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Smaïn Laacher : « Dans la compréhension des liens avec ma mère la littérature a été d’un grand secours »

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Smaïn Laacher
Smaïn Laacher. Crédit photo : Grasset éditions.

Smaïn Laacher, sociologue émérite et directeur de l’Observatoire du Fait Migratoire et de l’Asile à la Fondation Jean Jaurès, a accepté de répondre aux questions du Matin d’Algérie pour revenir sur sa relation intime avec sa mère à travers le prisme de l’immigration et du temps long.

Dans cet entretien, il explore les tensions entre souvenirs familiaux et observations sociologiques, le poids des langues et des rites, et la manière dont une génération de femmes silencieuses a façonné le destin de leurs enfants. De la souffrance sociale à la fidélité aux origines, Laacher éclaire les fractures et les fidélités de l’exil, offrant un regard à la fois sensible et analytique sur ce que signifie être enfant d’immigrés et témoin des transformations d’une société.

Il évoque aussi la manière dont l’école, la langue et les institutions participent à modeler des identités souvent éloignées de celles de leurs parents. Ses souvenirs familiaux se mêlent aux observations sociologiques pour raconter, avec justesse et émotion, une expérience universelle de transmission, de perte et de réconciliation avec ses racines.

Le Matin d’Algérie : Votre mère disait : « La France a mangé mes enfants ». Qu’exprimait-elle réellement derrière cette phrase — blessure, résignation, constat sur l’exil ?

Smaïn Laacher : Cette expression, aux allures anthropophagiques, désigne en réalité une souffrance sociale. C’est la reconnaissance d’une impuissance à agir : j’ai fait des enfants que je ne reconnais plus car ils ont été « mangés » par une entité (la France) sur laquelle il est impossible d’avoir prise. Ma mère pensait, à tort ou à raison, qu’elle avait été dépossédée d’un bien très précieux, ses enfants ; et qu’elle les voyait disparaître inexorablement dans le corps d’une autre : la société, la nation, la France, etc. Ce processus n’est jamais soudain, il est plus ou moins long et plus ou moins sensible, plus ou moins visible mais inéluctable, car la société et ses modèles dominants et légitimes (entre autres avec l’école) finissent toujours par s’imposer aux individus. Le rapport de force est disproportionné : un individu ou même une famille, à fortiori lorsqu’elle est immigrée, ne peut rien contre des institutions dont l’efficacité politique et culturelle est insoupçonnable.

Le Matin d’Algérie : À quel moment avez-vous compris que vous et elle « n’habitiez plus le même monde » ? Quel événement a rendu visible cette frontière ?

Smaïn Laache : J’insiste : je décris un processus, au sens premier du terme : des choses qui vont en progressant ; qui ont partie liée avec le temps long. Il n’y a jamais un évènement qui fait prendre conscience mais une série de gestes, d’attitudes, de goûts, de préférences et d’affinités sociales qui tous travaillent, chacun avec leur force propre, à vous rendre différent des autres. Encore une fois, dans mon cas, l’école a participé à produire des différences qui sont devenues, au fil du temps, des « oppositions » entre des manières de penser et des styles de vie. C’est lorsque je suis entré à l’université que j’ai compris (par la lecture et le savoir) qu’il y avait des mondes dont les différences étaient incommensurables. Mes parents ont fait des enfants qui ne leur appartenaient plus.

Le Matin d’Algérie : Vous parlez d’« ego-sociologie ». Comment avez-vous géré la tension entre le fils affecté et le sociologue observateur ?

Smaïn Laacher : Je suis sociologue de métier. C’est donc une manière d’appréhender et de mettre de l’ordre dans le monde. Mais je n’ai jamais voulu faire de ma mère un matériau sociologique. Permettez-moi une précision importante. Dans la compréhension des liens avec ma mère la littérature a été d’un grand secours. C’est en mobilisant ces deux disciplines (la sociologie et le roman) que j’ai pu être sensible et attentif au moindre détail, rechercher le sens du propos en apparence anodin, observer attentivement le déplacement du corps dans l’espace domestique et dans l’espace public, etc. Je l’avoue, cet aller et retour entre la personne de ma mère et son histoire et moi en tant que sociologue s’est effectué sans tension, sans problème particulier. Oserai-je dire presque naturellement ?

Le Matin d’Algérie : À l’annonce de sa mort, vous écrivez : « Voilà, c’est fini, elle ne souffrira plus. » Comment avez-vous vécu ce mélange de soulagement, de tristesse et de regrets ?

Smaïn Laacher : La mort de ma mère ne fut pas une « surprise ». Elle était malade depuis quelques années. Je m’attendais donc à la voir partir pour toujours. Mais, même lorsqu’on s’y attend on est toujours quelque peu incrédule. Quand j’ai appris la mort de ma mère en pleine nuit, mes idées sont devenues tout à coup un peu confuses. Tout se bousculait, le passé avec le présent, des souvenirs très précis de sa cuisine, de ses propos ; et des souvenirs plus indistincts, par exemple de sa vie dans la maison, de son travail à la cantine de l’usine, etc. Triste bien entendu. Mais aussi des regrets et une « fausse vraie » nostalgie, tout cela mélangé : pourquoi notre histoire commune fut celle-ci et pas une autre ?

Le Matin d’Algérie : La notion de « présent-absent » résume-t-elle, selon vous, l’expérience de nombreux enfants de l’immigration ?

Smaïn Laacher : Pas seulement pour de nombreux enfants de l’immigration. La dialectique « présence-absence » est consubstantiellement liée à la condition ontologique de l’immigré que je définis ainsi : c’est une manière d’être au monde et, parce qu’il n’est pas chez lui, c’est une manière de vivre dans le monde des autres. L’enjeu fondamental de l’immigré, pour lui comme pour tous les autres, c’est la reconnaissance d’une place naturellement attestée. Il n’est jamais à sa place en ce sens qu’il est atopos (sans lieu) pour parler comme Platon. Voilà pourquoi il est là sans être vraiment là ; là sans jamais vraiment être considéré comme le Même (le « français »), et sans jamais vraiment être considéré comme l’Autre (l’algérien d’Algérie).

Le Matin d’Algérie : Votre mère disait souvent : « Je sais pas ». En quoi la non-maîtrise du français a-t-elle façonné son rapport au monde… et le vôtre ?

Smaïn Laacher : Le « Je sais pas » souvent répété par ma mère n’était pas seulement une ignorance intellectuelle ou culturelle. Cette expression mille fois entendue sous une pluralité de formes renvoyait à une manière d’être face aux hommes et au savoir. D’une part, face aux hommes, et cette attitude est très généralement partagée par les femmes de sa génération et je dirais jusqu’aujourd’hui en Algérie et en France dans l’immigration algérienne, demeure la conviction que ceux-ci sont dotés d’un pouvoir sur le monde, les choses et les êtres. D’autre part, de la détention d’un savoir (une connaissance, une intelligence, une culture, etc.) que les femmes ne possèdent pas et ne peuvent pas posséder, entre autres, par volonté divine. Le « je sais pas » est une manière de s’incliner par résignation sur son sort de femme dominée. Combien de fois ai-je entendu de sa part : « Moi je sais pas mais toi tu sais parce que tu étais à l’école. »

Le Matin d’Algérie : Vous décrivez en détail les rituels funéraires. Pourquoi était-il important de les restituer avec autant de précision ?

Smaïn Laacher : Parce que, encore une fois, je suis sociologue et je ne peux pas faire semblant de l’oublier. Les rituels funéraires constituent un moment collectif très encadré (en théorie) par les prescriptions de l’islam sunnite. C’est aussi un moment où les vivants parlent aux morts et à la mort. Ce type de rituel est très intéressant, chacun y est à sa place sans confusion ni ambiguïté pratique (en théorie). Voilà pourquoi je n’ai pas pu m’empêcher d’être très attentif à la mise en terre de ma mère. Et puis, par ailleurs et par définition, personne n’est familier à ce type d’événement. Moi le premier. Je l’avoue, l’étonnement prévalait chez moi. En particulier les gestes dévolus aux femmes et aux hommes ; la prière de l’imam seul et debout dans les deux langues, français et arabe classique, les personnes non musulmanes qui ont accompagné ma mère au cimetière, etc.

Le Matin d’Algérie : Votre sœur avance vers la tombe malgré les injonctions. Que dit cette scène de la place des femmes dans nos rites et dans la transmission ?

Smaïn Laacher : Elle dit ce qui est à mes yeux inacceptable : la minorisation des femmes dans la transmission ; de toutes les transmissions, dès lors que sont engagés ce que l’on pense être les attributs du pouvoir des hommes. Ma sœur a bien eu raison de s’avancer vers la tombe de notre mère pour se saisir de la pelle afin de jeter, je crois, trois pelletées de terre du côté de sa tête.

Le Matin d’Algérie : Vous vous définissez comme « incroyant ». Comment cela a influencé votre perception des rites musulmans au moment de l’enterrement ?

Smaïn Laacher : Je ne sais pas si cela a influencé ma perception du rite musulman à propos de l’enterrement de ma mère. Je suis certes « incroyant » mais cela ne m’interdit pas, à la fois, de respecter les dernières volontés de ma mère croyante-pratiquante musulmane et, par ailleurs, d’accroître mes connaissances d’une religion et de ses rites (obligations et interdictions) que je connais par familiarité et cela depuis ma plus tendre enfance. Les croyants et les incroyants peuvent partager un sentiment, indépendamment de leur conviction idéologique et spirituelle : celui d’une existence dont le souci premier est autrui : ne pas rester entre-soi mais, pour parler comme les philosophes, être-avec. Être-avec dans un monde commun dont le sens est à rechercher en commun, sans exclure les conflits d’interprétation sur le sens de la vie.

Le Matin d’Algérie : Votre mère a choisi d’être enterrée en France, dans un carré musulman. Qu’est-ce que ce choix signifie pour vous : ultime fidélité, trace de l’exil, ancrage familial ?

Smaïn Laacher : Cela signifie un très profond respect des convictions religieuses de notre mère. Il était hors de question de faire différemment de ce qu’elle nous avait demandé de faire lorsqu’elle partirait pour son dernier voyage. C’est bien sûr une fidélité à celle qui s’est battue pour faire de nous (frères et sœur) ce que nous sommes après la mort de mon père ; mais c’est aussi, pour ne pas qu’elle se sente seule après la mort, qu’elle sache que nous resterons toujours près d’elle malgré les malentendus, les différences et tous ses mots qui au lieu de nous réunir nous ont séparés telles des frontières ou des murs infranchissables.

Le Matin d’Algérie : Votre livre redonne une visibilité à une génération de femmes silencieuses. Était-ce une manière de réparer une parole longtemps étouffée ?

Smaïn Laacher : Très sincèrement, en tout cas dans mon esprit, je n’ai pas une seconde cherché une quelconque « réparation ». Je voudrais préciser une chose à mes yeux très importante. Je n’ai jamais voulu, en écrivant ce livre, « réhabiliter » ma mère ou « venger sa race » pour employer la terminologie de certains. Ma mère était une femme qui a souffert, c’est indéniable, mais c’est une femme et une mère qui s’est battue et toujours elle est restée digne dans les moments les plus difficiles. Elle a fait face avec une détermination de fer au clan de son mari défunt lorsqu’on lui a demandé de rentrer au pays pour y vivre et se remarier. Elle a changé de vie en allant à l’usine, encore une fois pour nous, ses enfants, et pas pour elle. Elle ne méritait pas qu’elle soit traitée en victime à plaindre. Même si sa parole pendant trop longtemps n’a compté que pour si peu.

Le Matin d’Algérie : Qu’a été le plus difficile à écrire : la mère réelle, avec ses silences et ses contradictions… ou le fils que vous découvrez en vous relisant ?

Smaïn Laacher : Je vais peut-être vous surprendre mais c’est en réalité tout le contraire qui s’est passé. Je ne me suis pas « découvert » en écrivant sur ma mère. En écrivant sur ma relation avec elle j’ai découvert en fait deux mères. La première, la vraie, si je puis dire, celle qui m’a fait grandir ; qui m’a aimé et protégé. Puis, la « seconde », celle que l’écriture a rendue possible : une mère accessible intellectuellement. En écrivant sur elle j’ai compris le poids décisif de la langue, de la religion comme morale privée et publique, et bien entendu, de ce que c’est qu’un pays fictif, celui de son Algérie natale, et pour moi d’un pays (celui de ma mère) qui est toujours resté à la fois familier et étrangement distant. Entre moi et ma mère, sans aucun doute, il y a eu ce pays qui n’a jamais été réellement le nôtre tout en étant sans cesse présent dans nos vies.

Entretien réalisé par Djamal Guettala

 Entretien réalisé à l’occasion de la parution de son ouvrage chez les éditions Grasset, le 8 octobre 2025

Biographie 

Smaïn Laacher est sociologue, Professeur émérite à l’université de Strasbourg. Il a été de 1998 à 2014 Juge assesseur représentant le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR) à la Cour nationale du droit d’asile (Paris). De 2019 à 2023 il fut Président du Conseil scientifique de la Délégation Interministérielle à la Lutte Contre le Racisme, l'Antisémitisme et la Haine anti-LGBT (DILCRAH). Il est actuellement Directeur de l’Observatoire du fait migratoire et de l’asile de la Fondation Jean-Jaurès. Son dernier ouvrage, L’immigration à l’épreuve de la nation, L’Aube, 2024
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Djamel Lakehal ressuscite Batna et décroche le Grand prix technique

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Le groupe mythique Les Plays-Boys
Le groupe mythique Les Plays-Boys. Crédit photo : DR

Le Festival international du film d’Alger a décerné son Grand Prix Technique au documentaire « Retour en ville – Back to Town », réalisé par Djamel Lakehal, saluant une œuvre où la maîtrise technique se conjugue à une profondeur mémorielle rare.

Avec Back to Town, Lakehal ne signe pas un simple documentaire : il livre une déclaration d’amour vibrante à sa ville natale, portée par la musique, la mémoire et les visages qui en ont façonné l’âme. Entre les pulsations du présent et les échos d’un passé fragile, il ressuscite l’esprit d’une époque, l’ombre d’un cinéma disparu, les vibrations du groupe mythique Les Plays-Boys, et les murmures d’une Batna que le temps semblait condamner à l’oubli.

Derrière la caméra, c’est l’enfant de la ville qui revient sur ses pas, mû par l’urgence de transmettre avant que les témoins ne se taisent. Cette dimension intime, portée par un travail visuel d’une grande précision, confère au film une force singulière. Le jury a particulièrement salué la justesse du cadre, l’architecture sonore, l’attention aux micro-gestes et l’économie narrative qui donne au documentaire son rythme propre. La technique n’y est pas démonstration, mais langage : elle ouvre le film, elle respire avec la ville, elle l’écoute.

En transformant l’espace urbain en véritable personnage, Lakehal signe une œuvre immersive, sensible, où la ville devient mémoire vivante. Ce prix confirme la vitalité du documentaire algérien et la capacité d’une nouvelle génération de cinéastes à articuler exigence formelle et regard profondément humain sur les transformations urbaines contemporaines.

Djamal Guettala 

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Tunisie : Abir Moussi dénonce depuis sa prison une « injustice politique », son parti réclame sa libération

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Abir Moussi
Abir Moussi embastillée par Kaïs Saied. Crédit image : DR

Le Parti destourien libre (PDL) a vivement réagi, dans la nuit du 11 décembre 2025, à la situation judiciaire de sa présidente Abir Moussi, détenue depuis octobre 2023.

Dans un communiqué, le parti a dénoncé des “violations graves” à l’encontre de leur dirigeante, évoquant une détention “coercitive” depuis le 3 octobre 2023 et “sans fondement légal” depuis le 26 mai 2025. Le PDL réclame sa libération immédiate et affirme que l’État porte “la responsabilité d’une injustice manifeste”.

Le PDL dit soutenir Moussi “sans condition” et rejette ce qu’il considère comme une tentative d’“exclusion politique sous couvert d’un jugement”, l’empêchant d’exercer son rôle partisan et sa présence dans l’espace public. Le parti réaffirme son droit à un exercice politique libre et annonce maintenir son rôle d’opposition en coopération avec les forces attachées à la république et au gouvernement civil.

La lettre d’Abir Moussi depuis sa cellule

Quelques heures avant l’audience prévue le 12 décembre, Abir Moussi a publié une lettre adressée “aux décideurs”, revenant sur son arrestation, ses conditions de détention et les accusations portées contre elle. Voici sa lettre dans sa version française intégrale :

Lettre d’Abir Moussi 

« Vous avez commis à mon égard une faute grave et vous avez fait porter à l’État tunisien la responsabilité de persécuter une femme libre, attachée à la république civile, respectueuse des lois du pays et représentant le fruit du modèle sociétal bourguibien qui croyait au rôle actif des femmes dans la vie politique.

Vous n’avez pas eu la largesse d’esprit d’accepter mes critiques, pourtant fondées et étayées par des preuves, et vous m’avez infligé une injustice sans précédent simplement parce que j’ai exercé mon droit à l’expression, à l’opposition nationale légitime et à la candidature aux échéances électorales, dans le cadre de la promotion du principe de l’alternance pacifique au pouvoir.

On m’a faussement accusée d’“attentat visant à changer la forme de l’État et d’inciter la population à s’attaquer mutuellement par les armes”, alors que mes positions, mes actions, mes déclarations, les doctrines et les activités de mon parti, ainsi que nos luttes, témoignent que cette accusation est totalement infondée à mon égard.

Le peuple est désormais convaincu que ce que je subis est une injustice et une exclusion, sans lien avec l’application de la loi, surtout au vu de mon maintien en détention depuis le 26 mai 2025, en l’absence de tout mandat de dépôt valide autorisant mon incarcération. »

Des accusations jugées “infondées”

En diffusant cette lettre, Abir Moussi entend répondre aux charges les plus lourdes pesant contre elle. Elle rejette notamment l’accusation d’“attentat visant à changer la forme de l’État et à inciter les Tunisiens à s’attaquer mutuellement par les armes”, prévue par l’article 72 du Code pénal et passible de la peine de mort. Selon elle, l’ensemble de ses activités publiques et partisanes contredit totalement ces accusations.

Un feuilleton judiciaire à rebondissements

Le 5 décembre, deux audiences ont été organisées devant le tribunal de première instance et la cour d’appel de Tunis. Elles ont été reportées à des dates ultérieures, selon son avocat Me Mohamed Ali Boucheiba. Pour ses soutiens, cette succession de reports entretient une situation de flou juridique et accentue la dimension politique de l’affaire.

Son arrestation d’octobre 2023, dans l’affaire dite “du bureau d’ordre”, marque le début d’une série de poursuites. D’autres dossiers sont ouverts, notamment à la suite de plaintes déposées par l’Instance supérieure indépendante pour les élections (ISIE).

Une affaire symbolique

Dans un contexte tunisien tendu, marqué par des affrontements politiques et institutionnels, l’affaire Abir Moussi dépasse le cadre judiciaire. Pour ses partisans, elle incarne une dérive autoritaire visant à écarter une figure de l’opposition. Pour ses adversaires, elle reflète au contraire les conséquences de son style politique virulent et des dossiers légaux en cours.

Entre exigences de l’État de droit, pressions politiques et enjeux électoraux, la situation de la dirigeante du PDL continue d’alimenter un débat national, révélateur des fractures profondes qui traversent la scène politique tunisienne.

Mourad Benyahia 

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Barika (Batna) : un professeur licencié après 5 ans de diplômes inventés

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Université de Barika

Barika découvre à quel point la crédibilité universitaire peut être fragile. Un professeur, identifié comme « ع.ع », a enseigné depuis 2019 au Centre universitaire local, supervisé des mémoires et exercé des responsabilités administratives… sur la base de diplômes totalement falsifiés. Master et doctorat, universités prestigieuses, rien de tout cela n’existait réellement.

Pendant plus de cinq ans, cet enseignant a eu tout le loisir de former des dizaines d’étudiants, de signer des notes et de gérer des dossiers administratifs sensibles, alors que ses qualifications étaient purement imaginaires. Les enquêtes administratives ont confirmé que son nom n’apparaît dans aucune liste de diplômés des universités de Batna 01 et d’Alger 03, soulevant de graves questions sur les procédures de recrutement et le contrôle des compétences dans le système universitaire.

Cette situation, désolante pour les étudiants et les collègues, met en lumière l’ampleur du risque lorsque des postes sensibles sont confiés sans vérification rigoureuse. Le Centre universitaire, en coordination avec le ministère de l’Enseignement supérieur et la fonction publique, a transmis le dossier à la justice, qui devra déterminer toutes les responsabilités et sanctionner les éventuelles complicités.

Au-delà du scandale, cette affaire rappelle que l’intégrité académique n’est pas un détail : elle est la pierre angulaire de la crédibilité des institutions, et tout manquement à cette règle affecte non seulement les enseignants légitimes mais aussi l’avenir des étudiants et la confiance dans l’enseignement supérieur.

Barika paie le prix de cette dérive, et le message est clair : la vigilance et le contrôle des diplômes ne sont pas optionnels, mais essentiels pour protéger l’université et sa mission éducative.

Mourad Benyahia 

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« La promesse d’Imane », la jeune activiste ne sera pas réduite au silence

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La promesse d'Imane

Présenté le dernier jour de la 29ᵉ édition du PRIMED à Marseille, à la Bibliothèque Alcazar, Imane (2024) est le film bouleversant de la réalisatrice Nadia Zouaoui. À travers ce documentaire, elle tient la promesse faite à Imane Chibane : que sa voix continue de dénoncer les violences, l’injustice et les oppressions subies par les femmes en Algérie.

Imane Chibane, jeune activiste de 26 ans, tenait un blog féministe dans un pays où les femmes restent considérées comme des mineures à vie. Malgré les menaces, les pressions et la violence quotidienne, elle n’a jamais cessé de parler haut et fort. Elle dénonçait avec courage les violences et les discriminations subies par les femmes. En 2019, Imane a été retrouvée morte dans son appartement. Loin de disparaître avec elle, ses mots résonnent tout au long du film : de larges extraits de son blog sont lus, donnant à son combat une présence tangible et indomptable.

Le documentaire met également en lumière d’autres tragédies trop souvent reléguées au second plan : les enseignantes agressées à Bordj Badji Mokhtar en mai 2021, ou Razika Cherif, écrasée en novembre 2015 par un automobiliste après avoir repoussé ses avances, parmi de nombreuses autres histoires tragiques. Chaque récit rappelle avec force que les femmes ne sont toujours pas à la place qu’elles devraient occuper dans la société algérienne et que la lutte pour leurs droits reste urgente.

Le public a accueilli le film avec émotion et révolte. Une séance de questions-réponses, animée par la cousine de la réalisatrice, a prolongé cette rencontre avec le documentaire, offrant des témoignages directs, des souvenirs et une transmission vivante de la mémoire d’Imane.

Nadia Zouaoui, née en Algérie et installée au Québec depuis 1988, est journaliste, réalisatrice et productrice. Elle a travaillé pour Radio-Canada, CBC et Al Jazeera Documentaire. Son premier film d’auteure, Le voyage de Nadia, explorait déjà la condition des femmes dans la société patriarcale et a été salué par la critique, remportant le Prix Gémeaux de la meilleure écriture documentaire et le Prix Caméra au poing aux RIDM. Avec Imane, elle confirme sa capacité à faire entendre les voix oubliées, à révéler l’injustice et à engager le spectateur dans un combat universel pour la dignité, l’égalité et le respect des droits des femmes.

Djamal Guettala 

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Le Noël cathodique

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La Petite maison dans la prairie.
La Petite maison dans la prairie. Maquette.

À moins qu’il ait hiberné depuis sa naissance, aucun citoyen de ce monde peut nous convaincre de son ignorance de la série à la télévision de La Petite maison dans la prairie avec la famille Ingalls et l’inoubliable et sympathique madame Harriet Oleson.

Je m’en veux de ne pas avoir compris dans ma jeunesse le message à peine caché de cette série. Je m’étais réveillé à cette réalité plus tard. Il faut dire que les stéréotypes de l’Amérique conservatrice, blanche et chrétienne nous étaient si communs dans la puissante industrie cinématographique et télévisuelle.

Nous les avions intégrés dans notre esprit sans trop nous poser de questions. C’était l’image de l’Amérique puritaine, nous le savions et il ne nous venait pas à l’idée de nous embarrasser par des considérations de ce genre qui perturberaient notre plaisir. D’ailleurs près d’un demi-siècle après, je regarde avec ce même plaisir les éternelles rediffusions. Harriet est ma préférée car elle a un rôle qui donne de l’épaisseur à cette série.

Depuis quelques années la propagande puritaine américaine est revenue avec force dans les petits écrans mondiaux. Ce n’est pas seulement un envahissement, c’est un cataclysme que ce Noël qui approche.

Les téléfilms sur Noël sont pléthoriques et cela, encore plus heurtant, dès septembre. Il n’y a pas une seule chance d’en rater un lorsque la télécommande est en action. Mais dorénavant, je m’aperçois du message dès la première minute du téléfilm. Il est aussi gros que l’écran lui-même.

Le fait que Noël soit préparé depuis septembre, nous l’avions constaté de longue date pour de nombreuses fêtes ou célébrations dans l’année (Pâques, Halloween, bouquet du  1er mai etc.) sur les étalages des magasins et des publicités. C’est une opération marketing qui nous est familière. Je suis tenté d’être persuadé que dans les décennies qui viennent (pour les générations suivantes), la période  commerciale de Noël débutera dès les vacances d’été sur la plage.  

Un facteur participe à cet état de fait, les épisodes ont un coût extrêmement  bas, c’est le moins qu’on puisse en dire. Une équipe d’étudiants, bien dotée d’un matériel adéquat, pourrait les produire. Ajouté à cela que le nombre de téléspectateurs est de plus en plus important. La guimauve et le sirupeux, s’ils ont toujours eu leur effet, il est étrange que l’évolution soit si importante. 

Il est vrai, c’est indéniable, que l’accession de la quasi-totalité des populations dans ce monde à la télévision et le nombre surmultiplié des chaînes est en grande partie une explication.

Tout cela est déjà connu et n’a pas empêché la planète de tourner. La chose est beaucoup plus inquiétante lorsque nous revenons à ce message dissimulé (pourtant si visible) du conservatisme. Car cette position idéologique est en sérieux développement dans le monde, pas un seul continent n’est épargné. 

Quels sont les ressorts de ces séries télévisés ? Eh bien, on pourrait dire, la famille Ingalls et tout Walnut Grove. Tout, absolument tout, est présent dans des stéréotypes qui transmettent les valeurs de l’Amérique blanche.

Prenons quelques exemples récurrents. Un personnage, femme ou homme, revient dans sa ville ou son village au moment de Noël et s’aperçoit de la puérilité de sa quête de réussite professionnelle ailleurs. Ils ou elles retrouvent leur ami(e) d’enfance dans une ambiance de conte de fée aussi rose que la robe de Barbie. 

Ils ont une ambition de refaire naître une amitié, un commerce, une fête ou telle et telle tradition de Noël. Tout y est et particulièrement ces si célèbres clichés de Noël que sont le chocolat chaud et les cookies. Tout cela baigné dans un tapis de neige fantasmée pour sa blancheur immaculée (tiens, encore le blanc). Et cette phrase rituelle de chaque épisode que prononcent tous, « la magie de Noël ». 

Et bien entendu tous aussi blancs et blonds que la race pure de Noël. Des couples idylliques, des promesses d’amour pur et de fondation d’une famille. Le conservatisme dans toute sa puissance. Et de temps en temps, un couple noir pour se donner une bonne conscience comme ce fut le cas pour une famille apparue dans Walnut Grove introduite dans le scénario. Une seule, il ne faut tout de même pas exagérer non plus !

Inévitablement, dans ce mouvement mondial dont j’avais parlé, ce sont les idées d’extrême droite qui envahissent peu à peu les esprits des producteurs qui veulent coller aux demandes d’un public devenu MAGA pour une grande partie ou au conservatisme des plus appuyés pour les plus raisonnables.

Suprémacisme racial, esprit de domination du christianisme, des valeurs blanches et de la supériorité en tous domaines dans cette Amérique devenue folle, ce n’est pas encore visible dans les séries mais on s’y rapproche. Ceci n’est pas sorti de mon esprit mais documenté, chacun peut trouver des références en les recherchant, il ne mettra pas longtemps à les trouver.

Je tiens à dire au lecteur qu’il n’existe aucune intention de ma part de heurter les convictions de chacun puisque certaines valeurs véhiculées sont incluses dans les convictions morales de la grande partie des civilisations de ce monde. Le lecteur doit comprendre qu’il s’agit seulement de dénoncer la dérive racialiste et suprémaciste de ces feuilletons de télévision, aspergés avec de  l’eau de rose.

« Jingle Bells » nous dit la chanson la plus célèbre du Noël américain. « Vive le vent, vive le vent… ! » nous dit sa traduction en français. Pour ma part, ce vent s’incruste dans mes narines comme une odeur pestilentielle. De celles qui mènent vers l’idéologie de la peste noire dans l’histoire, celle de la haine, des drames et de la mort.

Boumediene Sid Lakhdar

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Liquidation de Brandt : Cevital perd le « bateau amiral du groupe » à l’international

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Rebrab
Issad Rebrab voulait faire de Brandt un navire amiral de ses investissements internationaux. Crédit photo : DR

​Le Tribunal des affaires économiques (TAE) de Nanterre en France a prononcé, ce jeudi 11 décembre 2025, la liquidation judiciaire du groupe d’électroménager Brandt. Cette décision retentissante sonne le glas de l’un des plus grands investissements du groupe privé algérien Cevital à l’étranger, marquant un échec cuisant pour l’internationalisation du conglomérat.

​La faillite entraîne la suppression d’environ 700 postes en France et met fin à la présence de Cevital, qui avait acquis le groupe en 2014, dans le secteur de l’électroménager européen.

​La fin d’une ambition stratégique pour Cevital

​L’acquisition de Brandt en 2014 par Cevital, alors dirigé par Issad Rebrab, était vue comme une opération stratégique majeure. Brandt, avec ses marques historiques (Brandt, Vedette, Sauter, De Dietrich), devait servir de vitrine technologique et de plateforme de distribution pour les produits du groupe algérien sur les marchés européen et africain. Il représentait le projet le plus visible et le plus symbolique des ambitions internationales de Cevital.

​Malgré un chiffre d’affaires de 260 millions d’euros, l’entreprise était en crise. Brandt a été mis en redressement judiciaire début octobre, victime de difficultés structurelles liées à un marché du gros électroménager très concurrentiel et à la crise immobilière, facteurs qui ont laminé ses ventes.

​Des offres de reprise écartées 

​La justice française a rejeté un ultime projet de sauvetage visant la transformation de l’entreprise en Société Coopérative et Participative (Scop).

​Ce plan, qui aurait permis de sauver au moins 370 emplois, avait pourtant bénéficié du soutien des autorités françaises. L’État s’était engagé à apporter un appui financier conséquent, estimé à près de 20 millions d’euros.

 L’entreprise a confirmé qu’elle ne sera plus en mesure de verser les salaires au-delà du 15 décembre.

​Les réactions en France ont été vives. Le président de la région Centre-Val de Loire, François Bonneau, a déploré un « choc » et un « coup très dur » porté à l’industrie. Le gouvernement français, par la voix du ministre de l’Économie, Roland Lescure, et du ministre de l’Industrie, Sébastien Martin, a exprimé sa « profonde tristesse » face à cette issue.

​La liquidation de ce qui était considéré comme le « bateau amiral » de Cevital à l’international pose de sérieuses questions sur la stratégie et la pérennité des grands investissements pensés par Issaad Rebrab à l’étranger, et sur la capacité du  conglomérat dirigé désormais  par son fils Malik  à maintenir la même dynamique managériale  dans le contexte politico-économique actuel en Algérie qui, il est vrai, n’offre pas beaucoup  de lisibilité. 

La rédaction

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Mohamed Amine Belghit définitivement condamné

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Mohamed Lamine Belghit
Le négationniste Belghit définitivement condamné. Crédit image : DR

La Cour suprême a définitivement tranché dans le dossier de l’enseignant universitaire en histoire, Mohamed Amine Belghit, en rejetant le pourvoi en cassation introduit par sa défense.

Cette condamnation de Mohamed Amine Belghit confirme les jugements prononcés en première instance puis en appel, mettant un terme au volet judiciaire d’une affaire qui aura traversé plusieurs mois de controverse et de débats publics.

Un cycle judiciaire désormais clos

Pour les avocats de Mohamed Amine Belghit, ce rejet constitue la dernière étape d’un parcours judiciaire entamé dans la foulée des déclarations controversées de l’historien, qui avait affirmé que « l’amazighité est un projet sioniste et français ». Ces propos avaient été considérés par la justice comme attentatoires à la cohésion nationale et contraires aux fondements constitutionnels définissant l’identité de l’État algérien.

La réaction des autorités judiciaires avait été rapide : ouverture d’une enquête, poursuites, procès puis condamnation.

En première instance, Belghit avait été condamné à cinq ans de prison ferme pour atteinte à l’unité nationale, diffusion de discours de haine et atteinte à l’intégrité de l’unité nationale.

Le 7 octobre 2025, la Cour d’appel d’Alger avait révisé la peine à trois ans de prison ferme et deux ans avec sursis.

Une affaire aux lectures opposées

Les soutiens de l’universitaire estiment que les propos incriminés relèvent — quoique discutables ou provocateurs — de la liberté d’expression et du débat académique. Ils dénoncent une criminalisation d’un discours intellectuel, aussi controversé soit-il.

À l’inverse, ses détracteurs rappellent que Mohamed Amine Belghit défend depuis plusieurs années des thèses qualifiées de révisionnistes sur l’histoire de l’Algérie. Selon eux, ses déclarations ne s’inscrivent pas dans un cadre scientifique, mais dans une logique de dénigrement visant à délégitimer l’une des composantes identitaires centrales reconnues par la Constitution : l’amazighité.

Vers une possible issue politique ?

La clôture judiciaire ne signifie toutefois pas la fin du dossier. Au contraire, le débat se déplace désormais sur un terrain politique.

Le collectif d’avocats, tout comme les partisans de Belghith, évoquent la possibilité d’un pardon présidentiel dans les prochaines semaines — une option légalement possible mais politiquement délicate, notamment dans un contexte où les questions identitaires constituent un sujet de sensibilité nationale.

Un dossier révélateur des tensions identitaires

L’affaire Belghit illustre, comme le procès intenté récemment au journaliste Saad Bouakba illustrent, une fois de plus, les tensions persistantes autour des enjeux identitaires et de l’histoire en Algérie. Sous Tebboune, l’histoire est inflammable. Sacré. On en débat pas. On avalise les vérités imposées d’en haut. Ces affaires mettent en évidence les frontières parfois mouvantes entre liberté d’expression, débat historiographique et protection de « l’unité nationale », si l’on reprend la doxa officielle.

L’intersection du droit, de la mémoire et du politique continue ainsi d’alimenter des controverses qui dépassent largement le cadre individuel du procès.

Samia Naït Iqbal

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Le miroir numérique que le régime algérien ne supporte pas

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Tebboune et Chanegriha
Saïd Chanegriha et Abdelmadjid Tebboune, une dyarchie autoritaire. Crédit photo : DR

Le pouvoir parle de modernité, mais redoute surtout ce qu’elle révèle. La numérisation n’éclaire pas le pays, elle expose ses zones d’ombre. Et c’est cette lumière-là que le régime ne supporte pas.

La machine, la numérisation, l’IA : en Algérie, tout cela n’est qu’un prétexte commode. Ce qui inquiète vraiment, ce n’est pas ce que ces outils savent faire, mais ce qu’ils pourraient rendre visible, le retard soigneusement entretenu, la paresse intellectuelle devenue réflexe, la vieille garde qui n’a jamais dépassé le stade du fichier imprimé, tamponné, béni par la bureaucratie. La modernité ne fait pas peur. Le miroir qu’elle tend, si.

En réalité, le pouvoir ne vit pas à l’ère de l’intelligence artificielle. Il vit dans celle de la pseudo-numérisation, cette modernité de carton qui scanne le désordre au lieu de le corriger. Numériser, chez nous, ce n’est pas transformer. C’est archiver la médiocrité, convertir la corruption en PDF, mettre le piston en ligne, stocker l’arbitraire dans un serveur. Le cachet a changé de forme, pas de fonction. Le régime de décision reste inchangé : opaque, lent, clientéliste, verrouillé comme une vieille armoire dont personne n’ose ouvrir les tiroirs.

La numérisation version pouvoir n’a jamais été pensée pour libérer. Elle a été conçue pour resserrer. Centraliser les données, tracer les citoyens, croiser les fichiers, automatiser la suspicion. Ce qu’ils appellent “transition numérique” n’est, en réalité, qu’une prolongation technique du vieux réflexe policier : voir, classer, bloquer. Dans leurs mains, la technologie ne sert ni l’efficacité ni la transparence. Elle sert la mise au pas. C’est la bureaucratie qui se dote d’une loupe, pas d’un cerveau.

L’intelligence artificielle, elle, reste un horizon lointain pour cette machine d’État. Non pas parce qu’elle serait trop complexe, mais parce qu’elle est politiquement ingérable. Une IA réelle ne respecte ni les rangs ni les réseaux ni les héritiers. Elle compare, détecte, expose les anomalies. Elle ferait s’effondrer tout le système de l’exception permanente, du passe-droit discret, de l’ordre maintenu par le flou et l’improvisation. Voilà pourquoi ils en parleront sans cesse, mais n’en voudront jamais vraiment. Une IA qui fonctionne mettrait trop de lumière là où ils ont bâti leur confort, dans l’ombre.

Dans les cercles du pouvoir, toute technologie suit trois étapes immuables : la briser, la contrôler, la corrompre. Depuis l’indépendance, le réflexe est resté le même. L’Algérien est un suspect à gérer, jamais un citoyen à servir. On ne cherche donc jamais à comprendre ce qu’une technologie pourrait offrir à la société. On cherche seulement comment l’intégrer au circuit des privilèges et comment l’utiliser pour surveiller davantage. Ce qui ne peut pas être récupéré est bloqué. Ce qui ne peut pas être bloqué est sali. Ce qui échappe est criminalisé. La modernité, ici, n’est jamais adoptée. Elle est capturée, détournée, neutralisée.

Les mêmes qui n’arrivent pas à faire fonctionner une plateforme administrative sans qu’elle s’effondre prétendent numériser le pays. Ils confondent souveraineté avec centralisation, modernité avec communication, gouvernance avec affichage. Ils croient que poser un écran, lancer une application, annoncer un “programme national” suffit à faire entrer l’Algérie dans le futur. Ils ne font que déplacer l’échec d’un bureau à un serveur.

La jeunesse, elle, n’attend plus rien de cette comédie. Elle utilise, apprend, contourne. Elle vit déjà dans un monde d’automatisation, d’outils rapides, de raisonnement distribué. Elle avance pendant que le système débat encore de cadres juridiques pour des réalités qui le dépassent. Et c’est précisément cette autonomie qui affole le pouvoir : une génération qui n’a plus besoin de lui pour comprendre, produire, collaborer. Une génération débranchée de leur tutelle.

Le conflit est là. Non pas entre l’Algérie et la technologie, mais entre un système qui ne survit que par le verrouillage et une société qui aspire à l’usage libre. Entre un pouvoir qui a besoin de lenteur pour durer et une jeunesse qui vit dans l’instant, la vitesse, l’adaptation permanente.

Ce pays ne manque ni de cerveaux ni de compétences ni d’outils. Il manque d’un État qui accepte enfin de ne plus être le centre de tout. Il manque d’un pouvoir qui préfère construire plutôt que surveiller. Il manque, surtout, de courage politique.

L’intelligence artificielle ne sauvera pas l’Algérie.

Mais la numérisation, telle qu’ils la pratiquent, peut parfaitement l’achever : moderniser la surveillance, automatiser l’injustice, rendre l’oppression simplement plus performante.

Car le vrai danger pour ce régime n’est pas la technologie. Le vrai danger, c’est la fin de l’obscurité organisée. Et c’est précisément là que tout peut basculer.

Une génération qui voit clair n’a plus besoin qu’on lui explique comment marcher.

Le régime peut retarder l’évidence, mais il ne peut pas stopper une société qui avance, lentement mais sûrement, vers son propre mode post-obscurité, vers un horizon post-système algérien.

Zaim Gharnati

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« L’Affaire Bojarski, le maître de la fausse monnaie », de Guillaume Soa

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L'affaire Bojarski
L'affaire Bojarski portée à l'écran par Jean-Paul Salomé.

Dans un sous-sol parisien, l’encre et le papier exhalent leur odeur âcre. Trois cents millions de francs circuleront bientôt grâce aux presses clandestines de Czesław Jan Bojarski. Chaque mouvement est précis, chaque erreur interdite. Le claquement sec du papier, le grincement des engrenages : tout devient un instrument de tension. Le lecteur, comme spectateur, retient son souffle. Bojarski ajuste une plaque d’impression, un geste parfait, presque artistique, et Soa nous fait ressentir l’intensité de l’instant.

Paris, années 1960. Dans les rues silencieuses, chaque café vide, chaque ruelle déserte, chaque volets tirés raconte l’époque. Bojarski se déplace entre ombre et lumière, camouflant ses intentions derrière un visage impassible. Guillaume Soa transforme des faits réels en immersion totale, où la peur, le génie et le suspense se mêlent. Le lecteur voit le faussaire, entend ses pas, devine ses pensées, et devient complice de ses stratagèmes.

Face à lui, le commissaire Benhamou, obsessionnel et inflexible, suit ses traces avec la minutie d’un horloger. Chaque filature nocturne, chaque interrogation, chaque faux pas devient un duel palpitant. Soa joue avec les angles de vue : le lecteur est à la fois spectateur et acteur, ressentant la tension psychologique, l’angoisse et l’ingéniosité de chacun.

Mais Bojarski n’est pas un simple criminel. Chaque détail, un cliché photographique dans sa poche, un regard hésitant, un silence lourd de sens, révèle un anti-héros complexe, humain et fascinant. Guillaume Soa excelle dans l’art de rendre la psychologie d’un personnage palpable : le génie et la vulnérabilité coexistent, rendant chaque scène encore plus captivante.

Les actions se déroulent comme un film. Bojarski transporte les billets fraîchement imprimés, échappant aux regards indiscrets, manipulant chaque situation avec une intelligence redoutable. Le lecteur entend presque le cliquetis des serrures, la respiration haletante des poursuivants, le froissement du papier… Chaque détail devient une scène, chaque scène un plan de cinéma.

Le roman devient un thriller historique vivant, où le vrai et le faux s’entrelacent, où la tension historique et psychologique atteint son apogée. Soa nous montre la virtuosité de sa plume : maîtrise du rythme, précision descriptive, talent pour créer à la fois empathie et suspense.

Cette histoire continue de vivre : un film inspiré de l’affaire sortira en 2026, réalisé par Jean-Paul Salomé, avec Reda Kateb dans le rôle de Bojarski. Mais c’est le roman qui offre l’expérience immersive ultime, où le lecteur pénètre l’esprit du faussaire et du policier, observant leurs stratégies, leurs doutes, leurs calculs minutieux.

L’Affaire Bojarski est plus qu’un thriller : c’est un spectacle, une plongée dans l’ombre d’un génie criminel, racontée avec la finesse et la virtuosité d’un auteur qui transforme l’histoire en cinéma littéraire.

Djamal Guettala


À propos de l’auteur

Auteur, compositeur et interprète de chansons à texte, Guillaume Soa a enregistré plusieurs albums et obtenu différents prix et nominations (Sacem, France Télévisions, Région Centre…).

Accompagné d’un collectif artistique, il a écrit des scénarios, réalisé des courts métrages et des vidéoclips. Après un premier roman paru en 2020, puis un autre en 2022, il publie son troisième thriller historique, montrant une plume toujours aiguisée, capable de faire vivre le suspense comme au cinéma.

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