Le psychiatre Saïd Ourrad a publié un roman tranchant qui ne passe pas inaperçu « Résilience inachevée » chez l’édition Sydney Laurent. « Résilience inachevée » est un roman qui interpelle la conscience humaine et interroge le cœur et l’esprit.
Ce premier roman arrive après des années de réflexion, de tentatives, jusqu’à une complète maturité, celle qui dépasse et écarte enfin les hésitations, exhaussant ainsi un rêve de longues années, celui d’écrire et de mener à bout un roman.
Le docteur Said Ourrad arrive en France en 2001 où il se spécialise pour devenir psychiatre et Addictologue, Said Ourrad est installé à son compte à Montargis tout en travaillant en milieu hospitalier et dans un centre d’addictologie.
La littérature a toujours été une grande passion pour Said Ourrad et écrire est pour lui une manière de se sentir vraiment en phase avec lui-même. « Résilience inachevée » est donc le premier roman de Said Ourrad, ce qui lui ouvre la voie de la création littéraire. Ce livre est un voyage dans les méandres de la psychologie humaine.
Le titre « Résilience inachevée » est très évocateur mais en même temps porteur d’espoir, malgré un sujet crucial abordé par le livre celui de l’inceste et du viol. « Résilience inachevée » est un livre qui marque et qui laisse son empreinte, pour un premier roman, nous pouvons dire que c’est réussi.
Le Matin d’Algérie : psychiatre, addictologue, romancier, qui est Saïd Ourrad ?
Said Ourrad : Parler de soi est un exercice laborieux, car on a peur de tomber rapidement dans de la prétention. Romancier, c’est un peu trop dit car je n’ai publié qu’un seul, je pense qu’il faut en faire plus que ça pour mériter ce qualificatif.
Je peux dire que j’aime bien avoir plusieurs casquettes, je m’ennuie facilement dans l’unicité, qui est synonyme pour moi de bagne. L’écriture offre en elle-même une opportunité de diversité, par la palette de couleurs qu’elle propose.
Cette liberté de produire des textes pour donner son avis, s’exprimer et décrire le monde à sa façon, est une véritable bouffée d’oxygène. Dans cet exercice de jouer avec les mots, de concevoir des phrases et des textes, je me mets parfois dans un état d’extase.
Je me définis comme un hyperactif-calme (encore un oxymore), car ce qui ne manque pas d’impacter en partie sur ma famille, mais physiquement je suis d’un calme à faire jalouser un moine. Donc, ma tête bouillonne tout le temps de nouvelles idées, j’ai donc besoin d’un procédé pour les canaliser, trier, mettre de l’ordre, donc tenter de voir plus clair. Je ne sais pas qui a dit : j’écris parce que j’ai peur de devenir fou.
On se (nous) pose souvent la question pourquoi on écrit, même si je ne me considère pas comme écrivain, car pour le devenir il faut encore écrire et beaucoup.
Néanmoins, je pense qu’écrire nous donne l’illusion de prolonger le temps, du moins essayer de le ralentir et le retenir, fixer ces moments qui passent ; c’est une lutte perpétuelle contre l’angoisse de mort.
Les balbutiements commencent souvent dans l’enfance. Pour mon cas, je traine de profondes frustrations depuis l’enfance, non seulement celle de réussir dans les études, ce qui est pour moi insuffisant, mais aussi celle de faire partie de la catégorie des personnes qui produisent, innovent, proposent, étonnent, séduisent, décrivent, et ainsi crier et défendre cette profonde liberté, l’essence même de notre profond humanisme.
J’ai évolué dans une société kabyle où très tôt j’avais pris conscience de cette liberté dont je pouvais jouir et cette capacité à se questionner, à interroger ses profonds désirs et son monde, à aiguiser ses espoirs et ses projections, et d’essayer surtout de devenir ce qu’on voudra être.
Certes, cet exercice périlleux se vivait dans la solitude totale, car chaque pas en avant était scruté par les siens et doit être conforme aux règles édictées par l’entourage et donc avoir l’approbation de tous.
C’était grâce à la fac que ce besoin de liberté avait pris forme et pouvait s’exprimer un peu plus. Cette « grande école des adultes » était salvatrice pour beaucoup d’entre nous, car s’éloigner un moment de nos familles, de nos cercles proches, de nos reflexes ataviques, nous a permis de nous construire une personnalité singulière et quasi-indépendante. Mais beaucoup d’ex-étudiants, des amis proches parfois, l’ont payé de leurs chairs ; ils se sont vus excommunié du cercle familial, rejetés par leur milieu social, pour la simple raison qu’ils ont pris un chemin jugé contraire à celui défini par le cadre social. Les femmes étaient plus victimes que les hommes. Une violence subie qui mérite qu’on s’y penche pour mieux la cerner.
Pour mon métier de psychiatre-addictologue, il me permet d’être en contact avec une souffrance profonde des humains, dans laquelle les patients se débattent contre la maladie mentale et/ou compliqué de consommation de produits nocifs. Dans cet exercice d’apporter un soulagement à ceux qui en ont besoin, je me sens aussi en harmonie totale avec mes convictions profondes.
Le Matin d’Algérie : Vous venez de publier votre premier roman, on peut dire que c’est réussi, puisque vous abordez d’emblée un sujet de société crucial lié à toutes les époques, l’inceste et le viol, comment ce thème s’est-il imposé ?
Said Ourrad : Les sujets de société, les tabous, inhérents à la souffrance humaine, m’ont toujours interpellé et intéressé de près.
La résilience, cette faculté à transcender ses difficultés pour continuer à vivre, m’a toujours aussi intéressé.
La naissance de Résilience inachevée est partie d’un petit billet que j’ai posté sur fb, décrivant une adolescente apeurée, adossée à un mur, et puis la suite c’est mon petit logiciel « il faut à tout prix que j’aille cette fois-ci jusqu’au bout pour concevoir un roman » qui s’est chargé de compléter au fur et mesure les scènes de cette intrigue.
Lors de la première expérience, comme tout le monde le sait, on écrit n’importe quoi et n’importe comment et puis on passe un temps fou à corriger, à recorriger, à demander conseils, et si au bout d’un temps long notre espoir ne s’est pas essoufflé, on arrive enfin à un produit fini. Et puis tout le monde connait ce moment d’épuisement où on se dit à soi-même : maintenant il faut que t’arrêtes, cependant quelque chose te pousse à continuer.
Résilience inachevée est l’histoire de Céline qui a subi un inceste, avec toutes les conséquences sur le plan psychologique. Une fois adulte, elle va réaliser un film, en grande partie autobiographique, ainsi elle va porter son histoire à l’écran. Il y’a pas mieux que la fiction pour raconter une réalité. Mais au fur et à mesure des projections d’avant-premières, sa conscience va la titiller progressivement sur les détails de certaines scènes.
Les retrouvailles avec Ghilas, un Kabyle qui s’est amouraché d’elle et l’a initié à l’art cinématographique, va accélérer les choses. Ghilas lui-aussi porte, et profondément, les stigmates d’un « espoir violé ». Il a subi les affres de la décennie noire dans sa chair ; il a dû fuir l’Algérie avec sa maman à l’âge de 18 ans, après l’assassinat de son père journaliste par les islamistes. La souffrance de Ghilas et celle de Céline rentrent en symbiose.
Le Matin d’Algérie : Comment passe-t-on de la psychiatrie au roman ?
Said Ourrad : Il y a un point commun entre la pratique de la psychiatrie et la littérature et cette recherche pour cerner la personnalité du patient au fur et à mesure des consultations et le personnage principal dans un film. Dans certains films, il arrive aussi que le personnage soit aussi un patient.
Chez certains patients, leurs histoires personnels, la trajectoire de leur vie, les rebondissements, est un vrai film ou roman ; au fur et à mesure qu’on les voit, on prend connaissance de détails supplémentaires, quelquefois les plus intimes, comme dans un roman ou un film pour le personnage. Parfois, ce n’est qu’au bout de plusieurs entretiens que le patient lâche enfin l’élément ou un fait important de sa vie, qui peut expliciter et éclairer brusquement son parcours de vie et mettre le projecteur sur sa profonde souffrance. Comme dans une scène de cinéma ou une séquence importante dans un roman.
Mais profondément, la pratique de la psychiatrie est totalement différente de l’écriture : pour le premier on est avec le patient qu’on essaie de comprendre la genèse de sa souffrance pour ensuite lui apporter un réconfort par l’écoute, une psychothérapie de soutien, des médicaments, et autres méthodes de soins. Pour l’écriture, on est avec soi-même, souvent en introspection et en immersion totale dans les entrailles de sa propre vie ou de celles de ses personnages.
Le Matin d’Algérie : « Résilience inachevée » parlez-nous du choix de ce titre très évocateur ?
Said Ourrad : Résilience inachevée est un oxymore. Le titre est souvent très difficile à trouver. Pour ma part, je voulais un titre percutant, en relation avec le sujet traité et surtout l’actualité.
On parle de résilience pour un processus de réparation qui habituellement s’est achevé.
Mais en vérité, toute souffrance humaine brusque, agressive, qui a duré longtemps, peut laisser des séquelles, des stigmates, une empreinte, qui peuvent parfois être oubliées avec le temps, intellectualisées, mais qui peuvent ressurgir dans des moments de faiblesse (un deuil, un mariage, passage de l’adolescence à l’âge adulte, une violence symbolique ou réelle, un harcèlement…)
Le Matin d’Algérie : Quels sont les auteurs et les psychiatres qui vous ont influencés ?
Said Ourrad : Les auteurs qui m’ont influencé sont bien sûr d’abord les nôtres : Albert Camus, Mouloud Mammeri, Tahar Djaout, Rachid Mimouni, Boudjedra… Dans les années 90, à la fac, on dévorait leurs livres qui passaient de main à main. Jeunes étudiants, on a eu la chance d’assister aux différentes conférences de quelques-uns de ces gens de culture, qu’on regardait avec de gros yeux, ils étaient nos idoles, on voulait leur ressembler.
J’avais à ce moment-là compris pourquoi ces gens écrivaient ; ils avaient cette capacité de se connecter à nos aspirations, nos racines et interroger ce qui nous faisaient vibrer intérieurement. Ils étaient porteurs d’espoir.
J’ai été très marqué par le roman la mise à nu de Abdelhamid Benhadouga, un livre qui m’a totalement bouleversé. En le lisant, j’avais l’impression d’ouvrir enfin les yeux et de défoncer les portes de la famille algérienne secrète. Pour le montagnard que j’étais, curieux mais d’une naïveté maladive, ce livre, même si c’est une fiction, m’a permis de comprendre que la souffrance de chacun se vivait dans l’isolement, l’hypocrisie, la cachotterie, le mensonge, Lhaf. La famille est une pièce de théâtre où chacun joue un rôle.
Bien sûr pour la littérature internationale, il y a plusieurs auteurs qui me fascinent ; hormis les classiques, je peux citer Milan Kundera que j’ai découvert avec l’insoutenable légèreté de l’être et Risibles amours. Il y a aussi Alberto Moravia, l’écrivain italien qui manie la dérision et l’humour.
Pour les psychiatres, ils sont très nombreux à se donner aussi à cet exercice d’écrire, soit des romans ou des livres qui traitent bien sûr du champ des neurosciences ou de la psychothérapie ou autres méthodes de soins. L’un d’eux, Raphaël Gaillard. Psychiatre, à 48 ans il vient d’être nommé à la prestigieuse académie française.
Le Matin d’Algérie : Le champ de la psychiatrie est si vaste, quel regard portez-vous sur ce domaine très particulier concernant l’Algérie, après tant de traumatismes vécus ?
Said Ourrad : Sur des domaines très variés, l’Algérie reste à la friche. Pour rester dans le domaine du psychisme, il y a beaucoup à dire. En Algérie les psycho-traumatismes sont souvent vécus dans la souffrance et la solitude totale. Peu de choses sont mises en place pour que des gens dans le besoin puissent avoir un espace d’écoute, où leur confidentialité sera respectée.
Un principe connu de tous les professionnels de la santé mentale : toute souffrance, toute violence physique ou symbolique subie, non prise en charge, enfouie au plus profond de soi, peut aboutir tôt ou tard à un comportement répétitif. La violence subie, qu’elle soit politique ou autre, va malheureusement générer de la violence.
Un exemple typique : en Algérie l’humilié par exemple est persuadé que la justice ne se fera jamais, persuadé qu’elle n’existe pas ; pour se faire justice et se soulager, il ne rêverait que d’une chose, humilier lui-même un autre comme lui, de la même manière qu’il l’a été. La victime qui se transforme à la moindre occasion en bourreau.
Le travail de mémoire de la décennie noire par exemple n’a jamais été pris en charge, encore une fois on a caché le sang sous le tapis, pour éviter de regarder la réalité en face et en discuter.
Malheureusement dans les futures années, on est guetté par la répétition des mêmes évènements qu’autrefois, avec la même violence ou pire, qui peut jeter le pays dans une véritable guerre civile. Bien sûr, la tâche incombe aux politiciens, au pouvoir central, aux décideurs, de trouver des solutions pour éviter de revivre ces situations. Tout ce qui est proposé est l’accentuation de la religiosité pour contenir la colère, toutes les frustrations, des citoyens.
Par procuration par nos parents et par transmission, notre génération post-indépendance avons été profondément impactés par la guerre 1954-1962. Les événements des années 90 ne sont pas à dissocier de ceux de la guerre délibération et de toute la violence qui est venue après.
Le Matin d’Algérie : Avez-vous des projets en cours et à venir ?
Said Ourrad : L’écriture, comme tu le sais bien, est une maladie chronique, dès qu’on l’attrape on ne s’en défait plus. Plusieurs projets bouillonnent dans mon esprit.
J’ai fini un 2ème roman depuis plus d’un an, que j’ai mis au vert, car je n’arrive toujours pas à trouver un éditeur sérieux, je réfléchis sérieusement à une autoédition.
Actuellement je suis en train d’écrire un autre roman où l’histoire se situe à Hasnaoua, université de Tizi-Ouzou en Algérie, où j’ai passé toute la décennie noire. Un roman qui me tient particulièrement à cœur et dont je rêvais depuis très longtemps. Ça sera une fiction où je glisse des scènes de vie réelle et quotidienne, sur un fond de bouleversement politique des années 90. L’accent sera mis sur l’impact de ses évènements sur la psyché de chacun de nous, et donc sur les relations sociales, amicales, la conception de l’avenir, la notion de l’espoir, de la démocratie, des croyances…
Le Matin d’Algérie : Un dernier mot peut-être ?
Said Ourrad : Je me sens toujours un peu gêné de parler de l’Algérie, le pays que j’ai quitté il y a 23 ans, car je n’ai aucune leçon à donner à quiconque sur n’importe quoi.
Je peux juste dire que la production culturelle et artistique, les rencontres, sont importantes pour que chacun et chacune trouve et retrouve une place où sa sensibilité pourra s’exprimer. En chacun de nous somnole un artiste, un écrivain, un sculpteur.
Souvent, on est son propre censeur, on s’interdit d’explorer ce désir par peur du ridicule ou de ne pas y arriver jusqu’au bout de son projet. Je ne compte pas le nombre d’amis, de connaissances, de personnes de toutes les cultures, qui m’avouent avoir un projet d’écriture ou autre mais n’osent pas sauter le pas et commencer.
Entretien réalisé par Brahim Saci