Il y a certaines expressions qui n’ont pas besoin d’une grande réflexion pour en déchiffrer la signification, même si ce n’est qu’une image, comme « la route est longue » ou « c’est dans le besoin qu’on reconnaît ses amis ».
Il en existe d’autres qui sont métaphoriques où la seconde de réflexion est nécessaire pour ceux qui l’entendent pour la première fois, « C’est dans les vielles marmites qu’on fait les meilleures soupes ».
Puis celles qui nécessitent une réflexion philosophique pour en déchiffrer tous les sens, « le sage montre la lune avec son doigt, l’imbécile regarde le doigt » ou « l’indifférence est le commencement de l’échec ».
Mais très rares sont les expressions qui, non seulement se comprennent au premier mot, ont cette faculté étonnante de provoquer un geste qui en accompagne la formulation et en dessine le sens. C’est le cas de « tourner en rond ». Instinctivement, le doigt fait un rond, horizontalement ou verticalement, car le cercle est la plus parfaite représentation de la répétition géométrique.
Comme le lecteur se demande « où veut-il en venir ? », je me délecte, comme dans un jeu de piste, à me rapprocher de la réponse en faisant encore une étape qui lui en donne un dernier indice. C’est le cas de l’expression « faire des allers-retours sans résultat ». Pour celle-là, le doigt trace une ligne droite où il rejoint les deux points extrêmes dans un geste qui se reproduit au moins deux fois en alternance.
Nous y voilà enfin, depuis que nous nous rappelons de nous-mêmes, pour ceux qui ont encore cette chance de le raconter, nous entendons « Le Secrétaire d’état américain débute sa tournée au Moyen- Orient où il fera des allers-retours dans les grandes capitales pour une mission de réconciliation ». C’est comme une ritournelle ou un coucou qui ressort indéfiniment de sa cage.
Comme le nom de la fonction ne fait pas spontanément référence à celui que nous connaissons habituellement, le ministre des affaires étrangères, nous pourrions jusqu’à penser avec humour qu’un Secrétaire d’état américain est le ministre des allers-retours et des tournées.
Des centaines de milliers de kilomètres depuis ce temps-là, une valeur en carbone à faire tomber en apoplexie la petite Greta Thunberg. On dit même que l’avion du Secrétaire d’état choisit son cap lui-même dès l’envol, il connait la route vers le Moyen-Orient. Si le Secrétaire d’état américain pouvait cumuler les miles de fidélité, les dépenses du trésor public américain en seraient allégées.
Il faut prévenir un jour ces grands voyageurs que la vidéo-conférence existe depuis un moment pour l’échange de paroles convenues et banales, c’est moins cher et tout aussi inefficace. Beaucoup nous répondent qu’ils préfèrent le contact humain, la discussion en tête à tête, l’intrigue des couloirs et les secrets d’alcôve. A en voir le résultat, on se douterait qu’ils n’ont pas été aussi formés que la diplomatie de nos anciens lorsqu’il fallait régler les conflits familiaux.
Comme il faut à tout métier ou art une référence, un étalon ou un maître, c’est celui qui finit par connaitre la postérité en donnant son nom à une expression qui le sera. On dira à jamais « Le Kissinger de la diplomatie ».
Mais les records sont faits pour être battus et le Secrétaire d’état actuel, Antony Blinken, veut détrôner le maître, sept voyages en quelques semaines. Il serait présomptueux d’y croire car il ne pourra avoir les faveurs du prochain Président. Kissinger avait survécu avec deux Présidents, la barre est donc haute pour ce petit jeune des tournées.
Nous tournions donc le bouton de la télévision Philips ou celui du transistor Radiola et ne pouvions éviter « Le Secrétaire d’état américain débute sa tournée au Moyen-Orient ». C’était comme le bulletin météo ou le film du dimanche soir, un rituel sans lequel nous penserions qu’il y avait une panne de l’antenne de la RTA.
Les décennies s’écoulent, les tournées s’enchainent, comme une berceuse à faire dormir les enfants. Tout se passe comme si le Secrétaire d’état américain rendait périodiquement visite à son filleul en Israël pour gronder l’enfant turbulent et le menacer d’une privation de sortie.
Et comme tout parrain affectueux, il finit par lui donner tendrement des jouets. Seulement, les jouets du filleul ont de grosses chenilles et des flèches d’indiens à pouvoir massacrer des peuples, adultes et enfants. Le dernier rejeton de la famille est de ceux qui en jouent avec frénésie et jouissance. Ce violent garnement a été baptisé Benyamin.
Au dernier souffle de ma vie, je voudrais tellement qu’on me dise « ne t’inquiète pas, ce n’est qu’un aller-retour pour une petite tournée ». Là, je saurai que j’ai enfin gagné l’éternité, sur les pas des tournées des Secrétaires d’état américains, aussi inutiles que sans fin.
Boumediene Sid Lakhdar