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Yasmina Khadra chez Abdelmadjid Tebboune : le prix du silence !

Tebboune et Yasmina Khadra

L’accueil fastueux accordé, ce lundi 19 mai,  par le président Abdelmadjid Tebboune à l’écrivain Mohamed Moulessehoul, alias Yasmina Khadra, a surpris plus d’un observateur. Photos officielles, honneurs d’État, large couverture médiatique : rarement un écrivain algérien francophone, installé en France et édité à Paris, n’a été aussi ostensiblement célébré par le pouvoir.

Mais derrière l’apparente reconnaissance culturelle, cette scène de réception relève d’un symbolisme politique fort. Elle ressuscite une figure historique : celle du bouffon du roi, personnage autorisé à divertir et à exister dans les cercles du pouvoir… tant qu’il ne le dérange pas.

Boualem Sansal en prison, Kamel Daoud traqué : un contraste saisissant

Ce retour triomphal de Yasmina Khadra sur la scène officielle algérienne intervient dans un contexte particulièrement troublant. Boualem Sansal, écrivain au regard critique sur le système politique, croupit en prison. Kamel Daoud, autre voix majeure de la littérature algérienne contemporaine, fait quant à lui l’objet de deux mandats d’arrêt internationaux. Leur seul crime : avoir pris la parole, dérangé, bousculé.

Face à cela, le silence de Yasmina Khadra est assourdissant. Aucun mot, aucun geste, aucune réserve exprimée au sujet de ces écrivains muselés. Son acceptation sans condition de cette mise en scène présidentielle devient dès lors plus qu’une simple neutralité : elle s’apparente à une complicité passive. Comme le bouffon du roi, il accepte d’endosser le rôle que le pouvoir lui assigne : celui d’un écrivain consensuel, célébré mais inoffensif.

Ce choix du régime algérien de mettre en avant un écrivain « maison » n’est pas anodin. Il s’inscrit dans une stratégie plus large : récupérer l’image d’une Algérie cultivée, ouverte, tolérante, en exhibant un auteur reconnu à l’international — mais qui ne remet pas en cause l’ordre établi. Le geste est habile : on célèbre la littérature, tout en la vidant de sa charge subversive. Le message est clair : soyez talentueux, mais loyaux.

Il faut rappeler ici que Yasmina Khadra s’est aussi accommodé du règne de Bouteflika en acceptant le poste de directeur du Centre culturel algérien à Paris avant de tenter de se présenter à la présidentielle contre justement ce dernier.

Une littérature au service du pouvoir ?

Yasmina Khadra, en acceptant ce rôle sans le moindre recul critique, semble ainsi délaisser la tradition des intellectuels algériens engagés — de Kateb Yacine à Tahar Djaout — qui voyaient en l’écriture un acte de résistance. Le romancier, dont l’œuvre est pourtant traversée de réflexions sur la guerre, l’exil et la dignité humaine, semble ici avoir choisi la faveur du prince plutôt que la voix du peuple.

Une mise en scène révélatrice

Entre la réception d’un ambassadeur et d’un celle du président de la BAD, Tebboune accueille Yasmina Khadra tout heureux de se retrouver au palais d’El Mouradia. En dernière analyse, cette réception n’est pas simplement une affaire d’agenda culturel. Elle dit quelque chose de l’état du rapport entre pouvoir et création artistique en Algérie. Le régime continue de tracer une frontière claire : d’un côté, les artistes tolérés, récompensés, mis en vitrine ; de l’autre, ceux qui parlent trop fort, qui dérangent — et qu’on enferme, qu’on voue aux gémonies, ou qu’on réduit au silence.

Yasmina Khadra n’est évidemment pas un imposteur. Mais à force de silence et de compromis, il risque de devenir le personnage de cour que l’histoire retiendra moins pour ses romans que pour son alignement sur un pouvoir impopulaire, populiste et qui malmène ceux qui osent parler.

Samia Naït Iqbal

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