19.9 C
Alger
lundi, 3 novembre 2025
AccueilIdéesTunisie : 5 ans de prison pour l’avocat Ahmed Souab, figure critique...

Tunisie : 5 ans de prison pour l’avocat Ahmed Souab, figure critique du régime de Kaïs Saïed

Date :

Dans la même catégorie

spot_imgspot_img
- Advertisement -

Le verdict est tombé à la stupeur générale. L’ancien magistrat et avocat tunisien Ahmed Souab a été condamné, vendredi 31 octobre, à cinq ans de prison ferme par le pôle judiciaire antiterroriste de Tunis, assortis de trois années de surveillance administrative.

L’annonce de cette lourde condamnation de Me Ahmed Souab a été confirmée par son avocate, qui dénonce un jugement « rendu en sept minutes, en l’absence totale de l’accusé et de son équipe de défense ».

Selon les chefs d’accusation, Ahmed Souab est poursuivi pour divulgation d’informations mettant en danger des personnes protégées et pour menace liée à une infraction à caractère terroriste. Pour ses soutiens, ce verdict ne repose sur aucune base légale solide : il sanctionne avant tout des déclarations faites dans l’exercice de sa fonction d’avocat, lors d’une audience publique.

Un procès expéditif et contesté

Le comité de défense d’Ahmed Souab a immédiatement dénoncé « un jugement scandaleux », qualifiant la procédure de mascarade judiciaire. L’un de ses avocats, Me Leila Haddad, a affirmé que le tribunal avait refusé de notifier à la défense la date de l’audience, empêchant toute présence légitime des avocats ou de l’accusé lui-même. « C’est un procès politique. Tout le monde le sait », a-t-elle ajouté.

Pour de nombreux observateurs, cette condamnation marque une nouvelle étape dans la dérive autoritaire du régime de Kaïs Saïed. Depuis la suspension du Parlement en juillet 2021 et la réécriture de la Constitution, le président tunisien concentre entre ses mains tous les leviers du pouvoir exécutif et judiciaire.

Une vague de réactions politiques et citoyennes

La décision a suscité une vague d’indignation dans les milieux politiques, juridiques et associatifs. Le Parti républicain tunisien a dénoncé « un nouvel épisode du déclin judiciaire » et « une justice aux ordres du pouvoir exécutif ». Dans un communiqué, il déplore que les tribunaux se transforment en instruments de règlement de comptes politiques.

De son côté, le parti Afek Tounes a condamné « une dérive grave du système judiciaire » et « un recul inquiétant des libertés fondamentales ». Il appelle à la libération immédiate d’Ahmed Souab et à la restauration des institutions garantes de l’indépendance du pouvoir judiciaire, notamment le Conseil supérieur de la magistrature et la Cour constitutionnelle, tous deux affaiblis ou dissous par le président Saïed.

La société civile n’est pas en reste. L’Association Justice et Égalité estime que le verdict contre Souab est « une sanction politique et vindicative » infligée à un homme libre qui n’a cessé de défendre la séparation des pouvoirs et la primauté du droit. L’organisation parle d’une attaque frontale contre la liberté d’expression et contre les avocats qui s’opposent à la dérive du régime.

Un symbole de résistance pour la magistrature tunisienne

Avant de rejoindre le barreau, Ahmed Souab avait servi comme juge administratif pendant plusieurs décennies. Connu pour son intégrité, il s’était opposé publiquement à plusieurs décisions du président Saïed, notamment la révocation arbitraire de 57 magistrats en 2022, accusés sans preuves de « corruption » ou de « trahison ».

Depuis, Souab multipliait les prises de parole critiques contre la politique présidentielle. Il dénonçait « l’érosion de l’État de droit » et « la transformation de la lutte antiterroriste en instrument de répression politique ». Son arrestation en octobre 2025 avait déjà provoqué une onde de choc, avant que ce verdict ne vienne confirmer ce que ses proches qualifient de « vengeance d’État ».

Solidarité et indignation

Plusieurs figures politiques et intellectuelles tunisiennes ont réagi dès l’annonce du verdict. Moncef Marzouki, ancien président de la République, a évoqué « un jour noir pour la justice tunisienne ». Fawzi Ben Abdel Rahman et Yassine Mami, anciens ministres, ont dénoncé une instrumentalisation de la loi antiterroriste pour réduire au silence les voix indépendantes.

Pour eux, le message envoyé est clair : « Tout magistrat, tout avocat, tout citoyen qui critique le pouvoir peut désormais être accusé de terrorisme. »

Sur les réseaux sociaux, le hashtag #FreeAhmedSouab s’est rapidement propagé, soutenu par des avocats, des journalistes et des militants des droits humains.

Une inquiétude partagée au-delà des frontières

Les réactions ne se limitent pas à la Tunisie. Amnesty International et l’Organisation mondiale contre la torture (OMCT) ont dénoncé, dans des communiqués distincts, « l’usage abusif de la législation antiterroriste pour réprimer la liberté d’expression et intimider les défenseurs des droits humains ».

Selon ces organisations, le procès d’Ahmed Souab s’inscrit dans une tendance régionale alarmante : celle de l’utilisation des lois d’exception pour museler les opposants politiques, les juges indépendants et les journalistes.

Un tournant inquiétant pour la démocratie tunisienne

Treize ans après la révolution du 14 janvier 2011, la Tunisie semble refermer le chapitre de son printemps démocratique. Les procès politiques se multiplient, les libertés syndicales sont menacées et la presse subit des pressions inédites depuis la chute de Ben Ali.

Pour les défenseurs d’Ahmed Souab, cette affaire dépasse le sort d’un seul homme. Elle incarne la lutte pour la survie d’un État de droit en péril, dans un pays où le pouvoir semble vouloir faire taire toute voix dissidente.

« Ce verdict est un message adressé à tous ceux qui refusent de se soumettre », estime un avocat du barreau de Tunis. « Mais il prouve aussi qu’il reste des hommes debout, prêts à défendre la liberté, même au prix de leur propre liberté. »

Mourad Benyahia

Dans la même catégorie

Dernières actualités

spot_img

LAISSEZ UN COMMENTAIRE

S'il vous plaît entrez votre commentaire!
S'il vous plaît entrez votre nom ici