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Réponse à Lahouari Addi : pour être convaincante, une réponse doit éviter la caricature

DEBAT

Réponse à Lahouari Addi : pour être convaincante, une réponse doit éviter la caricature

Rompant avec le scrupule intellectuel et la rigueur scientifique qui d’ordinaire caractérisent, – malgré parfois des raccourcis saisissants,- ses contributions sur l’Algérie, le sociologue Lahouari Addi, probablement grisé par la réputation dont il est auréolé, s’est permis des facilitées déconcertantes dans sa dernière contribution publiée dans le Matin d’Algérie du 27 juillet dernier. 

En tant qu’universitaire, il m’est impossible de laisser passer certaines inexactitudes et certains sophismes qui risquent de tromper la religion du lecteur non averti. Sans pouvoir être exhaustif  j’examinerai sept points dont l’internaute comprendra immédiatement l’importance. 

1. Le dialogue qu’appelle de ses vœux le chef d’État-major ne concerne pas l’Armée ; elle n’y est pas partie prenante. Il s’agit notamment pour le Panel des sept de convaincre la classe politique, le courant populaire, la société civile organisée indépendamment du Hirak que seule une élection présidentielle portant à la tête de l’Etat une personnalité choisie par la population, dans le cadre le plus transparent, constitue le premier pas vers l’édification d’un état de droit (et non d’un «Etat de droit ») plus que d’une démocratie représentative dont le modèle est en crise dans la plupart des États où il a éclos. L. Addi n’a pas encore compris que l’Armée est hors du champ de toute discussion politique.

2. L’auteur abuse d’anthropomorphismes : « le Haut Commandement  ne voulait pas», «le DRS n’a pas accepté», « l’Armée n’étendait pasà », etc., etc. Cette manière de rendre compte du jeu des principaux acteurs de la société n’est pas seulement réductrice, elle est complètement erronée. L’Armée n’est pas dotée d’une volonté souveraine et abstraite qui ferait litière des pesanteurs sociologiques. Depuis l’émergence, à partir de 1989, de nouveaux acteurs politiques et sociaux et les conséquences induites sur les comportements de l’opinion publique par l’insertion autant voulue que subie de l’Algérie dans la globalisation depuis les débuts des années 2000, la société algérienne s’est complexifiée et différenciée.

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3. Il est a priori insolite que L. Addi reprenne à son compte la thèse du «dégagisme» qui ressort des mots d’ordre brandis par le Hirak depuis le 22 février, alors que cette forme de contestation de la légitimité du pouvoir est aux antipodes de l’esprit qui doit présider à toute période de transition. C’est le lieu de rappeler que le chef d’État-major était originellement favorable à une période de transition, mais devant l’intransigeance gratuite du Hirak et d’une bonne partie de la classe politique, il a estimé que le seul juge de paix, en la matière  ne pouvait être que l’organisation d’un scrutin présidentiel entouré de toutes les conditions de régularité et de transparence. 

4. Un sociologue qui fait l’impasse sur la composante humaine et sociale du Hirak, qui écarte a priori toute hypothèse d’une manipulation de l’opinion publique, même si celle-ci a opéré sur le terreau fertile où a germé la déréliction de nos institutions par la volonté de Bouteflika et de ses affidés, se condamne à ne pas comprendre l’étiologie du mal algérien, le malaise profond de certaines catégories (les jeunes étudiants par exemple qui ont tenu à manifester, seuls, le mardi, considérant que leur détresse était à nulle autre pareille, en raison de l’absence totale de perspectives pour des diplômés insuffisamment formés pour le marché du travail). Il se condamne également à ne pouvoir répondre à la question de savoir pour quelles raisons des dizaines, voire des centaines de milliers d’Algériens qui ont outrageusement profité des largesses du régime populiste de Bouteflika, se retrouvent chaque vendredi au milieu de celles et de ceux qui sont présumés avoir été les victimes d’un système corrompu, clientéliste, clanique et népotique qui les a exclus de l’accès aux soins, au logement, à l’emploi, à l’éducation pour leurs enfants et à une justice équitable. 

5. Si la transition de 1989 a échoué, ce n’est pas en raison du refus du DRS de reconnaître l’autonomie aux partis et aux syndicats. La téléologie de la Constitution libérale du 23 février 1989 était de mettre un terme au monopole de la représentation politique par le FLN. Il n’était pas de faire évoluer un régime dont la colonne vertébrale devait rester l’institution militaire, désormais invitée à collaborer avec une multitude d’entités au lieu et place du FLN historique. L’ambition du constitutionnalisme libéral algérien était très limitée. Il s’agissait de mettre en place les règles d’un constitutionnalisme purement manipulatif et non d’instruments performatifs en vertu desquels la composante organisationnelle de la règle de droit primerait sur sa composante légitimatrice.

Depuis 1989, le constitutionnalisme algérien est d’essence manipulative ; il s’explique par la labilité juridique des institutions politiques et se traduit par une incapacité à organiser le rapport de forces entre les différents groupes sociaux, de sorte à permettre à celui d’entre eux qui devient majoritaire de conquérir le pouvoir exécutif et/ou le pouvoir législatif. Le défi qui est lancé aux élites politiques algériennes dans les semaines et les mois qui viennent est de construire une constitution de type performatif dans laquelle serait délimité le champ d’intervention de l’Etat, à travers l’effectivité du principe de la séparation des pouvoirs, le primat des libertés individuelles et collectives, un véritable contrôle  de constitutionalité des lois, des règlements et des accords internationaux conclus par l’Algérie. 

6. Je ne vais pas reprendre chacune des propositions concrètes faites par Lahouari Addi destinées à accroître les chances de succès du dialogue politique. J’en citerai quelques-unes dont certaines sont farfelues.

Le transfert de la Gendarmerie nationale au Ministère de l’Intérieur n’a aucun sens. D’abord, contrairement à ce  que pense l’auteur, peu de pays disposent d’un corps de la gendarmerie. C’est en  France, que celui-ci a été créé en 1791 pour  remplacer la Maréchaussée, corps de militaires chargé de la police et de la justice aux armées depuis le Moyen-âge. Elle existe encore dans certains pays d’Afrique colonisés jadis par la France et d’autres États également. En Algérie, la soustraire du Ministère de la Défense reviendrait à l’affaiblir considérablement, alors qu’elle constitue un corps d’élite, à la pointe dans le domaine des investigations criminelles. 

La mise à la retraite d’officiers supérieurs âgés de plus de 65 ans est une proposition inepte. L’officier général le plus actif, le plus imaginatif, le plus respecté à l’étranger, le plus courageux est le chef d’État-major actuel à qui tous les membres du Haut Commandement demandent qu’il reste à son poste. En revanche, la mise à la retraite prématurée d’officiers brillants appelle une réprobation sans réserve.

La dissolution du FLN, du RND, de l’UGTA avec obligation pour ses responsables de faire acte de contrition devant les Algériens pour prix de leur compromission avec le régime de Bouteflika, est une proposition folklorique. C’est aux électeurs et électrices algériens de sanctionner, à l’occasion des prochaines consultations électorales, des partis politiques et une Centrale syndicale qui ont vendu leur âme au diable.

Du reste, ces entités sont d’ores et déjà condamnées à une mort définitive et imminente. Il est prématuré d’envisager la création d’un syndicat au sein de la DGSN, sauf à vouloir déstabiliser cette institution qui a besoin d’avoir un management à l’écoute de ses hommes mais aussi de les encadrer, d’être plus draconienne sur les manquements constatés à leurs obligations par les policiers et surtout les instruire de  protéger les populations, ce qui constitue pour le moment le point le plus faible de cette institution. La désignation d’Abdelkader Kara Bouhedba, le 13 février 2019, s’est déjà traduite par des progrès qu’il convient de saluer mais qu’il faudra  impérativement poursuivre, car l’insécurité dans notre pays s’est généralisée.

Il n’y a plus de police politique en Algérie depuis la création d’un service central de police judiciaire de la sécurité de l’Armée (Décret présidentiel n° 19-179 du 18 juin 2019, JORADP du 23 juin 2019, p.10). Ce service est chargé «de la recherche et de la constatation des infractions relevant de la compétence de la police militaire et des infractions d’atteinte à la sûreté de l’Etat » (article 3 du texte) et ce, en vertu du Code de Procédure pénale et du code de la justice militaire.

7. L’Algérie a, depuis 1962, beaucoup souffert de la succession d’un personnel politique incompétent, vénal, dépourvu de culture démocratique et du sens de l’intérêt général. Elle a besoin aujourd’hui que celles et ceux qui aspirent à la gouverner, soient au-dessus de tout soupçon dans tous les domaines. 

Elle a aussi besoin d’intellectuels qui soient en phase avec les mutations en cours  dont la plupart ont déjà transcendé l’espace de l’Etat-nation, ce qui est souvent perdu de vue par nos analystes. Ceux- ci doivent prendre le temps d’étudier avec scrupule la société algérienne, afin de saisir l’étiologie de ses multiples maux. Les propositions formulées au pied levé et caractérisées par leur superficialité, alors que la pathologie dont souffre le pays requiert un traitement lourd, ne peuvent qu’ajouter à la gravité de la crise actuelle.  

Ali M.

Auteur
Ali Mebroukine, Professeur de droit 

 




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