Dimanche 1 avril 2018
Un ancien Président français au tribunal correctionnel, ça existe, c’est le Droit
Nicolas Sarkozy et Mouammar Kadhafi.
L’ancien président français Nicolas Sarkozy est renvoyé devant le Tribunal correctionnel pour « corruption » et « trafic d’influence », un choc pour beaucoup, une normalité pour les juristes. Le Droit et la justice viennent de rappeler, encore une fois, que nul n’est au-dessus des lois, quels que soient sa fonction élective, administrative ou son niveau de notoriété sociale.
Après le choc de l’annonce, certains journalistes ont immédiatement rappelé que ce n’était pas la première fois qu’un ancien Président de la république française devait répondre de ses actes devant la justice. Jacques Chirac avait eu à se confronter à elle, certains l’ont déjà oublié.
Mais la grande différence vient de deux points à souligner. Le premier est qu’il s’agissait d’une affaire antérieure à sa fonction de Président de la république. Les faits délictueux incriminés remontaient à sa période de maire de la ville de Paris.
Le second est que pour Nicolas Sarkozy, on assiste à un feuilleton judiciaire qui, s’il ne prouve pas la culpabilité, révèle la singularité du personnage à être souvent présent dans l’environnement d’un « coup tordu » et, par conséquent, d’avoir des fréquentations très douteuses.
Le personnage avait constamment clivé, lui-même comme sa politique. Ceux qui lui reprochent beaucoup sont atterrés, ceux qui le soutiennent fermement dénoncent l’acharnement judiciaire à son égard. Il est certain que l’ancien Président de la république ne laisse personne indifférent, quel que soit le jugement à son égard, sur le fond. Il y a toujours chez cet ancien Président une forme qui finit par faire douter de ses arguments sur le fond, même si cela n’est absolument pas un argument juridique qui aboutira au prononcé du verdict final.
S’il a été déjà mis hors de cause dans la première affaire, concernant madame Bettencourt, Nicolas Sarkozy, innocent ou coupable, s’arrange toujours par sa particulière personnalité, à faire que les juges finissent par recueillir des « indices graves et concordants » , condition juridique nécessaire pour valider une garde à vue, pour la seconde fois.
Les indices ne font pas de lui un coupable mais, bien entendu, il y a de quoi, pour le moins, à se poser des questions. Nous ne hurlerons donc pas avec les loups mais, pour autant, nous ne détournerons pas notre attention par le seul argument, bien léger, de harcèlement judiciaire.
Examinons tout d’abord ce que dit le droit avant de rappeler l’affaire dans son fond, éclairée par une procédure que ce droit impose.
Ce que dit le droit
La constitution protège l’institution du Président de la république tout en ne lui accordant qu’une immunité relative et temporaire. Pour les faits de droit commun, dirait-on, il ne peut en aucun cas être obligé de se soumettre à une convocation de la justice, s’il ne le souhaite pas. Cependant, cette convocation n’est pas annulée, elle est différée au moment où le mandat se termine. C’est donc une immunité temporaire et le Droit ne déroge en rien à ce que le Président de la république redevienne un justiciable comme les autres lorsque l’investiture cesse dans le temps décidé par la constitution ou par l’échec d’une réélection.
Ce sont les articles 67 et 68 de la constitution qui fixent les règles en rapport avec une poursuite à l’encontre du Président de la république. La réforme du 23 février 2007 a apporté des modifications tout en préservant dans les articles 67 et 68 le principe précédent, à savoir l’immunité pour les actes communs dans le cadre des fonctions présidentielles.
Il ne peut être poursuivi ni être appelé à témoigner au niveau pénal, civil, administratif ou politique. Mais l’immunité ne veut pas dire impunité. Il peut avoir à répondre de ses actes devant le Tribunal Pénal International et en cas de « manquements à ses devoirs manifestement incompatibles avec l’exercice de ses fonction ». La destitution peut être alors prononcée. Et pour tous les actes ne relevant pas de son mandat, l’inviolabilité est levée un mois après la fin du mandat. Le Président redevient alors un justiciable comme les autres, comme dans les cas de Jacques Chirac et de Nicolas Sarkozy.
Les justifications doctrinales de l’immunité
Tous les étudiants de première année, en droit constitutionnel, peuvent esquisser dans leur copie au moins trois justifications de la présence de l’impunité relative du Président de la république.
La première est loin d’être ridicule car beaucoup étudiée, surtout avec la Vè république de 1958 instituée par le Général de Gaule et qualifiée de monarchie constitutionnelle. Les détracteurs de cette constitution, dont moi-même, pensent qu’il y a, dans son texte comme dans son usage, une marque historique du monarque, jamais réellement disparue de la conscience collective.
« Le Roi ne peut se tromper » est ce qui déterminerait cet inconscient à vouloir le justifier indirectement, mais tellement visiblement, dans une constitution. D’ailleurs, d’autres articles de la constitution portent cette trace, comme le droit de grâce, très férocement débattu par les constitutionnalistes et certains hommes politiques. Mais lorsque les uns et les autres accèdent au pouvoir, ils sont à l’aise avec un trône qu’ils trouvent confortable. Ce fut le cas du monarque Mitterrand qui eut auparavant une critique féroce contre la Vè république et dont il a pourtant assumé les pouvoirs avec une jouissance absolue.
La deuxième origine est certainement la plus fondamentale. Selon le principe de la séparation des pouvoirs, il est impossible d’accepter qu’un juge vienne menacer la fonction exécutive dans ce qu’elle a de plus légitime dans l’origine de son pouvoir institutionnel. Nous ne nous attarderons pas sur ce point car c’est le plus connu par les lecteurs et sans doute, le plus solide juridiquement.
La troisième origine, qui découle de la précédente, est le principe de continuité de l’Institution du Président de la république qui est en charge de lourdes missions qui ne sauraient être perturbées ou compromises par l’intervention du pouvoir judiciaire.
Cette règle d’immunité, même partielle et temporaire, pose néanmoins un gros souci de démocratie et il est temps de s’en occuper en la réformant. L’accélération des affaires, au plus haut niveau de l’administration et du pouvoir politique, l’exige. Non que la sphère publique soit plus condamnable pénalement aujourd’hui qu’elle ne l’était autrefois, ce serait avoir la mémoire courte et c’est bien le contraire. Mais jamais dans l’histoire l’État et ses organisations n’ont été autant exposés aux feux des médias et du public, particulièrement avec la multiplication de l’instantanéité des réseaux sociaux et des chaînes d’information continue.
Les temps ne sont plus les mêmes et les hommes politiques comme les constitutionnalistes doivent s’en rendre compte. De toute façon, ils pataugent à chaque fois que le problème se pose. Et il y a fort à parier qu’il s’accélérera dans les années à venir car, déjà, tout est transparent rétroactivement dans la vie des hommes politiques et finit par se savoir. Et c’est encore pire lorsqu’il est question de faits relevés au moment de leur mandat à la magistrature suprême, comme c’est le cas pour Nicolas Sarkozy.
Il est temps d’en venir maintenant aux faits qui valent à l’ex-monarque républicain de connaître (si la procédure de renvoi au tribunal n’est pas invalidée) les sentences du Droit lorsqu’il rappelle au puissant qu’il est, finalement, un justiciable comme les autres.
L’affaire en question
Nous avons déjà dit, les « casseroles judiciaires » que traîne l’ancien Président de la république sont nombreuses. Le public a oublié, avant la décision de renvoi qui nous occupe aujourd’hui, il avait été déjà renvoyé en 2017 devant un tribunal correctionnel pour le financement illégal de sa campagne électorale de 2012, avec treize autres protagonistes. Des recours contre l’ordonnance de renvoi, signée par un seul des deux juges d’instruction, doivent être examinés devant la chambre de l’instruction, la décision n’ayant pas encore été rendue.
Pour le renvoi actuel, les chefs d’inculpation sont « corruption » et « trafic d’influence ». Nicolas Sarkozy est soupçonné d’avoir tenté d’obtenir de Gilbert Azibert, un ancien haut magistrat, par l’entremise de son avocat Thierry Herzog, des informations couvertes par le secret. La contrepartie serait d’intervenir en faveur de Gilbert Azibert pour qu’il obtienne un poste de prestige à Monaco. Ce qu’il n’a pas fait mais le délit étant constitué avec la preuve de la promesse.
C’est donc une faute pénale lourde commise par le plus haut magistrat de France, en charge de l’application des règles de la république. On ne saurait trouver excuse dans ce comportement pour celui qui est en charge des institutions et donc, du droit et de la justice.
En conclusion, la morale de cette affaire est toujours la même. Les démocraties les plus avancées s’aperçoivent à chaque pas que le processus débuté lors de la révolution française est loin d’être terminé. Il connut et connaîtra toujours des retours en arrière et des soubresauts historiques. Elles ont compris qu’en réalité, elles ne connaîtront jamais la perfection de l’idéal révolutionnaire. Mais que le chemin était de toujours aller de l’avant, vers cette réalité fantasmée qui reste, malgré tout, la boussole du cap à respecter, la lanterne qui éclaire ce chemin interminable.
Comme je le conclus très souvent, seules les religions ont des certitudes, l’être humain est en perpétuelle recherche. Mais il est sûr que certains, qui en sont à apprendre à compter jusqu’à 102, en sont encore plus loin de cette vérité tant recherchée, jamais trouvée dans sa perfection.
Et c’est bien là le plus beau défi de l’homme, son acharnement à tenter de parvenir à la démocratie et à l’humanisme. Le simple fait de cette attitude à vouloir rappeler qu’un Président de la république n’est pas au-dessus des Hommes et des lois de la république, est en soi un grand mérite et la garantie d’une société épanouie et libre.