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Réforme des subventions: des tergiversations révélatrices d’un dilemme majeur

Economie

Réforme des subventions: des tergiversations révélatrices d’un dilemme majeur

Entre la molle velléité de réformer leur mode de fonctionnement, la hantise de « jacqueries » qui pourraient en résulter, les cercles de réflexions engagées à leur sujet et les déclarations contradictoires de plusieurs officiels au cours de ces derniers mois, les subventions publiques au soutien des prix des produits jugés de première nécessité, font l’actualité économique algérienne, sans qu’elles fassent réellement débat. C’est-à-dire, de débat bien structuré, pris en charge par des institutions, des médias et des acteurs de la société civile, il n’y en a presque pas.

Poussé dans ses derniers retranchements, après la chute des prix du pétrole sur les marchés mondiaux, le budget de l’Etat n’arrive plus à entretenir le rythme et le volume dispendieux par lesquels sont accordées, de façon généralisée, les subventions. Ces dernières, auxquels s’ajoutent d’autres avantages financiers ou fiscaux [prise en charge des taux d’intérêts des crédits immobiliers par l’Etat, différentes exonérations fiscales et parafiscales pour les investissements dans certaines zones prioritaires,…], constituent, sous le nom générique de transferts sociaux, une charge qui dépassent 16 milliards de dollars par an, y compris pendant ces années de crise financière.

Si le sujet a été abordé- réellement, à peine effleuré- en 2015, avec les vaines envolées de l’ancien ministre des Finances, Abderrahmane Benkhalfa, il n’a donné lieu à aucune espèce de réflexion structurée ou de projet de réforme. Néanmoins, des informations « fuitées » faisaient, alors, état de l’installation d’une commission au ministère des Finances chargées de plancher sur le devenir des subventions dans le contexte de la crise. Le caractère quasi « clandestin » d’une telle initiative dénote la complexité et la sensibilité du sujet. En effet, l’histoire du soutien des prix à la consommation est une pratique ancienne, depuis que la rente pétrolière, particulièrement depuis le début des années 1980, a permis que l’Etat use de telles prodigalités pour acheter la paix sociale et constituer des clientèles.

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Une casse en série

Pour les analystes de la scène économique algérienne, le mal le plus profond consiste en cette grave dérive qui a conduit à la casse de l’appareil économique national. En subventionnant la consommation des produits d’importation, l’Etat avait fini par faire une concurrence déloyale à ses propres producteurs. Légumes secs, lait en poudre, sucre, huile,…etc., étaient revendus par les structures de l’Etat (Galeries algériennes et Souk El Fellah) à un prix inférieur au prix d’achat. En d’autres termes, le phénomène d’Al Waâd Sadek (opérateur de Sour El Ghozlane qui vendait, jusqu’à 2015, des voitures avec ce mystérieux système anti-commercial) avait apparemment de qui tenir.

Le système des subventions avait installé la pénurie, la contrebande vers les pays frontaliers de l’Algérie (où les produits soutenus trouvaient facilement preneurs) et un système clientéliste construit sous forme réticulée. Le produit algérien entrera dans la gamme des « antiquités » et un terrible esprit d’assistanat s’est longuement installé dans le corps de la société. L’effort, les valeurs du travail, la recherche de l’efficacité, les normes de l’école et de l’enseignement, la discipline, tout cela a déguerpi au profit d’une pétaudière assise sur l’anarchie, le gaspillage, le nivellement par le bas et les allégeances politiques qui font obéir au doigt et à l’œil.

Sortir d’un tel bourbier, vaseux et gluant, n’est pas chose aisée. Cela a un coût social et politique à forte sismicité. Socialement, l’alternative à un désengagement de l’Etat aussi brutal, voire même progressif, n’est pas assurée dans l’immédiat. La relance économique qui permettrait la création de centaines de milliers d’emplois et l’augmentation des revenus, n’est pas encore enclenchée. Le sera-t-elle un jour ? Ce même désengagement ne peut pas se réaliser sans une déchirure dans le « contrat social » tacitement signé avec l’ordre politique actuel. D’où les mille précautions que prend le gouvernement- malgré quelques sons dissonants, ici et là- pour avancer sur ce dossier.

Tergiversations et appréhensions

L’on a beau présenter une telle réforme sous le magnanime principe du meilleur ciblage à organiser pour soutenir les ménages qui sont réellement dans le besoin (soit à peu près 10 millions d’habitants), le sujet ne manque pas, cependant, de « sentir le soufre ». C’est que, pendant tout ce temps passé à tergiverser et à tirer des plans sur la comète, les revenus d’une grande partie des ménages algériens se sont gravement détériorés du fait de l’inflation, de la dévaluation du dinar et des nouvelles taxes appliquées à plusieurs produits, principalement les matières énergétiques (carburants, électricité, gaz).

L’on se souvient que le ministère de la Solidarité nationale avait, dès 2014, lancé l’idée de recenser, conjointement avec les APC, les familles nécessiteuses, en préparation justement au démantèlement du système de soutien uniforme et généralisé des prix à la consommation. Le sujet semble apparemment plus complexe qu’on ne le croyait. Les critères de classification et de détermination du niveau de vie des ménages, le retour à la vérité des prix et le nouveau mode opératoire pour soutenir les ménages les plus fragiles ne sont pas des opérations aisées. Elles exigent une rigueur à toute épreuve, de la transparence, une justice sociale et une volonté politique bien affirmée.

Pour le gouvernement, reconvertir l’ancien système de subventions dans un tel contexte relève d’un incommensurable challenge. Pourtant, il n’y a pas d’autres choix que de libérer le budget de l’Etat d’un populisme rentier ayant atteint ses limites objectives. C’est justement, à l’aune de ces nécessaires réajustements qu’apparaîtront les vrais choix et engagements de l’Etat en faveur des franges les plus vulnérables de la société.

A. N. M.

 

Auteur
Amar Naït Messaoud

 




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