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Rencontre avec le cinéaste Ferhat Mouhali

Ferhat Mouhali
Crédit photo : Cécile Pomier

L’acteur, réalisateur, documentariste, scénariste Ferhat Mouhali, a réalisé avec son épouse Carole Filiu-Mouhali un beau long métrage documentaire « Ne nous racontez plus d’histoires ! » sur la guerre d’Algérie.

« Ne nous racontez plus d’histoires ! », est un film documentaire, étonnant, courageux et bouleversant de Carole Filiu-Mouhali et Ferhat Mouhali sur la guerre d’Algérie, un regard apaisant, apaisé, sur une histoire écorchée, c’est aussi un nouveau regard plein d’amour pour un rapprochement entre les deux rives pour un avenir meilleur. Il a fallu sept-ans à ce couple de réalisateurs Marseillais Filiu-Mouhali et Ferhat Mouhali pour finir ce film, Ne nous racontez plus d’histoires.

Ce sont deux regards de chacune des deux rives qui se rejoignent en un, qui déchirent des brouillards pour que le soleil puisse briller, dans une quête de vérité et d’espoirs.

Le Matin d’Algérie : Avant de parler de votre film, « Ne nous racontez plus d’histoires ! », qui est Ferhat Mouhali ?

Ferhat Mouhali : Avant de faire du cinéma, j’ai fait des études en économie à l’université de Béjaïa, c’est là que j’ai milité au sein de l’association nationale de jeunes RAJ (Rassemblement Action Jeunesse). Avec les autres membres de l’association, nous faisions du théâtre engagé sur les thématiques des droits humains. Puis j’ai découvert le cinéma documentaire avec les ateliers de Bejaia Doc organisés par la cinéaste Habiba Djahnine durant lesquels j’ai réalisé mon premier court-métrage documentaire “Heureusement que le temps passe”. Il a obtenu le prix du jury au festival national du film amazigh en Algérie et le coup de cœur du public du festival français Point Doc. J’ai réalisé ensuite “Des vies sous silence”, lors de l’université d’été de la Fémis (École nationale supérieure des métiers de l’image et du son) en 2012 à Paris. En 2020, j’ai réalisé mon premier long métrage documentaire « Ne nous racontez plus d’histoires ! ». En tant que comédien, je joue en ce moment dans des séries et longs-métrages français et étrangers.

Le Matin d’Algérie : Parlez-nous de cette collaboration avec Carole Filiu-Mouhali ?

Ferhat Mouhali : Carole est journaliste et elle était en train de réaliser un webdocumentaire sur les femmes algériennes (FATEA) quand nous nous sommes rencontrés. Nous avons travaillé ensemble sur ce projet qui a été diffusé sur TV5 Monde en 2012. Puis quand j’ai réalisé “Des vies sous silence”, elle s’est rendue compte elle aussi qu’elle manquait de connaissances sur la guerre d’Algérie alors qu’elle est fille de pieds-noirs. Nous avons décidé de travailler ensemble à nouveau et de croiser nos regards sur notre passé dans “Ne nous racontez plus d’histoires !”.

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Le Matin d’Algérie : Un mot sur la genèse de ce film ?

Ferhat Mouhali : Quand j’ai fait ma formation à la Fémis en 2012, c’était le cinquantième anniversaire de l’indépendance algérienne et j’ai souhaité réaliser un court-métrage sur ce sujet. Carole a travaillé à mes côtés et après de longues discussions, nous avons réalisé que nous avons reçu chacun une histoire officielle de cette guerre.

Tout au long de la réalisation du film, nous avons découvert des histoires et des souffrances légitimes, isolées, séparées, comme si chaque personne avait souffert plus que les autres. Notre objectif : les réunir et essayer d’avancer, ensemble.

Le Matin d’Algérie : Quels sont les obstacles rencontrés ?

Ferhat Mouhali : Nous avons rencontré beaucoup de difficultés. Au début de la réalisation, nous avons reçu des financements de différentes institutions de cinéma mais malheureusement, notre producteur de l’époque a fait faillite. Les financements dédiés au film ont disparu et nous avons dû racheter nos droits d’auteur. Le tournage a eu lieu à ce moment-là, en 2015, dans ces conditions déjà difficiles.

Pour être clairs, ce ne sont pas les personnes que nous avons interviewées qui étaient réticentes, mais plutôt les institutions. En Algérie, nous avons demandé l’autorisation de tourner dans une école : nous voulions filmer un cours d’histoire, en parallèle de ce que nous avions filmé en France. Mais jusqu’à ce jour, nous n’avons toujours pas reçu de réponse à notre demande !

À Alger, nous étions discrets quand nous filmions car nous n’avions pas d’autorisation. Quand nous voyagions, chaque passage à la frontière était compliqué, je devais passer plusieurs heures dans les bureaux de la police des frontières pour des « examens de situations » et la police a confisqué définitivement notre matériel lors d’une entrée sur le territoire. À chaque séjour, nous recevions des convocations de la police et nous devions nous rendre au commissariat local pour répondre à leurs questions.

Nous avons ensuite réalisé une collecte sur internet pour financer le montage et nous avons rencontré notre producteur actuel. Si en France, nous n’avons eu aucun problème pour tourner, c’est la diffusion qui s’est avérée compliquée. Les chaînes et institutions de financement contactées trouvaient notre idée « intéressante » mais « trop sensible » et ne voulaient pas prendre le risque de traiter ce sujet. Elles ne s’intéressaient pas aux témoignages recueillis et au regard croisé que nous portions mais voulaient que nous abordions principalement ce que l’Algérie a fait de son indépendance.

Le Matin d’Algérie : Votre film, « Ne nous racontez plus d’histoires ! », est bouleversant, pourquoi ce titre ?

Ferhat Mouhali : Ce qui nous a frappé quand on a commencé à travailler sur ce film, c’est que tous les deux, moi, Algérien ayant grandi et vécu en Algérie, membre d’une famille du FLN, et Carole, fille de pied-noir, baignée dans ce récit depuis son enfance, nous ne connaissions finalement pas grand-chose de cette guerre. Les connaissances que nous en avions étaient totalement disparates alors que chacun avait sa propre vision d’un seul et même événement. En dehors de nos propres récits familiaux et de ce que nous avions reçu à l’école – beaucoup pour moi, pas grand-chose pour Carole – nombreux étaient les trous et les absences. Pour elle, c’était la violence, la cruauté de cette guerre qui avaient souvent été occultées. Pour moi, c’étaient des personnages historiques, des massacres entre Algériens qui avaient été effacés.

L’idée de « Ne nous racontez plus d’histoires » est partie de là, de cette envie de comprendre les raisons pour lesquelles un Algérien et une Française pour qui finalement tout devait être clair, ne connaissaient pas grand-chose à leur passé commun. Tous deux, nous avions le sentiment de nous trouver face à une sorte de mensonge collectif et volontaire et nous avions envie d’en comprendre l’origine. En quelque sorte, nous étions déçus de l’histoire « officielle » et nous avions envie de reconstruire par nous-mêmes cette mémoire.

Ces deux histoires officielles – l’une mythifiée, glorifiée et l’autre du silence et nostalgique du paradis perdu – ces deux versions ne nous arrangeaient pas et nous voulions faire entendre une voix différente de celles que nous avions entendues jusqu’à présent. Nous avons interrogé des témoins mais aussi des lieux qui ont vécu cette guerre. A travers notre caméra, les lieux sont devenus eux-mêmes des outils de révélation de la mémoire. “Ne nous racontez plus d’histoires !”, c’est un film pour apprendre de notre passé et mieux comprendre notre présent.

Le Matin d’Algérie : Pensez-vous que votre film documentaire, « Ne nous racontez plus d’histoires ! », a atteint son objectif ?

Ferhat Mouhali : Notre film est porté par nos histoires personnelles. Nous y présentons des membres de notre famille, et des images de notre passé. Nous y présentons nos questions, nos doutes, nos espoirs. Nous avons voulu inviter le spectateur avec nous, qu’il sente qu’il nous accompagne. Dans l’art, l’œuvre n’est jamais achevée. Malgré toutes les entraves que nous avons rencontrées, nous sommes très satisfaits de la vie que le film mène. Il a été sélectionné dans plusieurs festivals nationaux et internationaux, nous avons reçu trois prix et surtout le film continue à être projeté. Nous sommes également heureux que notre film soit utilisé comme support pour évoquer la guerre d’Algérie dans des collèges, lycées et universités français. Nous accompagnons notre film pour provoquer des débats dans les salles de cinéma, auprès de tous les publics, que ce soit les plus anciens ou les plus jeunes.

Notre objectif avec ce film, c’est d’ouvrir le débat sur cette période des deux côtés de la méditerranée, de nommer les horreurs commises sans prêcher la haine ou émettre un jugement. Mais plutôt de raconter des faits réels et historiques pour essayer d’avancer ensemble vers une vérité plus apaisée.

Le Matin d’Algérie : Avez-vous d’autres projets ?

Ferhat Mouhali : Actuellement je suis en développement de mon prochain film de fiction, sur les déplacements des personnes dans le temps et dans l’espace, une thématique qui me tient à cœur depuis longtemps et qui concerne beaucoup de pays en ce moment. Dans ma famille, mon arrière-grand-père, dont l’avis importait peu, a été envoyé en France pour participer à la première guerre mondiale. Gazé par les Allemands, il a été réformé par l’armée française et il est rentré malade en Algérie où il est décédé quelques temps après. Quelques années plus tard, mon grand-père partira lui aussi pour la France où il passera la moitié de sa vie dans des usines. Descendant d’immigré, je vis aujourd’hui à mon tour sur cette terre.

Entretien réalisé par Brahim Saci

https://vraivrai-films.fr/catalogue/ne_nous_racontez_plus_d_histoires_

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