Samedi 29 décembre 2018
Développement local et crise économique : expectative et surplace
Plus de quatre ans après le début du mouvement d’inflexion du prix du baril de pétrole sur les marchés mondiaux, l’Algérie se résout mal à admettre la fin de la période d' »euphorie financière », qui aura duré plus d’une quinzaine d’années.
La preuve en est ce regard hébété que l’on rencontre partout, y compris chez les responsables de la haute administration et chez certains gestionnaires de l’appareil économique. Les statistiques officielles peinent encore à rendre, dans toute leur nudité, le taux d’inflation – malgré les « vents favorables », que sont la dévaluation du dinar et la planche à billet -, le taux de chômage -sachant que le mouvement de l’emploi et des licenciements est, en grande partie régi par la loi de l’informel -, et, enfin, l’ampleur de la détresse sociale qui se matérialise, entre autres, par la harga, le suicide, le banditisme et la violence urbaine.
En réalité, ce que l’on appelle aujourd’hui la crise financière n’est que la mise à nu d’une situation factice, d’une fausse prospérité et d’une insolente réplétion, qui, en dehors de quelques réalisations d’infrastructures publiques-relativisées par la croissance démographique et la qualité technique-, ont charrié gaspillage et corruption.
Le gouvernement dit tabler aujourd’hui sur la diversification économique. On répète ce genre de harangue depuis au moins 2014. Les exportations hors hydrocarbures, projetées pour 2 milliards de dollars depuis le début des années 1990, n’ont atteint laborieusement ce montant qu’à partir de 2017. Rien ne garantit qu’il soit tiré à la hausse de sitôt, même si certains producteurs algériens commencent à entrevoir la possibilité d’améliorer la qualité des produits pour les rendre éligibles aux marchés européens.
Sauf que la bureaucratie, les lobbies des importations et certaines insuffisances techniques et managériales de l’entreprise algérienne retardent énormément la réalisation de ces ambitions.
Les communes mal préparées
Aujourd’hui, on demande aux communes de créer de la richesse et de l’emploi. Le moins que l’on puisse dire est que les communes sont mal préparées pour assumer complètement les nouvelles missions que l’on veut leur confier, sachant qu’elles assument déjà mal les classiques missions de la gestion de proximité et du cadre de vie.
Plus de la moitié des 1541 communes d’Algérie vivent encore des subventions de l’Etat et du Fonds de solidarité intercommunal. Les efforts de développement consentis au cours des ces deux dernières décennies n’ont pas profité de façon équitable à l’ensemble des communes d’Algérie.
Par-delà la mise en œuvre des plans quinquennaux de développement, initiés depuis le début des années 2000, et qui auront consommé plus de 800 milliards de dollars, des dysfonctionnements continuent à grever la répartition spatiale des populations, des infrastructures et des activités économiques sur le territoire national.
L’ancien Premier ministre, Abdelmalek Sellal, avait reconnu, avant son départ du gouvernement en 2017, que, malgré les différentes réalisations dont ont bénéficié les régions du Sud algérien, des « insuffisances » persistent. C’est là un euphémisme pour parler des déséquilibres en matière de développement local. Il avait eu à qualifier les revendications de jeunes chômeurs du Sud, portant sur l’emploi, de « légitimes », et ce, malgré le contexte de désordre et de « rébellion » dans lequel elles ont été exprimées.
Les termes tabous de « régionalisme » et « népotisme » ont rempli les banderoles que les manifestants avaient arborées lors des sit-in et marches qu’ils ont organisés à Ouargla, In Salah, Touggourt et d’autres lieux.
Il se trouve également que les espoirs nés de la promotion de certaines daïras, une dizaine, au rang de wilayas-déléguées ont été tempérés, voire émoussés par une organisation toujours hyper-centralisée du processus de prise de décision et par la limitation des pouvoirs des élus locaux.
Le ministre de l’Intérieur, Noureddine Bedoui, promet d’y remédier par l’élargissement des prérogatives des walis délégués, et ce, dans le cadre de la nouvelle loi en préparation portant sur le code des collectivités locales, devant remplacer les anciens- mais fraichement révisés- codes de la commune et de la wilaya.
Marge de manœuvre réduite
Les citoyens-électeurs, échaudés par l’amère réalité qui dure depuis des décennies, sont peu enclins à ajouter foi aux promesses de l’administration, aux boniments des candidats à des postes électifs, ou même à des lois publiées dans le Journal officiel, particulièrement lorsqu’il s’agit de développement local et de décentralisation, d’autant plus que la crise financière que le pays traverse depuis 2014 réduit la marge de manœuvre et du gouvernement et des collectivités locales.
Autrement dit, ce qui n’a pas pu être réalisé pendant la période d’aisance financière a très peu de chance de l’être sous le régime de l’austérité.
L’on sait que, au-delà des situations extrêmes qui pénalisent la vie des citoyens des wilayas du Sud algérien, cette réalité de déséquilibre de développement est loin de se limiter à cette région du pays. Cette réalité de déséquilibre territorial, économique et social affecte également, par ses maux et ses travers, le couloir des Hauts Plateaux, où les disparités de développement crèvent les yeux sur le plan de l’emploi, de l’investissement productif, du réseau routier, de l’électrification rurale, des services de santé, de l’éducation, de raccordement au gaz naturel et au réseau AEP, des structures de loisir et de détente,…etc.
De même, certaines zones de montagnes, parfois très proches des grandes agglomérations urbaines, plongent encore dans une situation de sous-développement manifeste.
Les gisements et les opportunités d’investissements productifs tardent à être explorés et exploités de façon optimale, que ce soit dans le secteur industriel, agricole ou touristique. Même dans la région du Nord, supposée être la « mieux servie » en matière de développement, des inégalités et des disparités persistent entre les villes et les communes rurales, entre le chef-lieu de commune et les bourgades excentrées. Les efforts fournis par les pouvoirs publics au milieu des années 2000 dans les zones rurales, et à la faveur desquels un certain mouvement de retour des populations « expatriées » pendant la décennie noir a commencé à s’opérer, sont aujourd’hui freinés, voire remis en cause par la crise financière.
La contraction de l’action de l’Etat – sur le plan des investissements dans les infrastructures de bases, les services sociaux et le développement local – commence sérieusement à être ressentie.
Inexorablement, les élus et les responsables administratifs locaux sont aujourd’hui sur des « charbons ardents », ne sachant comment faire face à une demande sociale de plus en plus pressante.
A. N. M.