25 avril 2024
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Revendication-phare du Hirak : l’État « civil », jeu et enjeu

DECRYPTAGE

Revendication-phare du Hirak : l’État « civil », jeu et enjeu

La manifestation à Alger contre le régime. Photo Meriem Nait Lounis

En Algérie, le concept d’«État civil» est généralement perçu comme l’anti-thèse de l’État militaire ou policier qui sévit dans le pays depuis l’indépendance. Je voudrais insister dans cet article sur le fait que ce terme est en réalité synonyme d’État laïc, même s’il fait référence aux valeurs islamiques. 

Depuis le 22 février 2019, les Algériens revendiquent un État « civil ». Le slogan populaire usité « Dawla madaniyya » (État civil) allongé ensuite par l’ajout de « matchi âaskariyya » (non militaire) met en relief le rejet par les citoyens  de la démocratie contrefaite, constituée par un « parlement  factice et les représentants « élus » du peuple. 

C’est en 2011, pendant les événements du Printemps dit « arabe », alors que je me trouvais à Alger que j’entendais prononcer pour la première fois le terme « État civil » avec le sens de l’État basé sur la civilité. Je m’étais étonné de ce qu’en français ce terme soit également l’appellation par laquelle on désigne le service public qui est chargé de l’administration des personnes au niveau des communes. En arabe ce service est plutôt connu sous le non de « al-Hala al-madaniyya », (situation civile). N’empêche, ce qui est le plus significatif pour notre propos, c’est le fait que la personne qui faisait la promotion de l’État civil appartienne au courant dit « laïc ». 

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S’il est difficile de trouver le terme « État civil » dans la science politique, il semble néanmoins d’un usage très rare, sinon cantonné comme le souligne Limor Lavie dans la théorie libérale des relations internationales (1). Sinon, on ne le trouve dans aucun régime constitutionnel dans le monde avant 2014, année de l’adoption en Tunisie de la constitution post-révolution. Certes, les philosophes du contrat social ont évoqué « l’état civil » mais dans un autre sens que celui dont je viens de parler. Ici « l’état civil » désigne la situation de l’homme en société (opposé à l’état de nature). Tout au plus, ces philosophes ont évoqué la notion de « gouvernement civil ». J’y reviendrai (2) . 

Cependant, je réalise à présent qu’un fait m’a échappé à l’époque : la revendication de l’État civil a été mise sur la table bien avant la révolution tunisienne. Le 24 novembre 1998, en plein tumulte de la guerre civile, Hocine Aït Ahmed, président du FFS affirmait que « notre pays a besoin d’un État civil qui ne soit ni sous la tutelle de l’armée ni sous l’emprise de la religion ; mais qui ne soit ni contre l’armée ni contre l’islam » (3).

En outre, en 2013 l’ancien président tunisien, Moncef Marzouki a recouru à ce concept avant que l’assemblée constituante tunisienne (ANC) ne l’insère dans le préambule et l’article 2 de la nouvelle constitution qui stipule que : «La Tunisie est un État civil, fondé sur la citoyenneté, la volonté du peuple et la primauté du droit. » Cette image positive de l’État civil contraste avec celle que certains esprits veulent lui donner aujourd’hui en alimentant des soupçons sur la consistance politico-juridique du concept.

Ainsi, par ignorance ou intentionnellement, des parties en sont venues à ne voir dans l’État civil que l’opposition qu’il incarnerait contre l’« État militaire ». C’est pourquoi elles ont estimé qu’il fallait un second allongement du slogan phare. Cela a donné : « État civil, ni militaire, ni islamiste ». Ce slogan  qui a été promu par un groupuscule du Hirak parisien s’est avéré sectaire tant son activisme l’a conduit à verser dans un travail fractionnel. 

Genèse de la notion de l’État civil  

Le concept inhérent à la civilité de l’État trouve son origine dans la philosophie politique occidentale. Le terme « Etat civil » semble dériver du terme « Gouvernement civil » qui fut très fréquemment usité par nombre de philosophes, notamment Locke, qui a rédigé le célèbre Traité sur le gouvernement civil. Selon Limor Lavie, un État civil repose sur la communauté politique des citoyens et son but est de réaliser le bien commun de cette communauté (4). Dans l’état civil, ajoute Lavie, la citoyenneté, plutôt que la religion ou la croyance, est le lien politique suprême et la base de l’affiliation à l’État ; cela implique une égalité complète entre les citoyens sans discrimination fondée sur la religion, le sexe, etc. Selon le même auteur l’État civil est l’antithèse de l’État tribal ou ethnique, basé sur la tribu , l’ethnie ou la religion. 

La notion a fait son entrée en terre d’islam au début du XIXe  et ce, à la faveur de la découverte de la culture européenne. Le contact surtout avec la France des Lumières avait fait prendre conscience aux musulmans de leur retard sur la modernité européenne. Ces derniers pensent que l’une des principales causes de ce retard est due à la détérioration de la pratique de l’islam. Admirateur des institutions et de la culture françaises qui, à l’époque rayonnaient sur toute l’Europe, Méhémet Ali, gouverneur de l’Égypte charge en 1826 l’azhariste Rifa’a Tahtawi d’une mission à Paris. Quatre ans plus tard, celui-ci revint avec un compte-rendu détaillé sur l’état de la France. 

Ayant compris l’importance de la modernité européenne, Tahtawi qui la perçoit comme une source incontournable de progrès matériel et moral, aurait entrepris de traduire et faire traduire quelque 2000 ouvrages du français vers l’arabe (5). C’est lui qui a introduit dans le lexique arabe les notions de citoyenneté et de patriotisme ainsi que les concepts clés du statut de la femme et du système scolaire. Avec sa relation de voyage à Paris, Tahtawi signe le premier manuel de réformisme.

A travers la société française, les musulmans sont mis face à face avec leurs propres défauts. Ils s’interrogent sur leur retard, eux qui sont censées, comme l’écrira Mohammed Arkoun « être dépositaires de la Parole de Dieu, alors que des infidèles, demeurés sourds à l’ultime Révélation, ont réalisé des progrès si éclatants dans l’ordre de la culture et de la civilisation » (6).

 C’est l’Égyptien Mohamed Abdou, un des précurseurs de la Nahda. qui, le premier a vulgarisé la notion de l’État civil à travers ses écrits (7). Ce dernier prône la modernisation de l’État en se fixant comme objectif l’autonomisation du politique à l’égard des autorités religieuses  (8). Paradoxalement, les intellectuels de la Nahda qui se montrent les plus radicaux dans la revendication du changement des mœurs sociales et la dénonciation des pratiques religieuses bigotes, sont moins des laïcs que des religieux azharistes (9).  

 État civil et laïcité 

Mais, qu’est-ce que c’est que cette notion de l’État civil dont la science politique parle si peu alors qu’il n’est pas un domaine de la politique qui puisse lui échapper ?  Cette énigme se résout aisément lorsqu’on réalise que l’État civil est le synonyme de l’État laïc ou séculier. Cette lecture se justifie dans la mesure où les auteurs musulmans ont fait un usage particulier de la notion lockienne du « gouvernement civil » car une traduction plus littérale aurait donné le terme de « ḥukūma madaniyya ».  En remplaçant « ḥukūma » par « dawla » , ils ont dû vouloir rester dans le paradigme de l’État laïc pour ne pas s’exposer à la vindicte publique. Tout compte fait, la déclaration d’Aït Ahmed et l’article 2 de la constitution tunisienne, évoqués plus haut, apparaissent comme un euphémisme de l’objectif de l’État laïc : séparer la religion de la politique. 

Du reste, on ne saurait mieux définir l’État civil que par la négation. Il n’est ni un État militaire ou policier, ni un État théocratique ou religieux. Comme l’affirme à juste titre Raja Bahlul « Le terme arabe habituellement utilisé pour «théocratique » est l’adjectif « dīnī » (dérivé de dīn, religion), de sorte qu’un seul et même mot arabe est employé pour signifier à la fois « théocratique » et « religieux » (10). 

 La même opinion est défendue par Jean-Philippe Bras, « l’État civil ne peut être ni militaire, ni violent, ni autoritaire, ni religieux. » (11) Et Bras de souligner l’inscription de l’État civil « dans un continuum avec la société civile [… ]  Il est en quelque sorte, ajoute-t-il  son vis-à-vis, la civilité participant de la construction d’un espace commun entre État et société, brisant la traditionnelle frontière gouvernants- gouvernés. ». La laïcité dans L’État civil se cristallise, en fait, dans le caractère civil de l’État. Comme le souligne la sociologue Sonia Dayan-Herzbrun « L’adjectif madania renvoie à la cité, à la civitas ou, si l’on veut, à la polis, donc à cet espace commun séculier dans lequel la citoyenneté peut s’exercer, avec le respect des droits qui lui sont afférents (12). 

Selon le site IFAIR dédié à la politique internationale, plusieurs chercheurs universitaires égyptiens dont ʻAbd al-ʻAlīm Muhammad et Kamāl al-Minūfī, conviennent que le terme politique « État civil » a le même sens que le concept d’État laïc » (13). Le chercheur syrien Hashem Saleh abonde dans le même sens «  Les islamistes libéraux utilisent le terme «État civil» pour éviter d’utiliser le terme « État séculier » ,bien que les deux termes aient la même signification » (14). 

L’État civil à l’épreuve du terrain

Dès le démantèlement de l’empire ottoman, la question de l’État civil a alimenté le débat intellectuel en Égypte. Les quelques intellectuels qui, dans la première moitié du XXe siècle ont osé défendre ce type d’État, avaient fait l’objet de persécution de la part des autorités.  Perçu comme un blasphème, tout au long des années 1970, le terme « laïc » (‘almani) fut unanimement rejeté. Par la suite, le terme « civil » (madani) a gagné du terrain et a fini par entrer dans le discours intellectuel comme un terme équivalent, quoique moins compromettant. C’est ainsi que l’idée de la civilité de l’État s’est petit à petit imposée.

Cependant, d’autres facteurs ont contribué à la diffusion de cette notion : la discrimination des Coptes, la montée en puissance du chiisme iranien et la pression internationale qui s’exerçait sur l’Égypte pour l’amener à démocratiser son régime. Le pouvoir égyptien a fini par légitimer le bien-fondé de l’État civil en impliquant al-Azhar . Du reste, Moubarak a intégré le projet de l’édification de l’État civil dans le programme de son parti, le Parti national démocratique. Par la suite, la confrérie des Frères musulmans qui s’y était au début opposée, se rallia à l’idée, et ce, par tactique ou bien pragmatisme. 

Cependant, lorsqu’éclate la révolution égyptienne, la demande de l’État civil a pris, comme plus tard en Algérie, un nouveau sens dans le discours public, en devenant une demande d’État qui aurait  pour direction des civils émancipés de l’armée. Tel es le sens du slogan, «Madaniyya! Madaniyya! » («Civil! Civil!») scandé après le départ de Moubarak lors des manifestations anti-SCAF (Conseil Suprême des Forces Armées). 

Arrivé au pouvoir par les élections, le candidat des Frères musulmans, Mohamed Morsi, n’a pas jugé utile de constitutionnaliser l’État civil. Contrairement à ce qu’on pense, la Confrérie n’a pas beaucoup innové en matière constitutionnelle. Elle s’est contentée de s’inscrire dans la continuité du constitutionnalisme égyptien. La référence aux principes de la charia islamique contenue dans l’article 2 de la constitution de 2012 (élaborée sous Morsi) s’inspire de la constitution amendée en 1980 par Sadate qui fait de la charia « la » source principale de la législation. Avant elle, la constitution de 1971, adoptée sous Nasser avait affirmé que les principes de la charia étaient « une source principale de la législation ». Pour la juriste Nathalie Bernard-Maugiron, « les deux constitutions [celles de 2012 et 2014) (15) sont très proches et suivent toutes deux le modèle de la constitution de 1971 qui les a précédées » (16). 

Néanmoins, la constitution de Mohamed Morsi avait introduit un nouvel article : le 219, qui a pour but de définir la notion relative aux « principes de la charia islamique » contenue dans l’article 2. Suivant cet article « Les principes de la charia islamique incluent ses sources scripturaires, ses bases fondamentales et le fiqh, ainsi que ses sources reconnues par les doctrines des gens de la Sunna et de la Communauté ». Cet article fut considéré comme le marqueur le plus explicite d’un projet de fondation d’un État islamiste. 

Grisé  par son succès électoral, Morsi n’a pas daigné suivre le conseil de Tayyip Erdoğan, alors Premier ministre de Turquie, qui lui a suggéré d’adopter une constitution laïque. N’empêche, l’article 219 pour ne citer que celui-là a suscité une levée de boucliers d’une grande ampleur. Des millions d’Égyptiens ont manifesté à travers tout le pays contre ces amendements. C’est ainsi qu’au fil des semaines, les Frères perdent le soutien des révolutionnaires qui, à l’occasion, fraternisent avec les libéraux et les contre-révolutionnaires.

Par son entêtement à maintenir un texte litigieux, le nouveau chef de l’État a, ainsi fourni l’occasion à l’armée de revenir sur la scène et de le destituer au profit du général al-Sissi qui obtient le soutien financier des monarchies pétrolières du Golfe menées par l’Arabie saoudite.

Instruit par l’expérience égyptienne, le parti islamiste tunisien Ennahda a tenu à faire preuve de flexibilité en développant une écoute envers les couches laïques de la société tunisienne, une société, il est vrai, travaillée depuis les années 1950 par la politique de sécularisation initiée par Bourguiba, laquelle sécularisation se voulait moins radicale que celle de l’État turc post-ottoman dont, du reste, il s’inspira. Aussi Rached Ghannouchi et ses partisans n’ont-ils pu inscrire, comme ils l’avaient souhaité, la charia dans le corps du texte de la constitution, les laïcs leur ayant opposé l’argument de l’État civil développé dans l’article 2. Si la Tunisie a réussi à s’engager dans un processus transitionnel, c’est parce qu’elle a adopté la forme d’État la plus à même de préparer les islamistes à coopérer avec les autres composantes de la société car un État civil n’aurait de sens que s’il parvenait à être l’émanation de la société. 

Les manœuvres de la police politique 

Le pouvoir a constitutionnalisé le Hirak mais pas sa revendication principale : l’État civil. La stratégie de la police politique algérienne consiste aujourd’hui à tenter d’imposer aux laïcs sa propre lecture des islamistes en vue d’empêcher toute alliance entre ces deux courants , condition sine qua pour l’établissement d’un État civil. Et ce même refrain qui, hier, faisait d’Aït Ahmed un islamiste, revient à propos des chefs de partis politiques d’obédience laïque qui soutiennent le Hirak et qui ont montré des prédispositions à nouer des contacts avec Rachad.

Pourquoi précisément, celui-ci ? C’est que les partis islamistes légaux ont été intégrés au système prébendier par l’État profond. Celui-ci sait que le mouvement islamiste de la diaspora est le plus apte à représenter les couches populaires. Pour saborder l’union entre celles-ci et les couches moyennes et aisées, tout est mis en œuvre pour raviver les blessures non cicatrisées de la guerre civile des années 1990. Et tout se passe comme si l’on voulait légitimer la violence contre les hirakistes par le rappel de la violence terroriste de la décennie noire. Ayant par le passé, aidé le pouvoir militaire à se reproduire, les couches aisées représentées par un RCD désormais ouvert au dialogue avec les islamistes, est particulièrement visé par des campagnes de déstabilisation récurrentes.

Dans le même temps, l’on s’échine à pointer la mainmise par Rachad du mouvement populaire.  S’il est légitime, au regard de la nature des exactions commises contre les citoyens, que le Hirak puisse traiter la police politique de « terroriste », il reste néanmoins à se demander si le fait ne risque pas d’être, à terme, contre-productif. L’objectif escompté par les officines occultes n’est-il pas justement d’installer un climat malsain en ravivant les mémoires blessées et vindicatives des populations ayant enduré le terrorisme ?  

Quoi qu’il en soit, sentant la fin du pouvoir proche, certains, craignant une flambée islamiste tentent en toute bonne foi de lui tendre la perche. D’autres mus par des considérations carriéristes se sentent d’attaque pour appuyer la contre-révolution. On a vu comment on nous a sortis le arouchisme, le zitoutisme, et le « hirak rifain islamisé par les immigrés » ! Il est extraordinaire de constater, tout de même, le silence qui entoure  l’évolution des islamistes du mouvement Rachad, lequel revendique ouvertement l’État civil même s’il n’est pas à exclure qu’il puisse nourrir des intentions secrètes.

Pourtant, ce qui compte, dans ce cas d’espèce, c’est l’engagement public qu’il prend en faveur de la démocratie et de la civilité du droit. L’Algérie n’est ni la Turquie, ni le Soudan, la sécularisation ne pourrait s’y implanter que dans un cadre séculier médian. C’est ce que fournit l’État civil. 

Anciennes provinces africaines de l’empire ottoman, l’Algérie, la Tunisie et l’Égypte tentent chacune de trouver sa solution singulière pour aller à la sécularisation, et ce, après s’être faits devancer par leur ancienne capitale, Istanbul. De tous ces pays, c’est la Tunisie qui nous est le plus proche que ce soit par l’appartenance à une aire culturelle commune que par le partage de la même histoire et d’un même passé colonial. Une constitutionnalisation de l’État civil sur le modèle tunisien, avec une adaptation aux réalités algériennes, ouvriraient, à n’en pas douter des portes sur des horizons nouveaux. 

Larbi Graïne, journaliste 

Notes

1- Limor Lavie, The Idea of the Civil State in Egypt, Middle East Journal, Vol. 71, No. 1, 2017, pp. 23-44.

2- Notons que c’est ce terme qui a été utilisé dans le préambule de la constitution égyptienne de 2014, entrée en vigueur sous al-Sissi. 

3-  Déclaration faite lors du Conseil de l’Internationaliste Socialiste (IS) réuni à Genève. 

4-  Limor Lavie, Ibid. 

5- Georges Corm, Pensées et politique dans le monde arabe, La Découverte, Paris, 2015. 

6- Mohammed Arkoun, La pensée arabe, Puf, Paris, 2014. 

7-  On connaît l’influence qu’a eue ce renouveau culturel sur le mouvement des Oulémas algériens dirigé par Ben Badis. Descendant d’un émir berbère ziride, le cheikh qui présidera aux destinées de l’association des Oulémas, n’attacha de prix qu’à l’identité arabe et musulmane. S’il adhéra à la laïcité, ce fut par nécessité afin de contrecarrer l’intrusion des autorités coloniales dans la gestion des mosquées. En 1952, l’Association martèle le slogan « L’islam authentique appartient à Dieu, “ l’islam algérien ” à César ». En filigrane on lit une dénonciation de la gestion de l’islam par l’administration coloniale, qui rabaisse l’islam au rang d’une religion des colonisés. La laïcité à l’époque française apparaît donc comme un instrument servant à asseoir la domination coloniale. Partout, dans le monde musulman, s’est perpétuée la mémoire de cette politique d’où la suspicion à l’égard du terme ‘almaniyya, traduction arabe du mot laïcité. Outre sa connotation colonialiste, ce terme est aussi considéré comme synonyme d’athéisme. Pour rester dans le mouvement national algérien, il est utile de rappeler que Ben Badis n’a rien à voir avec la diffusion des idées laïcisantes. Celles-ci ont été maturées au sein de l’Étoile nord-africaine puis au sein du PPA dont la base militante était constituée par une majorité de Kabyles. Du reste, Messali Hadj qui a fait ses classes dans l’Internationale communiste et qui a vécu à Paris à cette époque où la ville grouillait d’intellectuels originaires de l’ancien empire ottoman, s’était laissé séduire par les partisans du nationalisme arabo-musulman. Ces multiples références du nationalisme algérien, pour le moins contradictoires, marqueront à jamais l’histoire de l’Algérie contemporaine. Néanmoins, en dépit de cette ambiguïté idéologique, on ne peut soupçonner le PPA d’avoir revendiqué la charia lorsqu’il réclama une assemblée constituante souveraine. Dans l’esprit du mouvement nationaliste, la sécularité est une condition de la restauration de l’État algérien puisqu’il fait du peuple la source de tout pouvoir.  

 8- Jean-Philippe Bras,  » Un État « civil » peut-il être religieux ? Débats tunisiens  » , Disponible sur Internet : <https://www.cairn.info/revue-pouvoirs-2016-1-page-55.htm>.

9- Georges Corm, Pensées et politique dans le monde arabe, La Découverte, Paris, 2015. 

10- Bahlul Raja, « Religion, Democracy and the ‘ Dawla Madaniyya ’ of the Arab Spring » , Islam and Christian-Muslim Relations, 2018, pp. 29. 1-17.

11-  Jean-Philippe Bras, Ibid. 

12- Sonia Dayan-Herzbrun, « La notion d’État civil dans les sociétés arabes : une laïcité sans laïcité » , Disponible sur Internet : <http://books.openedition.org/editionsmsh/5607>. 

13- IFAIR, « The Civil State (dawla madanīya) – A New Political Term ? » Disponible sur Internet : <https://ifair.eu/2014/02/24/the-civil-state-dawla-madaniya-a-new-political-term>.  

14-  Saleh Hashem, Arab uprisings in the light of philosophy of history. Beyrouth, Dar Al-Saqi, 2012. 

15-  Pour rappel, la constitution de 2014 a été promulguée sous al-Sissi.

16-  Nathalie Bernard-Maugiron, « La place du religieux dans le processus constitutionnel en Égypte après 2011 »,  2018/1 pages 47 à 68, Archives de sciences sociales des religions, 2018, n° 181, pp. 47-68.
 

Auteur
Larbi Graïne, journaliste 

 




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