Le peuple algérien ne remerciera jamais assez Nils Andersson pour sa contribution et son engagement pour une Algérie indépendante. Depuis la Suisse et la France, il soutiendra totalement et sans aucune hésitation le Front de libération nationale aux moments cruciaux de la Guerre d’indépendance.
Editeur militant basé à Lausanne, Nils Andersson entreprit à sa manière d’internationaliser le conflit algérien. Il avait compris très tôt que le devenir algérien se jouait également sur la scène internationale. Pour n’évoquer qu’une partie de ses engagements la publication d’œuvres importantes relatant et mettant en lumière la nature de cette Guerre d’Algérie est essentielle.
Sa fameuse édition suisse La Cité a édité « La Question » de Henri Alleg avec une préface de Jean- Paul Sartre (Une Victoire), quelques jours après la saisie et la censure de l’ouvrage en France. S’en est suivi bien d’autres dont « La Gangrène », publié initialement comme « La Question » en France par les éditions de Minuit et également saisi. « La Pacification » écrite par Hafid Keramane fut un livre essentiel pour Nils Andersson. Utilisé comme colis piégé par les services français, un anticolonialiste belge, Georges Laperche, fut tué en ouvrant le livre.
La Cité Editeur à Lausanne n’éditait pas que des livres, Nils Andersson y recevait des militants FLN évadés ou recherchés, ‘’des porteurs de valises’’ et des insoumis français à la Guerre d’Algérie dont on a peut-être aujourd’hui tendance à oublier leur contribution comme il en est du rôle de la Fédération de France du FLN. Chez Nils, ces camarades militants trouvaient un appui le temps de leurs passages ou de leurs conversions dans la société suisse.
Pour ses engagements fraternels au peuple algérien, en 1961 la France interdit à Nils Andersson d’entrer sur le territoire français. Plus tard en 1966 en raison aussi de ses soutiens aux peuples en voie de décolonisation et à la Chine de Mao Zedong, le Gouvernement suisse finit par l’expulser de Suisse, son pays de naissance.
L’heure aux leçons de l’histoire…
Maintenant plus de soixante ans après, la Guerre d’Algérie terminée, les guerres de décolonisations également, la Guerre Froide a laissé place aux rapports Nord-Sud dilués dans un concept nouveau de relation internationale, le multilatéralisme empreint de bipolarité Chine -Etats-Unis ; que nous dit Nils Andersson lorsque nous le consultons sur la situation de l’Algérie actuelle.
Nous lui avons posé quelques questions.
Que pensez-vous du parcours de l’Algérie indépendante ?
Nils Andersson : L’indépendance acquise les questions posées et à résoudre sont infiniment plus complexes que durant la guerre, l’objectif n’est plus celui qui a uni le peuple : se libérer du colonialisme. Les besoins se morcellent, les égoïsmes, les ambitions, les comportements opportunistes se libèrent. L’expérience des révolutions et des luttes d’indépendance montre qu’il est plus difficile de construire un État démocratique et social que de se libérer de l’oppression.
Y a-t-il, selon vous, un moment où les aspirations du 1er novembre 1954 ont donné place à d’autres orientations ? Et qu’en est-il de la conséquence du congrès du FLN de Tripoli de 1962 sur l’Algérie indépendante ?
Cette question prolonge celle qui précède. Concernant plus précisément l’Algérie, l’unité du peuple sans laquelle le colonialisme n’aurait pu être vaincu, ce peuple à qui, au moment de l’Indépendance, on pouvait tout demander, en efforts et en sacrifices, a vu ses aspirations et ses idéaux mis en question par les déchirements du Congrès de Tripoli dévoilant les divergences entre les dirigeants de la Révolution.
Les affrontements armés qui ont suivi ont brisé l’esprit des maquis et celui de la clandestinité qui avait permis l’impossible. Mais l’essentiel, l’Indépendance conquise par le peuple algérien, elle lui appartient et nul ne peut la lui enlever ; l’égalité et la justice, c’est le long et difficile cheminement de tous les peuples.
La Fédération de France du FLN, que vous avez connue par l’intermédiaire de ses dirigeants et pour laquelle votre soutien n’est plus à démontrer, a eu un rôle déterminant dans la Guerre d’Algérie et dans l’Indépendance algérienne ; que vous évoque-t-elle ?
Le rôle de la Fédération de France du FLN qui a eu ses martyrs, torturés, guillotinés, assassinés, me semble oublié alors que faisant un avec la lutte dans les maquis et celle dans la clandestinité des villes, sa contribution à l’Indépendance fut grande. Elle le fut sur le front militaire, en ouvrant le second front, portant la guerre sur le sol du colonisateur, son action fut très importante pour informer et faire connaître en France et dans le monde, le courage et la détermination des Algériens à se libérer de l’ordre colonial, son appui fut déterminant par les cotisations des militants qui ont puissamment aidé la Révolution et permis qu’elle ne soit pas dépendante et soumise à des appuis extérieurs. L’Histoire de la Fédération de France est celle de tout le peuple algérien.
Voyez-vous dans ce jeune mouvement du Sourire algérien, le Hirak, porté par le peuple algérien, un espoir de renaissance des aspirations du peuple algérien vers une véritable indépendance.
Des générations après, le Hirak témoigne que l’esprit de la résistance au colonialisme et de la lutte de libération restait inscrit dans la mémoire profonde. 1954, la Soummam, 1962, ces références qui sont celles du Hirak, dont la jeunesse, unissant les générations, s’est emparée, sont des références inscrites dans la mémoire du peuple algérien, elles ont leur signification historique et libératrice, elles ont gardé toute leur force et font entendre que quand le peuple est rassemblé, tout peut être possible pour surmonter les adversités de l’Histoire.
Vous avez constaté le désastre qu’avait engendré la lutte des clans pendant la Guerre d’Algérie, et le salut depuis l’union sacrée scellée par un Congrès de la Soummam fragilisé par la suite, quelles leçons historiques pouvons-nous en retenir et quels conseils pouvez-vous donner à la jeunesse algérienne d’aujourd’hui ?
Il n’y a jamais de conseil à donner à la jeunesse, seulement rappeler qu’elle doit veiller à tirer les leçons de son Histoire, des succès et des échecs, de l’héroïsme collectif du peuple durant la lutte de libération, du comment elle a été obtenue sur les fronts militaire, politique, diplomatique, comprendre pourquoi la lutte de libération a été victorieuse et pourquoi l’indépendance n’a pas répondu aux espoirs. Et, sur cette expérience acquise, penser, quelle société voulons-nous ? Quel État voulons-nous ?