Le 28 janvier 1983, par un hiver glacial, s’éteignit, à Moissac dans le Tarn-et-Garonne, le grand artiste Slimane Azem, laissant, derrière lui, une société kabyle de France, d’Algérie et de partout complètement orpheline.
Le monde venait de s’écrouler pour elle comme emportée par une terrible secousse tellurique et dans l’indifférence totale des pouvoirs publics de l’époque d’ici et d’ailleurs.
L’homme a tiré sa révérence mais son esprit est toujours là, vibrant dans la mémoire collective de son peuple. « Son nom et son œuvre reviennent aujourd’hui avec éclat en France et en Algérie »([1]). Il continue, en éclaireur, de nous abreuver de fables moralistes (Baba-ɣayu), de comédies satiriques (Ddebza u ddmeɣ) et de pensées philosophiques (A win yellan d lfahem) ou politiques (Terwi tebberwi) dont le fil conducteur reste encore et toujours l’humanisme dont il a fait preuve sa vie durant. Il est heureux de voir que de nombreux jeunes gens et jeunes filles reprennent, de plus en plus, son répertoire avec enthousiasme, engagement et talent.
Slimane Azem a vécu son enfance dans le doux murmure des champs d’Agwni-g-Eɣran (région d’Iwaḍiyen) entouré des siens avant d’affronter, dès l’âge de 13 ans, les rudes chemins de l’exil d’abord dans l’Algérois puis en France. Pour les amoureux de la poésie chantée, il était celui qui a fait vibrer, dans la douleur, le ciel d’Algérie et de France de sa voix pourtant douce et rassurante. Il a tissé des récits où la sagesse se mêle à une révolte à la fois radicale et contenue.
Chaque morceau de ses compositions est une empreinte de vérité cruelle, un reflet de la condition humaine, un miroir tendu aussi bien aux hommes puissants qu’à toute la société.
Fabuliste des temps modernes, il avait l’art de faire parler les animaux pour parodier les hommes à la manière de Jean de La Fontaine comme il avait dépeint les travers de la société avec le sarcasme de Molière.
Tout en étant capable de faire rire ou pleurer les siens, il gardait l’exil comme sujet central de son œuvre depuis « A Muḥ a Muḥ » composée en 1942 alors qu’il était prisonnier en Allemagne et rendue publique en 1946. Cette « leçon inaugurale », pour utiliser le concept du Collège de France, a marqué l’esprit de tous les exilés d’antan et de maintenant.
Parti depuis 42 ans maintenant, Slimane Azem a laissé une œuvre monumentale et digne d’intérêt académique et de recherches universitaires.
Sa voix résonne encore dans les chaumières, les cafés, les salles de spectacles et dans le silence des montagnes du Djurdjura. Son nom et son héritage précieux resteront gravés, pour toujours, dans la mémoire collective de l’Algérie et du monde, dans le vaste champ mémoriel amazigh.
Merci dda Slimane !
Hacène Hirèche
[1] Hacène Hirèche. Blessures et Résiliences, Paris, Éditions L’Harmattan, 2022.