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Yaha Abdelhafidh, l’incarnation du FFS 

HOMMAGE

Yaha Abdelhafidh, l’incarnation du FFS 

Le commandant Yaha Abdelhafidh, dit Si L’hafidh, un homme qui aura traversé et connu toutes les affres de la guerre de Libération nationale, et de celle, fratricide du grand parti d’opposition le Front des forces socialistes (le FFS). Cet écrit est un hommage à l’occasion de l’anniversaire de sa mort le 24 janvier 2016.

L’homme qui aimait le peuple

Jamais un homme, n’a autant que lui, inlassablement, voué sa vie pour que vive une Algérie libre et démocratique.

Nous rendons donc hommage au commandant de la Wilaya III, et au responsable politico-militaire qu’il est devenu. Résumer le parcours de ce nationaliste et patriote de la première heure est presque une offense faite à sa mémoire, tant son destin fut incroyable.

L’indépendance enfin acquise, il sera appelé à Alger, avec sa compagnie pour sécuriser les édifices publics (Radio-télévision algérienne, l’assemblée nationale…) et les biens vacants abandonnés par les colons.

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Alors qu’il se trouvait « au ravin de la Femme Sauvage » à Alger, il aperçoit une colonne de blindés rutilants qui brillaient au soleil ; il fut intrigué pensant que c’est l’armée française qui n’avait pas quitté le pays, mais il a vite compris que c’était l’armée de l’extérieure fortement équipée qui entrait dans la capitale. Si L’hafidh avait reçu l’ordre d’éviter toute échauffourée avec ces unités. Plus tard, il s’expliquait comment ces hommes, basés à l’extérieur du pays et qui étaient censés acheminer les armes vers l’intérieur, grâce à l’argent récolté, n’avaient en fait qu’un but : S’armer pour prendre le pouvoir par la force.

Très vite le coup d’Etat de Ben-Bella a mis fin à toute illusion d’une Algérie libre et démocratique.

Pour combattre cette dictature naissante du président Ben Bella, Si L’hafidh avec Krim Belkacem, Hocine Ait-Ahmed et Mohand Oulhadj ont pris l’initiative de créer le Front des forces socialistes (FFS) le 29 septembre 1963 et avec d’autres compagnons (dont Cdt Si Moussa, Cdt Lakhdar Bouregaa, M. Oussedik). Ce parti d’opposition au parti unique qu’est devenu le FLN après la guerre, s’est fixé comme objectif de contrecarrer les desseins funestes de ceux qui ont confisqué le pouvoir et spolié la Révolution au peuple algérien. Ferhat Abbas ira jusqu’à évoquer « une indépendance confisquée ». 

Aussitôt la création de cette nouvelle formation politique, Ben Bella envoya ses troupes contre les militants FFS. Entre le mois d’octobre 1963, et le 16 juin 1965 (date de la signature des accords FFS-FLN), on dénombre environ 400 militants morts au cours des affrontements avec les forces du pouvoir central. 

Au-delà du grand révolutionnaire qu’il était, Yaha Abdelhafidh fut aussi un responsable politico-militaire qui mènera une autre forme de lutte qui s’est avérée parfois aussi difficile, mais certainement plus longue que celle qu’il a menée contre la France et son armée. 

Depuis l’indépendance, Yaha Abdelhafidh s’est consacré jusqu’à son dernier souffle à l’établissement d’un Etat de droit et d’une démocratie réelle au sein de laquelle la volonté du peuple serait sacralisée. Si L’hafidh aimait le peuple, aimait son peuple, celui-ci dont il est issu, auquel il a accordé toute son attention et son amour tout au long de sa vie.

Je revois Si L’hafidh prendre tout son temps, des heures, des jours si nécessaire, à écouter tel ou tel citoyen venant l’interpeller. Il disait qu’il était important d’entendre et de prêter attention à tous, à chaque citoyenne ou citoyen et militant. Il considérait tout le monde pareil, bien qu’il apportât plus de considération pour les plus fragiles ou les plus démunis. 

Si L’hafidh conduit le combat armé contre le pouvoir autoritaire de Ben Bella pour dénoncer l’usurpation des idéaux du 1er novembre 1954. Le rêve d’établir un Etat de droit démocratique avec un multipartisme réel semblait s’évanouir. Si L’hafidh fut le dernier chef militaire de cette coalition populaire qui s’est opposée au pouvoir de Ben Bella. 

Ce dernier finira par reconnaître le FFS. Si L’hafidh fut le négociateur en chef lors des pourparlers avec Ben Bella. Les accords ont porté sur la reconnaissance officielle du FFS ainsi que sur la réhabilitation des combattants FFS de 1963/1965. Ces martyrs sont morts pour leur patrie et pour l’établissement de la démocratie en Algérie. Aujourd’hui encore, cette question liée à la reconnaissance des martyrs de 1963 reste en suspens, voire ignorée.

Trois jours après la signature des accords FFS/FLN, Boumediene, le chef d’état-major, exécuta son coup d’État le 19 juin 1965. En mettant fin à l’idée du pluralisme politique, il instaura une véritable dictature. Il tua dans l’œuf l’espoir d’une Algérie démocratique et plurielle. 

Le long combat dans la clandestinité

Qu’en se le dise, Si L’hafidh n’était pas homme à se cacher ou à s’embusquer, on utilise ici le terme clandestinité dans son sens de privation. Une privation des droits politiques et de réunion qu’avait engendré dès lors l’avènement de la dictature.

Une chape de plomb s’est refermée sur le pays. A cette époque, le militantisme ne pouvait se concevoir que dans la clandestinité, gare à celui qui arborait ses accointances avec le FFS, ce parti devenu premier ennemi public. 

Contraint et forcé à l’exil (coup d’Etat de Boumediene, l’emprisonnement d’Ait Ahmed et de dizaines d’autres cadres et militants, le revirement de Mohand Oulhadj), Hocine Ait-Ahmed lui envoie un émissaire pour l’obliger de quitter le pays rapidement car sa vie était menacée. Il ne savait pas à ce moment-là qu’il quittait son pays pour un long exil. Son départ pour la France était si précipité qu’il avait laissé des compagnons blessés qu’il a lui-même acheminés vers Alger pour les soigner, leur promettant de revenir les voir et qu’il ne reverra pour certains que des années plus tard à l’étranger.

Son combat, il continuera à le mener au sein du FFS, qu’il continuera à structurer et à faire exister avec les forces du désespoir. En France, il refusera de prendre un statut de réfugié politique, mais qui lui interdirait toute forme de combat politique en échange d’un subside ou de privilèges. Il enrageait déjà de devoir s’installer dans un pays qu’il a combattu était au-dessus de tout ce qu’il aurait pu imaginer. 

Le parti du FFS s’inscrit donc dans la clandestinité, et n’a survécu que grâce aux aides des militants et amis commerçants que Si L’hafidh ne cesse d’essayer de sensibiliser.

Depuis son exil en France, Si L’hafidh n’eut de cesse d’organiser le parti sur le terrain. Il n’y eut pas de personnalité ayant appartenu au camp démocratique, politique ou culturel, qui n’ait pas été reçue, accueillie ou aidée par Si L’hafidh. Chacune lui en est redevable. 

Le combat se nouait sur le terrain, le parti était visible. Aucun autre parti d’opposition n’avait égalé le FFS sur le travail militant. Nous nous réunissions par dizaines, et dans plusieurs lieux. 

Je me souviens de ces week-ends de distribution de tracts politiques confectionnés à la hâte et à l’abri dans nos caves. Nous les distribuions auprès de nos travailleurs immigrés. Nous passions dans les marchés, aux entrées de concerts et galas. Je me souviens de cette rafle policière au marché Barbès un samedi en 1988. La police avait encerclé certains militants et avait procédé à certaines gardes à vue pour vérifications. 

Si L’hafidh s’est opposé fermement, il a reconnu être le responsable du groupe sans hésitation.  Il avait dit aux policiers que s’il y avait quelqu’un à questionner c’était lui. Je me souviens également de ces altercations, parfois musclées, avec les éléments de l’Amicale des Algériens en France, relais du nouveau FLN, parti unique au pouvoir après l’indépendance. En s’adressant également aux Algériens établis en France, le FFS devenait un adversaire politique. Le FFS sensibilisait la communauté algérienne sur les principes de la démocratie et sur les luttes à mener pour que tout un chacun recouvre sa dignité au sein d’une nation libre et démocratique.  

Le FFS fut une école de formation politique pour de nombreux cadres.

Maintenir vivant le grand parti de l’opposition algérienne pendant près de 30 ans n’était pas une tâche facile. Continuer à lutter et faire fi des intimidations qui émanent, soit de l’Etat algérien via ses réseaux au sein de l’immigration, soit de la France via ses services de renseignements. Ce n’était pas une chose facile. Une certitude, si Si L’hafidh était respecté par tous, c’est en raison de sa droiture et de son franc-parler. Son combat pacifique et démocratique était mené sur le terrain des idées. C’est ce qui a permis au parti du FFS en exil d’être une force de propositions. Il lui arrivait de débattre des jours et des nuits consécutifs lorsqu’un problème ou un débat l’imposait. 

Concernant la ligne politique, aucun préjugé n’était écarté à condition qu’il ne porte pas préjudice à l’intérêt du peuple, Si L’hafidh était un responsable ouvert d’esprit, qui débattait sur plusieurs sujets et concepts modernes. Il fut un défenseur acharné des droits des femmes. Cependant, il était hostile aux rapprochements politiques de contre-nature.

Même s’il n’est plus parmi nous, ses idées, ses combats et ses espoirs d’une Algérie démocratique sont portés par ce mouvement populaire et pacifique le Hirak. Lui qui n’a jamais douté du peuple, pendant que d’autres avaient baissé les bras, ou ont suivi des chemins moins escarpés, aurait été tellement fière et heureux de voir ne serait-ce qu’une manifestation du Hirak.

Il verrait ainsi, que ce qu’il a durement et patiemment semé vient enfin de germer.

Les revendications portées par le Hirak, ce mouvement populaire salutaire, font échos à celles défendues par des femmes et des hommes tel que monsieur Yaha Abdelhafidh. La jeunesse algérienne qu’il chérissait par-dessus tout devrait s’inspirer du combat pacifique de cet homme humble épris de justice et de liberté. 

Lors de ma longue et dernière conversation avec lui (j’avais eu le sentiment que c’était l’ultime), il m’a dit : « J’ai dit, j’ai écrit, les gens de maintenant ne vont peut-être pas me comprendre, mais la jeunesse plus tard comprendra, et d’ailleurs je ne veux pas laisser notre jeunesse orpheline de son Histoire ».

L. B.

Références : Mémoires de Yaha Abdelhafidh Tome I 

Ma guerre d’Algérie – Au cœur des maquis de Kabylie (1954 – 1962) 1ère édition Riveneuve .Année : 2012

Tome II : « FFS Contre dictature – De la résistance armée à l’opposition politique (1962 – 1990) » Editions KOUKOU. Année : 2015    

Auteur
Lyazid Benhami

 




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