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Marseille marche pour Mehdi Kessaci : mémoire, colère et espoir

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Marche à Marseille contre le narco-trafic
Hommage à Mehdi Kessaci à Marseile. Crédit photos : DR

Samedi 22 novembre, Marseille a marché pour Mehdi Kessaci. Dix jours après son assassinat en plein jour, au cœur de la ville, des milliers de personnes se sont rassemblées pour dire non à la violence et au narcotrafic qui gangrènent les quartiers. Plus qu’un hommage, cette marche blanche était un cri collectif, un message puissant contre la peur et l’injustice.

Près de 7 000 participants ont parcouru le trajet depuis les métros Saint-Just jusqu’au rond-point Claudie Darcy, là où Mehdi a été tué. La foule avançait silencieuse, certains portant des bougies, d’autres des œillets ou des t-shirts blancs, signe de solidarité et de recueillement. Chacun avançait avec la même douleur, la même détermination.

Amine Kessaci, frère de Mehdi et militant écologiste engagé contre le narcotrafic, avait préparé un message préenregistré. Sa voix, mêlée de tristesse et de colère, a traversé la marche : « Retenez son nom, mille fois répétez son nom, qu’il ne tombe pas dans l’oubli. Pour nos quartiers, pour nos familles, levons-nous. Debout ! Debout ! Debout ! » Ses paroles résonnaient dans chaque coin de la ville, rappelant que cette marche n’était pas seulement un hommage, mais un appel à la justice et à la vigilance.

Sa mère, Ouassila, a également pris la parole. Avec des larmes dans les yeux mais une force indéniable, elle a lancé un message direct aux narcotrafiquants : « Que direz-vous à vos enfants et à vos mères ? Sont-elles fières de vous comme je suis fière de mes enfants, de mon fils ? » Des mots simples, mais puissants, qui ont touché chacun des marcheurs. Elle a dénoncé l’inaction face aux violences qui frappent les innocents : « Trop d’innocents tombent ou sont tombés. Trop de familles pleurent en silence. »

La marche blanche a rassemblé des habitants de tous âges et de tous quartiers. Certains étaient venus avec leurs enfants pour montrer l’importance de résister à la peur et de se tenir debout face à la violence. Juliette, 52 ans, formatrice, dénonce l’abandon des quartiers populaires : « À force d’avoir laissé nos quartiers aux mains de la violence, voilà ce qui arrive. » Fabienne Vie, orthophoniste venue pour la première fois, insiste : « Il y a vraiment deux mondes qui se côtoient à Marseille. Il faut sortir de cette inconscience. »

De nombreux responsables politiques étaient présents, de la gauche à l’extrême droite, pour témoigner leur soutien à la famille et à la cause. Benoît Payan, maire de Marseille, a rappelé que Mehdi avait été tué pour faire peur : « Face à cette mafia, ces gens qui tuent de sang-froid, nous devons nous dresser. Mehdi a été tué pour intimider sa famille. Mais nous ne céderons pas à la peur. »

La marche blanche a mis en lumière la gravité du narcotrafic et de ses conséquences. Sophie, venue de Champigny-sur-Marne, l’explique : « Le narcotrafic gangrène la société. Ce n’est pas qu’un problème de Marseille, il faut que les pouvoirs publics réagissent. » Des voix comme celle d’Amine Kessaci rappellent que la lutte contre la violence ne peut se réduire à la répression : elle doit inclure la prévention, l’éducation et la justice sociale.

Le parcours s’est terminé par un recueillement silencieux au lieu où Mehdi a été assassiné. Des fleurs et des bougies ont été déposées, et les slogans de la famille résonnaient : « Pour nos vies, levons-nous. Plus d’égalité, moins de criminalité. » Ce moment symbolique a transformé la douleur en énergie collective, rappelant à tous que la mémoire de Mehdi ne s’effacera pas.

Marseille a répondu à l’appel. Dans la tristesse, la ville a trouvé sa voix et sa dignité. Mehdi Kessaci n’est plus seulement un nom : il est devenu le symbole d’une communauté debout, déterminée à lutter contre la violence, à protéger ses quartiers et à réclamer justice. La marche blanche n’était pas seulement un hommage au jeune Mahdi assassiné par des narco-trafiquants : c’était un acte de résistance, une promesse que la vie et la justice l’emporteront sur la peur et l’oubli.

Mourad Benyahia 

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Assassinat de Mehdi Kessaci : la DZ Mafia frappe depuis la prison

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Dz Mafia

Une rue du 4ᵉ arrondissement est le théâtre d’un drame qui secoue la ville. Un énième assassinat en plein public. Le jeune Mehdi Kessaci, 17 ans, est abattu en plein jour. Rapidement, les enquêteurs constatent que ce meurtre ne relève pas d’un simple règlement de compte. Derrière l’acte, se profile la DZ Mafia, organisation criminelle marseillaise réputée pour sa violence extrême, capable de frapper même depuis les prisons.

Le dossier est transféré à la Juridiction nationale de lutte contre la criminalité organisée (JUNALCO), révélait CNews. Cette saisie témoigne de la gravité et de la complexité de l’affaire, qui mêle trafic, intimidation et vengeance. Le mode opératoire est maîtrisé : deux hommes casqués sur une moto, tir de 9 mm à bout portant, fuite rapide. Les étuis retrouvés confirment la planification de l’exécution.

Mamine et la DZ Mafia : un réseau qui frappe au-delà des murs

Au centre des investigations figure Amine O., surnommé Mamine, identifié par Le Parisien et Le Progrès comme l’un des chefs de la DZ Mafia. Déjà mis en examen pour plusieurs assassinats en bande organisée, il est soupçonné d’avoir ordonné le meurtre depuis sa cellule. Son passé est marqué par la violence : en 2020, il est impliqué dans un triple homicide particulièrement brutal, où l’une des victimes était un demi-frère d’Amine Kessaci, frère de Mehdi.

Mamine Escobar, comme le désignent certains médias, est un homme discret mais redouté. Capable de coordonner des opérations à distance, il est devenu l’une des figures centrales de la criminalité marseillaise. Son transfert récent vers la prison ultra-sécurisée de Condé-sur-Sarthe n’a pas affaibli son influence sur le réseau.

La DZ Mafia, née au début des années 2010, fonctionne comme une « PME criminelle », selon Le Monde. Hiérarchie souple, logistique organisée, contrôle des territoires et violence comme moyen de domination : tels sont les codes qui régissent ce réseau. Contrairement à une mafia classique, la DZ Mafia s’adapte et se renforce dans l’ombre. Le meurtre de Mehdi Kessaci marque un tournant : les civils et les familles des militants anti-drogue deviennent des cibles directes. Le réseau envoie un signal clair : personne n’est à l’abri, et la prison n’empêche pas la capacité de nuisance.

Un meurtre d’intimidation au cœur de Marseille

Pour les enquêteurs, cités par CNews et La Dépêche, la piste la plus sérieuse est celle d’un meurtre d’avertissement. Mehdi pourrait avoir été tué pour atteindre son frère, Amine Kessaci, militant anti-drogue et président de l’association Conscience. Depuis plusieurs années, il dénonce publiquement les trafics dans les quartiers Nord et s’est fait de nombreux ennemis au sein des réseaux criminels.

Le mode opératoire souligne la dimension symbolique de l’acte : deux hommes à moto, tirs de 9 mm, dans un quartier sans lien avec le trafic. Il s’agit moins d’une action opportuniste que d’une intimidation ciblée, destinée à envoyer un message aux militants et à la population. Pour Le Progrès, la logique est claire : frapper un proche pour faire plier le militant exposé médiatiquement.

Amine Kessaci réagit avec douleur et colère : “Mon frère est mort pour rien. Ceux qui commanditent depuis les cellules sont les vrais ennemis.” Il confie avoir mis Mehdi en garde : “Il y a des gens qui me cherchent… imagine qu’ils te confondent avec moi.” La famille devient le symbole des risques encourus par les militants qui défient les réseaux.

L’enquête doit établir deux points essentiels : identifier les exécutants et confirmer la responsabilité des commanditaires, notamment Mamine. Selon Le Monde, les magistrats restent prudents : aucun lien formel n’est encore confirmé, mais la piste de la DZ Mafia reste prioritaire.

Marseille sous tension

La ville prend conscience de la capacité d’action des réseaux criminels. Malgré emprisonnements et opérations policières, la DZ Mafia conserve un réseau opérationnel étendu, capable de frapper avec précision et sans préavis. Le meurtre d’un mineur pour atteindre un militant symbolise la radicalisation de la violence, où les limites morales sont dépassées.

Pour les habitants, ce drame révèle que la criminalité organisée s’immisce dans le quotidien, frappant au hasard ou selon des logiques de vengeance. La JUNALCO poursuit ses investigations, consciente que le dossier pourrait révéler non seulement le rôle des commanditaires, mais aussi l’étendue du réseau et sa capacité à menacer la société civile.

Synthèse Mourad Benyahia 

Sources : Le Parisien, Le Progrès, Le Monde, La Dépêche, Centre Presse Aveyron, Cnews

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Tebboune à Constantine : entre b’khour, zorna et figure du “petit père du peuple”

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Tebboune à Constantine
Tebboune à Constantine. Crédit photo : APS

La visite d’Abdelmadjid Tebboune à Constantine, ce jeudi 20 novembre 2025, aura offert un moment de communication politique aux accents folkloriques : un condensé de rites protocolaires que le pouvoir affectionne, où se déploie une mise en scène minutieusement orchestrée.

Abdelmadjid Tebboune y est apparu dans le rôle soigneusement écrit du « petit père du peuple », présenté comme un leader « proche de son peuple » — une proximité qui, comme souvent, semble surtout avoir été prévue au programme.

Au menu : bain de foule contrôlé, effusions populaires photogéniques, parfum de b'khour (encens brûlé) imprégnant l’air et zorna martelant ce que la communication politique peine à exprimer autrement.

Dès son arrivée, le passage présidentiel a donné lieu aux scènes désormais familières : foule dense, drapeaux brandis, téléphones levés, slogans scandés avec l’enthousiasme propre aux grands événements… ou aux dispositifs bien orchestrés. Dans la cohue, les caméras ont saisi des visages irradiés de bonheur. Chaque poignée de main, chaque sourire échangé avec des citoyens soigneusement positionnés s’inscrivaient dans des images destinées aux journaux télévisés du soir. Leur force subliminale est parfaitement scénarisée : un chef de l’Etat avançant vers la foule, sourire calibré, gestes bienveillants, mains tendues vers un public dont l’enthousiasme semblait, lui aussi, bénéficier d’une certaine préparation.

Les caméras, omniprésentes, n’avaient plus qu’à suivre. L’objectif n’était pas tant de parler que de montrer — et surtout de montrer un chef proche, paternel, attentif, dans la pure tradition des figures tutélaires, ces archétypes que les pouvoirs autoritaires affectionnent.

L’encens brûlé à profusion, les embrassades sur le front comme dans les cérémonies familiales où l’on célèbre un patriarche respecté, ajoutait à ce tableau une dimension quasi sacrée. Dans cette atmosphère flottait une idée simple : le président ne vient pas seulement inaugurer ou constater, mais bénir symboliquement les lieux, les projets et, bien sûr, le peuple. La zorna, elle, donnait le rythme — celui d’une communion populaire aussi sonore que brève.

Cette construction visuelle correspond parfaitement à la rhétorique politique actuelle : compenser l’absence de débat public, de dialogue réel, par l’illusion d’un lien affectif fort entre le dirigeant et la population. Les bains de foule présidentiels ne disent rien des attentes sociales, mais beaucoup des intentions de communication : ils permettent de réaffirmer la légitimité populaire, de réactiver le mythe d’un président protecteur, quasi familial, qui connaît son peuple, l’écoute — ou du moins en donne l’impression — et le guide avec une bienveillance quasi filiale.

Pourtant, les enjeux concrets de Constantine — mobilité asphyxiée, désindustrialisation rampante, difficultés sociales persistantes — sont restés en arrière-plan, comme souvent. Le « père » était là, mais sans réponses précises à apporter. L’image paternelle, si utile politiquement, ne s’embarrasse pas de diagnostics rigoureux.

Au final, cette visite aura surtout rappelé à quel point la communication présidentielle s’appuie sur des symboles anciens : musique traditionnelle, rites d’accueil, accolades publiques, promesse implicite d’une protection infaillible. Une scénographie où l’on ne gouverne pas seulement par décisions, mais par posture. Et où, pour quelques heures, le président redevient ce personnage central de la dramaturgie politique : le « petit père du peuple », à défaut d’être l’architecte de solutions attendues pour le pays et la société. Pourtant ces images cachent une autre réalité de cette Algérie percluse par la terreur répressive. Une Algérie immobile, avec une économie atone et inaudible sur le plan internationale.

Rabah Aït Abache

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Tebboune renonce au G20 : esquive diplomatique ou calcul face à une rencontre avec Macron ?

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Tebboune
Tebboune fait du Tebboune

Alors que plusieurs médias français évoquaient, ces derniers jours, une probable rencontre entre Emmanuel Macron et Abdelmadjid Tebboune à l’occasion du Sommet du G20 qui débute, aujourd’hui,  à Johannesburg, le chef de l’Etat algérien a finalement renoncé à s’y rendre. Il a chargé son Premier ministre, Seifi Ghrieb, de le représenter lors de ce rendez-vous du club des grandes puissances économiques.

Une absence inattendue qui relance les interrogations : s’agit-il d’un simple ajustement d’agenda ou d’une décision intentionnelle visant à éviter un face-à-face diplomatique délicat ? Pour autant, il y a lieu de rappeler que Tebboune a séché les plus importants sommets internationaux qui ont eu lieu depuis son intronisation au pouvoir par Ahmed Gaïd Salah en hiver 2019.

Une volte-face qui laisse encore perplexe

Jusqu’au début de la semaine, tout indiquait que Tebboune participerait au Sommet. Le G20, pour la première fois organisé en Afrique, offrait à l’Algérie une tribune de choix pour réaffirmer son ambition internationale.

Pourtant, la veille de l’événement, le Président a préféré se rendre à Constantine pour inaugurer des projets locaux. Ce déplacement ne justifie pas, à lui seul, l’abandon d’une participation annoncée depuis des semaines. Le caractère tardif de la décision donne plutôt l’impression d’un repositionnement politique délibéré.

Tebboune a-t-il cherché à éviter Macron ?

C’est la question qui s’impose. Depuis plusieurs jours, des sources françaises laissaient entendre que les deux chefs d’État pourraient profiter du Sommet pour renouer le dialogue. Interrogé mardi, Emmanuel Macron s’était dit « disponible pour tout dialogue », à condition qu’il soit « sérieux, serein » et fondé sur « le respect de la France ». Une formulation mesurée mais ferme, qui replace Alger dans un rapport de forces moins avantageux qu’en 2022, au moment du rapprochement avorté entre les deux pays.

Un dégel technique, mais un blocage au niveau politique

La coïncidence est frappante : au moment même où Tebboune renonce à se rendre à Johannesburg, une délégation française de haut niveau — conduite par Anne-Marie Descôtes — est à Alger pour relancer les coopérations en matière d’immigration, de sécurité et d’économie. Les discussions avancent donc sur le plan technique, mais l’impulsion politique, elle, attend toujours.

La libération récente de l’écrivain Boualem Sansal, perçue comme un geste de bonne volonté, laissait penser qu’une reprise du dialogue au sommet était envisageable. L’absence du chef de l’Etat montre au contraire que l’Algérie veut contrôler le rythme et les conditions de ce rapprochement. Voire…

Une absence parmi d’autres, mais pas sans conséquences

Certes, Abdelmadjid Tebboune n’est pas le seul chef d’État à avoir décliné le Sommet : les présidents américain et chinois, Donald Trump et Xi Jinping seront eux aussi absents. Si ces deux défections pèsent lourd sur la dynamique du G20, il n’en va pas de même pour celle du chef de l’Etat algérien, dont l’influence sur la gouvernance mondiale demeure infinitésimable.

Ce contraste est d’autant plus frappant que Tebboune avait lui-même annoncé, avec une certaine fierté, la participation de l’Algérie à cette rencontre inédite sur le continent africain.

Reste que l’essentiel se joue ailleurs : en se retirant, Tebboune laisse passer l’occasion d’un premier contact direct avec Emmanuel Macron depuis plus d’un an. Une fenêtre diplomatique s’est refermée, au moment même où les deux capitales tentaient d’esquisser un début de réchauffement.  

Mais en renonçant à se rendre à Johannesburg, Abdelmadjid Tebboune donne l’impression d’entretenir la brouille. Faut-il y voir un calcul maîtrisé visant à préserver un pseudo-avantage stratégique d’Alger, ou simplement l’une de ces brusques inflexions dont le Président algérien a parfois le secret ? Il y a une évidence toutefois : la diplomatie algérienne est de plus en plus à la ramasse sur toutes les questions y compris celles régionales.

On ignore en revanche si le Premier ministre, Seifi Ghrieb  a reçu pour mandat  d’établir un contact discret avec la délégation française en marge du sommet. On attend de voir.

Samia Naït Iqbal

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Monia Ben Jemia alerte sur l’étau autoritaire en Tunisie

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Monia Ben Jemia
Monia Ben Jemia. Crédit photo : DR

Monia Ben Jemia, figure emblématique de la scène militante tunisienne et méditerranéenne, a marqué les Nouvelles Rencontres d’Averroès par son regard incisif sur la société civile.

Ancienne présidente de l’Association tunisienne des femmes démocrates (2016‑2018), Mounia Ben Jemia a détaillé la manière dont les réseaux de défenseurs des droits humains en Méditerranée négocient avec les États, mobilisent des outils juridiques et diplomatiques, et transforment leur action en véritable arme contre les dérives autoritaires et les injustices frappant les populations les plus vulnérables.

Dans la salle du Théâtre de La Criée, à Marseille, Monia Ben Jemia a déroulé un récit dense, mêlant histoire du féminisme, analyse politique et témoignage personnel. Au cœur de son propos : l’urgence de défendre la parole, la démocratie et les libertés dans une Tunisie où l’autoritarisme gagne du terrain.

Elle a retracé les grandes étapes du féminisme tunisien : émergence dans les années 1970, consolidation d’associations autonomes, ouverture du champ militant après la révolution de 2011. « Les acquis n’ont jamais été un cadeau de l’État, mais le résultat de décennies de luttes », a-t-elle rappelé.

Mais c’est surtout pour dresser le portrait du présent que Monia Ben Jemia a captivé la salle. Les droits consolidés sont fragilisés, l’espace civique se rétrécit, et la parole dissidente est aujourd’hui perçue comme une menace. Elle a fait une comparaison directe : « Sous Ben Ali, il existait encore des moyens d’approcher certains ministres, d’entamer un dialogue et de trouver des solutions à des problèmes majeurs. Aujourd’hui, aucun dialogue n’est possible. »

Selon elle, la rue reste désormais le seul espace de dialogue : manifester, se mobiliser collectivement, c’est la seule manière pour la population de faire entendre sa voix et de contester les dérives autoritaires. Le pouvoir centralisé autour de Kaïs Saïed impose une logique d’isolement et de fermeture totale, plus sévère encore que celle du régime précédent.

« La décennie que Kaïs Saïed qualifie aujourd’hui de décennie noire a été la plus belle de ma vie. Nous avons obtenu de nombreuses avancées pour les droits des femmes et la lutte contre les violences, qui ont soulevé beaucoup d’espoirs pour les femmes du monde arabe », explique Monia Ben Jemia.

Aujourd’hui la plupart des associations de défense des droits humains en Tunisie sont suspendues ou menacées de dissolution. Les femmes victimes de violence n’ont plus de recours, plus de secours. C’est grave !

Elle a également expliqué qu’elle ne peut plus se rendre en Tunisie, car elle risquerait « le même sort » que d’autres militants ou juristes ciblés pour leurs prises de position.

Tout au long de son intervention, Monia Ben Jemia a détaillé les mécanismes par lesquels l’autoritarisme se renforce : lois d’exception, arrestations d’opposants et de journalistes, pression sur les ONG, criminalisation de la parole publique. Les réseaux méditerranéens de défense des droits humains – comme EuroMed Droits, qu’elle préside – continuent de jouer un rôle clé pour documenter, alerter et faire pression à l’international.

À la fin de la rencontre, elle a dédicacé son dernier livre, Dominer et humilier. Les violences sexistes et sexuelles en Tunisie (Éditions Cérès). Les échanges avec le public ont prolongé un moment où l’analyse intellectuelle rencontrait la force du vécu.

Cette masterclasse a rappelé que, dans un contexte méditerranéen fragile, la parole, loin d’être un simple outil, reste un acte de résistance. Et que la démocratie, encore plus que jamais, doit être défendue collectivement.

Mourad Benyahia 

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Tunisie : l’ombre d’Alger plane sur un procès décisif

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Tebboune et Kaïs Saied
Tebboune soutient Kais Saied comme la corde accrochée au pendu. Crédit photo : DR

Le procès pour « complot contre la sûreté de l’État n°1 » en Tunisie, dont le verdict doit être prononcé le 27 novembre, dépasse largement le cadre judiciaire. Selon Jeune Afrique, le dossier repose en grande partie sur un rapport fourni par les services algériens, utilisé comme pièce maîtresse de l’accusation, sans enquête indépendante ni vérification locale.

Or, le Code de procédure pénale tunisien est clair : un magistrat ne peut fonder son jugement que sur les débats et plaidoiries présentés en sa présence, en compagnie de toutes les parties, y compris adverses. L’utilisation d’un document étranger, non soumis à contre‑expertise et non discuté devant la Cour, met donc en cause la légitimité même du procès.

La gravité des peines encourues, pouvant aller jusqu’à la peine capitale, accentue la portée de cette anomalie. Pour la défense, l’affaire n’est pas seulement un dossier judiciaire : elle symbolise un déséquilibre dans la relation entre la Tunisie et son voisin occidental. Selon Jeune Afrique, l’Algérie a, par le passé, montré sa méfiance à l’égard de la démocratie tunisienne, qui incarne depuis la révolution de 2011 un modèle singulier dans la région : liberté relative des femmes, droits du travail et engagement citoyen actif. On le sait : Abdelmadjid Tebboune ne veut pas voir une démocratie se construire à ses frontières. La Tunisie de Kaïs Saied est devenue un Etat vassal de Tebboune qui use de son influence pour soutenir l’autoproclamé autocrate Kaïs.

Mais pourquoi diable l’Algérie s’impliquerait-elle dans un procès tunisien ? Les analyses des observateurs citées par Jeune Afrique révèlent plusieurs dimensions. D’abord, le régime algérien profiterait d’un pouvoir tunisien jugé inexpérimenté pour renforcer ses intérêts économiques et stratégiques : contrôle de ressources, influence politique et alignement stratégique. L’article cite notamment l’exemple d’un décret-loi tunisien contre la spéculation illicite, adopté en mars 2022, qui reproduit presque à l’identique une loi algérienne de décembre 2021. D’autres projets, comme l’extraction de phosphates et la gestion de l’eau, montrent une influence discrète mais tangible sur des secteurs stratégiques.

Cette situation se reflète également dans des pratiques moins visibles mais tout aussi symboliques. D’après Jeune Afrique, l’Algérie a déplacé des migrants irréguliers vers la frontière tunisienne, plaçant Tunis dans une position délicate et révélant un rapport de force asymétrique. Certains experts cités dans l’article décrivent la Tunisie comme « un dommage collatéral dans une hégémonie mal articulée » : tout soutien, toute coopération ou aide algérienne finit par se traduire en obligations implicites, confirmant que, en politique, « toute goutte d’eau donnée finit par se payer ».

L’affaire prend également une dimension symbolique et médiatique. Selon Jeune Afrique, le rapport algérien mentionne des noms étrangers, tels que Bernard-Henri Lévy, dont la présence dans le document semble hors de propos, mais qui contribue à renforcer l’impression d’un dossier construit pour servir des intérêts stratégiques plutôt que judiciaires. Le mélange des références, parfois sans lien direct avec la Tunisie, fait penser à une construction artificielle, plus proche d’un roman de complot que d’une enquête rigoureuse.

Au-delà du procès et de la coopération controversée des services algériens, l’affaire reflète un enjeu plus large : la capacité de la Tunisie à préserver son autonomie politique et sa souveraineté judiciaire. La démocratie tunisienne, fragile mais vivante, se retrouve confrontée à la réalité d’un voisin puissant qui peut influencer ses choix politiques et économiques, tout en exerçant une pression indirecte sur ses institutions. Le procès, en exposant cette dépendance, illustre combien la justice et la souveraineté ne sont jamais isolées des rapports de force régionaux.

Cette situation est d’autant plus préoccupante que la société tunisienne continue de montrer une résilience remarquable. Les mouvements pacifiques, les revendications sociales et l’émancipation progressive des citoyens sont réprimés. La question est désormais de savoir si l’État tunisien saura défendre son indépendance face aux interférences extérieures, ou si l’influence régionale continuera à déterminer, directement ou indirectement, les décisions judiciaires et politiques. Peu sûr eu égard aux liens étroits entre les deux chefs d’Etat.

Ce procès dépasse le cadre d’une accusation individuelle. Selon Jeune Afrique, il met en lumière les fragilités institutionnelles à Alger et à Tunis, les déséquilibres régionaux et la complexité des relations maghrébines. L’ombre de l’Algérie plane non seulement sur la salle d’audience de Tunis, mais aussi sur l’avenir d’une démocratie qui tente de se frayer un chemin entre souveraineté nationale et pression des voisins. La Tunisie, en quête d’équité et d’autonomie, se trouve à un carrefour délicat : défendre sa justice et sa démocratie ou subir, silencieusement, les conséquences d’un rapport de force qui la dépasse.

Synthèse Mourad Benyahia 

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Quelle histoire de l’art écrire et enseigner en Algérie ? (1re partie)

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Marcel Duchamp,
Marcel Duchamp, Fontaine, 1917, 5e version, 1964. Faïence peinte et peinture à l’huile, 36 × 48 × 61 cm. Musée des beaux-arts du Canada, Ottawa. © Association Marcel Duchamp / ADAGP, Paris / SOCAN, Montréal (2022) Photo : MBAC

Lorsque, le 09 avril 1917, Henri-Robert Marcel Duchamp présentait, au Salon de la Society of İndependent Artists de New-York, un urinoir d’homme renversé dénommé Fontaine, il jetait ce jour-là dans l’espace scénique de la monstration rétinienne le gros pavé ébranlant les fondements perceptifs de l’expression du sensible, levait le rideau sur l’acte théâtral le plus subversif, déroutant et controversé de l’art moderne.

Bien que rejeté et retiré de l’exposition, car jugé d’emblée immoral et inapproprié, « l’appareil sanitaire » (sur la glaçure céramique blanche duquel des marques noires affichaient l’inscription « R. Mutt 1917 ») provoquait néanmoins un vote, instaurait par là-même chez l’une des instances de légitimation du goût l’intense perplexité de laquelle découleront les futures interrogations : « Qu’est-ce qu’une œuvre d’art, qui décide de son aura ? son auteur, les agents culturels, les conservateurs, les collectionneurs-acheteurs, les influenceurs argentés ou encore les historiens et critiques d’art ? »

Archétype de l’anticonformisme ou anti-vénération de l’œuvre, le plus célèbre des ready-mades (disparu du circuit puis remplacé par 17 copies réalisées et certifiées après 1964) soumettait une incertitude sur les normes en vigueur et les critères ou adjudications commerciales à entériner, contestait la doxa « Beaux-Arts » du courant mainstream et dépassait la production avant-gardiste qu’incarneront successivement les impressionnistes, fauves, postimpressionnistes, cubistes, surréalistes ou futuristes. Adoptée par les dadaïstes (pour lesquels le non-sens et l’irrationalité demeuraient le moteur de l’innovation), le fameux article du commun, impersonnel, « tout fait », déjà existant et prêt à l’emploi, incitait le regardeur à déchiffrer une intention, interprétation ou signification, lui disait en marge et substance que les visuels nés du travail manuel d’un peintre (adoubé ou non génie par les dénicheurs de la singularité ou rareté), n’étaient plus les seuls à pouvoir prétendre insuffler de la valeur et pertinence artistiques.

L’idée qu’une toile et sculpture ne soient plus à appréhender au titre de bien matériel né de la dextérité plastique d’un auteur, mais principalement en tant que concept ou affranchissement philosophique, n’étant à cette époque absolument pas audible ou admissible en Algérie, le geste anonyme et improbable de Marcel Duchamp provoqua une nette distance culturelle, voire une césure intellectuelle majeure (encore très prégnante aujourd’hui) entre les acteurs dissidents consacrés en France artistes-créateurs et ceux accaparés sur la rive sud de la Méditerranée à parfaire la vitrine acceptable de l’entreprise coloniale.

Sur ce terrain expérimental, la remise en cause de l’art et de ses définitions concernait uniquement l’anachronisme de chromos héliotropes prorogeant « (…) un orientalisme hors du temps » (Arsène Alexandre). Aussi, germera en zone barbaresque un néo ou post-orientalisme éprouvé dès 1907 chez les pensionnaires de la Villa Abd-el-Tif, une des trois institutions artistiques voulue par la France (au XVIII° siècle, la Villa Médicis à Rome et après la Première Guerre mondiale la Casa de Velasquez de Madrid). Élevé sur les flancs d’une colline dominant le Jardin d’essai (1832) et le prochain Musée national des Beaux-Arts (1930), cet ancien fort turc de style hispano-mauresque construit à la fin du XVIIIe siècle dans le quartier Mustapha supérieur fut la résidence secondaire de Sid Amoud Ben Abdeltif, un des dignitaires de la Régence d’Alger. Puis, délaissée par son négligeant propriétaire, elle servira en 1831 de cantonnement ou base de retrait aux convalescents de la Légion étrangère, cela avant que les Domaines se décident à la préempter sans pour autant lui confier de destination précise.

C’est donc une architecture à l’abandon que Victor Barrucand (antidreyfusard chroniqueur et propriétaire du journal Akhbar, l’un des premiers organes de presse en Algérie), Maxime Noiré (peintre pionnier établi en Algérie à partir des années 1890) et Arsène Alexandre (critique d’art) signaleront au Gouverneur de l’Algérie, Charles Jonnart. Celui-ci la rachètera au début du XXe siècle et financera à ses frais une restauration à laquelle participa le président de la Société des peintres orientalistes français (également directeur et conservateur du Musée du Luxembourg) Léonce Bénédite. Les deux parrains du Prix Abd-el- Tif soutiendront en 1906 (année de leur rencontre à l’Exposition coloniale de Marseille), le rapport « Réflexions sur les arts et les industries d’art en Algérie » que finalisait Arsène Alexandre. Le pourfendeur des vielles modélisations du harem (notamment de l’ancien et désuet orientalisme d’İngres) parlait en son sein d’une « (…) maison des artistes (qui) devrait exister à Alger, en dehors des musées (…). C’est la maison des Abb-el-Tif au-dessus du Jardin d’essai (…). Cette demeure (…) est placée de telle sorte que les plus bonnes leçons de la lumière et les plus belles richesses de la nature, s’y trouveraient en quelque sorte sous la maison des artistes qu’on y logerait, sa terrasse, sa colonnade, sa cour intérieure, encore décorée de brillantes céramiques, son entourage de luxuriante verdure en ferait un séjour enviable. La Maison des Abd-el-Tif (…) cette sorte de villa Médicis, ou Kunsterhaus d’Alger, deviendrait aussi célèbre qu’enviée ».

Sa concrétisation répondait et convenait justement aux aspirations d’un pouvoir colonial disposé à revivifier les représentations et impressions surannées de l’Orient. Pour rajeunir son image et rafraîchir aussi le cadre jauni de la présence française en Algérie, il fallait solliciter des artistes métropolitains, les convaincre à venir s’installer pour au moins deux années à Alger. Sélectionnés au concours par le jury de la Société des Peintres orientalistes français (fondée à Paris en 1893 dans le souci de soutenir le renouveau d’un orientaliste moderne), promus et chouchoutés, 87 boursiers (68 peintres et/ou graveurs, 18 sculpteurs et un architecte) y séjourneront de 1907 à 1962 (parfois quatre ans) sans aucune obligation de résultat vis-à-vis des tutelles culturelles et artistiques locales (le cahier des charges les contraignait uniquement à révéler leurs travaux lors de la monstration de la Société des peintres orientalistes ou bien au Salon des artistes français organisé pendant le Salon d’automne, aux Tuileries ou aux Beaux-Arts).

Non soumis à une réglementation stricte, libres de leurs mouvements et thématiques, ils réveilleront la vieille endormie, vagueront à leur guise sur les proches sentiers ou coteaux surplombant la baie d’Alger, fonctionneront en toute autonomie mais en relayant néanmoins les programmations officielles.

Ces assistés et protégés de l’administration auront, après dix mois d’hébergement, la permission de sillonner les régions les plus reculées ou désertiques du pays, emprunteront dès lors l’itinéraire évasif et intrépide de leurs prédécesseurs du XIXe mais s’écarteront des sentiers battus de l’héroïque ou épique art colonial. Ainsi, intégré au premier duo débarqué et accueilli chaque année, Paul Jouve (1878-1973), fils d’Auguste Jouve (médaillé d’or en 1899 lors de l’exposition universelle de Paris) s’éloignera très tôt de l’exotisme phantasmatique pour aller se perdre au milieu des dunes du Sahara (cela avant de configurer, en atelier, des sculptures animalières).

İl devançait les prochains lauréats Paul-Élie Dubois, Marius de Buzon, Charles Dufresne, André Hambourg, Jean Bouchaud, Marcel Damboise, Jean Launois. Charles Bigonet, Léon Cauvy, Charles Darrieux, Eugène Corneau et Maurice Bouviol (les quatre derniers peindront respectivement le jardin, les colonnades, la toiture et fontaine de la Villa).

Si quelques-uns bénéficieront de commandes de l’État, beaucoup livreront des études rehaussées de verts émeraudes et de bleus azurs, de rouges flamboyants et de mauves langoureux, égailleront leur palette de tons soutenus faisant vibrer la surface plane de tableaux que pasticheront de nombreux peintres algériens de la postindépendance.

Coupés du processus mental déclenché en écho à l’audace duchamptienne, et plus généralement du champ de l’art moderne français dans lequel se projetaient les mouvances de l’avant-garde transgressive, les « Abdeltifs » composaient le concrétude poético-lyrique d’une autre temporalité picturale qui conviendra à des ex-indigènes adeptes de toiles surchargées de diaprures outre-Méditerranée. Revisiter la tradition française de l’orientalisme débutée vers 1806 avec İngres (et prorogée par Delacroix, Fromentin et Chassériau), l’acclimater à de nouvelles forces esthétiques, vanter les ramifications d’un Orient véridique à faire connaître et apprécier, telle furent les réquisits de la feuille de route dévolue aux néo-peintres-voyageurs par Jean Alazard, le factotum invétéré de la Villa Abd-el-Tif.

Classée monument historique dès 1922, l’« (…) institution qui honore notre temps » maintiendra pendant plus de cinq décennies sa fonction initiale, celle de « former des élites d’artistes (capables de) se dépouiller des préférences antérieures afin d’aborder un travail nourri d’une réalité matérielle de la colonie » (Jean Alazard). Centrée sur les bienfaits civilisationnels de cette dernière, les institutions culturelles et artistiques retiendront les médiums d’individus censés régénérer un orientalisme endogène que couronnera annuellement le Grand prix artistique de l’Algérie. Cette contrée étant, de par la spécificité et diversité de ses paysages ou environnements, « (…) destinée à devenir pour les artistes un admirable répertoire de thèmes picturaux. » (Jean Alazard), les récipiendaires des atouts du « centre d’art vivant » diligenteront, via donc une version différenciée de l’orientalisme primaire, une identité artistique endogène dont le but avoué était d’accoutumer les Français de l’Hexagone aux velléités, prestigieuses et convenues, du Grand Empire. Puisqu’il s’agissait toujours de fondre le bel Orient indigène dans l’horizon progressiste de la France, les subventionnés « Abdeltifs » magnifieront la variété des nouveaux territoires à conquérir en s’alliant, pendant une soixantaine de jours, aux expéditionnaires des missions diplomatiques, scientifiques ou militaires.

Malgré l’achèvement (vers 1880) de la période dite de « Pacification » et de ses violences, ils continuaient à profiter de la protection d’officiers de haut rang qui avec l’aide des Affaires indigènes procuraient après le milieu du XIX° siècle des guides, logements ou ateliers de fortune aux artistes-voyageurs. L’un des premiers d’entre eux, Gustave Achille Guillaumet pu de la sorte accéder plus facilement à l’espace intime d’autochtones préservés du contact d’européen. En quête permanente d’ingénuités, il entreprendra, entre 1862 et 1884, une dizaine de séjours en Algérie, empruntera, du Tell au Sahara, les chemins de sa ruralité populaire et se fera ainsi l’observateur assidu de la domination coloniale, de spoliations et misères qu’il traduira en 1869 dans les toiles Le Labour (elle montre une femme, bébé sur le dos, conduisant péniblement un chameau attelé, soit la pauvreté de simples gens démunis et tentant de survivre) et La famine. De 1866 à 1868, la pénurie d’aliments décima un tiers d’Algériens tiraillés par la faim, touchés par une épidémie de typhus ou de choléra, rongés par les puces, aveuglés par les poussières que soulevait le chihili, vent chaud donnant soif alors que l’eau polluée ou infestée provoquait la chiasse. Visage emblématique de l’orientaliste- ethnographe, le peintre révolté et indigné extériorisait là une tragédie imputable à la sécheresse, à des méthodes agricoles fragiles et dépassées face aux intempéries, mais plus encore à la paupérisation générale de la paysannerie apparue suite à la confiscation des terres et aux razzias.

Appliquées à grande échelle depuis Bugeaud, ces expéditions punitives consistaient à piller jusqu’à la complète abdication des rebelles ; portées à un niveau de destruction supérieure, les laminages systématiques et dévastations stratégiques des bataillons français amplifieront de surcroît une catastrophe provoquée par l’absence de réserves de céréales et une hygiène publique sous-développée.

Exhibé au Salon de Juliette Adam, le tableau d’histoire interpellait le spectateur, l’incitait à s’éloigner de la vision aristocratique et à condamner le rêve du « royaume arabe » incorporateur, l’illusion d’un projet d’assimilation des peuples et des cultures. Seulement, envoyée à la face d’un exécutif persuadé que la Conquête était une entreprise émancipatrice, l’œuvre déplut aux amateurs et professionnels. La facture frontale de son exécution déroutera le public et une critique appréciant modérément une « trop grande soumission aux modèles romantiques ». Celles postérieures, Laghouat, Sahara algérien (1879), Laghouat (1879), La séguia, près de Biskra, Algérie (1884-85), La nativité de Bou Saâda, Tisseuses à Bou Saâda, L’Oued à Bou Saâda. Trois laveuses, Laveuses dans l’oued de Bou Saâda et Jeunes filles dans l’oued de Bou Saâda (1882-83) témoigneront quant à elles d’un attachement sincère envers des populations vivant en zones arides. Soucieux de rendre la vérité des biotopes et la quintessence de ses « poseuses », le domicilié du quartier de « La Nouvelle Athènes » (9ème arrondissement de Paris) se concentrera dès lors sur une peinture de genre captant, sans aucun artifice, misérabilisme ou voyeurisme, le profil humain d’oasiennes laborieuses, de fellahs dépossédés (au profit des colons) des meilleures parcelles, non consultés au sujet des projets de diversification du Sahara ou de l’intensification des itinérances touristiques. Spectateur des accomplissements de l’Algérie de peuplement, Guillaumet assumera de moins en moins ses constants allers et retours entre le désert saharien et les salons feutrés de la capitale où il s’éteindra le 14 mars 1887.

Érigé sur sa tombe du cimetière Montmartre, le monument funéraire (réalisé par Louis-Ernest Barrias) La Jeune fille de Bou Saâda rendra hommage à la noblesse prude d’adolescentes interdites de franchir les périmètres d’une steppe desséchée, d’un ksar de boues décomposées et à l’intérêt si limité que les autorités françaises le classeront « impropre à la colonisation ». Le peintre-photographe Georges Gasté s’y implantera néanmoins de 1894 à 1898, cela suite à ses rencontres avec Étienne Dinet et Léonce Bénédite. İl en fera le refuge de ses expériences artistiques, y concevra les toiles Jeune fille de Bou Saâda et Portrait de jeune femme de Bou Saâda puis les clichés lointains de silhouettes féminines, d’ombres voilées fuyant les terrasses, sortant d’un souk aux étales vides ou des ruines de la « Cité du malheur » que l’éden-mirage et enchanteur de Dinet maquilla en « Cité du bonheur ».

Pour dessiner sur le tas les portraits et ambiances du Grand Sud, les usages et comportements des natifs du Hoggar ou du M’Zab, les « Abdeltifs » fouleront également les ruelles ou venelles de Bou Saâda, comme du reste celles de Biskra, Ghardaïa, Laghouat, Ouargla ou Touggourt, atteindront les oasis de Tamanrasset et Timimoune, arpenteront les versants du Tassili n’Ajjer, côtoieront les nomades, Touaregs ou Ouled Naïl qu’Étienne Dinet habillera de robes aguicheuses et de chatoyants bijoux. Chez ces néo-ethnographes, la femme musulmane sera couramment montrée en train de marcher au milieu d’une rue, voire d’un marché, ou bien assise près d’une tente de sa tribu. Sujet de prédilection, les visages bruns burinés de soleil accentueront une espèce de primitivisme champêtre prisé par les collectionneurs colons ; ces afficionados défileront devant les cimaises des musées et galeries où s’exhiberont, pareillement de façon répétitive, les minarets éclairés, corps cachés ou caravansérails de l’Algérie orientalo-méditerranéenne. Convaincu que des vocations pouvaient parfaitement naître au contact de la nature environnante, Jean Alazard promulguait, dans la revue Art et décoration du mois de septembre 1923, des « Abdeltifs » en mesure de nous débarrasser « de l’Orient conventionnel (en) ne recherchant que la vérité des tons et des attitudes ».

Abandonnant les décors étoffés du pittoresque clinquant au profit de « l’âme des habitants », ils pencheront, selon les autres observateurs du moment, en faveur d’une objectivité plus dense qu’une chronique du numéro Beaux-Arts du 20 novembre 1930 synthétisera en « souci de sincérité et d’exactitude ».

Souvent accolés à la rhétorique humaniste de l’Empire français, ces deux vocables (sincérité et exactitude) connotaient d’une part l’interprétation vouée aux toiles d’Étienne Dinet et s’appliquaient d’autre part à la mission historico-symbolique dévolue aux architectes ou décorateurs du Palais des colonies. Lieu central et durable de l’Exposition coloniale internationale ouverte le 06 mai 1931 au Bois de Vincennes, d’une manifestation d’envergure destinée à prophétiser les bienfaits de l’impérialisme cocardier et à inciter les métropolitains à investir dans l’essor économico-civilisateur de la « Plus Grande France », l’actuel Musée national de l’Histoire de l’immigration (ex-Musée des arts d’Afrique et d’Océanie dont les collectionnions sont au Musée du quai Branly) matérialisait dès son inauguration (la première pierre fut posée en 1928, sous l’œil bienveillant du président Gaston Doumergue) le mémorial de l’impérialisme triomphant, rien de moins que la volonté manifeste d’exalter ou promouvoir la puissance technologique et l’influence territoriale d’une république voulue irréprochable. Jonction de divers styles, il témoigne d’ailleurs toujours de l’attrait cumulé pour l’exotisme et le rationalisme esthétiques des formes (soit l’héritage culturel occidental combiné à la monumentalité des temples antiques), du soin apporté par Albert Laprade et Léon Jaussely, les maîtres d’œuvre d’un éclectisme en rupture avec la tradition néo-classique que prônait encore dans les années trente l’École des Beaux-Arts de Paris. Confié au sculpteur Alfred- Auguste Janniot, le bas-relief de sa façade (une vaste parure de pierres) exhibe faune et flore exotiques, délivre un message didactique, idéologique et commémoratif immédiatement discernable. Rythmée par des allégories, cette longue circonvolution narrative illustre les richesses coloniales, les apports de l’Empire à la métropole, les produits de régions et ethnies soigneusement détaillées et arbore sur sa partie latérale gauche une liste de personnalités conquérantes.

À l’intérieur d’un bâtiment à vocation propagandiste (puisque divulguant des idéaux politico-protecteurs), la fresque de Ducos de la Haille relate d’une perspective évolutionniste (les missionnaires-colonisateurs apportent des valeurs civilisationnelles à des sauvages bénéficiant de leur allocentrisme), primitiviste (l’univers colonial est dépeint comme un olympe où les humains vivraient en harmonie avec la nature et les animaux, où les peuples ou races inférieures restés à l’aube de l’humanité, ou hors du continuum historique, évolueront au contact de philanthropes) et différentialiste. Situé en dehors de la modernité et à fortiori non perverti par elle, le « bon sauvage » privé des structurations de l’histoire avait à approuver la suzeraineté d’occidentaux disposés à admettre la variété des cultures mais dans le cadre communautaro-colonial d’une hiérarchisation des races.

C’était là, la pensée suprématiste du Maréchal Lyautey, principal organisateur de l’Exposition coloniale internationale, événement au sujet duquel Paul Reynaud, le ministre des Colonies, dira qu’il « aura atteint son but si (…) beaucoup de jeunes visiteurs sentent naître en eux la vocation des colonies ». Favorables à la consolidation d’une France universaliste, à ses possessions d’outre-mer et à leurs consécrations spécifiques, les populations hexagonales feuilletteront un « magnifique livre d’images ». Ayant l’impression de parcourir « le tour du monde en un jour », elles adhéreront aux vertueuses célébrations de l’expansion coloniale. Celle effective en Algérie profitait aux « Abdeltifs », artistes prêts à poursuivre les intrépidités de Gustave Achille Guillaumet et le périple d’Alphonse-Étienne Dinet, maître-conseiller qu’il était autrefois de bon ton d’aller voir pour saisir au plus près les véracités de son réalisme et savoir comment atteindre une notoriété sans forcément draguer la bonne société parisienne.

Après des études à l’École des Beaux-Arts de la capitale française (au sein de l’atelier de l’ornemaniste Pierre-Victor Galland) et une formation picturale accentuée grâce au cours que dispensaient à l’Académie Julian Adolphe William Bouguereau (représentant d’un académisme focalisé sur des sujets classiques, thèmes mythologiques et le corps féminin) et Tony Robert-Fleury (adepte de vastes compositions historiques, scènes de genre et portraits), le futur mentor de Mohamed Racim, passionné d’une Bretagne encore rudimentaire, exposa pour la première fois à l’âge de 21 ans au Salon des artistes français de 1882. Bénéficiaire d’une bourse l’autorisant à suivre en Algérie une équipe de naturalistes, il y découvrira en 1884 des peuplades sahariennes et, à travers elles, la culture Naili, ira quelques mois plus tard à Laghouat puis au M’zab afin de parfaire les tableaux Sur les terrasses de Laghouat et L’Oued M’Sila après l’orage. Dès 1887, l’amoureux du Grand sud béotien effectua cette fois une coupure de six mois de laquelle naîtra la production que retiendra le galeriste Georges Petit.

Également présent à l’exposition universelle de 1889, Dinet rejoindra les membres fondateurs (Puvis de Chavannes, Auguste Rodin, Ernest Meissonier, Charles Cottet et Charles Auguste Émile Durant) de la Société nationale des Beaux-Arts puis, en 1893, de la Société des peintres orientalistes français. À l’orée du XX° siècle, le désormais Chevalier de la Légion d’honneur (obtenue en 1896) agrémentait (en 1898) de 132 planches le livre Antar (le plus ancien récit épique de la littérature arabe précédant la prédication de l’İslam) de l’éditeur d’art Henri Piazza. Dès lors, il quittait plus longuement le milieu bourgeois dont il est issu, campait (vers 1900) à Biskra avant de s’installer au cœur de l’oasis de Bou Saâda. C’est là, en bordure du désert, que l’exilé parisien affinera son apprentissage de la langue arabe, engrangera une monacale relation avec les préceptes de l’İslam, se convertira à cette religion tout en composant, à l’écart des chamboulements plastiques de l’époque, les nus licencieux et litigieux de baigneuses échappées du quartier des Ouled Naïl, nom attribué à une coalition de plusieurs tribus occupant une région s’étendant de Laghouat à Bou Saâda. Les « Naïliates » ou grisettes (filles de joie), qui appartiennent à l’une de ses fractions, deviendront ses modèles d’inspiration.

Contrastant avec les femmes affublées du traditionnel « bouaouina » (drap blanc occultant entièrement le corps et ne laissant voir qu’un œil), ces nubiles ou « alouettes naïves » faisaient commerce de leurs atouts physiques et poseront dans le plus simple appareil.

Elles exerçaient une véritable attraction sur un peintre les représentant en train de rire aux éclats, à gorge déployée ou à pleines dents, de se trémousser auprès de prétendants, de marivauder, seins pointus et poitrine offerte, sous les rayons ardents d’un soleil radieux. Son érotisation débridée falsifiait le vécu tragique de péripatéticiennes sacrifiées à la consommation cadencée de la chair, les transposait au sein d’un paradis orgasmique, d’un décorum surnaturel planté de végétaux chlorophylliens, nourrissait une vision picturale idyllique teintée de roses bonbons, de pourpres et d’indigos. Comparées à des muses extatiques, les libertines à la tête couronnée d’or étaient pour la plupart atteintes de maladies vénériennes (puisque « consommées » par des soldats ou soulards sans retenues) et leur « Cité du bonheur » ressemblait davantage à « une vaste cour rectangulaire, sale et boueuse, close de grands murs (…) sans luxe, sans raffinement ». İl s’agissait en effet plutôt d’un « cloître primitif, d’une écurie et d’un caravansérail (…) où nul ne s’attarde, où rapidement on débat les prix, on conclut le marché, et d’où l’on s’éloigne les sens apaisés », écrivait en 1899 le maire d’Alger, Charles de Galland, à la suite de sa visite de la maison des « Filles de la douceur ». Vers la fin de la décennie 30, l’affluence touristique de Bou Saâda poussa à y introduire une danse nue vulgarisée par les excentricités du désinhibé Étienne Dinet.

Selon François Pouillon, directeur de recherches à l’École des hautes études en sciences sociales (EHESS), il préparait, sur sa terrasse illuminée, des soirées « animées par des putains nues et des couples d’amoureux se livrant à des bacchanales dignes des Romains de la décadence ».

Quatre décennies plus tard, ce ne sont pas ses pratiques illicites et triviales, ses gonzesses débraillées se baignant lascivement au milieu de l’oued que retiendront les gestionnaires du « socialisme spécifique » mais des mises en scène exotico-passéistes en complet décalage avec les mouvements avant-gardistes, voire de pieuses iconographies revendiquées comme éminemment nationales puisque son auteur avait en son temps entrepris le pèlerinage à la Mecque.

Si des plénipotentiaires du culte musulman (imams ou le cheïkh de la zaouïa d’El Hamel) assisteront aux funérailles (préparés après le 24 décembre 1929, date du décès) du marginal Hadj Nasr-eddine (prénom signifiant en arabe victoire de la religion), le préfet d’Alger Pierre Bordes puis l’ex-gouverneur général de l’Algérie (1925-1927), et prochain ministre d’État, Maurice Violette, voudront le récupérer en signalant successivement que « La conversion musulmane de Dinet ne touchait en rien sa foi patriotique (…), le grand ami de l’islam demeurait un fils de la France.», tant il « n’avait rien eu à sacrifier de cette patrie française qui avait nourri et formé son génie ». Cette vertu démiurgique n’aurait par conséquent pour atavisme que la patrie de naissance à laquelle sera rendu le prosélyte. Demeuré le « Sawar roumi », le peintre français imbu de sensualités hédonistes, le célibataire endurci faussement imprégné de spiritualités religieuses, ne sera, en son temps, jamais vraiment accepté au titre de citoyen d’honneur. Si le Musée national de Bou Saâda porte aujourd’hui son nom, c’est probablement parce que seule sa conversion algéroise à l’İslam l’a maintenu à flot, la sauver d’une excommunication posthume entrevue par l’anthropologue François Pouillon qui dans son texte « Échange agonistique et marché des valeurs artistiques : situation de la peinture en Algérie » assertait que « L’Orientalisme devrait faire tôt ou tard l’objet d’une récusation radicale ».

Or, c’est au contraire sa recrudescence que subissent actuellement les créateurs algériens désirant inscrire leur production au sein du paysage international de l’art contemporain, une locution appréhendée de manière spécifique et anachronique en Algérie. İl nous faut donc désormais saisir les tenants de ce décrochage diachronique et temporel aux dommageables conséquences.

Délaissé par les collectionneurs de peintures modernes se détournant du classicisme romantique et de l’académisme rococo, les œuvres de l’adulé Dinet tombaient après 1930 dans les oubliettes de l’histoire de l’art français mais se retrouveront, après l’İndépendance algérienne, paradoxalement sur des timbres-poste. Cette curieuse mise en exergue, qui hausse l’orientaliste au stade de figure majeure du patrimoine et du patriotisme algériens, a d’abord pour corollaire un prétendu anticolonialisme dénonçant les injustices et dérives de l’administration coloniale, interventionnisme émis en faveur de combattants musulmans morts pour la France pendant la Première Guerre mondiale et à inhumer conformément au rite islamique. Si le peintre de Bou Saâda dessinera par ailleurs les stèles de leurs carrés militaires et publiera, dans la foulée, la première biographie du prophète écrite en français (La vie de Mohammed, Prophète d’Allah), ses reproches à l’égard du système oppresseur ne stipulaient pas obligatoirement une ferme et systématique réprobation de la colonisation mais plutôt sa rectification progressive, cela de la même façon que Mikhaïl Gorbatchev souhaitait corriger de l’intérieur le communisme avec l’espérance tacite de le faire perdurer.

Laissant tout autant croire avoir rompu avec l’orientalisme conquérant (marqué par le traditionalisme du métier et l’effusion de charmes extra-occidentaux), le récupéré de l’heure cumulait, aux yeux des redresseurs d’une révolution dévoyée par Ben Bella, la légitimité révolutionnaire et religieuse, deux crédos primordiaux pour qu’une production de l’orientalisme tardif puisse personnifier l’image d’antan de l’Algérie, pour que plusieurs générations de jeunes peintres influencés par le discours ambiant sur la sauvegarde du patrimoine ancien s’attèlent à copier ou reproduire les chromos du « mélo-peintre des amours bédouines, dont l’espèce de réalisme-socialiste-du-rahat-loukoum va nous empoisonner nos cimaises pendant plusieurs décades », avertissait déjà en 1963 le poète Jean Sénac dans son article « La peinture Algérienne en hélicoptère » (publié dans la revue Atlas du vendredi 12 avril).

Considérant les disciples de Dinet tels des « (…) bâtards de l’Orient (qui) vont nous gaver de roses et d’oranges à en perdre les yeux », ou les « indécrottables pasticheurs » de trompe-l’œil en porte-à-faux avec l’art dit « D’investigation de soi » (celui en phase avec les traditions populaires), l’auteur de Le soleil sous les armes (1957), Matinale de mon peuple (1961), Aux héros purs (1962) et Citoyens de beauté (1967) n’avait de faveurs que pour les « (…) insurgés contre les séductions mensongères et le tape-à-l’œil ». İl trouvait chez eux des affinités avec les « (…) expressions de la peinture « parisienne » » qu’il avait eu le temps d’apprécier pendant un détour français de huit années (entre 1954 et 1962). Jugeant, en introduction à son essai « La peinture Algérienne en hélicoptère », que, résultant d’un brassage « (…) Africains, Carthaginois, Berbères, Romains, Arabes, Turcs, Français », le champ pictural algérien était doté de plusieurs tendances esthétiques, il préconisait aux peintres informels d’opérer un retour aux sources, tropisme via lequel les abstraits Abdelkader Guermaz, Abdellah Benanteur, Mohamed Khadda, Denis Martinez et Choukri Mesli trouveront les racines ou clefs de leur propre trajectoire artistique.

En quête d’origines immémoriales, la plupart suivront ses préconisations et exploiteront parallèlement la plongée archétypale que traçait, dans son opus phare Les Damnés de la terre, le psychanalyste Frantz Fanon. L’esprit irrigué de sources ontologiques et militantes, ils passeront aisément le cap d’une voute d’intelligibilité menant aux abysses immanentes du jaillissement porteur d’affirmation ou reconnaissance de soi (que souhaitaient ponctuer et moduler tous les créateurs nouvellement décolonisés) puis harponneront le wagon international de l’art moderne (le feront avant eux les pieds-noirs Maria Manton, et Louis Nallard) en fréquentant les autres peintres exilés de la seconde « École de Paris ». Venus également amplifier le cosmopolitisme de la capitale française, les graphistes de l’ « École du Signe ou du Noûn » intégraient cependant tardivement les partisans européens d’une abstraction jugée à la fin de la décennie 50 académique car dépassée par le néo-dadaïsme, l’İnternationale situationniste, Fluxus, l’art cinétique et luministe ou les Nouveaux réalistes.

Désaxant les catégories de peinture et sculpture, bousculant plus intensément encore les modes tactiles et perceptifs, ces mouvements de la dématérialisation de l’objet œuvre d’art n’avaient pas encore de correspondances ou leurs équivalents dans l’Algérie de l’avant et de l’après 1962, année de la rétrospective du Museum of Modern Art de New York, The Art of Assemblage. Les collages des cubistes et performances des futuristes étaient ringardisés par les infractions agissantes des néo-dadaïstes qui intronisaient un large éventail de styles, formes, pratiques, démarches mais surtout de matériaux et de techniques jusque-là jamais utilisés avec autant d’outrecuidances.

Au début des années soixante, des artistes américains associaient des objets (drapeaux avec Jaspers Johns) et des images en sérigraphie (Robert Rauschenberg) empruntées aux médias où à l’histoire de l’art.

Chez eux, la photographie prenait sa place de médium, révélait une diversité de ton, une banalité de l’urbain, un sens visuel de la culture-masse avec des bandes dessinées (Roy Lichtenstein), des processus de reproduction souvent vides d’émotions mais de grande précision car imitant la trame des techniques d’impression. Andy Warhol éprouvait le principe de la répétition pour relater d’une société occidentale de plus en plus inondée d’images. İl parlait en 1963 de son obsession pour celles montrant des catastrophes comme les accidents de la route, l’assassinat de Kennedy ou le suicide de Marilyn Monroe. Si les thèmes du Pop art ne reflétaient pas obligatoirement une dégénérescence de la notion de « Beaux-Arts » ou d’art pur, ne remettaient pas directement en péril les critères de la peinture-peinture, voire même de l’expressionnisme abstrait, les notions de happening, de minimalisme, de performance et d’installation ou les mouvements proches du Land Art et Body art dessillaient la vision historique défendu par l’américain Clement Greenberg. Pour l’influent critique d’art, les étapes successives allant de l’impressionnisme jusqu’à l’expressionnisme abstrait (en passant par le cubisme) pouvaient être envisagées comme une mutation interne propre aux qualités réflexives du modernisme pictural. Sa perspective formaliste prorogeait le jugement du « Beau » de Kant, préservait l’aspect « Beaux-Arts » et l’intérêt du Pop art pour les objets de la vie courante ou les matériaux de récupération en faisait une partie étendue du réalisme, terme servant à distinguer l’art figuratif et les différentes abstractions représentatives des années d’Après-guerre.

Pendant ce temps-là, les peintres algériens poursuivaient leurs interrogations personnelles et collectives d’identité ou de culture sous couvert d’un unanimisme collégial neutralisant les tensions entre opérateurs des différents styles. Sur le long terme, cela aura pour conséquence le gel du concept de rupture, l’impossibilité de dissocier, comme en Europe, le genre moderne et contemporain, ce dernier restant rattaché en Algérie à la pratique des « Beaux-Arts » et à des « qualités esthétiques » confondues avec les préciosités orientalistes.

Obnubilés par le besoin, pour ainsi dire frénétique et épidermique, de trouver les référents de leur plénitude esthétique, les figuratifs et abstraits algériens ignoreront les valeurs ajoutées des Nouveaux réalistes, groupe réunissant en mai 1960 à la galerie « Apollinaire » de Milan Raymond Hains, Jacques Villeglé, Jean Tinguely, François Dufrêne, Armand Fernandez (dit Arman) et Yves Klein. C’est dans l’appartement parisien de celui-ci que sera officialisé un collectif que ralliaient cinq mois plus tard, soit le 27 octobre 1960, Daniel Spoerri et Martial Raysse. Tous signaient avec le critique d’art Pierre Restany un manifeste assertant la mort de la peinture de chevalet. İntroduite en Algérie par des vulgarisateurs de guerre accompagnant les militaires français sur les champs de bataille de la Conquête coloniale, elle fut le dispositif légué aux musulmans désirant sortir de leur condition sociale ou du statut d’indigènes.

De Mohamed Racim à Bachir Yelles Chaouche, ceux prétendants en Algérie à la notoriété artistique vulgariseront des techniques classiques principalement transmises par les néo-orientalistes. Après Juillet 1962, le savoir-faire académico-réaliste mobilisait les figuratifs mais aussi des convertis idéologiques prêts à imager les slogans déterministes du « socialisme- spécifique », des mots d’ordre qu’ils enrichissaient sur de vastes fresques publiques plantées au bord des routes ou scellées sur les axes passants des villes.

Parmi les abstraits de l’ « École du Signe », seul Denis Martinez pouvait prétendre appartenir au genre contemporain, grâce notamment à la mise en tension d’éléments triviaux (planches, grillages, ficelles, tissus ou morceaux de roseaux visibles à l’arrière d’ossements) arrachés à leur prédestination première.

En bousculant de la sorte le concept « Beaux-Arts », le Blidéen reniait l’assimilation à une certaine praxis picturale, démystifiait les canons de la belle plastique rassurante. En 1966, une serpillère collait d’ailleurs à la toile À l’année prochaine si nous sommes vivants pour mieux dénoncer sa condition sociale ou situation financière du moment. Devenus aussi les syntagmes d’une épreuve existentielle et d’un enjeu mémoriel, des nasses apparaissaient avec Li Kanou, Li Rahou, Li Yakounou. Touchant aux résurgences tribales, participatives et cérémonielles, cette œuvre de 1967 détournait des éléments extérieurs et figurait cette année- là à la monstration (agencée le 17 mars au 07 avenue Pasteur à Alger) d’une communauté restreinte de poètes et peintres baptisée Aouchem (tatouage).

Leur volonté d’invoquer un art « d’investigation archétypale » sera aussi relayée par un manifeste arguant en prolégomènes que le tatouage « (…) est né il y a des millénaires, sur les parois d’une grotte du Tassili », que le fonds antédiluvien de l’Anastase produisait de la fluidité sémantique. Convoquant le pré-monde ou arrière-monde, la déclamation polémiste renvoyait aux ténèbres de l’ignorance, en quelque sorte à un univers laissé en jachère et qu’il s’agissait d’investir, c’est-à-dire de thésauriser de manière à composer une interprétation plus vaste et exponentielle du retour vers ou à l’ancêtre.

Seulement, si le manifeste Aouchémite (conçu au domicile de Choukri Mesli) soumettait un élargissement de l’affirmation ou reconnaisse de soi, une voie transversale de réciprocité de laquelle sortirait les flux polysémiques d’une mémoire vive, elle se focalisait au final sur des invasions culturelles (antérieures et successives) caractérisées comme profanations d’un « signe-tatouage » à sacraliser, reconduisait les vindictes d’une identité intégrale et sans partage, les réflexes du retranchement tribal et fœtal. Les intonations vindicatives et protectionnistes du document attestaient que l’art en Algérie n’était concevable que si son discours se déplaçait sur le territoire grammatical de l’anti-impérialisme ; comprise en tant que participation holistique, cette dimension éthico-révolutionnaire ou symbolico- humaniste inhibait la possibilité d’envelopper le « signe-tatouage » d’un substrat spirituel ou de l’élévation cosmique agissant au cœur d’une abstraction occidentale qui, surfant sur la vague japonisante de la fin du XIXe siècle, pu s’auréoler d’une mystique orientale. La proclamation des néo-Tatoueurs sollicitait de la pureté originelle et sacrificielle quand celle des Nouveaux réalistes (rédigée par Pierre Restany) déclarait d’autres « approches perceptives du réel » ou établissait « la passionnante aventure du réel perçu en soi » (Pierre Restany, in Manifeste des Nouveaux réalistes, 1960, Paris).

Opposés à une abstraction lyrique « À bout de souffle » ou narguant la volubilité de l’expressionnisme abstrait de Hans Hartung et Georges Mathieu (en vogue à la fin de la décennie 50), ses membres se positionneront en faveur d’un retour à la réalité mais sans virer vers une figuration de type soviétique. Réaffirmant être au centre de la création, avoir le privilège de prononcer comment et quand désigner un objet en tant qu’œuvre d’art, ils partageaient, à l’instar de Fluxus et des Situationnistes, la mentalité dadaïste, préconisaient l’utilisation de rebuts arrachés aux vécus de leur quotidien, prorogeaient de facto l’accaparement-détournement liminaire de Marcel Duchamp.

Du reste, l’auteur de Nu descendant un escalier N°2 (janvier 1912) avouera en 1966 au critique d’art Pierre Cabanne (échange que le journal Le Monde du 24 octobre 2005 rapporta via l’article de Philippe Dagen « L’archéologie du Nouveau Réalisme »,) qu’il pouvait fort bien passer pour le principal inspirateur de Tinguely, Spoerri, Raysse et Arman. Si le principe d’entassement, d’agrégat ou d’amoncellement rapprochera davantage ce dernier à Duchamp, son mode d’accumulation ne se contentera pas conscientiser un objet manufacturé.

En le dupliquant à outrance par le truchement d’assemblages, le Niçois dépassait largement le geste sismique de 1917. İl particularisait en cela une affiliation, rejetait concomitamment « la carence et la fatigue des peintures hédonistes et des peintures gestuelles » (extrait d’un texte d’Arman daté de juillet 1960 et que Philippe Dagen reprendra dans le périodique Le Monde précédemment cité) et soumettait l’intervention directe de l’artiste dans la finalisation de l’œuvre.

Plus que la simple version hexagonale du pop art américain, le Nouveau réalisme (que parachèveront ensuite César Baldaccini, dit César, Mimmo Rotella, Gérard Deschamps et Niki de Saint Phalle) gagna sa légitimité historique en s’enrôlant donc au sein des excentricités du dadaïsme (qu’il outrepassa avec l’exposition de mai 1961, 40° au-dessus de Dada) et de l’extensivité conceptuelle que Marcel Duchamp inculqua via ses ready-mades.

En « posant un regard neuf sur le monde et en rendant compte de la nouvelle société urbaine de consommation», il situe dès lors en France la naissance de l’art contemporain, genre à la diversification duquel ne participeront pas les peintres officiant en Algérie. Synonyme de savoir-faire, l’habileté manuelle y restait en effet la signature primordiale faisant admettre, à l’intérieur du champ culturel officiel, la présence de tel ou tel aspirant à la visibilité. Pour cela, il ne fallait surtout pas sortir des cadres idéologiques préétablis, mais au contraire se dissoudre de façon impersonnelle dans le moule d’une éthique de communauté, c’est-à-dire des sacro-saintes constantes nationales empêchant d’étiqueter sur le fronton de la création disruptive la singularité agissante de précurseurs capables d’inoculer de la plus-value esthétique dans le déjà-là de l’abstraction, voir au cœur du sillon envahissant de l’orientaliste tardif.

Le catalogue de l’exposition L’exotisme au quotidien (montée du 07 février au 05 avril 1987 au Palais des Beaux-Arts de Charleroi) contient le chapitre « Un visage de l’exotisme au XX° siècle : du Musée des colonies au musée de la France d’Outre-Mer à Paris », chapitre dans lequel Catherine Bouché écrivait au sujet des néo-orientalistes que « Tous appartiennent à la tradition figurative et reste étrangers aux mouvements avant-gardistes qui se déchaînent en France à partir du début du siècle ». Leur dédain vis-à-vis des théories intellectuelles affectant les artistes algériens de la pré et postindépendance, ceux-ci prorogeront cette indifférence. İls le feront au départ en vertu d’un certain mimétisme pictural puis après 1962 au nom d’une intégrité identitaire à préserver ou à implémenter, de là donc cette dommageable double distanciation temporelle qui a constamment éloigné les acteurs locaux des grandes monstrations internationales de l’art moderne puis contemporain. Seuls ceux naturalisés français ou anglais (comme par exemple Zineb Sedira, Adel Abdessemed et Mohamed Bourouissa) à la suite d’une installation pérenne en Europe ont pu entrer dans le jeu et je séquencés de la notoriété parce que leur mode singulier de fabrication agrémente les champs de vision de l’art mondial.

Depuis maintenant plus de deux décennies, moment correspondant à la Concorde civile de l’année 2000, l’État algérien s’applique à intensifier la politique de patrimonialisation qu’impulsa dès sa prise de fonction le ministre de l’İnformation et de la Culture, Ahmed Taleb-İbrahimi (1970-1977). La taxinomie de ce néo-conservateur, fils adoptif de Bachir İbrahimi, cheikh réformiste proche d’Abdelhamid İbn Ben Badis et co- fondateur de l’Association des Oulémas musulmans algériens, mettait à l’époque en avant le miniaturiste Mohamed Racim (devenu son conseiller pour les affaires artistiques) et le post- orientaliste Étienne Dinet. İl faisait d’eux les chantres de la nation parce que le traditionalisme du premier et la conversion à l’islam du second assuraient un cachet notoirement national à la peinture algérienne.

François Pouillon a précédemment rappelé qu’en cataloguant Dinet « Père de la peinture algérienne», l’activité éditoriale de Taleb-İbrahimi infléchira pour plusieurs décennies les regards et accoutumances de néophytes emportés aujourd’hui dans une putative dynamique de légitimation patrimoniale destinée à consolider l’intégrité d’une Algérie homogénéifiée en vertu du latent anti-cosmopolitisme décrété en Juillet 1962.

Suspectée de contaminer l’Homme nouveau, la notion de brassage culturel, de diversité ou porosité ethnique, que répercutait l’Algérie du peuplement colonial, devait disparaître dans l’incubation identitaire d’une « algérité » ou « algérianité » minimale purifiée de toutes souillures externes. Ce diktat officiel laissait penser que les peintres de la « Plongée fanonienne » et/ou du contournement de l’exotisme folklorisant allaient logiquement être adoubés chefs de file de l’art algérien. Mais, accusés de véhiculer une modernité dégénérée, d’avoir transposé sur le sol ensanglanté de la patrie de l’Émir Abd el Kader les reliquats évanescents d’une picturalité ne parlant pas suffisamment à une société majoritairement analphabète, ils seront relégués au second plan, la place centrale revenant donc (hormis Mohamed Racim) d’abord à Étienne Dinet. Sa réhabilitation rassurait les orchestrateurs des slogans « Un seul héros le peuple » et « Non au culte de la personnalité », des signifiants maîtres conformes à l’éthique de communauté et à la réfutation du génie créateur défiant la morale politico-religieuse et modifiant de fond en comble les canons figuratifs et registres old schools du métier de peintre. Plus que l’illisibilité de l’abstraction lyrique ou expressionniste, c’est le processus mental de l’art contemporain, tel que celui-ci s’est constitué en Europe à l’encontre des doxas esthétiques, politiques et religieuses, qu’exécraient les gardiens du temple et du phantasme de l’Un. İls substitueront à son entendement et excentricités le corpus des convainquant indices de l’art national. Ces pièces à conviction que sont les toiles des peintres- voyageurs inversaient la charge de la preuve et accentuaient le faussé creusé au début du XX° siècle entre l’art déconcertant des avant-gardes et celui plus présentables des « Abdeltifs ». Repères tutélaires, les toiles caricaturales, pittoresques et hyper-kitschs d’Étienne Dinet répondaient aux critères de légitimation, objectivaient le recours à une espèce de passéisme de véracité, fournissaient le miroir stéréotypé de la réification collective. La réintégration ou réincorporation patrimoniale du peintre de Bou Saâda participe d’un retournement du stigmate, d’un recadrage iconique, d’une présence identificatoire focalisant la prise de conscience de soi sur des images d’Epinal, d’une ethnographie visuelle mobilisant une poignée d’initiés.

Parmi eux, le milliardaire Djillali Mehri dont la fièvre collectiviste commença en 1963 à Oran lorsqu’il vu, sur le mur du bureau d’un fonctionnaire FLN, une œuvre d’Étienne Dinet. İnstantanément épris par une toile réfléchissant de lointaines réminiscences, le nostalgique d’El-Oued, ville saharienne de ses descendants bédouins, reconnaitra alors en elle le monde de son enfance. Aussi, s’apprêtera-t-il à en acquérir d’autres auprès de pieds-noirs, galeristes et commissaires-priseurs. Ce collectionneur quasi monopolistique du peintre de Bou Saâda ouvrait, vers la fin de la décennie 80, au 30 rue de Lisbonne à Paris, l’espace baptisé « Étienne Dinet ». S’il envisageait de montrer sur les deux niveaux de 300M² le travail des artistes confirmés du monde arabe et les émergents d’Afrique du Nord, les médiums d’Abdellah Benanteur, Malek Lahoussine, Fouad Bellamine, Abderrahmane Ould Mohand et Fayçal Samra, d’offrir, sous les hospices du mécénat privé, le cadre convivial d’un centre d’accueil et de documentation (librairie et bibliothèque), le projet philanthropique tournera court et c’est la production de Maxime Noiré, Étienne Dinet, Eugène Deshayes, Antoine Gadan et Eugène Girardet qui occupera le plus souvent le lieu jusqu’à sa fermeture définitive. En 2003, des tableaux de la collection de Mehri seront accrochés chez Artcurial puis au Musée des Beaux- Arts de Nantes lors de la Saison culturelle L’Année de l’Algérie en France.

L’homme d’affaires contribuera au retour en vogue de la peinture orientaliste, à l’envolée de sa cote en salle des ventes (particulièrement de celles des pays du Golfe) et capitalisera sur le filon Étienne Dinet, figure de proue magnifié du 16 septembre 2023 au 14 janvier 2024 (monstration prolongée jusqu’au 15 septembre 2024) à l’İnstitut du monde arabe (İMA). Le catalogue de la rétrospective (la première depuis 1930) interrogeait, à travers 80 œuvres, une Passion algérienne, soit l’indulgence envers une sorte de gourou qui échappe « au reproche d’exotisme et au procès fait au regard colonial » parce qu’il « (…) peint des fragments de réalité (…), ne fantasme pas un orient qu’il n’a pas vu. Tout est vrai dans sa peinture. Le moindre détail, la moindre grimace, le moindre tissu, couleur, position, a été observé par lui ». Encensé et délaissé, revendiqué et rejeté, le principal pourvoyeur de l’identité visuelle de l’Algérie indépendante aurait très tôt ressenti l’urgence de mémoriser ce qui allait bientôt disparaître et, armé de cette bienveillante conviction, peindra « en ethnologue pour documenter et garder une trace de la beauté algérienne. Une beauté qu’il retrouve autant dans les corps dénudés, que dans les paysages ou les appels à la prière », assertait encore le commissaire Mario Choueiry. Selon lui, « perçu à Bou Saâda (…) comme un juste », l’inspirateur a accouché d’une iconographie à traduire comme « (…) trait d’union des mémoires (…), signe de paix et d’amour et d’intimité entre la France et l’Algérie », ajoutait au journal Arabnews un professeur d’histoire de l’art souhaitant le rapprochement de deux pays en pleine crise diplomatique. Depuis l’annonce, fin juillet 2024, d’un soutien de la France au plan d’autonomie marocain du Sahara occidental, l’Algérie a fait de l’ex- colonisateur le réceptacle de rancunes, rancœurs et animosités étalées au sein des tribunes et colonnes de la presse algérienne.

Les contentieux et tensions entre les deux pays bouillonnant de toutes parts, le journal L’Expression, rampe de lancement des hostilités du pouvoir algérien, parlait le 14 août 2025 du « rôle compromettant de l’İnstitut français en Algérie », d’agents d’influence avançant « masqués derrière des projets culturels, ciblant souvent les plus jeunes, parfois sortis de l’adolescence pour en faire des relais dociles », mettait en doute la mission pédagogique de l’institution en posant la question : « Centre culturels ou nids d’espions ? ». İl laissait de la sorte supposer que dans les couloirs « des instituts français se profilerait l’ombre de la DGSE
», rien de moins que les services secrets de l’Hexagone, qu’ils favoriseraient « la collecte de renseignements et la diffusion de fausse informations », des points de transmission fonctionnant parfois avec la complicité, tacite ou non, de « collabos algériens ».

İl s’agirait donc là de « jeunes sans repères (…) choisis pour leur naïveté et vulnérabilité » et auxquels on promettrait « un avenir radieux, un visa rapide, une carrière internationale », on ferait tellement croire que « l’herbe est plus forte ailleurs », qu’ils finiraient par « céder à la tentation, quitte à brader l’indépendance du pays du million et un demi-million de martyrs ». Le but de toutes ces manœuvres interlopes serait de soutirer des dociles recrutés « les informations transmises directement à Paris », de semer le trouble, de « porter atteinte à la cohésion nationale », de l’affaiblir car, encore « poussée par les nostalgiques d’une époque bien révolue », cette France dopée d’arrogances et de certitudes active malicieusement ses intérêts stratégiques, « rêve toujours d’influencer le destin de ses anciennes colonies (…), n’a pas renoncé à ses ambitions de domination, même lorsqu’elle se pare des atours séduisants de la coopération culturelle ». Derrière les conviviaux salamalecs et discours conciliants, s’affuterait le pernicieux mélange entre « coopération culturelle et infiltrations politiques », un savant calcul manipulateur cherchant à torpiller l’unité et la souveraineté nationales.

Saâdi-Leray Farid, sociologue de l’art et de la culture

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Tunisie : «Excédés », les jeunes médecins descendent dans la rue

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Les jeunes médecins tunisiens manifestent.
Les jeunes médecins tunisiens manifestent. Crédit photo : DR.

Le mercredi 19 novembre 2025, les jeunes médecins tunisiens ont lancé une grève nationale d’une journée, accompagnée d’un rassemblement devant le Parlement, sous le slogan « Nous sommes excédés ». Cette mobilisation touche toutes les facultés de médecine et institutions de santé, à l’exception des services d’urgence, qui continuent à fonctionner pour garantir les soins essentiels.

Cette action fait suite à plusieurs mois de promesses non tenues par le ministère de la Santé, malgré un accord signé le 3 juillet 2025. Les jeunes médecins dénoncent le retard dans le versement des indemnités de continuité, le non-respect des engagements concernant le logement pour certaines catégories d’internes et résidents, le report de la revalorisation salariale et l’absence de couverture sociale complète. L’Organisation tunisienne des médecins jeunes qualifie ces manquements de « renversement flagrant d’un accord national », soulignant l’incapacité du ministère à honorer ses engagements.

Le président de l’organisation, Wajih Dhakar, rappelle que ces médecins ne sont pas des militants de la grève, mais que le non-respect des engagements ministériels les a contraints à passer de l’hôpital à la rue. « Nombre d’entre eux travaillent encore sans rémunération, tandis que d’autres attendent des paiements datant de plus d’un an », souligne-t-il. Le vice-président, Bahaeddine Rabii, insiste sur le fait que la formation médicale en Tunisie vise à servir la santé publique, et non à pousser les jeunes médecins à l’émigration forcée. Chaque année, près de 1 600 médecins quittent le pays, sur environ 1 900 diplômés, un signe alarmant des difficultés du secteur public.

L’accord de juillet 2025 visait à régulariser les conditions de service, notamment en établissant un système d’évaluation des stages et de continuité, en augmentant la prime de service civil à 2 000 dinars, et en garantissant la couverture sociale. Mais plusieurs mesures n’ont pas été mises en œuvre : les textes officiels concernant le logement fonctionnel, la revalorisation salariale et les indemnités sont restés en suspens, aggravant la frustration des jeunes médecins.

Depuis avril 2025, l’Organisation a mené une série d’actions de protestation : grèves, marches et rassemblements pour faire valoir ses droits et améliorer les conditions de travail. Le mouvement du 19 novembre représente une nouvelle escalade, dénonçant la lenteur et la négligence du ministère. La participation citoyenne est jugée essentielle par les médecins pour faire pression et exiger l’exécution complète de l’accord.

En toile de fond, cette mobilisation souligne les difficultés structurelles du système de santé publique en Tunisie, marqué par le sous-financement, la bureaucratie et la perte de confiance des professionnels. Les jeunes médecins réclament une reconnaissance réelle de leurs efforts et une réorganisation urgente des services, afin de garantir la continuité des soins et la stabilité du secteur médical national.

Le message est clair : « Nous sommes excédés », et cette exaspération pourrait se transformer en mobilisation encore plus forte tant que les promesses resteront lettre morte.

Mourad Benyahia 

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Mohamed-Saïd Zahiri ou le spectre de l’islamo-fascisme ! 

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Cheikh Zahiri 1954
Cheikh Zahiri 1954. Crédit photo : DR

« Je crois que l’un des principaux titres de gloire de la France, c’est qu’elle est venue de ce côté-ci de la mer pour réveiller un monde assoupi et lui montrer les vertigineuses perspectives des temps modernes. Elle a ainsi permis au Maghreb de prendre conscience de ses possibilités », nous enseigne le cheikh Mohamed-Said Zahiri (1899-1956) sur les colonnes de La Dépêche quotidienne d’Algérie du 3 juillet 1954. 

Il est l’un des plus tortueux cheikh zaytounien algérien que l’on considère aujourd’hui comme l’une des références de l’islam d’État. Élevé au «33ᵉ grade » de la littérature religieuse du pays, il n’est autre que celui qui a été exécuté par un fedayin du FLN-ALN le 21 mai 1956, devant son domicile de la rue de la Lyre (Alger). La sentence est approuvée par Abane Ramdane en personne, le condamnant pour collaboration avec la police politique de la colonisation. Sa réhabilitation en Algérie d’après 1982, s’est faite en toute discrétion à un moment où les leaders de l’opposition ne pouvaient s’exprimer librement.

 C’est Hocine Aït-Ahmed, chef historique de l’OS qui avait le premier relevé dans son Mémoire d’un combattant que « cet homme d’âge mûr (il avait passé la cinquantaine) j’ignorais tout, sauf qu’il avait fait ses études dans deux prestigieuses universités islamiques (…) En compagnie de Rihani et Sid-Ali, il rendait souvent visite à Messali, qui nous parla un jour en terme des plus flatteurs (…) Il faudrait des années avant que découvrant des preuves flagrantes, le FLN apprenne que le cheikh Zahiri était l’homme du colonel Schoen, le chef des Services des Liaisons Nord-Africaines, autrement dit, du renseignement » (p. 108). 

De son côté, Sadek Hadjerès dans sa contribution août 1949 : au-delà de Ferhat Ali (2006), écrivait : « Dans tous les cas, objectivement, les services français n’ignoraient pas ce qui bouillonnait dans les milieux d’Alger, de Kabylie et d’autres régions du pays ainsi que dans la Fédération MTLD de Paris. Ces services avaient déjà mené leurs opérations de dévoiement d’ « Al-Maghreb Al-Arabi» qui fut un moment l’organe de presse officieux du MTLD, dirigé par leur agent, le cheikh Zahiri. La mission de ce dernier était de propager nombre de confusions très nocives pour la vocation d’un nationalisme libérateur » (p. 2). 

Un Sadek Hadjerès qui s’interrogeait sur le démantèlement aussi rapide des organismes de l’OS, notait avec justesse : « Les archives de la police coloniale, si elles ne sont pas escamotées, nous renseigneront sur les secrets de ses arrestations, opérées étrangement à un pareil « bon moment ». Les deux figures patriotiques aux horizons politiques bien divergeant, avançant un même témoignage sur cet énigmatique personnage, aujourd’hui, objet « d’études» et de rencontres par les milieux de l’islamisme universitaire. Totalement réhabilité et entièrement « blanchi » de son intelligence avec la colonisation, nous interroge sur tout l’intérêt d’une demande de repentance de la part de l’ancienne puissance coloniale. 

Le cheikh Zahiri est une partie intégrante de la famille des oulémas certificateurs de l’unicité séculaire et de l’invariable histoire culturelle algérienne ! C’est un turban rouge qui entra, un jour, en rivalité avec son homologue El-Ibrahimi, afin de l’accuser d’être un membre d’une Loge maçonnique de Sétif… Fielleux et dogmatiques face aux idées de progrès, les cavernicoles de la réaction islamo-fasciste s’alignent en légions de volontaires serviteurs derrière celui qui, dans un éditorial de son Al-Maghreb Al-Arabi, qualifia Ferhat Abbas de « Monsieur le respectable mulet ». 

L’injurieux homme du saint Livre de l’islam, croyait répondre aux propos du Dr. Abbas où il aurait dit, lors d’une de ses rencontres électorales, que « les gens du PPA veulent aller vite, à l’allure d’un cheval, mais un cheval risque de buter et de s’effondrer. Nous préférons l’allure d’un mulet qui est plus lent, mais plus sûr ». C’est par ce verbe que M. S. Zahiri menait sa campagne politique. Un rudiment de l’éveil spirituel, le cheikh de la DST coloniale est aujourd’hui un dévot du nouvel ordre de pensée. De la publication de sa biographie dès 1982 au tout récent numéro spécial Politis-El-Moudjahid de novembre 2021, c’est toute une linéarité idéologique qui verse dans un même delta : celui de l’onction de la momie. Blanchi plus que le blanc de toute incrimination, le cheikh Zahiri est devenue une icône de la « quincaillerie » islamiste en Algérie. 

Son itinéraire politique est riche en détours entre la section des Oulémas de Tlemcen aux rejetons du MTLD-MNA de Messali, en passant par le Bloc ouvrier des musulmans de l’Oranais (BOMO) du Front populaire. Encouragé par l’émir Druze Chekib Arslan lorsqu’il trifouillent quelques nouvelles “littéraires”, il accédera au porte-voix de la haine de tout ce qui représente l’Occident, et ce, en apparence. Le cheikh Zahiri, ex-candidat de l’Union populaire, au 2ᵉ collège durant les municipales d’avril 1953, considère que l’Association des Oulémas qu’il quitta en 1938, avait pour mission « de créer des medersas, de les entretenir et de leur choisir des éducateurs… » et non de faire différentes alliances avec les partis politiques. Des propos qui ont fait l’objet d’une longue interview, méconnue de nos jours, qu’il donna au journaliste Jean Brune (1912-1973) de La Dépêche quotidienne d’Algérie entre le 30 juin et le 3 juillet 1954 et qui sera reprise par L’Echo du Soir d’Oran, du 2 au 30 novembre de la même année. 

Une rencontre qui dresserait bien les poils du sanglier, mais que les adeptes des « loges messianiques » de l’Arabisme, ne sont pas prêts à lire. Tout comme ses écrits d’animateur de la page islamique du quotidien Oran-républicain, avant de renier son appartenance au marxisme ouvriériste, il ne manquera pas d’assister, en janvier 1939, au vin d’honneur à l’occasion de la tournée de Maurice Thorez en Algérie. Quelques années après, on ne dira mot sur son rôle durant le règne de l’Administration vichyste en Algérie, une sorte d’hibernation obligatoire pour se ressourcer. MTLD, UDMA et Oulémas, tous victimes des communistes Habilement menée par le journaliste Jean Brune, l’interview fleuve du cheikh est une page d’histoire de cet entrisme islamiste au sein de ce mouvement national. Et avec dissimulation, l’enfant de Aïn-Bessam et ami d’Albert Camus, notait qu’à une époque où « les violences politiques ne respectent plus rien, et où la fourberie des propagandes tire l’essentiel de sa force de la confusion, l’Association des Oulémas ne pouvait pas être entraînée à se mêler aux luttes politiques ». 

Sage pensée de quelqu’un qui trouva en cheikh Zahiri, le rétrograde artilleur qui, par son tir croisé, n’épargnera personne à quelques mois du « séisme armée » de la “Toussant” indépendantiste. Pour le cheikh Zahiri, la masse musulmane en Algérie, souhaitait que ces Oulémas restent dans les limites du rôle d’éducateurs religieux. Mais, certains d’entre eux « n’ont pas su résister aux tentations de la politique ». Parmi eux, selon M. S. Zahiri, le cheikh El-Ibrahimi qui se trouvait au moment de cette interview, au Caire et aux côtés de Sayed Kotb, le leader des Frères Musulmans d’Egypte. 

El-Ibrahimi « est sorti de son rôle de guide neutre pour prendre parti pour l’UDMA », estime Zahiri. Il aurait même écrit un article dans un quotidien communiste algérien, sous le titre de « Pourquoi je suis pour l’UDMA ? ». Suite à cette « dérive du cheikh », le quotidien en question avait tiré, selon Zahiri, quelque 100 000 exemplaires de l’article et publié sous la forme d’un tract bilingue. 

Les adhérents de l’Association avaient compris que leur structure risquait de devenir un parti politique, par cette « machination communiste » (Zahiri) ; selon ce dernier, seul le cheikh Tayeb El-Okbi « représentait la résistance à cette évolution ». Il avait compris que « l’Association des Oulémas ne jouerait son rôle de gardienne de la tradition musulmane que si elle savait éviter les compromissions de la politique ». Mais que représente réellement l’Association des Oulémas en cette année 1954 ? 

Selon Zahiri, elle voulait « être à la fois un parti politique et un arbitre de la fois au-dessus des Partis, (elle) n’est naturellement ni l’un ni l’autre ». Zahiri visera plus loin dans son interview, le cheikh Larbi Tébessi qui, tout en étant le président de l’Association est aussi président du Front Algérien une coordination politique des trois Partis algériens ce qui laisse à Zahiri de dire, « qu’au lieu de faire un appel en faveur des medersas, et les masses musulmanes eurent compris la portée d’un tel geste !.. » Il a préféré de participer à un appel de fonds en faveur d’un quotidien communiste (Alger-républicain). 

C’est pour cette raison, dira le cheikh Zahiri, qu’il avait quitté l’Association pour « être libre de participer aux controverses politiques sans y entraîner les Oulémas qui n’ont rien à y faire ! ». Que pensait le chantre du réformisme religieux douteux, des marabouts ? La question de Jean Brune est d’autant plus d’actualité à cette époque, puisque M. S. Zahiri s’est rapproché de l’Association des Zaouïas déjà dès 1938, comme valeur d’un réformisme traditionaliste sûre et l’impacte des marabouts sur la masse musulmane « Est énorme ! Les marabouts représentent, noteront Zahiri, la plus grande force algérienne. Mais leur influence politique reste restreinte. C’est un parti en puissance à qui il ne manque qu’un chef. Avant la guerre, les marabouts collaboraient étroitement avec l’Administration. Ils ont été l’objet de telles attaques qu’ils se sont repliés sur eux-mêmes. Si demain, ils trouvaient un chef, ils seraient susceptibles de peser efficacement sur les masses pour jouer un rôle politique capital ! ». 

Pour M. S. Zahiri, le malheur des marabouts est l’absence du leader qui mettrait fin à leurs interminables et graves « rivalités personnelles ». Une manière de se proposer comme candidat à la chefferie de la mouvance la plus réactionnaire et des plus dangereuses politiquement. L’auteur de la nouvelle François et Rachid, 1925 en arabe, a été longtemps salué comme une des plus marquantes référence de la littérature d’écriture arabe en Algérie. 

Avant de se « racheter » dans cette interview, il fut l’un des premiers auteurs oulémistes à évoquer cette origine arabe des Berbères. À la question sur la différence capitale entre Kabyles et Arabes, le cheikh Zahiri et après quelques secondes de méditations, il répondra en français en affirmant que « les Berbères sont dynamiques et volontiers portés vers l’aspect concret des choses. Ils bougent beaucoup et ne méditent pas. Les Arabes sont nonchalants et se laissent séduire par les fascinations abstraites de l’absolu. Ils ne remuent pas… Mais ils méditent beaucoup ! ». 

Craignant que ses propos ne soient interprétés comme une forme d’hostilité envers les Berbères, il précisera que « Attention ! Je ne suis pas anti-berbères, loin de là… et il faut se souvenir que le PPA a chassé les berbéristes qui voulaient dissocier les Berbères des Arabes ! ». 

Cheikh Zahiri un virulent du macarthisme ! 

Si Messali Hadj, selon M. S. Zahiri, est surtout « un homme habile et réfléchi » avec un cœur qui a toujours détesté le communisme, la création du PPA est bien passé par la consultation de l’émir Chekib Arslan bek qui l’a encouragé dans la voie de « soustraire les masses musulmanes à l’influence néfaste du marxisme ». Le PPA était donc l’instrument arabiste permettant « d’arracher la jeunesse et les travailleurs musulmans du communisme ». 

Le cheikh natif de Liana (Biskra) interrogera à cet effet, sur l’existence d’un Parti communiste en Algérie, alors que dans le reste du Monde arabe, ils n’existent nullement. L’auteur du pamphlet salafiste intitulé, L’islam a besoin d’être prêché et prosélytisé ( 1929, en arabe ) considère la situation politique de l’Algérie de juin 1954 est désespérée, puisque « la controverse, dit-il, qui sépare les deux communautés humaines qui s’affrontent en Afrique du Nord au lieu d’essayer d’apprendre à vivre ensemble, est arrivée à un tel degré de tension qu’il est presque impossible d’on aborder la discussion ».

Dès qu’il s’agit de parler de réformes, précise Zahiri, « les Français imaginent que l’on rêve de les chasser par la violence..» et si l’on tente d’expliquer aux Musulmans « les raisons de la conduite française, ils se demandent dans quel piège on veut les faire tomber…». Face à ce dilemme, il y a toujours ce communisme comme source de tous les malheurs politiques des musulmans algériens. C’est cette « menace rouge » qui exploite les impatiences et aggrave la tension, selon le cheikh Zahiri, et les communistes qui soufflent « sur toute les flammes de la rancœur… et ils poussent les exaltés à accomplir des gestes irréparables !..». 

En conclusion, le cheikh de la religion de la soumission à l’ignorance, s’est exclamait de son vivant, qu’il fallait faire « quelque chose avant qu’il ne soit trop tard ! ». Mais son employeur de l’époque, François Mitterrand ministre de l’Intérieur de l’époque, n’avait d’écoutes que ses seules sirènes pétainistes. 

Mohamed-Karim Assouane, universitaire.

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Marguerite – Les circonstances : l’amour face à la modernité

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Marguerite – Les circonstances
Marguerite – Les circonstances. Crédit photo : DR

Marguerite – Les Circonstances, de son vrai nom Marguerite Chauvin, explore l’amour à l’ère moderne avec finesse et humour. À travers le parcours sentimental de Marguerite, elle mêle textes profonds, compositions élégantes et interprétation sensible pour offrir une réflexion poétique sur la fragilité des relations humaines et la résistance aux diktats de performance imposés par la société contemporaine.

Le développement narratif et thématique de Marguerite – Les Circonstances repose sur une opposition fondamentale : celle entre l’amour tel qu’il est vécu — complexe, fragile, soumis aux « circonstances » — et l’amour tel qu’il est dicté ou idéalisé par la société de consommation. Dans l’œuvre, la notion de « sans sous-titres » se traduit par une exploration de l’authenticité émotionnelle, là où le sentiment ne requiert pas d’explication simplifiée ni de performance scénarisée.

La trajectoire de Marguerite, des premiers émois adolescents aux réalités du mariage et de la maternité, est dépeinte sans fard. Elle met en lumière non seulement les grandes joies, mais aussi les tensions, les doutes et la routine, qui constituent les véritables composantes d’une relation durable. C’est l’amour dans son état brut, non romancé, qui exige honnêteté et attention, loin de toute façade idéalisée.

Les paroles de Fabrice Hadjadj, par leur ironie mordante, critiquent le désir de la société de sous-titrer et de labelliser l’amour. L’amour moderne est souvent présenté comme un produit qui doit être instantanément compréhensible, jetable et performant. Marguerite, au contraire, célèbre ce qui est imprévu, gratuit et parfois maladroit — ces « circonstances » qui échappent à toute logique marchande et qui rendent les relations humaines réellement vivantes.

L’interprétation de Marguerite Chauvin, formée au chant lyrique et au jazz, apporte une dimension supplémentaire à l’œuvre. Sa voix traduit une richesse émotionnelle qui va au-delà du sens littéral des mots, exprimant l’indicible, les non-dits et les contradictions de l’amour. L’auditeur est invité à ressentir plutôt qu’à recevoir une émotion pré-mâchée, à plonger dans la complexité intime des personnages.

En définitive, Marguerite – Les Circonstances propose une expérience d’écoute attentive et dénuée de préjugés. L’œuvre rappelle que les histoires de cœur les plus profondes n’ont pas besoin de sous-titres pour être comprises : elles parlent directement à notre humanité partagée, dans toute sa fragilité, sa beauté et son imprévisibilité.

L’originalité et la richesse de Marguerite – Les Circonstances reposent sur la synergie subtile et complémentaire de ses trois piliers créatifs, qui confèrent à l’album sa personnalité unique et cohérente. Marguerite, l’interprète, apporte une dimension vocale rare, fruit de son parcours alliant danse et chant lyrique/jazz. Cette formation lui permet de moduler sa voix avec une finesse exceptionnelle, passant de la légèreté espiègle aux intonations profondes et chaleureuses, traduisant ainsi les nuances émotionnelles des textes. Sa capacité à incarner à la fois la fragilité et la force, le doute et la joie, rend chaque morceau vivant et profondément humain, transformant l’écoute en expérience immersive.

Fabrice Hadjadj, philosophe reconnu, signe des paroles qui vont bien au-delà de la simple narration sentimentale. Chaque texte devient un microcosme où se croisent analyse existentielle et critique sociale. Son style combine une ironie subtile, parfois grinçante, qui désamorce les tensions et éclaire les absurdités de la vie moderne, avec une bienveillance constante envers ses personnages et leurs vulnérabilités. Ce mélange permet à l’auditeur de réfléchir tout en se laissant porter par l’émotion, rendant chaque chanson à la fois drôle, touchante et profondément réfléchie.

Vincent Laissy, quant à lui, habille ces textes d’une orchestration musicale raffinée, qui puise ses influences dans le jazz et la pop, mais reste toujours au service du récit. Ses arrangements apportent rythme, fluidité et mélodie, créant une atmosphère qui tempère la densité philosophique des paroles. L’harmonie entre instruments et voix souligne chaque nuance émotionnelle, permettant au public de ressentir pleinement l’intention derrière chaque mot, chaque pause, chaque respiration.

C’est cette rencontre entre une interprétation sensible, une écriture intellectuellement stimulante et une composition musicale délicate qui fait de Marguerite – Les Circonstances un projet profondément original. Ensemble, ces trois piliers créent un équilibre subtil entre réflexion et émotion, légèreté et profondeur, humour et humanité, donnant à l’album une identité qui lui est propre et un impact durable sur l’auditeur.

L’apport majeur de Marguerite – Les Circonstances réside dans sa capacité à offrir une vision à la fois honnête et humoristique de l’amour au XXIᵉ siècle. L’album refuse la romance idéalisée et linéaire, préférant plonger dans la complexité réelle des sentiments et des relations. Il se construit autour de deux axes thématiques puissants et complémentaires.

Le premier est l’exploration de la condition amoureuse. À travers le parcours de Marguerite, l’œuvre cartographie un spectre émotionnel vaste et universel : la maladresse des premiers émois adolescents, les joies intenses des rencontres passionnées, la désillusion des ruptures et des incompréhensions, jusqu’aux joies complexes et aux angoisses profondes liées à l’engagement durable, au mariage et à la maternité. L’album met en lumière la richesse de ces expériences, où le bonheur et la douleur coexistent, où les contradictions et les imperfections deviennent la matière même de l’amour. Ce regard réaliste et empathique transforme chaque chanson en miroir pour l’auditeur, offrant une compréhension profonde et sincère des dynamiques du cœur humain.

Le second axe est la critique sociale subtile, qui constitue le cœur philosophique du projet. Les textes dénoncent, souvent par l’absurde poétique, l’emprise de la société techno-marchande sur les relations intimes et la tendance contemporaine à rationaliser, classifier et standardiser les émotions. Dans ce contexte, Marguerite devient la « chantre de la faiblesse, de l’imprévu, de la gratuité », incarnant une forme de résistance face aux injonctions modernes : l’efficacité, la performance, le calcul et le consumérisme des sentiments. L’album rappelle, avec humour et finesse, que l’amour ne peut pas être géré comme un produit : il échappe aux modèles préétablis et se nourrit de spontanéité, de fragilité et de liberté.

L’exemple le plus frappant de cette critique se trouve dans l’extrait de À La Poubelle, où l’album ironise sur l’idée de l’amour jetable : « que nos sentiments soient jetables, c’est déjà un bel objectif, pourvu qu’ils soient bien recyclables et voués au tri sélectif ! » Cette phrase met en lumière l’absurdité de la marchandisation des émotions et la pression sociale qui pousse à traiter les relations comme des biens de consommation. Par son humour, sa poésie et sa lucidité, l’album propose ainsi une réflexion sur la manière dont nous aimons aujourd’hui, tout en célébrant la beauté des instants imprévus et de la fragilité humaine.

L’impact de Marguerite – Les Circonstances se manifeste à plusieurs niveaux dans sa relation avec le public, offrant une expérience à la fois émotionnelle, réflexive et esthétique. En retraçant un cheminement amoureux crédible et nuancé, l’album touche directement à la nature humaine de chacun. La sincérité avec laquelle sont abordés les doutes, les maladresses, les ruptures, mais aussi les joies et les instants de bonheur pur, crée une résonance profonde, transformant l’écoute en une expérience intime et personnelle. Chaque chanson devient un miroir dans lequel l’auditeur peut se reconnaître, percevoir ses propres émotions et se confronter à la complexité de ses relations.

La finesse des textes de Fabrice Hadjadj ajoute une dimension philosophique à cette immersion émotionnelle. L’auditeur est subtilement invité à questionner l’authenticité de ses propres sentiments et la manière dont il se situe face aux injonctions sociales de réussite, de performance et de productivité, qui façonnent souvent les relations modernes. L’album devient alors un appel à valoriser la fragilité, à accepter les imperfections et à reconnaître la beauté des sentiments imparfaits, loin des normes et des pressions extérieures.

Parallèlement, l’élégance de l’interprétation vocale de Marguerite et la qualité des arrangements musicaux de Vincent Laissy contribuent à créer une expérience esthétique raffinée. La précision de la voix, la richesse des nuances et l’harmonie des instruments enveloppent l’auditeur dans une atmosphère musicale subtile, à la fois chaleureuse et sophistiquée. Cette attention portée à la forme assure non seulement une première réception positive, captivant l’auditeur dès les premières écoutes, mais confère également une durabilité à l’œuvre, lui permettant de s’inscrire dans le temps et de rester pertinente, émotionnellement et artistiquement.

Ainsi, l’album agit à la fois sur le cœur, l’esprit et les sens, mêlant introspection, réflexion sociale et plaisir esthétique, pour offrir une expérience musicale complète et profondément humaine.

Marguerite – Les Circonstances dépasse largement le cadre d’un simple recueil de chansons ; il se présente comme une véritable fresque poétique et satirique de la vie sentimentale moderne, explorant avec humour et lucidité les complexités des relations humaines. L’album réussit le pari d’allier une dimension intime et universelle : chaque morceau devient un petit tableau où se mêlent fragilité, tendresse, absurdité et émotion brute.

L’interprétation sensible et nuancée de Marguerite donne vie aux textes avec une justesse rare. Sa voix, capable de passer de la légèreté espiègle à la gravité profonde, exprime les contradictions, les hésitations et les moments d’intimité que chaque auditeur reconnaît instinctivement dans sa propre expérience. Les mélodies de Vincent Laissy, à la fois entraînantes et chaleureuses, soutiennent cette narration avec élégance, créant une atmosphère musicale à la fois raffinée et accessible, qui fait résonner les émotions au plus près du cœur.

Les paroles de Fabrice Hadjadj apportent, quant à elles, une profondeur inattendue, mêlant philosophie, ironie et humanité. Elles interrogent les normes sociales, dénoncent les pressions de performance sur les relations modernes et célèbrent la beauté des imperfections et des imprévus. Le trio créatif fonctionne ainsi en parfaite symbiose : la voix de l’interprète, les arrangements musicaux et les textes philosophiques s’entrelacent pour donner naissance à une œuvre à la fois ludique et sérieuse, poétique et critique.

Au final, Marguerite – Les Circonstances rappelle avec force et tendresse que l’amour véritable s’épanouit loin de tout plan marketing ou logique de rendement. Il trouve sa beauté, sa profondeur et sa vérité dans les moments les moins planifiés, dans les émotions spontanées, dans la fragilité et l’imprévu. C’est cette capacité à capter l’essence humaine, à célébrer les hasards et les failles de la vie sentimentale, qui confère à l’album sa singularité et en fait une œuvre capable de toucher durablement son public.

Brahim Saci

Lien : Marguerite

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