4.9 C
Alger
Accueil Blog Page 2

Tunisie/Algérie : régression des acquis démocratiques et solidarité avec les détenu.e.s

1
Prisons

Nous publions ci-dessous le communiqué conjoint de la société civile tunisienne et algérienne. 

À l’occasion de la Journée internationale des droits humains, le 10 décembre, les, associations et citoyen·ne·s tunisien·ne·s et algérien·ne·s ,signataires de ce communiqué dénoncent avec force la régression des acquis démocratiques et des droits humains dans nos deux pays.

Treize ans après la révolution tunisienne et cinq ans après le Hirak algérien, les libertés fondamentales sont attaquées : révisions constitutionnelles restrictives, lois liberticides, répression des voix dissidentes, dissolution d’organisations de la société civile et emprisonnement arbitraire de centaines de militant·es et défenseur·es des droits humains.

Nous affirmons que la liberté d’expression, la liberté d’association, la liberté de réunion pacifique et la liberté syndicale sont des droits inaliénables. Aucune personne ne devrait être détenue pour un post, un slogan, un article, une vidéo, une chanson, une grève, une réunion ou un engagement pacifique.

Nous exprimons notre solidarité entière avec les détenu·es politiques et d’opinion, ainsi qu’avec leurs familles, et dénonçons l’usage de la détention provisoire prolongée, des poursuites infondées et des lois répressives pour réduire au silence les voix critiques.

Nous appelons immédiatement les autorités tunisiennes et algériennes à libérer toutes les personnes détenues pour leur engagement pacifique et à cesser toute criminalisation de l’expression et de l’action citoyenne. Tant que ces détentions arbitraires perdureront et les logiques répressives persisteront, aucune démocratie ne pourra être crédible et aucune confiance entre citoyen·nes et institutions ne pourra s’établir.

Face à cette régression des droits et des libertés, nous appelons les collectifs engagés des deux pays à unir leurs forces, à renforcer la solidarité transnationale et à construire ensemble des actions communes pour défendre les libertés, la dignité et la justice sociale.

Nous, associations et citoyen·ne·s tunisien·ne·s et algérien·ne·s signataires, appelons les autorités de nos deux pays à

1. libérer immédiatement et sans condition toutes les personnes détenues pour leur opinion, leur expression ou leur engagement pacifique.

2. abroger ou réviser les lois répressives qui criminalisent la liberté d’expression, d’association et de réunion pacifique.

3. garantir l’indépendance de la justice et le respect effectif des contre-pouvoirs pour préserver l’État de droit et la démocratie.

Aux organisations de la société civile, aux collectifs et aux citoyen·nes nous appelons à

1. renforcer la participation citoyenne, encourager le dialogue et développer le rôle des organisations de la société civile dans les décisions publiques et les mécanismes de consultation.

2. Consolider la coopération et la solidarité transnationale entre collectifs engagés afin de construire des stratégies communes de défense des droits humains.

La liste des organisations signataires :

− Mouvement Ibtykar- Algérie

− Le comité de sauvegarde de la Ligue algérienne de défense des droits humains– Algérie

− Riposte Internationale–Algérie

− Fondation pour la promotion des droits–Algérie

− Libertés Algérie –Algérie

− Alliance Transméditerranéenne des femmes algériennes – Algérie

− Collectif des Familles de disparus en Algérie

− Ligue Tunisienne pour la défense des droits de l’Homme (LTDH)- Tunisie

− Association Tunisienne des femmes démocrates (ATFD)- Tunisie

− Association Tunisienne pour les droits et les libertés (ADL)-Tunisie

− Le Comité pour le respect des libertés et des droits de l’Homme en Tunisie (CRLDHT)

− La Fédération des Tunisiens pour une Citoyenneté des Deux Rives (FTCR) – Tunisie

− Association Beity- Tunisie

− Association Intersection pour les droits et libertés – Tunisie

− Association Tunisienne de défense des libertés individuelles (ADLI) – Tunisie

Liste des personnalités publiques signataires :

− Mostefa Bouchachi, avocat et ancien président de la LADDH

− Me Said Zahi avocat et membre du collectif  de défense des détenus d’opinion

− Mohamed Iouanoughene, journaliste

− Ali Ait Djoudi, défenseur des droits Humains

− Abdelmoumene Khelil , défenseur des droits humains  

− Aldja Seghir, militante des droits humains

− Zaki Hannache, activiste et militant des droits humains

− Nacera Dutour, défenseure des droits humains, victime de disparition forcée

− Ali Ben Saad, professeur des universités Paris 8

− Omar Boughaba, chef d’entreprise

− Aissa Rahmoune, avocat à Paris et secrétaire général de la FIDH

− Said Djaffer, journaliste

− Mouloud Boumghar, docteur en droit public.

− Boussad Bouaiche, militant associatif

− Said Salhi, défenseur des droits humains

− Badi Abedelghani, avocat défenseur des droits humains

− Hacene Hireche, économiste et enseignant d’universités  

− Idir Ounnoughene, défenseur des droits humains. 

− Raouf Farrah, chercheur en géopolitique

− Monia Ben Jémia, militante féministe

− Brahim Belghith, avocat, militant des droits humains

− Cheima Ben Hmida, militante féministe

− Neila Zoghlami, militante féministe

− Lilia Rebai, militante féministe

− Wahid Ferchichi, doyen à la faculté des sciences juridiques, politiques et sociales de Tunis, militant des Droits humains

− Mourad Allal, Militant des droits Humains

− Raja Chamekh, militante des droits Humains

− Marie Christine Vergiat , militante des droits  humains

− Mohamed Ben Said, militant des droits humains

− Kamel Jendoubi , militant des droits humains

− Hatem Nafti, chercheur, militant des droits humains

− Walid Bourouis, militant des droits humains

- Publicité -

Bouda Ferhat, quand le regard devient mémoire

0

Dans un monde saturé d’images instantanées, promises à disparaître avant même d’être regardées, l’œuvre de Bouda Ferhat impose autre chose : le silence, la lenteur, l’attention.

Né à Bouzeguène, en Kabylie, il a grandi au milieu des montagnes, des escarpements et des villages perchés qui sculptent le caractère des hommes autant que la lumière. Là, se forge son regard : un œil patient, sensible, capable de saisir l’invisible.

Kabylie : la terre qui façonne le regard

Avant de devenir photographe, Bouda Ferhat rêve de cinéma. Il ne le pratique pas, mais il en garde la dramaturgie : la composition, le rythme, la lumière. La photographie s’impose à lui comme une évidence, une langue qu’il n’avait pas encore nommée.

De Bouzeguène à Paris, puis Francfort, son parcours n’a rien d’une fuite : c’est une extension. Ses images voyagent, mais reviennent toujours à la source — la Kabylie, ses villages, ses hommes, ses gestes.

Voyages : marcher pour regarder

Du Maghreb au Sahel, du Mali à la Libye, Ferhat photographie les peuples en marche, les traditions en mouvement, les visages qui racontent mieux que les mots.
Son objectif ne vole rien : il accompagne, il révèle.

Il ne cherche ni l’exotisme ni la misère spectaculaire. Il cherche la dignité. Une dignité silencieuse, têtue, qui traverse le temps.

Mémoire : le geste avant l’oubli

Ce qui frappe dans son travail, c’est l’intime. L’intime de ces hommes qui construisent un mur, réparent un chemin, lèvent une pierre.
L’intime de ces femmes qui marchent, portent, transmettent.

Ses photos sont des archives vivantes. Elles racontent les solidarités anciennes, les travaux collectifs, ces gestes qui unissent la communauté. Elles sont un rempart contre l’effacement, un acte de fidélité envers ceux qui font encore le monde avec leurs mains.

Un regard d’enfance devenu regard du monde

Je l’ai connu enfant : discret, curieux, absorbé par tout ce qui bouge et tout ce qui respire.
Son regard était déjà là, en germe.

Aujourd’hui, cet “œil de bœuf” — la métaphore que je lui attribue tant son regard perce le réel — capte la lumière comme d’autres captent la parole. Il éclaire les territoires, qu’ils soient kabyles, sahariens ou européens, avec la même délicatesse.

Chaque photo est un voyage. Chaque visage, une mémoire. Chaque lumière, un pont entre ce qui fut et ce qui demeure.

L’image qui reste

À l’heure où l’on consomme l’image comme un produit jetable, Ferhat nous rappelle que la photographie peut encore durer, toucher, transmettre.

Ses œuvres ne sont pas seulement belles : elles sont utiles. Elles éclairent, racontent, protègent.

Elles relient la Kabylie aux villes du monde, les montagnes aux déserts, le passé au présent.

Un jour, l’œuvre de Bouda Ferhat rejoindra peut-être celle des maîtres. Mais déjà, elle accomplit l’essentiel : elle fait vivre la mémoire à travers chaque regard qu’elle touche.

Aziz Slimani

- Publicité -

ONG et experts onusiens appellent à l’annulation des condamnations dans l’affaire «complot» en Tunisie

0
ONG et experts onusiens appellent à l’annulation des condamnations dans l’affaire «complot» en Tunisie
ONG et experts onusiens appellent à l’annulation des condamnations dans l’affaire «complot» en Tunisie.

Les réactions internationales d’ONG de défense des droits humains se multiplient après la confirmation, en appel, des condamnations prononcées dans l’affaire dite du « Complot contre la sécurité de l’Etat».

Alors que l’avocat et militant des droits humains Ayachi Hammami et l’activiste politique Chaima Issa poursuivent leur grève de la faim depuis leur arrestation la semaine dernière, plusieurs organisations et experts onusiens appellent les autorités tunisiennes à annuler les jugements et à libérer tous les détenus.

Human Rights Watch : des condamnations « injustes » fondées sur des preuves non fiables

Human Rights Watch a dénoncé, mardi 9 décembre 2025, l’arrestation de trois figures de l’opposition après leur condamnation dans ce que l’organisation qualifie de « procès expéditif et inéquitable ». Selon HRW, les accusations de complot et de terrorisme ne reposent pas sur « des preuves fiables » et les audiences d’appel — trois seulement — se sont tenues sans la présence des détenus, en violation de leur droit fondamental de comparaître devant un juge.

Bassem Khawaja, directeur adjoint pour le Moyen-Orient et l’Afrique du Nord, estime que ces arrestations représentent « une étape supplémentaire dans le plan du président Kaïs Saïed visant à éliminer toute alternative politique ». Il ajoute que les autorités ont « criminalisé l’opposition et l’activisme des droits humains, anéantissant tout espoir de retour à un processus démocratique ». Human Rights Watch appelle l’Union européenne et les partenaires étrangers de la Tunisie à condamner « l’accélération de la dérive autoritaire ».

Experts de l’ONU : un « danger direct » pour l’indépendance de la justice

Les experts onusiens chargés de l’indépendance de la justice et de la profession d’avocat se sont dits « profondément choqués » par la condamnation d’Ayachi Hammami. Ils estiment que poursuivre des avocats ou les qualifier de « terroristes » pour leurs prises de parole ou leur travail professionnel représente une « menace directe » pour l’indépendance judiciaire et pour le droit à un procès équitable.

Les mesures prises contre Hammami — arrestation, exécution immédiate de la peine de cinq ans de prison, interdictions de voyage et de prise de parole — s’inscrivent, selon eux, dans une stratégie de « ciblage systématique » des avocats et défenseurs des droits humains, instaurant un climat de peur dans le corps juridique. Ils appellent les autorités tunisiennes à respecter les normes internationales et à libérer immédiatement tous les avocats poursuivis en raison de leur activité professionnelle.

Amnesty International : libération immédiate et sans condition des détenus

Amnesty International rappelle que 34 personnes ont été condamnées dans cette affaire à des peines allant de cinq à quarante-cinq ans. L’organisation signale également l’arrestation brutale de Chaima Issa lors d’une manifestation pacifique le 29 novembre, suivie de l’interpellation d’Ayachi Hammami le 2 décembre, puis de celle de l’opposant Ahmed Néjib Chebbi. Pour Amnesty, ces condamnations sont « injustes » et doivent être annulées sans délai, avec une libération « immédiate et inconditionnelle » de toutes les personnes détenues pour avoir exercé leurs droits fondamentaux.

Une scène politique sous tension

Sur le plan interne, plusieurs partis et organisations tunisiennes dénoncent un « virage dangereux » pour les libertés publiques, soulignant que « l’avenir du pays ne peut se construire dans les prisons ». Le dossier, qui compte environ 37 accusés, est devenu un symbole de la détérioration du climat politique et judiciaire en Tunisie.

Alors que la contestation locale rejoint désormais la pression internationale, les appels à rouvrir le dossier et à garantir des normes judiciaires conformes aux principes des droits humains se font de plus en plus pressants.

Mourad Benyahia 

- Publicité -

Louise Hanoune dénonce une dérive répressive dans le secteur des transports 

1
Louisa Hanoune
Louisa Hanoune. Crédit image : DR

La secrétaire générale du Parti des travailleurs, Louisa Hanoune, a mis en garde contre la dégradation du climat social dans le secteur des transports, où la fermeture du dialogue aurait, selon elle, ouvert la voie à une gestion autoritaire des conflits professionnels.

Louisa Hanoune évoque près de 180 licenciements ou suspensions, dont une partie en dépit de décisions judiciaires définitives ordonnant la réintégration des travailleurs concernés.

Pour la cheffe du PT, le refus persistant de plusieurs entreprises portuaires — à Alger, Mostaganem ou Oran — d’exécuter des jugements « rendus au nom du peuple algérien » constitue un précédent grave. En laissant s’installer un conflit frontal entre administrations et justice, le secteur des transports mettrait en péril un principe central de l’État de droit : l’obligation d’exécuter les décisions judiciaires, notamment par les institutions publiques.

La situation est exacerbée par l’emprisonnement ou la poursuite judiciaire de syndicalistes, dont le cas emblématique de Lounès Saïdi et celui de dix travailleurs de la SNTF placés en détention provisoire pour des faits liés à une grève. Pour le PT, cette séquence traduit une évolution inquiétante : la criminalisation de l’action syndicale, au moment même où les autorités annoncent des mesures sociales telles que la hausse du SNMG.

Louisa Hanoune oppose cette logique de fermeture à la démarche du ministère de la Santé, qui a récemment multiplié les rencontres avec les partenaires sociaux. Selon elle, cette différence d’approche révèle un problème structurel dans la gouvernance du secteur des transports, qui persiste à traiter les revendications sous l’angle disciplinaire ou judiciaire plutôt que par la négociation.

Les dossiers non résolus dans les ports de Mostaganem et d’Oran — refus d’exécuter des jugements, mise à l’écart de lanceurs d’alerte, vide administratif prolongé — illustrent un défaillance de gestion qui dépasse les simples litiges professionnels. Ils traduisent, selon plusieurs travailleurs, une crise de confiance envers les institutions et une incapacité du secteur à appliquer ses propres règles.

En l’absence d’intervention des autorités de tutelle, les employés concernés envisagent des recours supplémentaires et des actions pacifiques. Cette situation relance un débat central : celui de la capacité de l’État à arbitrer les conflits sociaux et à garantir le respect du droit, y compris au sein de ses propres entreprises.

La rédaction

#Lien vers la vidéo de Louisa Hanoune

https://www.facebook.com/share/v/1AKjDc5Jov

- Publicité -

Les Prix littéraires en France sont-ils légitimes ?

2
Bibliothèque
Livres. Image par ElasticComputeFarm de Pixabay

L’histoire de la littérature n’a pas été un long fleuve tranquille en ce qui concerne la concurrence séculaire, parfois féroce, à l’intérieur du cénacle des écrivains, des intervenants et du public des lecteurs. Mais la littérature n’est pas un concours de beauté récompensée par des prix, chaque livre offre au monde sa propre richesse. 

En 2001, le jury du Prix France Télévisions roman avait attribué le Premier prix à François Vallejo pour son livre Madame Angeloso. Sept années plus tard ce jury attribuera le Premier Prix à un certain Yasmina Khadra pour son livre, Ce que le jour doit à la nuit.

En cette année 2001, ce fut  assez surprenant de recevoir une lettre de Bernard Pivot pour participer à ce jury après ma canditature. Il n’était pas le Président de celui-ci mais faisait encore autorité à France Télévisions pour le domaine de la lecture. Il sera le président de l’Académie Goncourt et du Prix Interallié.

Si je ne regrette absolument pas cette belle expérience, le temps m’a convaincu de la grande réserve à avoir à propos de la légitimité des prix littéraires.

Je ne condamne pas leur existence, je le préciserai au final de mon article, mais il faut prendre garde à leurs travers avec une vigilance éclairée. 

L’auteur et le lecteur, un lien intime

C’est par ce préalable que tout découle. La passion pour la littérature ne provient pas dans le fond de son objectif d’une envie fabriquée par l’environnement extérieur. Chaque livre est une rencontre intime entre un auteur et son lecteur. Cette phrase que je viens d’écrire est d’une très grande banalité que nous avait appris l’école dans son rôle de susciter le plaisir de la lecture.

Seul le lecteur peut juger de son sentiment d’adhésion au roman qu’il est en train de lire ou de son absence. L’auteur nous propose son texte, nous le jugeons dans notre intimité. Le ressenti de la relation face à l’écrit de l’auteur est ainsi de nature subjective. 

Les Prix littéraires sont une tentative de nous convaincre que les livres primés sont un choix forcément compatible avec nos désirs de lire tel ou tel livre pour l’excellence de leur caractère littéraire. Ils s’immiscent bruyamment  dans une relation privée qui ne les regarde pas.

Pour imager cette effraction, mettons-nous dans la situation d’une lecture en silence dans une bibliothèque ou sur le canapé d’un salon et que surgit un orchestre avec tambours et trompettes. C’est exactement ce qui se passe avec les Prix littéraires. 

Pour en revenir à ma modeste participation dans le jury d’un Prix, qui suis-je pour décider dans ce jury ce que doit être un bon livre pour les autres ? Ai-je le droit de venir faire du boucan auprès de ce lecteur et m’immiscer dans son ressenti en lui disant que c’est celui que je propose qui est de meilleure qualité littéraire ? Ce serait d’une grande prétention, avec mes camarades de jury, de le prétendre. La littérature n’est ni un concours de beauté ni celui du salon de l’agriculture pour la plus jolie vache.

Les grands prix littéraires avec un cénacle de gens bien-pensants

Commençons par les jurys des prix littéraires les plus prestigieux, attribués par des jurys composés des grands barons, ceux dont les noms sont censés nous impressionner. Comme ceux du Prix Goncourt (1), du Renaudot, du Femina (sans accent), de l’Interallié, du Médicis, du Prix du Roman de l’Académie française…

Les membres du jury sont des personnalités connues du monde des lettres comme les écrivains, les essayistes, les académiciens ou les journalistes littéraires. Ces personnes siègent en général pendant une longue période et parfois même à vie.

C’est eux qui vont avoir l’honneur de déposer le bandeau rouge sur un livre comme on remet solennellement une médaille de la légion d’honneur. Qui oserait mettre en doute leur légitimité ? Très peu s’y risqueraient.

Sommes-nous, chacun pris individuellement, des illettrés ou des imbéciles pour ne pas juger par nous-mêmes de ce qui nous donne le plaisir et de ce qui est bien écrit ? Nous faut-il un jugement extérieur ? Une souveraineté à laquelle on doit se soumettre ?

Le jugement de ce qui est un bon livre dépend-il de la notoriété des membres du jury ? Probablement mon jugement serait plus atténué lorsqu’il s’agit d’un essai (# d’un roman) qui demande parfois des connaissances plus élargies, en philosophie, en sociologie, en sciences ou encore en histoire. Et encore, pas sûr qu’ils en aient le monopole de compréhension pour tous les essais.

Les jurys de lecteurs (dits populaires)

Ce sont des jurys qui sont composés de lecteurs passionnés, de bibliothécaires ou de libraires pour la très grande majorité. Ils sont les plus nombreux.

Le Prix France Télévisions est de ceux-là, la liste serait fastidieuse à rappeler. Les plus connus sont, le Prix du Roman Fnac, le Prix Goncourt des lycéens et quelques autres.

Certains jurys sont mixtes car ils associent aux professionnels des personnalités publiques ou des journalistes généralistes. La condition est qu’ils n’aient aucun lien avec la critique littéraire ou la chaîne du livre.

Ces jurys sembleraient être les plus représentatifs de la communauté des lecteurs. C’est incontestable mais ils sont encore loin de pouvoir être épargnés par la critique pour deux raisons. La première, nous l’avons dit avec insistance, le caractère intime de la lecture est incompatible avec une analyse globale même si elle l’est moins dans le cas des jurys populaires.

La seconde raison est qu’on peut croire à une représentation plus fiable comme le sont les sondages. Ce serait alors plus recevable mais à une condition essentielle qui n’est pas présente. La valeur d’un sondage est dépendante du bon choix du panel représentatif.

Je n’avais pas eu cette impression que le jury de France Télévisions roman auquel j’avais participé ait été composé de personnes qui renvoient une image des plus fidèles possibles de la diversité des lecteurs.

Je ne l’avais constaté ni dans une différentiation par l’âge, par profession, par sexe ou autres critères. Et cela doit certainement être le cas des autres jurys de lecteurs (jurys populaires).

La foire du grand business

C’est le plus connu des arguments concernant la critique du show des Prix littéraires. Le lecteur s’attendait peut-être que je débute l’article avec cet argument. Mais j’ai choisi un ordre par les questions, qui décide ? Avant d’en venir à celle de, pour quel intérêt ? 

Cherchez l’argent, vous trouverez la cause cachée. Selon les différentes estimations, on peut qualifier de succès un livre qui atteint la barre approximative de 20 000 exemplaires vendus. Selon le GfK (2), les ventes moyennes en exemplaires du Goncourt : 319 000, du Renaudot : 195 000, du Femina : 121 000, du Goncourt des lycéens : 121 000 (estimation avant la pandémie).

On peut s’imaginer que dans ces conditions, la qualité littéraire, si elle est incontestablement présente dans  beaucoup de livres sélectionnés dans la compétition, fait naître une sérieuse suspicion sur son objectif premier. Comme dans tout marché, ce sont les maisons d’édition à plus grande surface financière qui dominent dans le nombre d’obtention des Premiers Prix littéraires.

Pour le Prix Goncourt, les trois principales sont, Gallimard : 33 fois, Grasset : 16 fois et Albin Michel : 9 fois. On peut s’imaginer la machine colossale mise en route pour une opération marketing très rentable (lobbying et communication).

Comme tout produit commercial, il faut l’adapter au marché. Les éditeurs privilégient un contenu qui a le plus de chance de plaire à un large public. Une certaine standardisation prend le pas sur le fondement d’un texte littéraire, la liberté et l’originalité de la fiction proposée (pour un roman).

Nous sommes donc très loin de l’ambition de l’art de l’écrit même, si je l’ai déjà dit, cela n’exclut pas la qualité littéraire dans bien des cas.

Le pire, les jugements extérieurs à la littérature

Nous en venons au point qui m’irrite le plus et qui avait expliqué en grande partie mes réserves après ma magnifique expérience dans un jury littéraire. Les éditeurs recherchent souvent des auteurs qui collent à une certaine actualité au regard de leur personnalité, des événements par lesquels ils sont identifiés et même de leurs origines.

Pour cela, il est rare de primer un auteur qui n’a pas déjà connu une notoriété antérieure car c’est elle qui va le cataloguer dans des critères qui n’ont plus rien à avoir avec la littérature. 

C’est ainsi le cas pour l’attrait de l’auteur étranger qui dit ce que les lecteurs veulent entendre dire et qui met aussi en valeur la survie d’une notoriété de la langue française et de sa littérature à travers les pays francophones.

L’objectif commercial et le talent d’écriture ne sont pas incompatibles mais, comme nous l’avons déjà dit, créent une sérieuse suspicion de rompre le lien intime entre un auteur et un lecteur. Le tintamarre trouble sa propre sensation de plaisir et de jugement.

Faut-il supprimer les Prix littéraires ?

Bien entendu que non. J’avais précisé ma réponse personnelle dans l’introduction. D’abord parce que cela est impossible au motif de l’impérative liberté de la création littéraire et de son pouvoir à entraîner la lecture. Puis ensuite, je ferais preuve d’une démagogie certaine.

Comme toujours, lorsque la liberté de l’offre rencontre celle du désir de la demande, il faut s’armer d’une très grande distance intellectuelle. Ne jamais se laisser troubler par le tintamarre en plongeant tête baissée dans la lecture immédiate et sans réflexion d’un livre primé.

Il n’est pas interdit de le faire mais pour ma part j’attends toujours que le bruit se dissipe pour éventuellement en lire un. Là, j’ai une petite marge d’objectivité car l’effet de son succès commercial est plus atténué

La meilleure indication d’un réel talent est de choisir parmi les primés les livres qui continuent d’exister. Le temps les extrait de la force d’attraction du bruit médiatique et du marketing.

Pour ma part, une dernière précaution lorsque j’aborde un roman, je ne lis jamais le texte de la quatrième de couverture ni celui de la préface. L’un est rédigé par l’éditeur, vous pensez bien qu’il n’aura pas la folie de critiquer le livre. Quant à la préface, elle nous détourne du plaisir qu’il y a à découvrir un livre avec la curiosité qui est nécessaire mais surtout sans préjugé. 

Je le fais une fois que ma lecture est terminée car mon propre sentiment, positif ou négatif, sera alors libre de s’exprimer.

En conclusion, les prix littéraires sont utiles mais seulement s’ils se limitent à leur rôle d’indicateurs et non à celui de prescripteurs. La différence est grande, c’est au lecteur d’en prendre précaution. 

Boumediene Sid Lakhdar

(1) Le Prix littéraire le plus ancien en France, crée en 1902 par Edmond de Goncourt décédé en 1896 (création par testament).

 (2) Gesellschaft fur Konsumforsschung, un des leaders des études de marché et de l’analyse des données. J’ai eu du mal pour l’orthographe !

- Publicité -

Quand les oubliés reprennent la parole : présentation de « République indépendante des immigré·e·s de Marseille »

2

Vendredi 12 décembre à 19h — Librairie Transit. À Marseille, une autre cartographie de la ville s’écrit. Une cartographie que les circuits littéraires classiques ignorent, que les institutions peinent à reconnaître, mais qui pulse depuis les quartiers populaires : celle des immigré·e·s, des enfants d’exil, des héritier·es des luttes sociales et des métissages culturels.

C’est cette géographie humaine que vient défendre République indépendante des immigré·e·s de Marseille, ouvrage collectif présenté ce vendredi à la Librairie Transit.

Le livre est né d’un choc. Face à un recueil consacré à Marseille où ne transparaissaient ni les accents, ni les colères, ni les visages qui composent pourtant l’âme de la ville, une jeune autrice s’interroge : comment peut-on continuer d’effacer celles et ceux qui la construisent, l’habitent et l’inventent chaque jour ? Cette absence n’est pas un oubli : c’est un geste politique. Et la réponse se devait d’être politique elle aussi.

Vingt-cinq auteur·ices immigré·es, non-blanc·hes, reprennent ainsi la plume pour briser les récits dominants. Leur Marseille n’est ni carte postale ni folklore ; elle est rugueuse, multiple, traversée par les langues du monde, forgée par les solidarités de rue et les mémoires transmises d’un continent à l’autre. Ici, on écrit en métèques revendiqués, en enfants du béton et de la mer, en gardiens de dignités souvent malmenées.

République indépendante des immigré·e·s de Marseille est à la fois un acte littéraire et un geste de résistance. Une manière d’affirmer que les marges ne sont pas périphériques : elles sont le cœur battant de la ville. Que les voix minorées ne sont pas accessoires : elles racontent l’Histoire que d’autres tentent d’effacer.

Un livre qui, au-delà de Marseille, trouvera un écho particulier chez les lectrices et lecteurs algériens : on y retrouve les trajectoires de milliers de familles venues d’Algérie, leurs combats, leurs blessures, leurs renaissances. Une mémoire commune qui continue de façonner les rives de la Méditerranée.

Djamal Guettala 

- Publicité -

France : l’inquiétude gagne le gouvernement Lecornu

0
Sébastien Lecornu.
Sébastien Lecornu. @X

Les députés votent, ce mardi 9 décembre dans l’après-midi, sur l’ensemble du projet de loi de finances de la Sécurité sociale. Ce scrutin s’annonce extrêmement incertain. L’avenir du Premier ministre Sébastien Lecornu en dépend. À quelques heures du verdict, l’inquiétude règne dans les rangs du gouvernement.

Sébastien Lecornu et son gouvernement retiennent leur souffle. Cette journée de mardi sera sans doute l’une de plus longue. Et plus périlleuse depuis l’installation de cette invraisemblable équipe gouvernementale.

Une ministre n’en mène pas large quand elle évoque le vote solennel sur le budget de la Sécurité sociale, rapporte la cheffe du service politique de RFI. Selon elle, « ça va être difficile ». Elle a beau essayer de faire les calculs dans tous les sens, il y a peu d’hypothèses qui aboutissent à une adoption du texte.

Ces derniers jours, les téléphones des ministres ont chauffé pour essayer de sonder les députés du bloc central, censés en théorie apporter leur soutien à Sébastien Lecornu. Mais dans la pratique, le compte n’y est pas. Horizons, le parti d’Édouard Philippe, a pris ses distances. Le texte ne convient pas au maire du Havre. La même ministre craint « un effet en cascade » sur le vote des députés du parti Les Républicains ainsi que des écologistes, qui ne veulent pas plus apparaître en soutien du gouvernement que le parti de l’ancien Premier ministre.

Tous les clignotants sont donc au rouge et le suspense est à son maximum, car la plupart des groupes ont décidé de prendre leur décision collective juste avant le scrutin. Un ex-ministre centriste essaie de se rassurer car, dit-il, « personne ne veut voter le texte mais personne ne veut [qu’il n’y ait] pas de budget ». Comme pour garder espoir qu’à la fin, ça passe. 

Réduire le déficit, un objectif difficile à atteindre

La semaine dernière, le texte est revenu à l’Assemblée nationale en deuxième lecture, et de nombreux amendements ont été modifiés, supprimés ou rétablis. Mais où en est l’objectif de réduction du déficit ? Après un dérapage préoccupant de 23 milliards d’euros en 2025 – un record hors période de crise –, le gouvernement espérait redresser la barre en 2026. Reste qu’au gré des discussions parlementaires, cet objectif s’éloigne. 

Le texte n’est pas définitif, mais il y a déjà une certitude : le déficit en 2026 devrait dépasser les 22 milliards d’euros, loin des 17,5 milliards prévus par le projet initial du gouvernement. La faute à certaines concessions coûteuses pour tenter de trouver des compromis. Le gouvernement a par exemple dû abandonner son projet de doublement des franchises médicales, et donc renoncer à quelque 2 milliards d’euros.

La main tendue à la droite vendredi 5 décembre pour faire adopter le volet recettes a aussi coûté cher. L’un des impôts prélevés sur le capital va bien augmenter, mais pas pour tous les placements. Le prix de cet arrangement est de 1,3 milliard d’euros. 

Côté dépenses, les députés se sont opposés au gel des prestations sociales et des retraites en 2026. Un coup dur pour le budget, selon la ministre des Comptes publics, qui a alors annoncé un déficit prévisionnel à 22,5 milliards d’euros. 

Et ce n’est pas terminé. Ce mardi 9 décembre, les députés doivent encore débattre d’un point crucial : l’objectif des dépenses de l’Assurance maladie. Le gouvernement a déposé lundi soir un amendement pour faire passer cet objectif à 3%, près du double de ce qui était prévu dans la copie initiale.

Avec RFI

- Publicité -

Gnadang Ousmane décroche le premier prix de l’Académie des Livres de Toulouse

0
Gnadang Ousmane récompensé
Gnadang Ousmane récompensé à Toulouse

Ce samedi 6 décembre 2025, le livre La voix de mon père, l’écho de ma mère, publié aux éditions L’Harmattan, a été couronné du Premier Prix de l’Académie des Livres de Toulouse, catégorie Biographie. Une distinction d’autant plus notable qu’elle intervient à peine cinq mois après la sortie de l’ouvrage, confirmant la place singulière qu’a su prendre le texte dans le paysage littéraire francophone.

Le récit de Gnadang Ousmane s’impose par son ancrage personnel et son souffle universel. À travers la trajectoire de ses parents, il explore les lignes souterraines de la filiation, de l’exil, de la transmission et des mémoires familiales. Entre un père venu d’ailleurs et une mère enracinée dans le territoire toulousain, l’auteur compose une fresque intime qui parle autant de soi que des héritages silencieux qui façonnent chaque génération.

L’Académie des Livres de Toulouse a salué « la justesse d’un texte qui conjugue pudeur, émotion et profondeur, tout en rendant hommage à l’entrecroisement des identités contemporaines ». En distinguant ce livre, le Jury met en lumière un récit où l’intime rejoint le collectif, où la quête de soi rencontre les mémoires parentales, et où la ville rose devient le lieu d’une reconstruction.

Gnadang Ousmane a exprimé sa gratitude envers les membres du Jury, mais aussi envers les lectrices et lecteurs « qui, depuis le début, donnent vie à ce livre et prolongent son chemin ». Cette reconnaissance vient sceller un parcours littéraire naissant, déjà remarqué pour sa sincérité et sa force d’évocation.

La voix de mon père, l’écho de ma mère est disponible en librairie, en ligne ou en commande directe. Avec ce prix, l’ouvrage confirme sa place parmi les textes de filiation marquants de ces dernières années, et son auteur s’affirme comme une voix francophone à suivre.

Djamal Guettala 

- Publicité -

Liberté d’expression en Algérie : l’ère du verbe sous tutelle

2
Liberté confisquée. Hirak
La liberté d'expression confiquée. © Sofiane Zitari/Liberté

Il fut un temps où l’Inquisition dressait des bûchers pour purifier les âmes égarées, organisait des autodafés pour assécher la plume et bâillonner la libre parole. Aujourd’hui, les flammes ont disparu, mais les méthodes ont muté : on brûle désormais les réputations, on excommunie par des mots, on condamne par des étiquettes.

La « pensée unique » n’a plus besoin de tribunaux : il lui suffit d’une meute numérique, d’une opinion dominante et d’un vocabulaire suffisamment violent pour effrayer toute dissidence.

À chaque époque, le pouvoir – politique, médiatique ou idéologique – a produit ses gardiens du dogme. Leur mission reste inchangée : désigner l’hérétique. Celui qui ose nuancer, questionner ou simplement penser autrement est sommairement jugé. Le débat n’a pas lieu ; la sentence précède la discussion. On le traite de « traître », de « renégat », de « vendu », de « ennemi intérieur ». Peu importe ce qu’il dit : seule compte la transgression — avoir quitté le rang.

La parole libre, lorsqu’elle ne sert pas la rhétorique conforme, est vécue comme une menace. Non parce qu’elle serait dangereuse, mais parce qu’elle rappelle que tout consensus peut être artificiel. Dans un monde où l’on confond souvent unité et uniformité, le doute devient suspect, la pensée critique une forme de déloyauté, et l’indépendance intellectuelle un acte de rébellion.

Le plus troublant est que cette inquisition moderne se pare des atours de la morale. Elle prétend défendre des valeurs, préserver l’ordre, protéger une vérité prétendument absolue. Mais au nom de cette « pureté idéologique », elle étouffe la pluralité des voix, impose la conformité émotionnelle et redéfinit le débat comme une bataille entre « bons » et « mauvais ». Il ne s’agit plus de convaincre : il s’agit d’exclure. 

Il n’est plus besoin d’argumenter : il suffit désormais de choisir son camp. Dans l’espace public, la doxa manichéenne a remplacé la pensée. Le pays se divise en deux couleurs primaires, sans dégradés : les « bons » d’un côté, les « mauvais » de l’autre. Tout discours est sommé de se ranger au plus vite dans cette grille simplifiée. La nuance devient suspecte. Le doute, une faiblesse. La complexité, un luxe indésirable.

Cette doxa ne raisonne pas ; elle juge. Elle ne cherche pas à comprendre ; elle classe. La réalité, pourtant foisonnante, contradictoire, irrégulière, est réduite à une dramaturgie puzzle : héros contre traîtres, patriotes contre ennemis, éclairés contre vendus. La pensée critique, qui suppose lenteur et rigueur, cède la place à l’émotion brute. On ne lit plus pour réfléchir, mais pour confirmer ce que l’on croit déjà. Le débat se transforme alors en compétition morale, où l’on gagne moins par la force des idées que par la certitude d’avoir « raison » avant même d’avoir parlé.

La doxa manichéenne prospère dans le vacarme. Les réseaux sociaux amplifient ses effets : phrases courtes, invectives tranchantes, récits simplistes devenus viraux. La scène médiatique est devenue une foire d’empoigne. Chaque jour charrie son lot d’injure et ses longues diatribes. De Sansal à Bouakba, de Dekkar, Belghit et consorts, de Abane, Krim et L’Émir Abdelkader…les sujets se suivent et se ressemblent.  L’algorithme récompense l’outrance plus que l’analyse, la certitude plus que le questionnement. Ce qui hésite ne clique pas. Ce qui explique trop longtemps lasse. Il faut accuser vite, condamner fort, choisir sans lire. La pensée devient performative : dire, c’est déjà juger ; condamner, c’est déjà exister politiquement.

Le plus préoccupant n’est pas tant l’existence de cette lecture binaire — elle a toujours traversé l’histoire —, mais sa normalisation. Elle devient un langage commun. S’y soustraire expose à la suspicion : ne pas condamner assez fort, c’est être pour l’adversaire ; demander des preuves, c’est déjà trahir la cause. Dans ce climat surveillé, la nuance est assimilée au relativisme, et le relativisme au reniement.

Ainsi, la doxa manichéenne agit comme un dispositif de contrôle symbolique. Elle simplifie pour mieux discipliner. Elle rassure les consciences inquiètes en distribuant des rôles clairs : il suffit de haïr les bons ennemis pour être dans le bon camp. Elle évite surtout la question la plus inconfortable : et si les choses étaient plus compliquées ? Et si nul groupe ne détenait le monopole de la vertu ou de la faute ?

À mesure qu’elle s’impose, le débat s’appauvrit. Les mots se durcissent, la pensée s’appauvrit, les clivages se figent. On ne discute plus pour comprendre, mais pour exclure. L’altérité n’est plus une richesse, mais une menace. Et la politique — au sens noble du terme — se vide de sa substance au profit d’une morale de tranchées.

En Algérie, la chasse à la parole libre ne porte pas le nom d’Inquisition. Elle se dissimule derrière des termes plus feutrés : « préservation de l’unité nationale », « protection des valeurs », « sauvegarde de la stabilité ». Des mots lourds de solennité, brandis comme des talismans contre toute voix dissonante. À chaque époque, l’argument reste le même : la peur de la divergence servirait à conjurer la peur du chaos. Pourtant, c’est précisément cette criminalisation du débat qui étiole l’âme collective et atrophie la citoyenneté.

Le modèle algérien de l’inquisition moderne ne repose pas sur la violence spectaculaire, mais sur l’asphyxie lente. Elle se nourrit d’un arsenal juridique aux contours flous — lois contre « l’atteinte à l’unité », « l’offense aux institutions », « la diffusion de fausses informations » — catégories si vastes qu’elles peuvent englober aussi bien un article critique qu’un simple post ironique. Dès lors, la frontière entre critique et délit devient mouvante, incertaine, volontairement floue. Ce brouillard juridique instille la peur : nul ne sait exactement quelle phrase pourrait devenir une preuve à charge.

La conséquence est immédiate : l’autocensure, pis l’emprisonnement. Bien plus efficace que la répression directe, elle agit comme un poison discret. Les intellectuels tempèrent leurs analyses, les artistes dissimulent leurs allusions derrière l’allégorie, les journalistes évitent les sujets qui dérangent, les citoyens ordinaires se surveillent entre eux. On apprend à parler à demi-mot, à sourire quand il faudrait s’indigner, à se taire quand il faudrait questionner. Le silence devient un réflexe de survie.

Dans ce climat, la dissidence n’est plus discutée : elle est moralisée. Celui qui conteste est aussitôt disqualifié, placé hors du cercle de la « loyauté nationale ». L’attaque ne vise plus l’idée, mais la personne. On la soupçonne de collusion étrangère, de trahison de la mémoire des martyrs, de mépris pour le peuple. L’accusation suprême tombe toujours de la même manière : « renégat », « agent », « vendu ». Le débat se résume alors à une caricature morale où les patriotes s’arrogent le monopole du vrai, pendant que les esprits libres sont relégués dans un purgatoire civique.

Le plus cruel paradoxe algérien réside dans cette contradiction fondamentale : un pays né d’une révolution héroïque, arrachée par une pluralité de voix et de consciences insurgées, en vient à redouter aujourd’hui toute pluralité de discours. La liberté, qui fut jadis la matrice du combat national, devient désormais un mot suspect, presque subversif. On célèbre l’unanimité comme une vertu civique, oubliant que l’unanimité imposée n’est que le masque poli de la soumission. Une chienlit !

Les lois liberticides ne travaillent pas seules : elles sont relayées par une inquisition populaire. Sur les réseaux sociaux, chaque déviation de la ligne dominante donne lieu à un déchaînement de vindictes. La foule numérique se fait procureur, juge et bourreau symbolique. Les listes d’« ennemis » se substituent aux arguments ; les accusations circulent plus vite que les idées ; la calomnie devient virale, tandis que la vérité, elle, se traîne péniblement derrière. La rumeur est parfois plus efficace qu’un procès — elle condamne sans appel et sans possibilité de défense. La Pravda parle plus fort pour couvrir le murmure de la vérité. 

Ainsi se met en place un cercle vicieux : la loi intimide, la foule relaie, et l’individu capitule. De cette mécanique de la peur naît un paysage déserté par l’audace intellectuelle. La création se contracte, le débat public s’appauvrit, la jeunesse se réfugie soit dans un cynisme résigné, soit dans l’exil intérieur ou géographique. Quand la parole devient dangereuse, l’imaginaire quitte le pays avant même que les corps ne le fassent. Or, aucune société ne survit durablement à la mort de sa parole. Une nation sans débats n’est qu’une façade solide sur des fondations fissurées. La contestation pacifique est le seul véritable baromètre de la santé démocratique : la réduire au silence, c’est crever ce baromètre pour ne plus voir la tempête.

Résister à la doxa manichéenne n’est pas refuser de prendre position ; c’est défendre le droit à la complexité, au doute, au désaccord argumenté. Dans ce contexte intoxiqué par les certitudes faciles, la nuance devient un acte de courage. Peut-être même le dernier espace de liberté intellectuelle encore debout. La société algérienne semble se disloquer de plus en plus où l’injure remplace l’argument, l’anathème supplée la réflexion, et la foule devient tribunal. Les réseaux sociaux transforment chaque controverse en exécution publique, chaque désaccord en procès d’intention. Être en désaccord, c’est être soupçonné de trahison ; poser une question, c’est déjà prendre parti contre la ligne officielle.

Pourtant, l’histoire nous l’enseigne sans détour : ce sont les pensées minoritaires, marginalisées hier, qui fondent souvent les évidences de demain. La trahison tant décriée n’est bien souvent qu’un désaccord anticipateur. Le « renégat » d’une époque devient le visionnaire d’une autre. Là où la pensée unique impose la répétition, la liberté, elle, introduit la création. La parole libre ne fragilise pas les sociétés : elle les empêche de se figer. Elle est ce trouble nécessaire qui sauve le débat de la stérilité et la vérité du dogme. Sans elle, il ne reste qu’un chœur récitant des certitudes mortes, convaincu de chanter l’harmonie alors qu’il répète l’uniforme.

L’inquisition de notre temps n’a jamais cessé : elle a seulement changé de visage. Mais tant qu’une voix s’élève, fragile et isolée peut-être, pour penser autrement, elle rappelle une évidence fondamentale : la liberté ne consiste pas à dire tous la même chose, mais à accepter que plusieurs vérités cherchent la lumière dans la confrontation pacifique des idées.

Nonobstant ce climat délétère, des résistances subsistent. Des voix ténues, des plumes isolées, des citoyens anonymes continuent de refuser l’héritage du mutisme. Ils parlent non par goût du scandale, mais par fidélité à une évidence : aimer son pays ne signifie pas l’absoudre de tout défaut, mais vouloir obstinément l’améliorer. La critique est une forme exigeante de patriotisme, bien plus coûteuse que l’applaudissement mécanique. L’inquisition moderne, quelles que soient ses formes juridiques ou sociales, ne triomphe jamais totalement. Il suffit d’une voix libre pour fissurer son édifice. Mais encore faut-il que cette voix ose parler — et que d’autres se reconnaissent en elle pour rompre, ensemble, la longue habitude du silence.

L’Algérie se trouve aujourd’hui à la croisée des chemins : soit elle poursuit la voie d’une unanimité factice, où la parole est surveillée et la pensée corsetée ; soit elle choisit d’assumer enfin la pluralité qui fut, à son origine, la force même de sa libération. Car une nation forte n’est pas celle où tout le monde répète la même vérité officielle, mais celle où plusieurs vérités s’affrontent sans peur pour faire émerger, dans la friction des idées, un horizon commun. 

Bachir Djaïder, journaliste, écrivain

- Publicité -

Libertés religieuses : entre discours officiel et réalités contrastées

7
Dr Youssef Belmahdi
Dr Youssef Belmahdi. Crédit image : DR

En ouvrant la quatrième édition du séminaire national sur les « libertés religieuses, protection et garanties », le ministre des Affaires religieuses, Dr Youssef Belmahdi, a présenté l’Algérie comme un modèle de coexistence pacifique et de respect de la liberté de croyance. A peine croyable !

Mais derrière ce discours valorisant, les pratiques et les réglementations appliquées aux cultes minoritaires révèlent une situation plus nuancée et souvent controversée.

Un cadre constitutionnel protecteur, mais asymétrique

La Constitution de 2020 garantit formellement la liberté de conscience et d’exercice du culte. Toutefois, cette garantie coexiste avec un principe central : l’islam est la religion d’État. Cette prééminence se traduit par un contrôle direct de l’État sur les mosquées, les nominations, et les prêches, fortement encadrés.

Pour les cultes non musulmans, le cadre juridique repose sur l’Ordonnance 06-03 de 2006, qui soumet tout lieu de culte à une autorisation préalable. Ce dispositif, officiellement destiné à organiser le pluralisme religieux, devient dans la pratique un filtre restrictif qui place les communautés minoritaires dans une situation de dépendance administrative constante.

Dans la pratique, des restrictions persistantes

Là où le discours officiel insiste sur la restauration d’édifices historiques — comme la basilique Saint-Augustin, Santa Cruz, ou plus récemment la cathédrale du Sacré-Cœur — les communautés chrétiennes protestantes dénoncent régulièrement l’application sélective de la loi.

L’Église Protestante d’Algérie (EPA) fait état de fermetures de lieux de culte n’ayant pas obtenu d’agrément, parfois plus d’une dizaine sur les dernières années, faute d’autorisation prévue par l’Ordonnance 06-03.

La législation interdit par ailleurs le prosélytisme envers les musulmans, passible d’amendes lourdes. Plusieurs fidèles ont été condamnés pour ce motif. Les réunion religieuses dans des locaux non déclarés sont également sanctionnées.

Un enjeu diplomatique sensible

Ce cadre strict a suscité des critiques internationales. En janvier 2024, les États-Unis ont inscrit l’Algérie sur une liste de surveillance concernant la liberté religieuse, décision qualifiée de « regrettable » par Alger, qui affirme respecter les droits fondamentaux.

Le sujet reste aussi présent dans les échanges politiques avec l’Union européenne, où la question des minorités religieuses figure régulièrement parmi les points d’attention.

Un discours qui contraste avec les réalités

Le séminaire de ce lundi a mis en avant l’ouverture historique de l’Algérie et sa tradition de coexistence. Mais l’écart entre le cadre constitutionnel, le discours institutionnel et la réalité vécue par certaines minorités demeure au centre des débats.

Si l’État revendique une approche fondée sur la tolérance et le dialogue, l’application de l’Ordonnance 06-03, les fermetures de lieux de culte et l’interdiction stricte du prosélytisme témoignent d’une tension persistante entre protection proclamée et liberté effectivement exercée.

Samia Naït Iqbal

- Publicité -

DERNIERS ARTICLES

Mehdi Ghezzar.

Porte-voix de Tebboune, Mehdi Ghezzar arrêté puis relâché à Paris

0
Le chroniqueur de la chaîne internationale AL24 News et porte-voix de Tebboune, Mehdi Ghezzar, a été arrêté près de son domicile, mardi à Paris,...

LES PLUS LUS (48H)

Mehdi Ghezzar.

Porte-voix de Tebboune, Mehdi Ghezzar arrêté puis relâché à Paris

0
Le chroniqueur de la chaîne internationale AL24 News et porte-voix de Tebboune, Mehdi Ghezzar, a été arrêté près de son domicile, mardi à Paris,...