5 mai 2024
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Mohamed Kacimi : Lettre au général Gaïd Salah

TRIBUNE

Mohamed Kacimi : Lettre au général Gaïd Salah

Mon Général,

Voilà plus de trois mois que vous présidez, sans avoir été désigné par personne, sans légitimité, ni mandat quelconque, aux destinées de l’Algérie.

Vous êtes là par infraction à la constitution, et vous n’avez que le mot constitution à la bouche.

Voilà plus de trois mois que tout un peuple s’est soulevé dans toutes les villes et les douars du pays pour vous supplier, dans le calme et la dignité, de lui rendre sa liberté, de lui foutre la paix, de le laisser enfin vivre, pour pouvoir enfin respirer sans vous. Et vous faites la sourde oreille !

Comme Brutus poignardant César, vous avez poussé vers la sortie, Bouteflika, à qui vous devez tout, pour aussitôt sauter sur son trône.

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On le sait depuis belle lurette, en politique algérienne, on renie, on se renie, comme on respire.

Et quelle gloire ! Vous étiez à la porte de la retraite, vous voilà rêvant de postérité. Vous étiez un général obscur, et vous voilà roi d’Algérie. On ne peut pas dire que vous ne savourez pas votre victoire.

Comme tous vos prédécesseurs, vous prenez ce pays de haut. Alors que l’Algérie est en feu, vous économisez votre salive, prenant la parole, toujours depuis les casernes, histoire de montrer vos biceps, pour dire, chaque mardi, que hors des casernes il n’y a point de salut pour nous.

Au nom de quoi ? Au nom des armes, de la force, et de rien d’autre.

Nous sommes un pauvre peuple pris en otage par une bande armée depuis 1962.

Les sept plaies de l’Algérie, c’est son armée, ou plutôt le clan d’Oujda, qui estime depuis 1962 que l’Algérie est sa propriété privée, son tiroir-caisse et son jardin secret :

Comme les orthodoxes juifs sont convaincus que Dieu dans la Bible leur a offert la Palestine, les généraux algériens sont persuadés que les fusils leur ont livré, dans le maquis, l’Algérie ad vitam aeternam : الجزائر حرث لكم فأتوا حرثكم أنى شئتم

Pour épater la galerie vous avez lancé des procès croquignolesques, déférant devant le tribunal d’Alger ou de Blida des silhouettes et des fantômes, au gré de vos humeurs.

Non, monsieur le général, la justice n’est pas un jeu de massacre, ni un tir aux pigeons, elle ne se fait pas sur un claquement de doigt ni sur un coup de fil. La justice suppose des magistrats et un barreau indépendants, des procès publics et équitables, la mise en place d’une commission de vérité et le respect des conventions internationales en matière des droits humains.

Vous pouvez jeter tous les ministres, les walis, les maires, les flics, les imams et les cantonniers du pays à El Harrach ou Blida, vous n’enlèverez pas un atome de la corruption qui gangrène le pays.

Pour rendre justice il faut avoir les mains propres, et les vôtres ne le sont pas du tout. Vous êtes vous aussi, aussi condamnable, que les gens que vous jetez en pâture aux tribunaux.

Vous êtes un bandit qui se réveille au bout de 57 ans, pour crier « au voleur » ; et tout ce qui vous distingue de ces pourris qui sont derrière les barreaux c’est que vous, vous êtes adossé à des blindés.

Quand vous ouvrez la bouche, tout le monde se couche, à commencer par les magistrats, c’est normaaaal, comme disent les algériens.

Une justice transitionnelle suppose un projet d’édification d’un État de droit et d’une démocratie, et là vous semblez très loin du compte.

Vous avez toujours fait et défait les « princes » de ce pays, les intronisant sur un claquement des doigts et les envoyant dans la fosse des lions sur un clin d’œil : de Khalifa à ce « pauvre » Haddad et de Kamel le Boucher aux Kouninef.

En fait, votre régime installe et désinstalle les hommes et les fortunes comme des applications sur un Smartphone. Et le jeu de désinstallation semble vous amuser follement.

Le jeu fait peut-être du bien à votre testostérone, mais il ne fera avancer en rien la justice.

Vous maintenez, contre vents et marées, les élections présidentielles pour le 4 juillet, non pas par efficacité politique mais juste par pure Zkara, comme on dit. Car depuis 1962 la devise réelle de l’Etat algérien c’est « Dez mahoum ». .. دز معاهم: Qu’on pourrait traduire librement par « allez vous faire foutre »

Vous ne pouvez pas avoir raison seul contre 40 millions de citoyens qui n’en veulent pas.

Vous dites que les revendications du peuple qui vous demande de « dégager tous » sont déraisonnables et qu’elles « risquent de priver l’État de ses cadres et de ses serviteurs dévoués ». Mais de quel État parlez-vous ? Celui que dirige un gouvernement planqué et invisible dont les ministres se font lapider à chaque apparition ?

Vous dites que vous redoutez « le vide constitutionnel », comme si l’assemblée de croupions analphabètes mise en place par Bouteflika pouvait remplir quoi que ce soit, alors que notre histoire est un grand courant d’air depuis l’indépendance, et que ces « serviteurs de l’État », dont vous parlez, ont passé leur vie à se servir plutôt, à vider les caisses et à nous faire les poches.

De l’État dont vous parlez, il ne reste malheureusement que ces meutes de flics enragés gazant les veilles et tabassant les étudiants.

« Il ne reste dans l’Oued que ses galets », et la flicaille sanguinaire voilà tout ce qui subsistera de votre triste règne.

Le Hirak cache pour l’instant le désastre du pays, ruiné par Bouteflika, et le réveil sera demain très dur.

Mon général, trouvez-vous normal qu’un pays qui n’a pas construit un seul hôpital moderne depuis 1962, consacre 25% du budget de l’État à son armement ?!

12 milliards de dollars sont pris chaque année sur le budget de l’Algérie pour acheter des armes, faisant de notre pays le cinquième acheteur mondial d’armement.

Ne me dites pas que c’est la crainte d’une attaque du Maroc, du Mali ou du Niger qui vous pousse à cette boulimie de chars, et d’avions de chasse.

Nous savons que les marges sur les achats d’armes sont faramineuses, et si l’État-Major achète autant d’armes ce n’est pas pour protéger les frontières du pays, mais pour assurer, trivialement ses arrières, nous ne sommes pas dupes.

12 milliards de dollars, c’est presque le budget de l’armée iranienne, sauf que l’Iran est sur le point d’acquérir la bombe atomique et construit des missiles intercontinentaux, alors qu’avec 12 milliards de dollars en poche l’Armée algérienne est infoutue de produire des plombs pour une carabine à air comprimé.

Demain, quand l’Algérie sera débarrassée de vous, il faudra affecter ce budget à la santé, à l’éducation et à la culture. Ce ne sont pas les kalachnikovs qui rouillent dans les casernes qui assureront l’avenir de nos enfants, ni les RPG qui soigneront les malades jetés dans des hôpitaux devenus des mouroirs.

Monsieur le Général, rendez l’Algérie à ses enfants, avant qu’il ne soit trop tard ; et demain, ce sera inéluctable, vous n’y pourrez rien, quand vous gravirez à votre tour, vous et vos enfants, les marches du tribunal de Blida, nous serons là pour témoigner qu’en écoutant à la dernière minute, le cri de 40 millions d’algériens, vous avez eu un sursaut de dignité et vous bénéficierez, peut-être, de la clémence des jurés.

Réveillez-vous, ouvrez les yeux, écoutez la rue, demain il sera trop tard, mon Général.

Auteur
Mohamed Kacimi

 




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