19 avril 2024
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Va à Almeria mon fils…

LETTRE

Va à Almeria mon fils…

Cher fils,

Si tu lis cette lettre c’est que tu n’es pas mort noyé en Méditerranée. Tu es soit libre, en route vers ton destin de citoyen du monde soit dans quelque geôle espagnole ou algérienne. J’ai prié de tout mon cœur pour toi, pour que ton rêve se réalise.

Si j’ai choisi de glisser discrètement cette lettre dans ton sac de voyage au lieu de te la remettre c’était pour éviter que tu ne la lises avant ton départ. Pour nous deux. Pour moi parce que j’avais trop honte et pour toi pour ne pas affecter ton moral.

Parce que, vois-tu mon fils, avoir accepté de te laisser risquer ta vie en prenant la mer dans une chaloupe de fortune fut douloureux pour moi. Mais que pouvais-je faire d’autre ?

Entre te regarder, impuissant, succomber, sans possibilité de riposte au désespoir et à la médiocrité régnante d’une main de fer ou te laisser tenter ta chance, si maigre soit-elle, le choix fut difficile mais vite fait.

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Je suis désolé mon fils de n’avoir rien eu à t’offrir que cela. De l’espoir je n’en ai plus guère. J’ai eu un regain, un certain 22 février 2019, mais il s’en est vite allé, broyé par la machine infernale de la géopolitique mondiale et de l’incurie locale des dirigeants.

C’est en ce 5 juillet 2021, fête de 59 ans de l’indépendance que tu as choisi de t’en aller. Ton pauvre grand-père combattant de la première heure et ancien moudjahid de la wilaya III, qui y a laissé un oeil et un bras, doit se retourner dans sa tombe. Lui qui était si fière à ta naissance il y a  plus de 30  ans. Il avait de grands projets pour toi et rêvait de te voir médecin. Heureusement pour lui qu’il le fut le jour où tu prononças le serment d’Hippocrate lors de la cérémonie à laquelle il assista qui te consacra médecin.

Bien que vieilli, marchant difficilement et courbé par les années il gonfla le torse et s’efforça de te porter l’accolade de chez nous pour te féliciter.

Oui mon fils, nous sommes de cette race d’homme, des combattants. Ton arrière-grand-père avant lui, caporal du 3ème régiment des tirailleurs, fut décoré par le général Juin après avoir été parmi les rares survivants de sa compagnie durant la campagne d’Italie pendant la Seconde Guerre mondiale. Son père avant lui n’eut pas cette chance : il laissa sa vie en Alsace pour sauver ses frères d’armes durant la Grande guerre. C’est dire mon fils que nous étions dans les combats majeurs du siècle dernier.

Un siècle de lutte et de drames mon fils, pour entendre les planqués et fils de planqués nous traiter de « zouaves ».

Voilà ce que nous sommes pour eux mon fils. Si seulement ils savaient, si seulement ils pouvaient s’imaginer combien il a fallu de courage, de cran et de sacrifices à tous ces hommes et à toutes les femmes qui les soutenaient, à toutes ces familles pour endurer tout cela.

Pour ma part, comme tous ceux de la génération post-indépendance, je fus baigné dans ce que l’on appelle la révolution et tout ce qui est venu avec : biens vacants, révolution agraire, industrie industrialisante, socialisme, arabisation sauvage et j’en passe…. On a dû avaler toutes des couleuvres. Yasmina  Khadra dit de notre génération : une génération brillante à qui on n’a pas laissé le temps de dire bonjour.

En 1988 une lueur, une autre illusion de changement puis  tout à coup le terrorisme. En 1992 épuisé par tant de balivernes et par un début complexe dans le métier d’entrepreneur, je pris la résolution de quitter le pays avec ta mère quand je reçus un ordre d’appel tardif pour rejoindre les rangs.

Prenant conseil chez ton grand-père, comme chaque fois, quel fut mon désespoir et ma rage de l’entendre me crier : quitter le pays ? Mais tu es fou, ce pays est le nôtre ; des millions de personnes se sont sacrifiés pendant des siècles pour que tu soies libre aujourd’hui. 

Se sauver devant la tragédie qui frappe le pays ? Penses-tu que nous sommes de cette engeance ? Nous sommes des patriotes et toi tu iras à la caserne, faire ton devoir et défendre la république. Ce que je fis sans sourciller au grand dam de ta mère et de la mienne qui auraient préféré me voir m’envoler vers des cieux plus cléments.

Quelle horreur fiston ! Je ne t’en ai jamais parlé. Peut-être un jour le ferais-je. Si les maquis de Palestro où je fus affecté pouvaient parler !

À mon retour à la maison tu avais déjà 9 mois. L’Algérie était à feu et à sang et mon projet de départ perdu dans les dédales de mon inconscient. Durant les années qui suivirent j’ai dû me consacrer à ton éducation et à celle de ta sœur, avec les moyens du bord contre une école qui ne cessait  de saper mes efforts à t’inculquer les valeurs universelles, les nôtres.

Fort heureusement te voilà aujourd’hui medecin. Et un bon médecin.  Les moments durant lesquelles nous avons manifesté ensemble, marché côté à côté les vendredi  durant le Hirak seront gravés à tout jamais dans ma mémoire. J’étais heureux de te voir espérer de nouveau, rêver et croire à une  nouvelle Algérie s’apprêtant à éclore. Je ne pouvais m’empêcher de penser que j’avais eu tord, que mon père avait raison. L’Algérie est notre pays et il nous appartient de le rendre meilleur disait grand père ne cessais-tu de me rappeler.

Mais nous voilà, deux ans après, comme après chaque date charnière avançant en arrière de quelques décennies en arborant benoîtement et inlassablement notre médiocrité et notre incapacité à construire notre bonheur dans un pays pourtant emplie de trésors, béni par sa nature et ses hommes.

Je n’ai rien à t’offrir mon fils, mis à part mes valeurs et celle de tes aïeux. Pas un soupçon d’espoir. Ce  pays non plus ne peut rien pour des gens comme toi : intègres, capables, intelligents, modernes et pertinents. Il ne veut pas de toi mon fils. Il détruit ses meilleurs enfants.

59 ans après l’indépendance et après les milliers de milliards de dollars générés par son sous sol il n’a jamais été aussi déprimant, triste, ennuyeux médiocre et malsain?

Alors  en ce 5 Juillet, je te le dis solennellement et j’assume : pars mon fils, va à Almeria mon fils, que la mer et les côtes espagnoles soient clémentes avec toi et que Dieu te protège !

Auteur
Sofiane Ayache

 




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