25 avril 2024
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Notre nationalité algérienne, nous l’avions gravée dans la peau

bras

En cette pandémie mondiale et suite à un petit événement personnel, il m’est venue à l’esprit une histoire algérienne ancienne, celle d’une vaccination massive. Seuls les plus de trente ans s’en souviennent et encore, faut-il que leurs anciens leur aient montré une marque indélébile sur la peau de cette manifestation identitaire algérienne.

Indélébile ? Nous avions fini par le croire tant les décennies ont passé et qu’elle nous était fidèle, toujours là lorsque nous avions le bras dénudé. Pour moi, ce fut le bras droit, mais il faudrait confronter cette marque avec celle de millions d’Algériens pour savoir si nous l’avions tous au même bras.

Pour mon cas, c’est assez étonnant car toutes les vaccinations, depuis l’enfance, commençaient par les mots « Es-tu droitier ou gaucher ? »,  le tutoiement s’imposait par notre très jeune âge. Le bras choisi doit en principe être l’inverse du bras qui possède l’habilité d’usage, à cause de la gêne dans les jours suivants. J’étais pourtant droitier, la place de la marque.

Et nous voici à mon histoire personnelle par laquelle tout ce souvenir est revenu à mes yeux, comme la madeleine de Proust, d’ailleurs à la même heure, celle du petit-déjeuner.

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Ce matin, je me lève, et m’aperçois qu’elle avait disparu, ma marque identitaire, (pas ma femme). J’ai tourné mon bras dans tous les sens pour savoir si c’était un jeu de lumière qui occultait celle qui a passé une vie avec moi, sur ma peau. Elle était gravée sur mon bras pendant plus d’un demi-siècle.

Je ne m’en étais pas rendu compte auparavant de sa disparition. Il y a un an seulement que j’en avais parlé dans un réseau social pour partager ce souvenir avec les algériens de ma génération.

Une vaccination massive des Algériens, une marque identitaire nationale

Un jour, tous les Algériens eurent donc une marque corporelle de reconnaissance, comme la marque inscrite au fer rouge sur la peau des bêtes, dans les films de western.

Les bras s’accrochant aux barres des bus, à la plage, sur le bord de la fenêtre des voitures ou au sport, tous portèrent par la suite cette marque sur la peau. Et les jeunes qui pensent avoir inventé la mode du tatouage, une prétention de ces pauvres innocents !

Ce jour-là, des médecins russes étaient arrivés en horde au lycée, à Oran, et nous avions été convoqués dans la grande salle du réfectoire. Nous attendions notre tour pour le vaccin. C’était la fameuse vaccination nationale du BCG.

Ceux qui se sont vaccinés pour la Covid ont certainement pris conscience de l’extraordinaire avancée des technologies. L’aiguille est dorénavant si mince que c’est à peine si une mouche se posait sur votre bras, une douleur inexistante.

La seringue qui nous attendait ce jour-là devait aussi servir à la vaccination des bœufs. Le vue de sa grosseur nous avait donné une sacrée frayeur, nous étions des adolescents, peu fiers de tenter avec bravoure de dissimuler notre peur aux yeux des camarades et, surtout, des filles.

La médecin russe avait le même gabarit, on n’avait pas intérêt à faire les imbéciles devant cette masse aussi haute et imposante qu’une montagne (la description est réellement restée dans l’esprit).

Elle nous avait alignés en face d’elle, les garçons seulement, en rangées de cinq ou six élèves et nous avait demandé de nous dénuder, les parties génitales bien visibles. Rappelons-le, c’était une médecin, rien d’extraordinaire pour la demande mais c’est la suite qui fut surprenante. Elle nous avait de demandé de tousser, avec force.

Mes chers lecteurs, ne me demandez jamais pourquoi, un demi-siècle à le demander aux amis médecins qui sont bien incapables de nous l’expliquer. Il ne s’agit là aucunement d’une vulgarité mais d’une pratique médicale connue par tous les jeunes garçons algériens de mon époque, certainement une contraction qui devait alerter d’une quelconque anomalie.

Puis on nous a vaccinés. Comme les déportés dans les camps de concentration nazis, nous avions désormais une grosse marque sur la peau, ronde et bien visible, elle ne devait plus jamais disparaître, jusqu’à ce matin, pour moi, un demi-siècle après.

Ceux de cette génération qui s’en souviennent, dans les épisodes des Envahisseurs, David Vincent les avait repérés par l’un de leurs doigts,  particulier dans sa forme. Il en sera désormais pareil pour nous.

Je venais de perdre ma nationalité algérienne ?

Et bien, pendant des décennies, aucun Algérien ne pouvait douter de la nationalité algérienne d’une personne lorsqu’il voyait cette marque sur son bras. C’était notre carte biométrique, bien avant l’invention de cette technologie. Nous étions les premiers au monde à l’avoir mis en place pour des millions de personnes.

Ce matin, je me suis aperçu pour la première fois qu’elle avait disparu. Probablement l’effet de l’âge sur la peau me suis-je dit.

Elle est partie, ma marque identitaire de ma jeunesse. Alors j’ai partagé mon désarroi sur ma page d’un réseau social et, stupéfaction, j’ai reçu de nombreux messages me disant que la leur était bien là. Une personne m’a écrit qu’elle avait immédiatement vérifié si elle avait disparue, ce qui ne fut pas le cas pour elle.

Alors, si ce n’est pas l’effet du temps sur ma peau, serait-ce le signe d’un impossible retour dans ce pays qui m’a vu naître ?

J’ai perdu mon passeport biométrique, la marque a disparu et l’Union soviétique aussi, notre gigantesque médecin avec.

Boumédiene  Sid Lakhdar, enseignant

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