22 novembre 2024
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Quand Bachir Hadj-Ali évoquait le Sahara algérien

Sahara

Le colonialisme a fait du Sud algérien que chantèrent les poètes, un champ de mort lente. 

« Visitez Bou-Saâda, la cité du bonheur». Les Guides bleus recommandent aussi les danses des Ouled-Naïls. Et les peintres officiels grassement subventionnés rapportent du Sud algérien tableaux où tout est rose : les faces réjouies des gosses, les riches toilettes des femmes, les couchers de soleil derrière la chevelure des palmiers légèrement courbés sous le poids de lourds régimes de  dattes…

Derrière ce voile mensonger la réalité est horrible, tragique.

Dans le grand building du gouvernement général – surnommé Caverne d’Ali-Baba par les Algériens – et qui dresse sa silhouette insolente face à la misérable Casbah d’Alger, se trouve une direction des Territoires du Sud. Car l’Algérie, que la presse réactionnaire présente comme un « prolongement de la France », est divisée en deux parties : le Nord, administré par les préfets, les sous-préfets, les administrateurs, les bachaghas et les caïds ; et le Sud, qui est divisé en immenses territoires à la tête desquels se trouvent des militaires.

Bachir Hadj Ali et les amères vérités sur les communistes algériens

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Sahara

Le régime du sabre

Le commandant de territoire et l’administrateur d’annexe, régnent en seigneurs féodaux ; ils font arrêter, bastonner ; ils jugent, condamnent, font emprisonner qui bon leur semble. Il suffit qu’un fellah ait des opinions contraires à celles du caïd et qu’il refuse de faire la corvée pour qu’immédiatement il soit séparé des siens, jeté en prison et sa maigre récolte réquisitionnée.

L’administration militaire, a pouvoir de vie ou de mort sur les hommes, les bêtes et les plantes ; elle détient le monopole du forage des puits, de l’exploitation et de la répartition de l’eau.

Quand on sait que dans le Sud, brûlé par le soleil, l’eau est source de vie, on saisit aisément l’étendue des pouvoirs conférés à l’administration du Sud face à un peuple en haillons et désarmé.

Bachir Hadj Ali : un communiste aux multiples facettes

Car la misère est partout. Hommes, femmes, enfants, naguère Rahalla – (nomades en quête de pâturages et d’eau) – possédant troupeaux et tentes viennent aujourd’hui mendier sous les murs des oasis et mourir de faim.

L’oasis de Sidi-Rachid, près de Touggourt, abritait autrefois 1500 âmes. Aujourd’hui, six maisons restent habitées. Des tribus entières ont péri. Des fillettes de 14 à 15 ans, poussées par la  misère sont devenues des prostituées.

C’est un long exode vers le Nord. Des hommes meurent en route. A Laghouat, après  la sécheresse de 1946, il a fallu une équipe de terrassiers pour élever sur la route les cadavres décharnés d’humains.

Où est le Sud et ses nuits enchanteresses chantées par le compositeur Al-Afrite dans une musique chaude, voluptueuse, sur un rythme imposé par la marche du chameau ?

Où est le Sud et ses bergers chantés par une floraison de jeunes poètes algériens ?

Le colonialisme l’a transformé en enfer, en champ de mort lente.

Aujourd’hui, dans le Sud, des palmeraies entières meurent faute d’eau. Sur la route des Ouargla, à Zélfana, lieu désertique, on a foré un puits de 1500 mètres de profondeur. L’eau en jaillit, coule abondante et se perd dans les sables… à deux kilomètres, il y a un terrain d’aviation qu’il faut ravitailler en eau.

Les pistes du Sud sont jalonnées de terrains d’aviation passés sous contrôle militaire.

Laghouat fut la première victime des préparatifs de guerre. Une explosion terrible d’un dépôt de munitions y fit, le 22 septembre 1948, 28 morts et 190 blessés et dévasta des quartiers entiers faisant 500 millions de francs de dégâts.

Les moutons n’échappent pas à la mort. C’est sur eux, à Béni-Ounif, entre Aïn-Sefra et Colomb-Béchar, qu’on expérimente les gaz asphyxiants et transportés à 50 kilomètres de ce centre à Menouar.

La lutte dans le Sud

« Les musulmans du Sahara s’inclinent docilement devant l’autorité », a écrit récemment un ancien commandant des territoires du Sud. Mais la réalité inflige un démenti cinglant à ce jugement colonialiste.

Le Sud crie sa colère et sa misère. Il veut la liberté comme toute l’Algérie.

Et il lutte. C’est la grève des ouvriers du barrage de Tadjemout, en mars 1949, prise de conscience sociale des ouvriers du Sud. Grève longue et dure, réprimée sauvagement. Mais les prisons ne sont pas venues à bout des valeureux combattants de  Tadjemout.

C’est Djelfa et ses jeunes luttant contre les abus de l’administrateur. Ce sont les fellahs du Sud constantinois luttant pour l’eau. Ce sont les paysans de la même région recueillant des millions de signatures contre les procès intentés à Liberté, journal du Parti Communiste Algérien. Ce sont les paysans de Boghari, porte d’accès vers le Sud, chassant les sergents recruteurs pour la criminelle guerre du Viêt-Nam.

Vers l’avenir

Les habitants du Sud algérien sont décidés à luttes jusqu’à la suppression effective du régime des territoires du Sud. Il s’organisent dans les comités de lutte.

Et ils savent qu’ils ne sont pas seuls. Ils savent que, dans toute l’Algérie, des hommes sans distinction subissent le même régime – apparemment moins durs. Ils savent  qu’un Parti, le Parti Communiste Algérien, est à l’avant-garde de la lutte de tout un peuple  pour  arracher l’Algérie de l’enfer colonialiste, pour instaurer une République démocratique. Par centaines, ils rejoignent ses rangs.

Aujourd’hui, leur horizon s’élargit. L’intervention magnifique de Jeannette Vermeersch à l’Assemblée nationale française a fait pleurer de joie et d’émotion les durs paysans du Sud. Et la reconnaissance de la République démocratique du  Viêt-Nam par l’Union Soviétique leur a révélé pour toujours qu’il existe un immense pays où d’anciennes colonies sont devenues des républiques libres et prospères, où le racisme est banni, l’égalité une réalité, un pays où des roses poussent sur les anciennes étendues désertiques de  l’Asie centrale, aujourd’hui jardins riants, un pays de peuples fraternels, un  pays ami de tous les hommes humiliés et opprimés par le colonialisme. »

Bachir Hadj-Ali, paru dans L’humanité du 21 février 1950

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