19 mai 2024
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Procès et 2e république : un Nuremberg pour des généraux algériens

OPINION

Procès et 2e république : un Nuremberg pour des généraux algériens

Aucune société n’a pu être apaisée si elle n’a pas regardé en face son passé. Toutes celles qui ont essayé de le mettre sous le tapis ont vu rejaillir le spectre de la rupture, de la plus profonde à la plus sanglante. La seconde république algérienne est absolument inenvisageable sans un procès des généraux.

Lorsqu’on aborde un jugement, surtout de cette envergure nationale, il est toujours nécessaire de se rappeler ce qu’est un procès pénal et son objectif. En démocratie, ce n’est surtout pas une vengeance ou un spectacle de cirque où les bas instincts doivent être assouvis.

Mais surtout, où la lâcheté humaine se camouflerait derrière une mise en scène de la haine et de la vindicte populaire. Car de très nombreux algériens libéreraient facilement leur conscience à avoir permis à ce système de régner aussi longtemps et d’en avoir pu en retirer des avantages plus que honteux pour certains.

La justice pénale en démocratie a deux fonctions. La première est la pédagogie de la vérité. La seconde, plus naturellement connue et évoquée, est la sanction des actes criminels et délictueux. Nous y reviendrons, commençons tout d’abord par l’acte d’accusation.

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Un demi-siècle de crimes contre l’humanité

Ce n’est pas une qualification juridique tout à fait appropriée car le crime contre l’humanité possède une définition en droit qui ne correspond pas tout à fait aux accusations envers les actes  du système algérien. Mais cette qualification reste une image des plus rapprochées car comment définir autrement l’action du régime militaire sur le peuple algérien ?

Il est coupable d’une confiscation du pouvoir politique, d’une mise en place d’une terreur d’État, d’un pillage de la rente pétrolière, d’une confiscation des libertés individuelles comme les incarcérations abusives et, pire encore, les assassinats politiques immondes. Tout cela étant accompagné d’une volonté délibérée de destruction de l’école républicaine afin de mettre en place une fabrique de citoyens aux cerveaux formatés à tous les dogmes et soumissions.

La pièce angulaire du système est la manipulation de la religion pour un objectif d’abrutissement jusqu’à l’allégeance totale des esprits. Une stratégie poussée jusqu’à la création d’un mouvement assassin islamiste qui a légitimé et renforcé le pouvoir militaire sur ce pays.

La plupart des officiers supérieurs de ce pays sont responsables, sur plusieurs générations. Il y a peu de circonstances atténuantes car même le silence de certains, minoritaires, fut coupable. On ne peut invoquer l’innocence lorsqu’on accède, grade par grade, volontairement et avec fierté, à une organisation hors du droit et mafieuse.

Cependant, la justice n’est jamais collective, ce serait nous éloigner des valeurs de la démocratie. Le procès des responsables Nazis à Nuremberg n’a pas été collectif puisque chaque cas fut examiné à partir d’une responsabilité individuelle qui a entraîné un prononcé de peines différenciées.

La mise en scène collective a tout simplement un objectif symbolique et pédagogique afin de condamner les actes d’un système tout entier. Le régime militaire n’ayant pas de personnalité juridique, c’est au travers des accusation nominatives de ses dirigeants qu’il est atteint et mis sur le banc des accusés. Pour certains généraux, il est à rappeler que le statut de retraité n’a jamais été exemptoire d’une poursuite pénale ultérieure aux faits caractérisant l’acte pénalement répréhensible.

La pédagogie du procès pénal

Un Nuremberg algérien ne serait pas seulement un procès pénal mais aussi une leçon pour un avenir qui ne peut être envisagé qu’en épurant un passé des plus douloureux. Pour les crimes les plus odieux, le procès pénal permet une première conséquence pour les victimes, celle de la compréhension.

Face à la barbarie, il faut une énumération, une qualification et un décryptage des actes pour mieux appréhender les responsabilités humaines et permettre au peuple algérien de commencer à « faire le deuil » comme disent les psychologues.

Le crime doit avoir un visage, il faut l’identifier pour le rendre à sa dimension humaine. La particularité d’un crime collectif est de n’avoir aucun visage accessible à la raison humaine. C’est même l’objectif d’un régime militaire de se déshumaniser et de déshumaniser les citoyens pour leur intérêt. Remettre de l’humanité dans le procès est indispensable car il est partie prenante de ce besoin de comprendre que nous avions décrit précédemment.

La compréhension est certainement la première étape d’un climat de sérénité pour l’avenir et aucune autre approche ne peut y accéder. La France a payé très cher son souci de vouloir provoquer un oubli trop rapide s’agissant de la collaboration et de la guerre d’Algérie. L’Espagne, en 1978, a commis la même erreur en pensant tourner la page sans le procès du franquisme. Elle fait face aujourd’hui à un retour en force de la fracture avec le problème de la Catalogne et la montée du mouvement franquiste « Vox » aux élections.

Prévoir un avenir serein c’est d’abord regarder en face son passé en le comprenant et en l’épurant par un procès pénal de grande envergure. On ne trouve pas sous les sabots d’un cheval, tous les quatre matins, un Nelson Mandela pour avoir une telle puissance charismatique qui évite la justice et la remplace par une grande messe de réconciliation nationale.

Nous n’avons même pas des candidats prêts à reprendre la succession institutionnelle, quant à trouver un Nelson Mandela, nous y sommes à des années lumière. La conférence nationale de réconciliation est une utopie dont l’Algérie ne peut envisager le risque car il est immense pour la suite.

La condamnation d’un crime

C’est incontestablement l’objectif premier qui vient à l’esprit. C’est volontairement que nous le plaçons en seconde position afin de bien rappeler que dans une dimension nationale, c’est surtout l’objectif pédagogique qui va permettre de guérir les plaies de l’histoire. Il s’agit, bien entendu, d’un ordre d’énumération et non d’un ordre d’importance puisque les deux concourent au sens du procès pénal.

La punition est incontournable car comment créer un système judiciaire crédible dans le renouveau d’une seconde république si on permet l’impunité des crimes les plus odieux. Comment  justifier les peines prévues par le nouveau code pénal de la seconde république ? Quelle base légale légitime aurait la condamnation d’un crime ou d’un délit alors que ceux qui en ont fait la marque de leurs actes au pouvoir seraient exemptés de peines pénales. Se serait une position tout à fait impossible à tenir du point de vue du droit et de la morale républicaine.

La réparation en civil

En droit, un adage précise « Le civil suit le pénal ». En effet, comment envisager un procès pénal du régime militaire sans poursuites sur le plan civil ? Alors que le pénal est la poursuite d’un acte contraire au droit, le procès civil vise à la réparation de tout dommage causé à autrui sur le plan pécunier.

On ne peut pas concevoir que des hauts officiers militaires ne puissent pas rendre des comptes de la gigantesque corruption dont ils ont été coupables. Les biens spoliés, sur le territoire national comme hors des frontières, devront être restitués avec de lourdes amendes pénales qui s’imposent.

Pour cela, il faut une volonté de la seconde république de vouloir investiguer au-delà des biens de l’accusé lui-même. Ce sont les biens familiaux et de l’entourage plus large qu’il faut retenir comme périmètre du champ d’investigation.

L’autre condition est la volonté d’utiliser tous les outils juridiques et conventionnels mis à la disposition des États pour une investigation offshore. L’un des plus récents est la convention internationale pour la transmission automatique des données bancaires que la seconde république devra signer.

La restitution des biens mal acquis est un passage obligatoire vers cette sérénité retrouvée que les jeunes Algériens exigent par leurs manifestations. L’histoire ne connaît pas d’autres moyens d’apaisement que les procès par un système judiciaire entièrement organisé selon les règles de la démocratie.

Les Algériens ont donc le choix, soit ils continuent malgré tout de protéger ce régime militaire car ce dernier trouve toujours une excuse à se légitimer, soit ils le détruisent définitivement dans les règles de la démocratie et du droit.

L’auteur de cet article se veut démocrate et humaniste, il sait que derrière la très grande rigueur du droit qu’il invoque se trouvent des outils de sérénité sociales et humaines, comme l’amnistie, afin de tourner une page de l’histoire douloureuse.

Mais avant une éventuelle amnistie pour ceux qui pourraient en bénéficier, il faut faire face à la justice pour assumer son crime et méditer sur sa honte, si ces personnes ont encore une once d’humanité. C’est en tout cas le rôle du procès pénal d’aller retrouver ce fond d’humanité en eux, même le plus infime possible.

C’est la nature des démocrates et des humanistes de répondre à la barbarie par l’essence de l’humanité.
 

Auteur
Boumediene Sid Lakhdar, enseignant

 




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