Dimanche 1 août 2021
Mohammed VI tente de jouer sur du velours avec l’Algérie
Au Maroc, à l’occasion du 22ème anniversaire de son accession au trône, Mohammed VI a prononcé ce samedi 31 juillet, un discours à la Nation dans lequel les relations avec l’Algérie ont pris une part importante.
Une intervention qui n’est pas passée inaperçue car le roi a déploré les tensions entre son pays et l’Algérie. « Vous n’aurez jamais à craindre de la malveillance de la part du Maroc », a-t-il lancé à l’adresse de son voisin avant d’appeler à rouvrir les frontières avec l’Algérie.
C’est une déclaration pour le moins inattendue du souverain marocain, alors que les relations entre les deux pays s’étaient encore dégradées, ces derniers temps. Mohammed VI a joué, samedi, l’apaisement, déplorant les tensions avec l’Algérie : « la sécurité et la stabilité de l’Algérie, et la quiétude de son peuple sont organiquement liées à la sécurité et à la stabilité du Maroc », a-t-il lancé lors de son adresse à la Nation. Le roi du Maroc a invité le président algérien Abdelmadjid Tebboune « à faire prévaloir la sagesse » et à « œuvrer à l’unisson au développement des rapports » entre les deux pays.
Mohammed VI a réitéré son appel à la réouverture des frontières avec son voisin – des frontières fermées depuis l’été 1994 – et ce, à l’initiative de l’Algérie.
« En effet, l’état actuel de ces relations ne nous satisfait guère car il ne sert en rien les intérêts respectifs de Nos deux peuples. Il est même jugé inacceptable par bon nombre de pays. Page 4 sur 5 Entre deux pays voisins et deux peuples frères, l’état normal des choses, c’est Notre conviction intime, est que les frontières soient et demeurent ouvertes. En effet, leur fermeture heurte un droit naturel et un principe juridique authentique, consacré par les instruments internationaux, notamment le Traité de Marrakech, texte fondateur de l’Union du Maghreb Arabe qui prévoit la libre circulation des personnes, des services, des marchandises et des capitaux entre les pays constitutifs de l’espace maghrébin. Je n’ai eu de cesse, depuis 2008, de clamer haut et fort cette idée et de la réaffirmer à maintes reprises et en diverses occasions. A cet égard, force est de constater que ni Son Excellence, l’actuel président algérien, ni l’ex-président, ni Moi-même ne sommes à l’origine de cette décision de fermeture.
Néanmoins, devant Dieu, l’Histoire et nos concitoyens, nous sommes responsables politiquement et moralement de la persistance du statu quo. Or, aucune logique ne saurait expliquer la situation présente, d’autant que les raisons ayant conduit à la fermeture des frontières sont totalement dépassées et n’ont plus raison d’être aujourd’hui. Nous ne voulons ni faire des reproches, ni donner des leçons à quiconque. Nous nous percevons plutôt comme des frères qu’un corps intrus a divisés, alors qu’il n’a aucune place parmi nous. Par ailleurs, d’aucuns soutiennent l’idée erronée que l’ouverture des frontières apporterait seulement un cortège de malheurs et de problèmes, à l’Algérie et au Maroc. A l’ère de la communication et des nouvelles technologies, personne ne peut donner crédit à pareils discours.
De fait, la fermeture des frontières ne rompt pas la communication profonde entre les deux peuples. Mais elle nourrit plutôt une fermeture d’esprit, amplifiée par l’influence néfaste des contrevérités relayées par certains médias, telle, celle selon laquelle la pauvreté serait le lot des Marocains dont les moyens de subsistance se résumeraient à la contrebande et au narcotrafic. Chacun peut vérifier l’inexactitude de ces allégations : la communauté algérienne qui réside dans notre pays, les Algériens d’Europe et les Algériens d’Algérie qui se rendent au Maroc savent ce qu’il en est et ne se laissent pas abuser par ces contrevérités. A ce propos, Je rassure Nos frères en Algérie : vous n’aurez jamais à craindre de la malveillance de la part du Maroc qui n’est nullement un danger ou une menace pour vous. En fait, ce qui vous affecte nous touche et ce qui vous atteint nous accable », peut-on lire dans la déclaration.
Il poursuit : « Aussi, Nous considérons que la sécurité et la stabilité de l’Algérie, et la quiétude de son peuple sont organiquement liées à la sécurité et à la stabilité du Maroc. Corollairement, ce qui touche le Maroc affecte tout autant l’Algérie ; car les deux pays font indissolublement corps. La vérité est que le Maroc et l’Algérie sont tous deux confrontés aux problèmes de l’immigration, de la contrebande, du narcotrafic et de la traite des êtres humains. Les bandes qui s’adonnent à ces activités criminelles sont notre véritable ennemi commun. Si, ensemble, nous nous attelons à les combattre, nous parviendrons à mettre fin à leurs agissements en extirpant leur mal à la racine. Par ailleurs, Nous déplorons les tensions médiatiques et diplomatiques qui agitent les relations entre le Maroc et l’Algérie. Elles nuisent à l’image des deux pays et laissent une impression négative, notamment dans les enceintes internationales. Aussi, Nous appelons à faire prévaloir la sagesse et les intérêts supérieurs de nos deux pays. Nous pourrons ainsi dépasser cette situation déplorable qui gâche les potentialités de nos deux pays, au grand dam de nos deux peuples et des liens d’affection et de fraternité qui les unissent. Plus que deux nations voisines, le Maroc et l’Algérie sont deux pays jumeaux qui se complètent. Par conséquent, à sa plus proche convenance, J’invite Son Excellence le Président algérien à œuvrer à l’unisson au développement des rapports fraternels tissés par Nos deux peuples durant des années de lutte commune. »
Cette dernière intervient dans un contexte agité entre les deux pays. Si Rabat et Alger se heurtent, depuis des décennies, sur la question du Sahara Occidental, la tension était montée d’un cran, ces derniers jours, après des propos de l’ambassadeur marocain à l’ONU. Ce dernier avait dit, mi-juillet, soutenir l’autodétermination du peuple kabyle en Algérie, une provocation insupportable aux yeux d’Alger qui a rappelé son ambassadeur au Maroc pour consultations. Cette surenchère utilisée par Rabat est particulièrement déplacée quand on sait que le Makhzen réprime déjà impitoyablement les revendications du Rif. On ne peut donc prétendre donner des leçons de respect des Kabyles en Algérie et réprimer les Rifains chez soi.
Dissocier la question du Sahara de la question des frontières
« Le Maroc est très demandeur pour la réouverture des frontières. C’est même un discours très récurrent et très ancien chez Mohammed VI. Mais au fond, le Maroc souhaite dissocier la question du Sahara de la question des frontières. L’Algérie explique justement d’un côté qu’elle ne peut pas rouvrir ses frontières avec un pays puisqu’elle a un contentieux territorial, et le Maroc veut dissocier les deux. Donc, contentieux et bagarre sur le Sahara du point de vue du Maroc, bras ouverts comme c’est le cas, cette fois-ci, dès qu’il s’agit de l’Algérie, du peuple algérien en particulier, pour passer par-dessus la tête des dirigeants et de l’armée », analyse l’historien Pierre Vermeren qui enseigne le Maghreb contemporain à l’université Paris Panthéon-Sorbonne.
« Je n’y vois pas là une contradiction. J’y vois là, au contraire, la perpétuation d’une sorte de duel, de dualité qui s’explique finalement pour des raisons politiques là aussi, puisque le roi du Maroc, en tant que commandeur des croyants se doit aussi, politiquement et religieusement, d’être dans une bienveillance vis-à-vis des autres peuples. Il y a la mystique des peuples frères au Maghreb. Là, elle est une nouvelle fois réactivée », conclut le chercheur.