Comment permettre la justice climatique pour l’Afrique qui émet moins de 4 % des gaz à effet de serre, mais subit d’importantes catastrophes environnementales ?
C’est un euphémisme de dire que l’accord signé en novembre 2021 à la 26e édition de la Conférence des Parties sur les changements climatiques (COP26) de Glasgow ne répond pas aux attentes de l’Afrique. Les négociateurs du continent africain en ont permis l’acceptation en faisant des concessions au sujet des préjudices que subissaient leurs citoyens et gouvernements, espérant un retour de la faveur en 2022. L’injustice est pourtant flagrante. Ce continent subit d’importants dégâts liés aux changements climatiques alors que sa population, qui dépasse les 1,3 milliards de personnes, soit environ 20 % de celle de la planète, n’émet annuellement que 3,8 % du total mondial de gaz à effet de serre. De plus, ce continent n’a aucun bagage historique dans ce domaine.
Cette injustice est connue depuis très longtemps et a fait l’objet d’ententes qui n’ont pas été respectées par les grands émetteurs. On se souviendra que, lors de la COP15 à Copenhague en 2009, les pays riches s’étaient engagés à investir au moins 100 milliards de dollars pour aider les pays dans le besoin victimes des changements climatiques. Ils avaient donné leur parole que ce financement commencerait en 2020.
On n’a pu que constater, lors de la COP26, que cela n’avait pas été fait. Si on se fie aux données du Climate Funds publiées en novembre 2020, le financement international atteignait près de 80 milliards de dollars en 2018 et seulement un quart de ces fonds étaient destinés à l’Afrique. Pire, seulement 5 % du financement climatique total en dehors de l’OCDE serait accordé à l’Afrique subsaharienne.
Plusieurs formes d’injustices climatiques
La partie située en deçà du Sahara subit une hausse de température supérieure à celle du réchauffement global. Cette région de l’Afrique est soumise à des événements climatiques de plus en plus violents et fréquents. De nombreuses sécheresses ont été enregistrées depuis 2016 dans certaines parties de la Corne de l’Afrique.
Plusieurs de ces pays ont reçu des précipitations en dessous des normes saisonnières entrainant des récoltes inférieures, une diminution des zones de pâturage et des crises alimentaires. L’Organisation météorologique mondiale (OMM) estime que depuis 1970, la sécheresse aurait déjà coûté la vie à plus de 700 000 personnes sur ce continent. Le Sahel est un exemple criant de la réalité des bouleversements climatiques puisque la température y augmente 1,5 fois plus vite que la moyenne mondiale alors que deux habitants sur trois y vivent de l’agriculture ou de l’élevage, des domaines fortement impactés par ces changements.
On assiste aussi dans d’autres parties de la Corne de l’Afrique à des phénomènes ponctuels de fortes précipitations et à des cyclones qui n’y existaient pas avant. Ces changements climatiques ont été pointés du doigt comme était la cause présumée de la crise des criquets en 2020. Ces insectes, présents dans la partie nord de la Corne de l’Afrique, n’y représentaient pas un danger pour la sécurité alimentaire. Mais le cyclone Pawan qui a sévi le 7 décembre 2019 a apporté de l’humidité et des vents ayant créé des conditions favorables pour qu’ils descendent de la zone du Somaliland vers la partie sud de la Somalie et au Kenya.
Les cinq dernières années, ont été les plus chaudes jamais enregistrées depuis 1850. L’urgence climatique contribue à creuser l’écart de développement nord-sud, rend les Africains vulnérables et en contraint une partie à l’exode, créant ainsi une injustice climatique supplémentaire.
Dans une étude, les Nations unies estimaient qu’à l’horizon 2030 « jusqu’à 118 millions de personnes extrêmement pauvres seraient exposées à la sécheresse, aux inondations et aux chaleurs extrêmes en Afrique si des mesures adéquates ne sont pas prises ». Une tentative de justice climatique avait été ébauchée lors de la COP3 à Kyoto. Elle avait tenu plus ou moins la route jusqu’à la COP15 à Copenhague qui l’avait évacué.
COP et climat, même combat ?
Le Secrétaire général de l’ONU, Antonio Guterres, et les représentants de plusieurs pays, dont les nations insulaires, ont été extrêmement déçus de la déclaration finale de la COP26. Ce manque de résultats concrets, spécialement pour l’Afrique, pourrait être en partie dû à une grande différence de moyen entre les délégations officielles des pays touchés par les changements climatiques et celles des lobbyistes du pétrole, du charbon et du gaz qui étaient présents la COP26.
Une étude de l’ONG Global Witness a montré que 503 lobbyistes des énergies fossiles y avaient été accrédités. Y étaient présents ceux des géants miniers Glencore et Rio Tinto, des pétroliers Shell, Total Energies et de Gazprom, le premier producteur de gaz au monde. En ce qui concerne la délégation africaine, peu de pays sur les 54 de ce continent étaient présents à Glasgow.
Beaucoup n’ont envoyé qu’un ou deux négociateurs. La liste des activistes environnementalistes africains dont l’entrée a été refusée au Royaume-Uni est longue et a fait l’objet de plusieurs articles acrimonieux dans lesquelles les auteurs se demandaient si la pandémie était la vraie raison de ces refus. Si on regarde les résultats, la COP26 ressemblait beaucoup plus à une foire aux entreprises qui alimentent le réchauffement climatique qu’a un exercice réel d’aide aux pays les subissant.
Ce manque de reconnaissance et de financement des dégâts causés par les changements climatiques se produit malgré le fait que le climat a déjà changé. La hausse des températures moyennes depuis le milieu du XIXe siècle atteint 1,1°C, et les pays les plus pauvres ne peuvent y faire face.
Dans le monde, 150 millions de personnes vivent dans des zones qui pourraient être submergées par les eaux d’ici 2050. Toutes les villes de la planète n’ont pas le pouvoir économique de New York, qui a investi plus de 20 milliards de dollars pour parer à une augmentation de 70 centimètres du niveau de la mer d’ici le milieu du siècle. Dans les pays africains moins fortunés, la situation est très différente.
D’après une étude de l’Observatoire National de l’Agriculture (ONAGRI), les changements climatiques impacteront lourdement l’économie et la sécurité alimentaire en Tunisie. Une immense baisse de la production nationale des céréales, de l’huile d’olive et des fourrages y est prévue d’ici 2050. La production d’huile d’olive pourrait même chuter de 70 % d’ici 2100 par rapport à la période de référence, soit de 1981 à 2010.
Justice pour l’Afrique
C’est au tour de l’Afrique d’organiser la Conférence pour le climat en 2022. La COP27 doit donc avoir lieu en Égypte en novembre. Lors d’un dialogue sur la pandémie de Covid-19 et l’urgence climatique qui affectent l’Afrique, le Secrétaire général de l’ONU, António Guterres, a déclaré en avril 2021 : « Il est clair que nous avons besoin d’une percée en matière d’adaptation ».
Il avait demandé à tous les membres du G7 et aux autres pays développés, ainsi qu’aux banques multilatérales et nationales de développement d’augmenter la part du financement climatique allouée à l’adaptation et à la résilience à au moins 50 % de leur financement climatique total. Il appelait aussi tous les gouvernements et entreprises à intégrer les risques climatiques dans les politiques et les décisions d’investissement.
« Les pays en développement doivent être dotés des outils et des moyens pour y parvenir. Des informations précises et à jour sur les risques constituent la première étape essentielle d’une gestion efficace des risques », avait-il affirmé. Ce dernier jugeait nécessaire de mieux supporter des instruments financiers tels que les mécanismes de mutualisation des risques. Les partenaires bilatéraux et multilatéraux étaient invités à augmenter leur soutien aux initiatives régionales d’adaptation et de résilience comme les Commissions du bassin du Sahel et du Congo et l’Initiative de la Grande Muraille verte.
Le Secrétaire général de l’ONU demandait finalement que des propositions concrètes soient mises sur la table pour rendre plus facile et rapide l’accès au financement climatique. « Le soutien à l’adaptation au climat en Afrique est crucial. J’encourage tous les partenaires internationaux à s’engager à soutenir le Programme d’accélération de l’adaptation en Afrique », avait-il déclaré.
Si cet appel a eu peu d’écho à la COP26, il est à espérer qu’il soit entendu en 2022. Cela est d’autant plus important qu’au cours des deux prochaines décennies, une personne sur deux qui naîtra dans le monde sera africaine.
Or, le climat en Afrique subsaharienne est devenu plus extrême et imprévisible au XXIe siècle selon l’unité scientifique de Greenpeace. La crise climatique deviendrait même incontrôlable sur ce continent en raison des cyclones d’une ampleur sans précédent, des inondations, des vagues de chaleur extrêmes irrégulières et des sécheresses.
Les problèmes liés au climat sont la plupart du temps ressentis de manière disproportionnée dans les communautés les plus pauvres, car elles sont les moins équipées pour faire face aux changements et s’y adapter. Pourrait-on prendre collectivement la résolution de finalement mettre en place une justice climatique pour l’Afrique à la COP27 ?
Michel Gourd