Dans l’avion qui l’amenait en terre d’exil, il fit la connaissance d’un compatriote bien au fait de la vie parisienne. Il l’en entretint tant et si bien qu’il finit par ne plus craindre l’exil qui devint un doux euphémisme.
Il le déposa au quartier latin, Près du boulevard Saint Michel. Proche de l’hôtel Saint Séverin où il passa quelques jours. L’un de ses compatriotes l’ayant généreusement hébergé ensuite, le temps de trouver une piaule en banlieue en Val de Marne. Il y est resté quelques semaines avec une dame à la retraite qui, pour avoir un revenu complémentaire, louait une chambre. Il apprit plus tard qu’elle avait plusieurs enfants dont certains lui rendaient visite de temps à autre. Particulièrement lors des fêtes.
Il eut à les connaître, un jour de fête. Il se souvient particulièrement d’un soir où, de retour de l’université, il trouva sa logeuse pleurant. Elle lui expliqua que, lors de la venue de ses enfants, ils discutèrent en sa présence du sort futur de son pavillon qui leur reviendra en héritage. Elle mit, l’affranchit-elle, toute une vie de labeur intense avec son défunt époux pour y arriver.
Omar se levait tôt chaque jour. C’était l’hiver. On ne parlait pas encore du réchauffement climatique. Il faisait un froid à ne pas mettre le nez dehors. Et pourtant, il le fallait. Vers six heures du matin. Il prenait invariablement du thé. Et il sortait pour prendre le RER vers Paris. Il lui fallait bien un quart d’heure pour arriver à la station, surtout par temps de neige. A huit heures, il devait aux portes d’un centre proche de la Tour Eiffel où on affichait dans le hall des annonces pour des travaux ponctuels. Souvent réservés à des étudiants. Chaque jour, c’était la débandade.
Après avoir noté quelques annonces, il fallait courir à l’assaut des cabines téléphoniques toutes proches pour prendre contact avec leurs employeurs pour quelques jours, voire quelques heures parfois. Pour avoir quelques dizaines de francs et les convertir presto illico en tickets des restaurants universitaires pour s’assurer la pitance quotidienne et l’abonnement à la carte orange, titre de transport mensuel. Il fit ainsi toutes sortes d’emplois.
Tantôt distribuer des tracts publicitaires à la sortie des bouches de métro, tantôt partir en banlieue à plusieurs pour vendre des cartes postales d’associations caritatives à des habitants d’immeubles où certaines âmes charitables n’hésitèrent pas à lui en acheter plusieurs pour l’aider dans cette tâche. Il fit ainsi la connaissance de l’un des immigrés maghrébins qui jouait au balayeur dans le métro. Il sortit fort en colère, le menaçant de son balai.
Il distribuait les tracts publicitaires que certains jetaient à même le sol, occasionnant à Ammi Ahmed un travail supplémentaire. Il finirent par sympathiser et rire de leur misère : l’un balaie ce que l’autre distribue… Mektoub, se sont-ils dit…
Pus tard, il put louer un studio dans un état peu glorieux. Grâce à l’un de ses camarades d’université. Ce fut là véritablement le début de sa carrière d’exilé. Un immeuble voué au dépérissement. Escaliers fort étroits sur quatre étages. Il habitait au quatrième. Toilettes sur paliers pour quelques seize familles. Vue sur les toits d’autres immeubles qui allaient au fur et à mesure s’emplir de paraboles, compagnons qui allégeaient quelque peu la solitude et la froideur de l’exil.
Le studio ? Entée donnant sur une chambre où furent placés un lit et une armoire. Un lavabo dans un mètre de cuisine. Avec un petit débarras dont l’état ne prédisposait à aucune utilisation. La salle de bains ? Un luxe alors. Merci les douches municipales ! Il s’y rendit longtemps en fin de semaine. Le reste ? Une mince porte presque friable. Des fenêtres aux vitres si minces que le froid en hiver établissait ses quartiers. Il dut changer certaines vitres.
Ses voisins étaient issus de plusieurs endroits de la mappemonde. Afrique noire, Maghreb, Asie et Amérique latine. Quelques rares Européens. De l’Est. Sans doute quelques rescapés de goulag ayant cru à l’Eldorado. Et un gardien d’immeubles du Portugal. Le voilà donc à pied d’œuvre dans cet immeuble bigarré aux couleurs internationales. Un vaisseau qui a largué ses amarres dans un quartier littéralement squatté par tous les damés de la Terre.
A la périphérie de Paris. Ils se sont tous involontairement donné rendez-vous dans ce coin comme rançon à leur indigence. Quelle outrecuidance d’oser se mesurer à l’ex-métropole ! Coincé ainsi dans un quatre étages aux continents variés, il allait observer toute la misère du monde. L’évasion de l’indigence de leurs pays les plaçait dans une autre indigence. A proximité pourtant, il y avait un océan d’abondance. La société de consommation à portée de vue, non à portée de mains…
Alger, en été. Il ouvrit Le Monde diplomatique. Il tomba sur une annonce de l’Université de Paris XII, dans le Val de Marne. Offre d’inscription en diplôme d’études approfondies en droit public. Il fit acte de candidature et reçut une réponse en forme d’invitation à un oral. Son passeport étant prêt, il demanda une autorisation de sortie et partis. Son examen terminé et le résultat étant positif, il revint à Alger pour régler quelques questions demeurées en suspens et repartit en se considérant en villégiature au cas où il ne pourrait poursuivre son troisième cycle. Il put s’inscrire et resta quelques jours à l’hôtel Saint Séverin, en plein quartier latin. Quelques jours plus tard, il emménagea dans le Val de Marne pour quelques semaines. Ce qui lui facilita mss allers-retours vers la Faculté de droit.
Il est vrai que l’accueil ne fut pas des plus chaleureux. Il eut l’occasion de le tester. Un jour, il demanda à l’un de ses camarades d’études son cours pour en faire une copie. « Je ne prête pas mon cours à n’importe qui », telle fut sa réponse. Cinglante et sans appel. Une lézarde dans sa conscience alors naïve. Qu’importe, il put vérifier que d’autres camarades étaient autrement moins acrimonieux à leur encontre car ils étaient plusieurs, Maghrébins et Africains. Quoique l’un de leurs enseignants, brillant par ailleurs, n’hésita pas un jour à leur dire : « Beaucoup d’étudiants étrangers viennent en France pour faire du tourisme ». No comment !
Pourtant, plusieurs d’entre eux réussirent à leurs examens. Fort de quelques autres expériences du même acabit, il préféra m’inscrire en thèse dans une autre Université plus clémente. (A suivre)
Ammar Koroghli-Ayadi, auteur-avocat
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