Vendredi 1 janvier 2021
Lounis Aït Menguellet revisité : « Asefru », ode à la liberté de créer
Nous sommes en 1985. Au mois d’octobre, Lounis Aït Menguellet est condamné à 3 ans de prison ferme. Son crime ? avoir alerté en plein gala à Sidi Fredj, devant 6000 spectateurs, sur l’arrestation de Saïd Sadi, Ferhat Mehenni et Nordine Aït-Hamouda.
Quelques jours après le concert, Lounis est arrêté. Pendant une interminable semaine, son sort demeure inconnu, et nous, ses fans, étions affligés et désemparés. On lui reproche de détenir des documents attestant son appartenance à une organisation clandestine d’opposition. Faute de preuves, on l’accuse de posséder des armes…de chasse !?
Fort heureusement, notre aède est libéré au bout de quelques mois. L’album qui accompagne sa sortie de prison est à la mesure de la privation de liberté. On y décèle de la colère, parfois tranquille, souvent tumultueuse, mais pas de rancœur.
Tel un torrent d’inspiration il laisse couler sa verve pour nous gratifier d’un album féérique, aussi bien dans le sens que dans la portée. « Asefru », un chef-d’œuvre parmi tant d’autres, est un serment d’engagement pour la liberté de créer et celui de bousculer les esprits pour les maintenir éveillés. N’en déplaise à ceux qui l’avaient jeté au cachot, et qui n’ont d’Aït Menguellet jamais rien compris !
La traduction ci-après s’efforce de respecter le sens tout en s’essayant à la cadence d’origine. Il se trouvera peut-être quelque talentueux interprète pour relever le défi et chanter Asefru dans la langue de Molière…
Allez Takfarinas, Allaoua ou Cheikh Sidi Bemol, à vos cordes vocales !
Sans fumée, sans alcool, laissez-vous griser, laissez-vous bercer, laissez-vous emporter par maître Lounis ! Rien de tel pour bien démarrer 2021 et oublier 2020.
« Asefru », ode à la liberté de créer
Oh toi par les frasques érodé
La passion qu’a-t-elle en toi laissé
Tu crois avoir de la vie tout compris
Tu crois en avoir découvert l’anomalie
Puisque tu as tout saisi
Sache que son anomalie c’est toi
Quoiqu’il lui arrive ça ne suffit pas
Toute parole le rend béat
Les malins l’ovationnent
À la farandole le poussent
Assouvis ils dépoussièrent le burnous
Sur la piste affaissé ils l’abandonnent
Entreprenons notre périple
Tant qu’il y a de la lumière
Chaque col franchi
Nous en avons deux devant
Entreprenons notre périple
Le poème comme stimulant
Aujourd’hui comme hier
Il supplante notre épuisement
Lourd fardeau sur nos épaules
S’allège quand nous chantons
Si nous voyons l’injustice et la suivons
Vers le droit chemin le poème nous ramène
Notre culture le temps l’a-t-il engloutie
Ou n’est-elle pas encore mise à prix
Si elle est derrière nous l’attendrons
Si elle est devant nous la rattraperons
J’ai trouvé l’aède pleurer
Il m’a expliqué pourquoi
Son poème par le vent emporté
Il ne sait où il a atterri
Il craint le tyran ne le saisisse
Qu’il soit mal interprété
Il veut savoir si vous le suivrez
Pour aller le récupérer
Il était une fois celui qui sait
Il était une fois celui qui ne sait pas
Le premier a peur de ce qui est
Le second de ce qui n’est pas
Il était une fois ceux qui suivent
Des chemins vers on ne sait où
Ce qu’ils ont cherché
Ce qu’ils ont trouvé
À ce qu’ils voulaient
N’a point ressemblé
Vous avez pris au sérieux
Des mots rassemblés en couplet
Le temps ne peut le casser
Personne ne peut l’effacer
Même si les ères suivent leurs cours
Même si les uns meurent d’autres naissent
Chaque temps le transmet aux suivants
Qu’importe les changements
Il hurlera et cavalera
Chaque recoin il atteindra
Que crains-tu donc du poème
Auquel tu imposes restrictions
Tu le caches nul ne l’entend
Tu l’as sous terre entassé
Il éclos comme un grain de blé
En chaque recoin il a poussé
Moult moissons il a donné
Celui qui a faim il le nourrit
Tu le consommes il t’ouvre les yeux
Tu t’égares il t’indique ton chemin
Le poème par toi est méprisé
Par son sens tu es dépassé
Puisque tu l’abhorres à ce point
Pourquoi le dévalorise-tu ainsi
Il est aussi grand que tu es petit
Il éclaire autant que tu assombris
Il inonde de soleil toutes nos contrées
Il fait disparaitre le malveillant
Il lui rappellera tout ce qu’il a oublié
Mais toi tu ne comprends jamais rien
Oh mon cœur tu es trop en colère
Du courroux tu ne gagnes rien
Comme tous les autres ne te mêles pas
Comme eux sache te taire aussi
Ou alors chante ta bien aimée
Ferme les yeux elle apparaîtra
Tu lui apparaîtras aussi
Beauté des fleurs tu chanteras
Que de printemps tu rêveras
Ta vie est belle elle le restera