Grâce à la baraka des anciens, Hocine s’en est sorti avec quelques ecchymoses. Plus de peur que de mal. Les jeunes en fuite, un autre véhicule ne tarde pas à s’arrêter au niveau des tapis. Les passagers devinent bien que quelque chose n’allait pas, en voyant ces tapis éparpillés sur la route. Dans le véhicule, deux hommes et une femme au volant.
Nos deux mâles, assez costauds, descendent de voiture. Ils repèrent Hocine allongé dans le fossé. Il est inerte mais il gémit. Dieu soit loué, il est vivant. On l’aide à se relever, non sans difficulté. Il reprend ses esprits et arrive à marmonner « Nancy, rue des sœurs Macarons, s’il vous plaît ». On ramasse les tapis, on embarque Hocine que l’on dépose, un quart d’heure plus tard, devant la Brasserie de mon pays. En descendant, il farfouille dans ses poches et prend un billet de cinq francs, voulant le remettre au chauffeur. Ce que cette dernière refuse.
– Ah mon pauvre ami, allez donc vous réchauffer avec un bon verre de vin chaud. Ça ira mieux demain.
Dès son entrée dans la brasserie, Hocine est accueilli avec bienveillance. Tout le monde se sent concerné par son état. Ses ecchymoses sont assez visibles pour deviner que quelque chose de peu commun lui est arrivé. Quand il raconte sa mésaventure, chacun y va de ses commentaires.
– C’est un groupe de jeunes racistes, disent les uns.
– Non, ce sont les partisans de l’Algérie française, disent les autres. Ils ne digèrent toujours pas notre indépendance.
La mésaventure oubliée, et pour fêter son petit pactole de la journée, Hocine veut offrir une tournée générale, mais tout le monde s’y refuse. Il n’était pas encore assez florissant pour se permettre de telles folies.
– Garde ton argent pour envoyer un mandat à tes enfants. Ils doivent en avoir besoin, lui conseillent la plupart des clients.
Pour envoyer un mandat conséquent, il attend de mettre de côté au moins cent francs. C’est le minimum qu’envoient les autres. Pas question de se ridiculiser avec des petites sommes.
Un verre de vin chaud plus tard, Hocine se rend dans sa chambre et se réfugie sous son tas de couvertures et s’endort. Le lendemain, c’est dimanche. C’est décidé, il tentera sa chance avec le tiercé dont on lui avait expliqué le fonctionnement. Il a déjà une combinaison en tête : l’âge de ses trois enfants.
Le lendemain, il se lève plus tôt que d’habitude. À sa grande surprise, le bar est déjà bien animé. Tout le monde s’affaire autour du journal des courses dans lequel on donne les favoris. Les lettrés les dictent aux illettrés, mais Hocine ne les écoute pas. Il a sa combinaison gagnante. Il la joue en doublant la mise à deux francs et se fait accompagner au PMU du coin, à quelques encablures du bar.
Et c’est reparti pour des tournées de bières et de vin. Que faire un dimanche matin froid dans une ville grisâtre sinon s’évader en faisant jouer le gosier en attendant l’annonce de la combinaison gagnante et du pactole… (à suivre)
Kacem Madani