Raphaël Saint-Rémy fait partie de ces génie créateurs si discrets qui préfèrent briller dans l’ombre. Il est un artiste complet. Chez lui s’entremêlent les arts dans une complémentarité sans dualité, le tout tendant vers l’union, vers l’harmonie.
Les compositions et les écrits de Raphaël Saint Rémy sont empreints de spiritualité, une vision philosophique se dégage à l’aise vers un élan menant la réflexion vers des cimes qui bousculent la compréhension cassant les impasses, où les mots ont des sonorités qui apaisent les braises du mental.
Le profane et le mélomane trouvent des lucarnes dans les ombres où jaillissent des éclaircies. Dans les œuvres de Raphaël Saint-Rémy il y a l’apparent et le caché, les mots offrent ainsi plusieurs sens.
Né à Orléans, Raphaël Saint-Rémy étudie le piano, le hautbois, les ondes Martenot, l’électroacoustique et l’écriture dans différents conservatoires, Orléans, St-Maur, Boulogne-Billancourt, ainsi qu’au CNSMD de Paris (Conservatoire National de Musique et de Danse de Paris).
Raphaël Saint-Rémy se passionne tout d’abord pour la musique contemporaine (en particulier au sein du sextuor Jeanne Loriod), puis participe aux côtés de Michel Moglia aux « Chants thermiques de l’orgue à feu ».
Après une période d’interruption, il renoue avec l’activité musicale, essentiellement dans le domaine de l’improvisation. Il joue avec Raymond Boni (CD « Clameur »), Jean-Claude Jones (CD « Serendipity »), Benjamin Bondonneau, Géraldine Keller et Jean-Luc Cappozzo (CD « Comité Zaoum »), Michaël Nick, Beñat Achiary.
En 2005, commence son immersion dans la littérature, le genre théâtral semble s’imposer, il écrit six pièces de théâtre : « Alpha » (paru aux éd. Le Chant du Moineau, 2018), « Delta », « Kappa », « Psi », « Thêta », « Zêta », formant le cycle « Le mont Olympe ».
Raphaël Saint-Rémy innove en suite en se lançant vers un autre genre littéraire, celui dit de fiction, « Des espèces en voie d’apparition » (bestiaire imaginaire) éd. Le Chant du Moineau, 2016 & L’Oscillographe 2022.
« Contrechamps », éd. Université Gustave Eiffel (Collections de l’Ifsttar), 2020.
« Éclipses » éd. L’oscillographe, 2022.
« La galerie des modèles » (dans le cadre du projet « Entreponts » de l’Université G. Eiffel) éd L’Oscillographe 2023.
« Vaste laps » éd. L’oscillographe, 2023
Inédits (fiction) :
« Le fils du Greco » (2023).
Raphaël Saint-Rémy réalise aussi avec Benjamin Bondonneau deux émissions sur France Culture (Création on air) : « Animaux en voie d’apparition », et « L’orthographe des émotions » (2017).
En 2021, il compose avec Michaël Nick une série de 20 pièces pour violon et piano, dans le cadre d’un projet soutenu par le laboratoire LVMT, (laboratoire pluridisciplinaire, est une unité mixte de recherche entre l’École des Ponts ParisTech et l’Université Gustave Eiffel), et l’Université Gustave Eiffel.
Raphaël Saint-Rémy enseigne depuis 2004 la culture musicale dans un conservatoire parisien.
Les arts en général nous aident à mieux appréhender le monde. Et les œuvres de Raphaël Saint Rémy nous plongent entre l’ombre et la lumière, les sens en éveil, pour tout capter et ne rien rater de ce qui bouscule et élève la réflexion.
Le Matin d’Algérie : De Orléans à Paris, vous avez étudié au conservatoire, le piano, le hautbois, l’écriture musicale. Qui est Raphaël Saint-Rémy ?
Raphaël Saint-Rémy : Il est toujours difficile de dresser son propre portrait… Les informations « administratives », comme la date et le lieu de naissance, ne nous apprennent pas grand-chose sur un être quel qu’il soit. Plus important est peut-être de souligner, en ce qui me concerne, que la pratique de la musique, à partir de ma sixième année (pratique encouragée par ma mère, malgré des conditions de vie assez difficiles), a favorisé en moi le développement de mon imaginaire ; imaginaire qui par la suite s’est déployé dans des directions plus variées que je ne l’imaginais étant enfant.
D’abord la musique classique, puis la musique contemporaine, l’expérimentation sonore avec l’Orgue à feu, l’improvisation, et aujourd’hui l’écriture, qui a presque pris le pas sur la musique. Mais rien ne dit que les choses n’évolueront pas encore !
Finalement, il se pourrait qu’à l’image de tout être humain je me reconnaisse mieux dans le mouvement que dans l’immobilité, dans l’inconstance que dans l’image fixe…
Le Matin d’Algérie : Vous venez du classique, pourquoi cette passion pour la musique contemporaine ?
Raphaël Saint-Rémy : Si j’essaie de me souvenir de mes premiers contacts avec la musique dite contemporaine, se dégagent deux ou trois choses : parmi les quelques disques vinyles que nous possédions (cinq ou six, guère plus), se trouvait, de façon assez étonnante, le « Pierrot lunaire » de Schönberg, pour voix et ensemble instrumental. J’ai encore dans l’oreille la modulation très spécifique de la voix de la chanteuse (technique du « Sprechgesang »), et l’univers poétique très énigmatique pour moi qui se dégageait de cette musique. Je suis allé également plusieurs années de suite aux « Journées de musique contemporaine d’Orléans » qui m’ont ouvert aux sonorités neuves et expérimentales. Autre souvenir marquant : ma découverte, toujours à Orléans, de l’opéra de Berg « Wozzeck ». Œuvre qui m’a profondément marqué, qui n’a cessé de m’accompagner depuis lors, et que j’ai passé des journées entières à analyser.
Par la suite, j’ai découvert, en entrant au Conservatoire de Paris, les Ondes Martenot, instrument qui, là encore a ouvert en moi des espaces inconnus. J’ai appris cet instrument auprès de Jeanne Loriod (la belle-sœur d’Olivier Messiaen), et fait partie pendant cinq ans de son sextuor, qui se consacrait exclusivement aux musiques du 20ème siècle. Mon esprit s’était dès lors définitivement tourné vers la création. Il me semblait naturel et évident de pratiquer une musique composée par mes contemporains. Cela m’intéressait davantage que l’interprétation d’œuvres anciennes.
Le Matin d’Algérie : Quels sont les compositeurs et les écrivains qui vous influencent ?
Raphaël Saint-Rémy : Je ne suis pas sûr que les compositeurs ou les écrivains qui comptent pour moi soient forcément ceux qui influencent directement mon travail.
Bien sûr j’éprouve une grande admiration pour bon nombre de compositeurs (difficile de n’en citer que quelques-uns, mais j’évoquerais Gesualdo, Bach, Schubert, Berg, Messiaen, Varèse, Crumb, Sciarrino, Lachenmann), mais aussi pour des musiciens de jazz (Thelonious Monk, Billie Holliday, Roland Kirk, Eric Dolphy, Albert Ayler…) ainsi que pour des musiciens de musique traditionnelle (le Pakistanais Nusrat Fateh Ali Khan, l’Azerbaïdjanais Alim Qasimov, l’Indien Hariprasad Chaurasia, la Mauritanienne Dimi Mint Abba). Certaines musiques ou pratiques théâtrales asiatiques me touchent particulièrement : le Bunraku japonais et le Pansori coréen.
Du côté des écrivains, ceux qui ont certainement eu l’impact le plus important sur moi sont Franz Kafka, Thomas Bernhard, James Joyce, Samuel Beckett, Giorgio Manganelli. Je reviens souvent vers eux ; ils m’auront accompagné durant tout mon existence. Tous ces créateurs, et avant tout peut-être leur formidable puissance de travail, sont des stimulants. Mais je ne suis pas loin de penser que pour un auteur, l’influence vient autant de ses lectures ou des œuvres qu’il écoute ou contemple que du monde qui l’entoure, des êtres qu’il côtoie, des merveilles du monde animal, végétal ou minéral. Quant à savoir de quelle façon tout cela se retrouve précisément dans un livre ou une musique, c’est un autre problème.
Le Matin d’Algérie : Nous pouvons dire que vous êtes quelqu’un d’éclectique, comment faites-vous pour passer de la composition musicale, au théâtre et à la littérature de fiction ?
Raphaël Saint-Rémy : Parfois les choses se font sans que je le veuille ! Récemment la comédienne Marie-Angèle Vaurs et le metteur en scène Michel Mathieu ont adapté pour la scène un texte que j’avais écrit (« La mère du passeur », extrait du livre « Éclipses »). Je n’avais pas imaginé un seul instant un prolongement de ce type !
Par ailleurs je ne me considère pas comme un compositeur. Ma pratique musicale est bien davantage liée à l’improvisation. Quelques tentatives récentes de compositions ne suffisent pas à faire de moi un compositeur !
Reste que j’aime beaucoup en effet passer d’une activité à une autre, ou d’un texte long à une série de textes courts, d’un instrument de musique à un autre, etc. Sans doute cela a-t-il à voir avec des énergies différentes, qui se stimulent l’une l’autre. Pour autant je ne pourrais pas affirmer qu’il en ressort une unité générale. S’il y a partage d’une même sève, cela se fait par des racines et des échanges souterrains qui me demeurent obscurs…
Le Matin d’Algérie : Un mot sur votre fils Ismaël, musicien talentueux qui après avoir étudié la guitare classique s’est lancé dans l’apprentissage du oud ?
Raphaël Saint-Rémy : Ismaël a découvert le oud lors d’un concert. Il a ensuite appris l’instrument auprès du magnifique professeur Fadhel Messaoudi. Aujourd’hui il est étudiant en ethno-musicologie. Sa thèse de doctorat portera principalement sur le « Medeh » des Haratins de Mauritanie. Je suis très heureux de le voir s’épanouir dans ce sujet d’étude particulièrement passionnant. Sa pratique du oud se poursuit bien entendu, avec le désir de trouver dans ce domaine un chemin qui lui soit propre.
Le Matin d’Algérie : Le compositeur Claude Debussy disait, « La musique doit humblement chercher à faire plaisir, l’extrême complication est le contraire de l’art », qu’en pensez-vous ?
Raphaël Saint-Rémy : Cela nécessiterait de prendre chaque terme et de bien le définir ! J’ai une immense admiration pour la musique de Debussy, qui a révolutionné en profondeur le langage musical. Mais la phrase me paraît trop définitive pour ne pas être suspecte… D’où vient le plaisir ? Toujours de la simplicité ? Ce n’est pas dit ! Si la complication est sans doute problématique, la complexité ne l’est pas forcément ! Quant au « contraire de l’art », il implique que l’on sache bien ce que le mot art signifie, ce qui n’est pas gagné !
Je dois dire que je me méfie un peu de ce besoin de définir ce qu’est l’art, et encore plus des recommandations que l’on se croit autorisé de donner pour en produire un « véritable ». Il me semble que c’est le peintre Jean Dubuffet qui disait : « Nommez l’art, et aussitôt il s’enfuit » !
Le Matin d’Algérie : Les conservatoires parisiens s’ouvrent depuis quelques années sur les musiques du monde et les musiques actuelles, ce qui peut construire des ponts ou des passerelles entre les genres musicaux, quel est votre avis là-dessus ?
Raphaël Saint-Rémy : J’y suis évidemment tout à fait favorable. Depuis toujours les musiciens (y compris ceux de musique dite – bien maladroitement – « savante ») sont curieux des musiques d’ailleurs, s’en inspirent, vont y chercher des pistes nouvelles. Beaucoup de musiques extra-européennes sont de tradition orale. Leur apprentissage implique d’autres méthodes, d’autres approches, dont la culture occidentale, basée sur l’écrit, gagnerait parfois à s’inspirer. Quoi qu’il en soit, les passerelles dont vous parlez ont toujours existé. Musiques profanes et sacrées, de danse et de concert, se sont toujours inspirées mutuellement, et ont parfois évolué de l’un à l’autre de ces genres. Il existe donc des passerelles, mais également des migrations, des déplacements, avec des proximités ou des différences qui évoluent, sont à reconsidérer. Mouvements passionnants à observer. C’est la vie même, et non le musée !
Le Matin d’Algérie : Avez-vous des projets en cours ou à venir ?
Raphaël Saint-Rémy : J’ai achevé fin 2023 un long texte de fiction ayant pour sujet principal l’œuvre du peintre El Greco ; et je termine en ce moment un au Raphaël Saint-Rémy : un texte lié à la peinture – moderne cette fois. Pour le reste, j’ai des projets bien sûr, mais il est toujours dangereux d’en parler avant de les avoir réalisés !
Le Matin d’Algérie : Un dernier mot peut-être ?
Raphaël Saint-Rémy : On sait que les « derniers mots » sont en général loin d’être les derniers ! Bien au contraire ils suscitent, à peine prononcés, de rapides et salutaires contradictions. Je ne me risquerais donc à en lâcher un qu’en ayant la parfaite conscience qu’il appellera tôt ou tard sa réfutation. Ceci étant, à présent qu’il faut choisir, je ne constate qu’aucun ne me vient. C’est donc avec un signe de ponctuation, ouvert et fertile, que je vous propose de terminer : celui d’interrogation. N’est-il pas le plus beau ?
Entretien réalisé par Brahim Saci