, G. Stallion me contacte par téléphone et me sollicite à nouveau : – Madani, serais-tu intéressé par un demi-poste d’ATER (Attaché temporaire d’enseignement et de recherche) pour l’année en cours ? me demande-t-il, à brûle-pourpoint.

– La charge horaire est de moitié, mais le salaire est de 2/3 d’un poste à plein temps. D’autre part, tu serais rémunéré, avec effet rétroactif à partir du 1er septembre, et jusqu’au mois d’août 1992, s’empresse-t-il de rajouter pour me charmer davantage. 

Renégociations avec mon épouse, cette fois de quelques jours, le temps de négocier nos mise-en-disponibilités d’un an de plus avec nos instituts respectifs, à Alger. OK, décide-t-on ! Pourquoi pas ? Si ça marche tant mieux, si ça ne marche pas tant mieux aussi ! nous rassurons-nous, avec l’optimisme d’un couple plein d’enthousiasme sur fond d’insouciance quant à ce que nous réservait l’avenir. L’essentiel étant de tout entreprendre en toute complicité, avec sérénité !

Comment faire la fine bouche alors que, nous étions-nous dit, l’occasion ne se représenterait sans doute jamais. D’autant que ce genre de poste n’est attribué qu’à des thésards, et que j’avais pris la précaution de m’inscrire au doctorat dès octobre 1990. Dans ma petite tête, ce demi-poste me permettrait d’avancer suffisamment pour espérer gagner le double pari d’une soutenance en France et en Algérie, la même année.

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En parallèle, Pierre Brillant, le doctorant que j’avais assisté dans ses manips et dans ses publications, avait soutenu sa thèse en juin 1991, avant de partir au Canada pour un post-doc d’un an. À son retour, en juin 1992, il est considéré comme candidat local et obtient facilement son poste de maître de conférences à l’EIST…

Fin novembre 1991. « Coucou me revoilou !», je redébarque à l’EIST. Un demi-poste, il restait donc beaucoup de temps pour la recherche, c’était l’essentiel. Travail ! travail ! et encore Travail ! Étancher une soif de Sciences cumulée pendant toute une décennie à Alger étant l’objectif premier. Sans exagérer, j’avais développé une espèce de frénésie, voire de fureur pour le travail, impossible à réfréner ! C’était comme si toutes mes réserves d’énergie s’étaient mises en branle pour interférer de façon constructive et me donner de la volonté à revendre. 

C’était si fructueux que je soutiens ma thèse dès juillet 1992. C’était plus que je n’espérais réaliser en si peu de temps. Les journées se sont donc écoulé le long d’un fleuve quasi-tranquille pour tout le reste. De novembre à juin, RAS donc, sinon qu’il m’a fallu me rendre à Alger, fin décembre 1991, pour kidnapper mon propre fiston que nous avions laissé derrière nous (*), et que, menacée d’une fausse couche, mon épouse a du séjourner plus d’un mois en clinique, avant la naissance de la petite bambinette en Bretagne. Elle qui était destinée à naître à Alger. Comme quoi, parfois, il est impossible d’échapper à son destin.

Le jour de ma soutenance, alors que nos valises étaient quasiment prêtes pour rentrer chez nous, voilà que P.L. Fringois -un chercheur d’une antenne CNET (centre national d’études des télécommunications), basée à Lamberneau- se rapproche de moi, avant même que le Jury ne revienne statuer sur ma thèse, pour me proposer un contrat de 30 mois dans le cadre d’un projet sur les lasers à fibre optique, en collaboration avec le laboratoire d’Optronique de l’EIST. Re-re-tractations ! Pourquoi pas ? décide-t-on, encore une fois. 

Mon demi-poste d’ATER se termine fin septembre, alors que le contrat CNET n’est prêt que vers fin décembre. Pendant les mois d’octobre et novembre, je poursuis mes travaux de recherche sans percevoir le moindre centime de rémunération (ni d’allocation chômage). Pour moi, ce n’était pas trop grave, tant qu’il me restait quelques sous d’économie pour ne pas crever de faim, il n’y avait pas de quoi s’alarmer. Outre mes recherches, je participe, évidemment, à l’encadrement des TP de 1ère année (ces TP que j’avais monté l’année précédente dans le cadre de mon contrat d’ingénieur (**)) ainsi que ceux de 2ème année. Question de garder un pied dans l’enseignement et d’arrondir des fins de mois pas toujours faciles.

Octobre 1994. Alors qu’il ne restait plus que quelques mois avant que le contrat CNET n’arrive à son terme, par la voix de F. Saniez on me fait savoir que l’EIST était en déficit d’enseignants et que, pour y pallier, un poste d’ATER allait être ouvert pour la rentrée prochaine. Question : -Madani acceptes-tu de prendre la charge d’un demi-poste (c’est à croire qu’on ne me considère plus que comme une demi-portion) ? En compensation, l’École continuerait à te rémunérer sur le contrat de façon à bien arrondir tes fins de mois. Tu cumulerais ainsi 13.000 Frs au lieu des 11.000 Frs actuels, ceci correspond à une évolution de carrière normale. Il ne m’a pas fallu plus d’une minute pour répondre par l’affirmative.

Problème au niveau de la direction, Mr Wasse ne veut pas entendre parler de deux demi-postes, mais souhaiterait que J’assure la totalité de la charge. Il avait eu vent de mon sérieux et savait qu’on pouvait compter sur moi. Cependant, vu que c’est un poste à plein temps, je ne pourrais prétendre à une quelconque compensation sur le contrat CNET, je percevrais donc toujours 11.000 Frs, à quelques francs près. 

En résumé, Madani acceptes-tu d’assurer un enseignement double, de continuer à travailler sur le contrat (il fallait bien le mener à terme), pour 2.000 Frs de moins ? Sacré dilemme ! Y en a-t-il parmi vous qui auraient accepté ce marché ? J’imagine que non. Eh bien, figurez-vous que je l’ai accepté sans rechigner ! Pour une raison simple : dans ma petite tête, tout ce que j’avais accompli, c’était grâce à la confiance que m’avait accordé l’École, et c’était tout à fait normal que je réponde présent dans de telles situations et que je fasse preuve de fidélité à cette École qui m’a tant donné. Au diable les comptes d’épicier ! 

Ce n’est pas fini pour ce poste, puisque pendant la réunion de répartition des enseignements, Mme Phèdre (à l’époque PRAG) ne voulait assurer que les enseignements de 1ère année. Réticente et effrayée à l’idée d’affronter des étudiants auxquels il ne restait plus qu’une année d’études avant leur diplôme d’ingénieur. Résultat : mis à part les TP de 1ère année que je connaissais sur le bout des doigts, on me confie une charge composée essentiellement de modules (en travaux dirigés et en travaux pratiques) de 2ème année, les uns aussi « hard » que les autres : physique atomique, mécanique quantique, optique de Fourier, guides d’ondes, optique guidée, physique des lasers. Sacré défi, pour ne pas dire folie, pour accepter la responsabilité d’une telle charge et tout dispenser sérieusement ! 

Cette année-là est presque exclusivement consacrée à l’enseignement. Malgré cet éventail excessif de matières scientifiques qu’on ne donne qu’à K. Madani et que seul K. Madani accepte, tout s’est très bien passé (je crois avoir gagné le respect total des étudiants de la promo 1995. Ils n’ont vu que ma petite tronche d’un bout à l’autre de l’année universitaire). 

Juin-août 1995. Pour récupérer le déficit en recherche, je rédige trois publications. Une première pour M. Chardon, une autre pour M. Ikézouzène, tous deux doctorants à l’École, et une troisième en auteur unique. Les trois sont acceptées, sans révisions majeures. Bien noter le fait que, bien que je ne fusse pas directeur de thèse de messieurs Chardon et Ikézouzène, je dirigeais l’étape essentielle de leur thèse : la publication de « leurs » travaux. En quelque sorte, je jouais le rôle de courroie de transmission entre le directeur de thèse officiel G. Stallion et ces étudiants. Tout comme du temps de Pierre Brillant. 

Ah ! j’allais oublier qu’en parallèle à tout ce travail, on m’avait confié la responsabilité (non officielle, comme toujours) de deux étudiants pour leur mémoire de DEA. 

Septembre 1995. C’est le début d’un grand projet de recherche régional qui englobe un nombre important de laboratoires voisins. Aux dires des uns et des autres, c’est parti pour quelques bonnes années. -Tu n’as plus à t’inquiéter Madani, tu restes avec nous, m’entend-je dire pour me rassurer. C’est vrai qu’entre-temps, le drame algérien avait atteint des proportions qui éloignaient toute alternative de retour à Alger, et que j’avais drôlement besoin d’être rassuré pour la suite. Ne serait-ce qu’à court terme. Les choses finiraient bien par s’arranger ! Ce n’était pas le moment de succomber à quelconque pessimisme et autres inquiétudes injustifiées.

Janvier 1996. Je soutiens mon HDR (Habilitation à Diriger des Recherches). Ce qui me permettait de briguer un poste permanent dans un autre établissement d’enseignement supérieur, français ou étranger. Maître de conférences ou professeur, qu’importe !

Cependant, G. Stallion ne voyait pas du tout ça du même œil. Il fallait continuer nos projets ici, à l’EIST. On ne pouvait, du jour au lendemain, abandonner tous ces sujets de pointe, aussi fructueux les uns que les autres, en termes de résultats et de publications. C’est vrai que notre petite équipe, composée de trois chercheurs permanents français, de deux contractuels algériens et de quelques thésards, avait acquis une telle notoriété parmi d’autres équipes de recherches nationales et internationales que l’idée de continuer sur la lancée ne me déplaisait pas, bien au contraire ! -OK, pas de problème, j’arrête de chercher un poste ailleurs. Tant que l’atmosphère est encore propice à la recherche, pourquoi pas ? La bataille pour un emploi permanent peut bien attendre. D’autant que, continuer sur la lancée des publications ne pouvait que renforcer mon dossier de candidature par la suite, me disais-je, en toute innocence.

Mais voilà qu’au mois de novembre 1996, on m’annonce :  -ton contrat ne peut plus être reconduit à partir du 30 mars (c’est drôle c’est la date de mon anniversaire) ! Statutairement, l’université à laquelle est rattachée l’EIST n’a pas le droit de s’engager sur des contrats à durée déterminée (CDD) au-delà de certaines limites. Ces limites, tu les atteins à la fin du premier trimestre 1997, m’assène-t-on, non sans une certaine componction.

C’est fini ! Panique totale ! Le grand rêve français soudain s’effondrait. 

Je ferai bientôt partie des milliers de sans-papiers, désespérés et ne sachant à quels saints se vouer. (À suivre).

(*) https://lematindalgerie.comle-jour-ou-jai-kidnappe-mon-fils-dalger

(**) https://lematindalgerie.commes-combats-pour-la-survie-letranger-i

 

Auteur
Kacem Madani

 




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