Après L’Impasse, un roman sur la guerre d’Algérie, Kamel Bencheikh nous donne à lire cette fois Un si grand brasier, un texte sur l’Algérie au lendemain de l’indépendance.
Comme un miroir sociologique, ce roman met en scène des personnages aux accents d’innocence, bouleversés soudainement par les décisions politiques inconséquentes de leurs nouveaux dirigeants.
Ce roman dresse une sorte d’inventaire sans concession de cette période-là, celle des années soixante-dix, le tout décrit avec une langue savoureuse, qui introduit quelquefois des notes de fantaisie mais où l’utile reste prépondérant. Le récit se décompose en fragments de scènes émaillés de citations classiques, donnant un charme et une élégance qui dénotent l’étoffe littéraire de l’écrivain.
L’histoire se déroule à Ain Abessa, petite bourgade près de Sétif. Une bourgade devenue emblématique d’une Algérie qui se cherche et dont les politiques choisies présageaient déjà des lendemains difficiles.
Le texte s’annonce par une description zolienne des lieux. Une description qui se distingue par le mode de la réalité où l’intuition du lecteur n’est point nécessaire pour reconnaître les endroits puisque le récit évoque chaque lieu, chaque ville, par son propre nom.
Tout commence alors en 1972… Ou plutôt commence l’éveil à l’argent, à la corruption, à toutes sortes de malversations auxquelles personne à Ain Abessa n’est préparé. Les dialogues des personnages, nombreux par ailleurs, prennent l’allure de symptômes de toutes ces maladies qui rongent ou qui, plus tard, rongeront l’Algérie.
Toutes ces pesanteurs de l’administration, les absurdités d’un système créé par des dirigeants sans une conscience élevée de la politique, les immixtions de la religion dans les affaires de la cité etc.
Les errements du pays se font sentir jusqu’à la commission forestière mise en place pour réguler le bois dans cette localité. Une commission toutefois qui touche à des questions multiples.
Mais des personnages comme Amar Tatzuite ne connaissent que les codes de la vie concrète. Ils n’ont que les traditions ancestrales à montrer. C’est peut-être pour cette raison que personne à Ain Abessa ne semble avoir accepté de troquer l’idéal de la vie simple et naturelle à celle, artificielle et hypocrite, que leurs nouveaux dirigeants veulent leur imposer.
Mais Ain Abessa ne semble pas pouvoir échapper à son sort. Ici, dans cette bourgade, miroir d’une Algérie où les victoires se muent en défaites, la bravoure légendaire de ces hommes se transforme en petites intrigues, tout s’embourbe.
Et puis, il y a les alentours qui grondent. Il y a toutes ces brutalités que l’homme s’invente avec toutes les métaphores guerrières pour dominer ―ou prendre sa part comme il aime le dire pour se justifier. Dans ce roman, beaucoup d’échos résonnent.
Échos aux accents existentialistes, politiques, religieux, et ce, jusqu’à ce que ce feu » prométhéen » surgit pour détruire tout sur son passage, ce feu qui nous montre surtout la grande vulnérabilité de l’être humain. Un roman qui nous donne plus qu’un mélange de réalité et d’illusion sur cette Algérie post indépendance. Il est également plus qu’une chronique d’un village en mal de modernité, trop prisonnier de son passé.
En plus d’avouer ce monde de la dictature avec ses tréfonds obscurs, ce roman met en scène l’homme et (la nature) face à son destin. Un livre qui attache le lecteur aux lacets des mots jusqu’à la fin, ne serait-ce que par son écriture inspirée par l’esthétique classique.
Lounès Ghezali, écrivain.