Samedi 2 novembre 2019
Algérie : Restons unis malgré nos différences
Le 1er novembre 1954, un groupe de personnes faisant partie de l’élite algérienne de l’époque déclencha la révolution armée contre le colonialisme.
Une dynamique fut mise en place entraînant dans son sillage toutes les masses populaires. Rappelons que des statistiques publiées par le gouvernement général d’Algérie deux années plus tard, en 1956, faisaient état, concernant la population musulmane, de 94 % d’analphabètes parmi les hommes et 96 % parmi les femmes.
« Moi, je suis le berger. Je connais mes brebis et elles me connaissent. Tout comme le père me connaît et comme je connais le père. Je donne ma vie pour mes brebis » (extrait de la bible). Le peuple algérien a docilement suivi son élite et a fini par mettre fin à 130 années de colonisation française. Cependant, le valeureux berger fut banni par un néocolonialisme et le peuple se retrouva orphelin et sans protection face à un ogre sans foi ni loi : l’armée des frontières.
Juste après la supposée indépendance, les acteurs les plus emblématiques de la révolution algérienne sont soit éliminés physiquement, soit exilés ou réduits au silence en se retrouvant dans les geôles des nouveaux envahisseurs où certains d’entre eux avaient subi les pires atrocités. Le système politique mis en place depuis 1965, juste après le coup d’État de Boumedienne, est comparable à celui de la junte militaire birmane ayant pris les rênes du pouvoir depuis 1962, et ce jusqu’à ce jour. Ce sont deux systèmes basés sur un paradigme similaire : l’institution militaire est perçue comme étant la colonne vertébrale de la nation, la garante de sa cohésion et de ses intérêts suprêmes, elle en est également sa représentante la plus légitime n’ayant de compte à rendre à aucune autre institution. Or, dans un état démocratique digne de ce nom, l’armée représente une institution au service du peuple. Elle est chargée d’assurer la défense du territoire et de la population. L’activité politique lui est interdite et elle est subordonnée au gouvernement civil.
Lorsque le peuple scandait : « nous voulons un état civil et non pas militaire », le chef d’état-major trouvait cette formule étrange et inappropriée, tout comme Djabellah l’opposant de pacotille. Ce sont des mentalités d’un autre âge, allergiques à la démocratie, voulant nous maintenir dans la servitude éternelle.
Voyant le pouvoir leur échapper au profit des civils et dans un but de maintenir leur hégémonie dans le domaine politique de l’état, l’armée birmane a commis un génocide contre la minorité musulmane : les Rohingyas. Concernant l’armée algérienne, le chef d’état-major a aussi tenté d’utiliser le levier de la division entre les communautés afin de se donner une légitimité pour faire intervenir ses troupes et détourner le mouvement populaire actuel de son objectif. Heureusement que cette manœuvre s’est soldée par un échec grâce à la maturité populaire.
C’est cette maturité populaire qui a donné naissance à ce mouvement au mois de février dernier. Contrairement au 1er novembre 1954, ce ne sont pas les élites qui étaient à l’origine celui-ci. Comme le disait Ait-Ahmed : « Le génie populaire saura inventer les voies du changement ». Après 57 ans de dictature et de dilapidation de biens publics, le peuple, dans son intégralité et sa diversité, a suffisamment appris à connaître le fonctionnement et les turpitudes de ce pouvoir fantoche pour déjouer toutes ses manigances.
Une certaine méfiance à l’égard de ce mouvement vient plutôt d’une partie des élites. Celle-ci se montre dubitative quant à une issue positive de celui-ci en énumérant tous les scénarios catastrophes concernant ses éventuelles évolutions dans le temps. Pourtant ce qui caractérise ce mouvement est bien son pacifisme, pourrait-il se transformer du jour eu lendemain en une révolte violente et destructrice ?
Par ailleurs, en doutant de la capacité de ce mouvement à changer le cours des choses, certes c’est un droit légitime d’avoir une opinion différente de la majorité de la population, mais c’est aussi et surtout un soutien indirect au pouvoir en place. Avons-nous le droit de soutenir un système expert dans la corruption et la désinformation, cherchant à monter une communauté contre une autre en alimentant la xénophobie, capable du pire pour se maintenir au pouvoir ?
Tous ces juges transformés en CRS, bientôt on leur fera porter des casques et des genouillères, ayant condamné nos enfants à de la prison ferme pour port d’emblème berbère.
Ignorent-ils que l’Algérie se situe sur les terres berbères ? Une étude récente du génome des populations des pays d’Afrique du Nord a même montré que celui-ci est à 90 % berbère. « Qui crache au ciel, il lui retombe sur le visage », cette citation résume leur conduite.
Cette entorse à l’éthique montre que leur conscience professionnelle est une coquille vide et télécommandée, contrairement à leurs deux collègues femmes devant lesquelles tous les Algériens doivent s’incliner et les élever au rang de héros.
En appliquant tout simplement la loi en vigueur et en refusant de suivre les directives de la dictature en place, ces deux femmes juges sont les dignes héritières de notre Kahina et Fatma N’Soumer. Contrairement aux Émiratis et les Saoudiens, nos femmes appartiennent à la lignée des grandes héroïnes de l’histoire. Lorsque dans ces deux pays, ils enterraient vivantes leurs filles, il y a quelques siècles en arrière, nous nous en faisons des rênes et des meneuses d’hommes.
L’Arabie Saoudite et les Émirats sont deux monarchies ayant une grande influence sur les décideurs algériens. A priori, elles sont aussi chargées de faire les sales besognes pour le compte de certaines nations qui ont de grands intérêts d’ordre économique en Algérie. Elles ont également alimenté les contre-révolutions durant le printemps arabe pour éviter l’émergence de toute forme de démocratie dans ces pays.
La démocratie fait peur à ces monarchies, car elle représente une menace à leurs systèmes moyenâgeux et injustes. Bensalah les a certainement rassurées au même titre que Poutine, en leur annonçant que la situation est parfaitement maîtrisée et que le système répressif fonctionne à merveille ; pour une modique somme de 3000 Da, un policier est capable de prendre tous les risques en escaladant un poteau électrique jusqu’à son sommet juste pour récupérer un emblème berbère ; un juge à qui l’on promettrait une promotion est en mesure de condamner un citoyen qui vient d’être relaxé par l’un de ses collègues la veille et pour les mêmes griefs.
Ce pouvoir est en train de vaciller. Il n’arrête pas de commettre des bévues depuis le début du soulèvement. Quelle que soit l’issue de ce mouvement, on ne pourra pas tomber plus bas que le système actuel. En se débarrassant de cette bande mafieuse, l’Algérie ne serait que meilleure. La démocratie permettra d’établir un dialogue constructif au sein d’une société diverse et complexe, pour venir à bout d’une crise politico-idéologique profonde couvant depuis des décennies. Alors, restons unis et osons l’espoir….