En Algérie, chaque nomination est vendue comme un miracle. On sort un nom, on lui colle des ailes en carton, on le propulse au ciel comme un sauveur descendu des nuages.
Les officiels applaudissent, les courtisans s’inclinent, et le peuple, lui, hausse les épaules : il a déjà vu le film trop de fois. Ces anges fabriqués par décret finissent toujours pareil : carbonisés, exilés, malades ou emprisonnés.
Prenez Nacer El Djinn, l’homme au surnom de démon. Hier patron de la DGSI, maître des secrets, terreur invisible. Aujourd’hui, réduit à fuir comme un harrag de luxe, sur une barque pour l’Espagne. Un archange noir transformé en clandestin ordinaire. Voilà comment tombent les créatures célestes quand elles croient planer éternellement au-dessus du peuple.
Avant lui, il y eut Toufik Médiène, alias Rab Dzair. Pendant des années, il régnait sur l’ombre. On le disait omniscient, omniprésent, presque éternel. Les gens murmuraient son nom comme une incantation. Mais lui aussi s’est écrasé : déchu, jugé, effacé. Le maître est devenu prisonnier. Icare version algérienne : plus on monte haut, plus la chute est brutale.
Le problème, ce n’est pas ces hommes en particulier. C’est la machine qui les fabrique. Le pouvoir distribue des ailes comme des illusions. On les fixe dans le dos de quelqu’un, on le fait planer au-dessus des autres, on lui chuchote qu’il est Jupiter ou Djinn tout-puissant. Puis, dès que le scénario l’exige, on lui arrache les ailes. La chute n’est pas un accident : elle est programmée.
Et qui paie l’addition ? Pas ces anges éphémères. Le peuple. Les faibles. Ceux qui encaissent chaque secousse quand « l’homme fort » du moment s’écroule. L’entourage de Nacer El Djinn – gradés, proches, affidés – a déjà goûté aux barreaux. Eux aussi aspirés dans la chute. Mais pour le citoyen lambda, rien ne change : il continue à se débattre dans son quotidien, pendant que là-haut on joue aux anges et aux archanges.
Le peuple le sait. Il a même un adage pour résumer cette comédie : « S’il avait duré pour les autres, il ne serait jamais tombé entre tes mains. » Traduction : si le pouvoir valait vraiment quelque chose, il ne serait pas refourgué d’un gradé à l’autre comme un fardeau dont on veut se débarrasser. C’est un cadeau empoisonné qui finit toujours par brûler les ailes.
Alors, à quoi bon ce cirque ? À quoi bon fabriquer des anges artificiels si c’est pour les voir finir démonisés ? Les Algériens n’ont pas besoin de météores qui brillent et disparaissent. Ils n’ont pas besoin de nuages ni de miracles.
Ce qu’il faut, ce ne sont pas des anges fabriqués pour planer au-dessus des autres, mais des responsables capables de poser les pieds dans le plat et de marcher avec le peuple. Parce qu’un pays ne se gouverne pas depuis les nuages, mais dans la poussière, au milieu de ceux qui subissent.
La leçon est simple : les ailes brûlent, les nuages disparaissent. Ceux qui survivent sont ceux qui savent marcher avec le peuple, pas ceux qui se prennent pour des dieux tombés du ciel.
Zaim Gharnati