Les Émirats arabes unis, est le nouvel échiquier stratégique de la lutte française contre les réseaux criminels. La guerre contre le narcotrafic ne se joue plus uniquement dans les quartiers populaires, les ports européens ou les couloirs judiciaires nationaux. Elle se mène désormais à l’échelle globale, là où se croisent flux financiers, logistiques et décisionnels.
Dans cette cartographie du crime mondialisé, Dubaï s’est imposée comme un centre névralgique, au point de devenir un passage obligé pour les autorités françaises engagées dans une lutte qu’elles qualifient désormais de combat contre une menace systémique sur la société et l’écosystème économique du pays.
Dubaï, refuge discret des chefs de réseaux
Depuis plus d’une décennie, la métropole émiratie attire une partie significative des figures du grand banditisme européen. Barons de la drogue français, belges, néerlandais ou italiens s’y sont installés, profitant d’un environnement longtemps favorable : fiscalité attractive, création aisée de sociétés, opacité financière, marché immobilier de luxe et coopération judiciaire limitée avec l’Europe.
Dubaï n’est pas un simple lieu de villégiature. Elle serait devenue une base arrière opérationnelle, d’où sont pilotées des importations massives de cocaïne en provenance d’Amérique latine, via l’Afrique de l’Ouest ou les grands ports du continent européen. Les arrestations ont lieu à Marseille, Anvers ou Rotterdam, mais les décisions stratégiques se prennent souvent à des milliers de kilomètres.
Une doctrine française en mutation
Face à l’ampleur du phénomène, la France a revu sa stratégie. L’objectif n’est plus seulement de désorganiser les réseaux à leur base, mais de remonter jusqu’aux centres de commandement. Cette évolution marque un tournant : la lutte antidrogue devient une affaire de renseignement international, de diplomatie judiciaire et de coopération financière.
Or, sans l’appui des Émirats arabes unis, cette stratégie reste incomplète. Une partie des cerveaux du narcotrafic opère depuis leur territoire, hors de portée directe des juridictions européennes. Sous la pression du GAFI et de partenaires occidentaux, Abou Dhabi a amorcé ces dernières années un infléchissement : extraditions ciblées, coopération policière renforcée, échanges d’informations. Des avancées encore fragiles, mais désormais cruciales pour Paris.
Suivre l’argent pour affaiblir les réseaux
Le narcotrafic est avant tout une économie criminelle mondialisée, générant des flux financiers colossaux. Immobilier de prestige, sociétés écrans, circuits offshore, cryptoactifs : Dubaï concentre une partie des mécanismes de blanchiment utilisés par les réseaux.
Pour les autorités françaises, la bataille ne peut être gagnée sans une coopération financière étroite avec les Émirats. Geler les avoirs, identifier les bénéficiaires réels, démanteler les montages complexes : frapper les finances, c’est s’attaquer au cœur du système. Sans cela, chaque réseau démantelé est rapidement remplacé.
Une menace directe pour l’État
En France, le narcotrafic n’est plus perçu comme une simple question de sécurité publique. Il alimente une violence extrême, banalise l’usage d’armes de guerre, corrompt des pans de l’économie légale et fragilise l’autorité de l’État dans certains territoires. Cette réalité a conduit les pouvoirs publics à parler désormais de menace pour la sécurité nationale.
Mais cette menace ne s’arrête pas aux frontières. Derrière les fusillades et les règlements de comptes, les commanditaires sont souvent hors du territoire national. D’où la nécessité, pour Paris, d’agir à la source et de s’inscrire dans une logique résolument transnationale.
Une coopération aux enjeux politiques
La coopération antidrogue s’inscrit enfin dans un cadre diplomatique plus large. Les Émirats arabes unis sont un partenaire stratégique de la France au Moyen-Orient : coopération militaire, ventes d’armements, renseignement, lutte antiterroriste. Paris dispose d’ailleurs d’une base militaire permanente sur place.
Dans ce contexte, la lutte contre le narcotrafic devient aussi un levier politique. Elle permet à la France d’exiger des engagements concrets en matière d’extradition et de lutte contre le blanchiment, tout en consolidant un partenariat jugé essentiel dans une région marquée par de fortes tensions géopolitiques.
La bataille contre le narcotrafic se joue désormais autant dans les tours de verre de Dubaï que dans les rues de Marseille ou les docks d’Anvers. Elle révèle une réalité dérangeante : la criminalité organisée a pleinement épousé les logiques de la mondialisation.
Pour la France, coopérer avec les Émirats arabes unis n’est ni un choix de confort ni une posture diplomatique. C’est une nécessité stratégique. Sans cette coopération, la lutte restera déséquilibrée, cantonnée aux effets visibles d’un système dont les centres de décision continueront d’opérer à distance, à l’abri.
Mourad Benyahia

