22 novembre 2024
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Saïd Chibane : parcours d’un islamo-conservateur convaincu

Said Chibane

Ophtalmologue émérite, Saïd Chibane qui vient d’être enterré lundi 05 décembre 2022, dans le cimetière de son village natal, Chorfa dans la wilaya de Bouira (il était âgé de 97 ans) a voué sa vie à son sacerdoce professionnel et à la défense des valeurs arabo-islamiques. 

Issu d’une famille d’extraction maraboutique  originaire de Cheurfa, village  du arch Imchadallen,  dans la wilaya de Bouira, cet islamiste BCBG, était  membre de l’association des Oulémas musulmans algériens, présidée durant de longues années  par son frère, le défunt  Abderrahmane Chibane.

Il était aussi  ancien ministre des affaires religieuses dans le gouvernement Hamrouche (de 1989 à 1991)

Réputé proche du FFS, on le disait grand ami du leader historique de ce parti, le défunt Hocine Ait Ahmed. Une proximité attestée par des indications contenues dans l’avis de condoléances  rendu public par le premier secrétaire du FFS, dimanche 4 décembre 2022, sur sa page Facebook.

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« La famille  du FFS a reçu avec beaucoup de peine et d’émotion l’annonce du décès du Pr Said Chibane, ami de Hocine Ait Ahmed et Conseiller sincère de notre parti (…) C’est lui qui disait que le FFS est une  sadaqa djaria (une aumône  continue/ un acte de charité et de bienfaisance) »

Ces éléments de langage fortement  imprégnés du dogme  religieux renseignent sur la grande piété de l’homme et l’ancrage  arabo-islamique assumé  de cet ancien élève, dans les années 40 du siècle  dernier du lycée de Ben Aknoun. Etablissement scolaire qu’il a fréquenté  avec le groupe de militants appartenant  à la mouvance berberonationaliste,  à l’instar de Laimeche Ali Mohand Ouidir Ait Amrane et d’autres dont il était à mille lieux de partager les  convictions et les  choix  politiques.

A l’opposé de ces jeunes militants  du PPA/  MTLD qui étaient de fervents  indépendantistes et farouche défenseurs  de l’identité amazighe de l’Algérie,  Said  Chibane était un fervent militant de l’idéologie arabo-islamique et de la langue arabe qu’il a défendue avec ardeur. Un écosystème politique dans lequel il a baigné depuis sa jeunesse. Et c’est  lui-même qui le dit dans une interview  qu’il a accordé  à  la revue oulemiste Al Tibiane. (binbadis.net https://binbadis.net › archives

Dans l’entretien  accordé à la revue oulémiste El Tibiane, Said Chibane révèle son parcours, ses choix politiques et ses préférences idéologiques.

« Je suis né le 2 avril 1925 dans le village El Cheurfa, Daïra de Mechdala, Wilaya de Bouira.

J’ai grandi dans une famille paysanne, sous l’œil bienveillant de mes parents et mes frères dont Cheikh Abderrahmane Rahimahou Allah.

J’ai commencé à Cheurfa, la mémorisation de courtes sourates du coran à la grande mosquée, puis je fus inscrit pendant un an, ainsi que mon frère Abderrahmane, à l’école française indigène située à Ouled Brahim sur les hauteurs de Mechdala. J’ai obtenu mon certificat d’études primaire en mai 1937.

Puis mon père et mon frère m’ont envoyé poursuivre mes études au petit lycée de Ben Aknoun, l’actuel lycée El Mokrani de Ben Aknoun, qui avait un internat.

J’ai choisi comme langue vivante, l’Arabe comme deuxième langue d’enseignement, et le latin la troisième.

Lorsque se déclencha la deuxième guerre mondiale en 1939, le lycée de Ben Aknoun fut transféré à l’école normale de Bouzaréah, pendant une année. Je retourne ensuite au lycée EL Mokrani, et là-bas je choisi l’allemand comme autre langue pour l’enseignement.

En l’année scolaire 1941-1942, en classe de troisième (classe de brevet élémentaire), j’ai eu comme maitre pour le cours de la langue arabe le professeur Hamza Boubekeur, et c’est lui qui nous recommanda de lire livre El Ayam du célèbre homme de lettre Égyptien Taha Hussein.

Je l’ai lu avec engouement, et jusqu’à nos jours j’ai en mémoire certains passages.

Il a fallu recourir au dictionnaire arabe français, pour lire les premiers paragraphes, malgré les trois années d’enseignement de l’arabe au lycée à raison de trois heures par semaine.

De 1942 à 1943, je fus contraint de suspendre mes études en raison du bombardement dont fut l’objet le lycée Bugeaud (l’Emir Abdelkader actuellement.

En cette période j’ai saisi l’occasion pour approfondir mes connaissances en langue arabe à la grande mosquée de mon village natal, chez Cheikh Arezki Ben Chebana, et à la lecture des livres de grammaire et du « Fiqh » qui se trouvaient dans la bibliothèque de mon frère Cheikh Abderrahmane, (alors retenu à Kairouan du fait de la guerre), et dans laquelle figuraient les plus importants ouvrages littéraires et de réflexions d’auteurs arabes et de quelques occidentaux.

A la fin du premier trimestre l’année scolaire 1943-1944 , j’ai rejoint le lycée de Miliana qui recevait les élèves de Ben Aknoun, Ait Amrane, Ali Laimeche ,Hocine Ait Ahmed, Mustapha Mouhoubi , Omar Oussedik…et d’autres étudiants qui exerceront un rôle de premier plan au sein du mouvement nationale et la révolution Algérienne.

Votre enseignement s’est déroulé à l’école française, et vous avez appris le Français, l’Allemand et le Latin. En même temps vous avez reçu un enseignement à l’école libre arabe et vous vous êtes perfectionné dans la connaissance de la langue arabe et la culture islamique. N’avez-vous pas ressenti à un moment donné, une contradiction et une étrangeté entre ces deux enseignements et ces deux cultures ?

Sincèrement, il n y’avait pas contradiction, et je souhaite préciser que les enseignants français à ce moment, se conformaient dans leurs cours aux programmes officiels, conçus pour les élèves français.

Pour nous les Algériens, nous n’avons à aucun moment douté de notre identité et notre amour pour l’Islam et la langue arabe ne fut jamais affectée.

Concernant la langue française, elle fut pour nous un moyen, et personnellement je n’ai pas vécu cette situation comme une contradiction, et l’école française n’a pas eu une quelconque influence concernant mon identité et ma culture Arabo-islamique.

#Quelles sont les personnalités que vous avez connues au lycée et qui avaient une activité politique de premier plan et qui auront à exercer un rôle important dans le devenir du mouvement nationaliste et de la révolution Algérienne ?

Mes études au lycée de Miliana, m’ont été utiles sur deux aspects : Premièrement j’ai beaucoup appris en m’adhérant au scout musulman, section « El Khaldounia », crée par Mohamed Bouras Rahimahou Allah, et avec laquelle nous nous sommes bien intégré.

Nous avons initiés certaines activités clandestines, telles, à titre d’exemple, la distribution de la brochure « El Kiffah », la récitation de chants patriotiques comme « Min Jibalina », « Chaab EL Jazairi Muslim », « Mawtini », qui sont l’œuvre des poètes de l’Association des Oulémas Algériens, cependant on ignorait cela à cette époque.

Deuxièmement, nous avons entrepris des activités au sein de la mosquée Sidi Mhamed Ben Youssef, qui était le lieu fréquenté par les étudiants issus de l’Université Marocaine Al Quaraouiyine.

Quelle est la spécialité que vous avez choisie ? Et peut-on connaitre les noms des professeurs qui vous ont marqué ?

En Algérie je me suis inscris aux cours préparatoires de médecine, après avoir terminé mon secondaire en 1946, puis j’ai pris la destination de l’Allemagne, rejoignant l’université de Strasbourg.

Ce fut pour moi, premièrement l’occasion qui me permit de côtoyer des étudiants de l’orient, ce qui m’a permis de m’exercer plus à converser en usant de la langue arabe et deuxièmement, je leur traduisais les cours de l’allemand à l’arabe.

Parmi les étudiants dont j’ai fait connaissance, dans cette période Mohssen Assoued, qui deviendra professeur dans la chirurgie du cœur à Damas, et beaucoup d’autres amis d’Egypte et d’Irak avec qui j’ai énormément appris.

Est survenu la grève de Mai 1956, et tout s’est arrêté. J’ai ensuite présenté ma thèse en juin 1958, qui était prête deux ans auparavant. J’ai réussi en l’année 1959 aux examens de spécialisation en ophtalmologie. J’ai été séduit par deux professeurs, le premier le professeur Aron, spécialiste en histologie et le professeur Kaiser qui est une sommité dans le domaine de la physiologie.

Cependant celui qui m’a énormément marqué c’est Max Aron, qui fut un des plus célèbres biologistes de France et du monde.

Je me souviens qu’un jour il est venu inspecter notre travail sur microscope, et en plein examen il nous interrogea : connaissez-vous Pierre Lecomte du Nouÿ ? Il nous fera observer que ce savant « qui a reçu le prix Nobel » en physique, est l’auteur d’un livre qui traite de la relation entre la Foi et la science.

Dans le domaine de l’ophtalmologie, je fus appâter par le professeur Raiter Slop et j’ai beaucoup appris auprès de lui, ainsi que le professeur Nordman qui m’a énormément soutenu.

Aviez-vous des activités politiques à l’université aussi bien en Algérie qu’a Strasbourg ?

J’ai participé avec Abderrahmane Kiouane au premier congrès des étudiants arabes, organisée à Paris le printemps de l’année 1947.

J’ai aussi participé à une pièce théâtrale, jouée à la salle du théâtre national, au nom de l’association des étudiants nord-africain.

Cheikh El Ibrahimi a assisté à la représentation ainsi que plusieurs autres personnalités Algériennes. Cette manifestation culturelle avait pour objectif de collecter des fonds pour les étudiants les plus démunis.

J’ai aussi donné une conférence au cercle des étudiants ayant pour thème « l’impulsion révolutionnaire en Islam », qui fut une réplique à une conférence donnée par un responsable du parti communiste algérien sur la situation politique algérienne, une analyse qui était à l’antipode de la nôtre.

Je rencontrais aussi Hocine Ait Ahmed, qui me demanda d’étudier sérieusement et de représenter le MTLD au Caire en 1947.

En mars 1956 j’ai participé au congrès de l’union des étudiants algériens à paris, et à cette occasion je fis connaissance de Mohamed Seddik Benyahia et Rédha Malek. Je fus chargé avec ce dernier de présenter un rapport sur la culture nationale.

Au congrès de Strasbourg étaient présents Ahmed Taleb El Ibrahimi, Belaid Abdeslam, Mohamed Seddik Benyahia et bien d’autres.

Nous avons aussi été partie prenante de la grève des étudiants de Mai 1956.

Après l’université, vous vous êtes consacré à votre métier de médecin, que vous n’avez jamais arrêté pour une longue durée aussi bien dans les hôpitaux en France ou en Algérie.

Pourriez-vous nous en dire plus de cette riche expérience ?

En cette période la police française m’a contacté, me demandant d’accepter d’être nommé directeur d’un hôpital en Algérie, ce que j’ai refusé prétextant que j’étais pressenti pour un poste de chef de service à Strasbourg.

Au printemps de l’année 1961, le FLN m’a demandé de rejoindre l’Allemagne, et de là bas j’ai pris la destination de l’Italie pour enfin terrir à Tunis

Mai 1962, avant le référendum, on me demanda d’aller en Algérie, à Tizi Ouzou précisément pour administré l’hôpital de cette région et je suis resté là bas six ans.

Lorsque le concours d’agrégation fut organisé, j’ai rejoint la capitale Alger en Aout 1968.

Je fus nommé maitre-assistant à l’université en janvier 1964, mais étant donné la charge de travail importante que j’avais à l’Hôpital de Tizi-Ouzou, je n’ai pas pu pourvoir ce poste. Je n’ai pu obtenir mon agrégation qu’en 1969.

a même année je fus nommé président de la délégation Algérienne chargée d’assister le Niger sinistré par la guerre civile.

Je fus après nommé secrétaire général de l’union des médecins Algériens en 1974, et j’ai contribué en 1984 à la réalisation du dictionnaire médical unifié.

Ce lexique médical unifié était un projet ambitieux, en trois langues, à savoir l’arabe, l’anglais et le français.

Comment a débuté ce projet et quel a été votre apport ?

En 1971, j’ai visité Damas, pour la première fois en tant que secrétaire général de l’Union des médecins Algériens.

J’ai pu contacter plusieurs professeurs syriens, et j’ai entendu parler d’une commission qui s’intéressait à la réalisation d’un dictionnaire médical unifié. Cette commission se réunissait en marge de chaque congrès organisé.

J’ai demandé à participer à certaines de ses réunions en tant que simple observateur, et c’est à cette occasion que j’ai connu Hossein Sbeh Rahimahou Allah, Haitem El Khayat que Dieu le protège, et d’autres professeurs d’Irak, d’Egypte, du Liban…

Le congrès a été organisé en 1974 en Algérie, et j’en fus à cette occasion le président. Il a été décidé la création d’une commission pour réaliser un dictionnaire (lexique) trilingue, et j’en fus membre.

Nous avons entamé notre travail début 1974 : on se réunissait quatre fois par an, pour une durée d’une semaine dans une des capitales arabes.

La dernière rencontre fut celle d’Alger en 1981, et la première édition du dictionnaire médical trilingue parue en 1983 en suisse.

Une commission permanente a été mise en place en Egypte, constituée de professeurs et fonctionnaires, ayant pour mission la préparation la deuxième édition du dictionnaire.

Vous vous êtes beaucoup intéressé à la traduction des significations du Coran. Quelles sont les raisons de cet intérêt ?

Mon premier contact avec les significations du coran fut à travers la traduction de « Kasimirski » en 1945, et la lecture du « Phénomène Coranique » de Bennabi » en français en 1947.

Ces lectures ont été pour moi un appel à m’intéresser au Coran, par sa lecture et sa bonne compréhension.

En 1988, Si Abdelouahab Hammouda, m’a demandé, ainsi qu’au docteur Ahmed Aroua, notre avis sur la traduction du coran de Jacques Berque, pour l’éditer en Algérie, sous le parrainage du ministère des affaires religieuses.

Notre avis fut, que le ministère s’abstienne pour des raisons que nous avons formulées à l’époque aux intéressés.

En l’an 2000, Mme Debbache, directrice de la chaine « canal Algérie » m’a demandé de présenter une émission « religieuse » d’une heure.

J’ai sollicité la participation du Dr Amar Talbi, Dr Mahfoud Smati, et de Si Abdelouahab Hamouda à l’émission, et ainsi nous nous rencontrions trois fois par semaine en mon domicile et la quatrième au sein du siège de la télévision pour l’enregistrement, et cela pendant cinq ans.

Nous avons commencé par les sciences du Coran et son histoire, ensuite nous entamé la Biographie du prophète, pour enfin présenter la traduction des significations du coran.

Après cinq ans, nous étions arrivés à la sourate « El Nour ».

Dans le gouvernement de M. Mouloud Hamrouche, vous avez été nommé ministre des affaires religieuses. Que vous a apporté d’enrichissant cette expérience ministérielle, et quels ont été vos réalisations dans le secteur concerné ?

Ma relation avec le ministère des affaires religieuses est ancienne. J’ai participé activement dans la préparation et l’organisation des séminaires de la pensée islamique au temps de Mouloud Kacem Nait Belkacem, il fut de même avec Cheikh Abderrahmane Chibane et les Ministres qui l’ont succédé, et Si Boualem Baki.

Lorsque Si Mouloud Hamrouche, m’a demandé de faire partie de son gouvernement pour le poste de Ministre des affaires religieuses, j’ai en premier décliné l’offre, et suite à son insistance j’ai accepté en posant comme condition de poursuivre le matin mon travail au sein de l’hôpital Mustapha Pacha, en tant que chef de service d’ophtalmologie.

Il accepta ma condition, je l’en remercie, et ce fut pour moi une enrichissante expérience, qui m’a permis de rencontrer d’éminents savants de l’orient et de l’occident.

En tant que premier responsable des affaires religieuses, j’ai œuvré pour la réalisation du projet « l’institution Mosquée », dont l’idée « pour l’histoire » émanée du chef du gouvernement Si Mouloud Hamrouche.

Après avoir pris connaissance des expériences similaires en la matière dans certains pays musulmans, nous avons opté pour la constitution d’un conseil scientifique, d’un conseil des voies de la bienfaisance, un conseil « Lis » pour l’apprentissage des enfants et la lutte contre l’analphabétisation ,et un conseil de l’édification et des moyens.

Tous ces conseils étaient prévus afin d’assister la mosquée.

Nous avons aussi mis en place une nouvelle classification des imams, et la préparation d’une nouvelle loi sur les legs « El Awqafs » qui fut approuvée en 1991, et Dieu merci, les retombées positives de cette période sont perceptibles encore aujourd’hui.

 

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