« De façon paradoxale, nous nous trouvions un peu dans la situation d’une colonie de peuplement dont les membres auraient fait table rase de leur passé et de leur provenance pour n’être plus que des hommes neufs, nés à une nouvelle vie. À cette différence près que nous étions aussi les colonisés. » Les gens du Peuplier, Arezki Metref
Il y a le célèbre Macondo du non moins célèbre Gabriel Garcia Marquez, là où se déroule l’histoire fantasmée de Cent ans de solitude. Et il y a aussi le quartier du Peuplier et sa place du Drapeau qui sont les lieux du déroulement du dernier roman d’Arezki Metref, Les Gens du Peuplier, paru chez Casbah Éditions.
L’histoire se passe aux premières heures de l’indépendance algérienne, dans un quartier populaire de la capitale. Et cette histoire est racontée avec brio par un enfant qui parle des gens qu’il connait et dont il nous offre un échantillon de personnages aussi sympathiques mais également aussi givrés les uns que les autres.
Nous faisons connaissance avec Aïcha, figure féminine qui arrive à connaître tous les gens du Peuplier mais qui ne reçoit aucune personne chez elle ; avec Levraq, le champion toutes catégories du championnat de football, avec Col Mao qui a été le premier président de la République, avec Rougi le rouquin et avec d’autres visages qui font que ce quartier ne ressemble à aucun autre. La vie n’est pas jouissive au sortir de la guerre de libération nationale surtout que les différents clans qui veulent accaparer le pouvoir, n’en ont pas fini avec la violence. « Sept ans, ça suffit » ont beau crié les acteurs de cette histoire, les haines s’alimentent d’elles-mêmes.
Pour échapper à leur sinistre fatalité, les habitants du Peuplier s’inventent d’autres destins, rêvés ceux-là, pour affronter l’accablante réalité. Pour supporter cette chape de plomb qui les maintient dans ce cloaque, les habitants n’ont d’autre choix que de fabuler et de construire d’autres vies, bien évidemment imaginaires et plus habitables.
Les personnages centraux sont des êtres de chair et de sang comme le boucher Bouftika ou le président de la République, amateur de football, Col Mao, mais également la maison mystérieuse de Aïcha qu’aucun habitant n’a réussi à pénétrer, le terrain de foot boueux et cabossé, les matchs qui s’arrêtent par fatigue de l’arbitre ou lors de la tombée soudaine de la nuit, tous sujets vivants dans la voix du narrateur. Inutile de préciser que l’acteur principal de cette saga est le quartier lui-même, le célèbre Peuplier, que le lecteur, pris comme dans une nasse, habite jour et nuit le temps de terminer ce magnifique récit.
Tout est vécu par le liseur comme si l’histoire racontée le concernait directement. Tout est inventé mais tout est réel – la fin des illusions, le regard vieilli de l’enfance qui se charge de la gravité d’une adolescence accélérée. Les Gens du Peuplier est un roman subtil gorgé de tendresse pour celui ou celle qui trouve dans la fange et la gadouille un espoir de remonter la pente et de s’ériger comme un citoyen égal à ceux qui habitent dans des quartiers moins bourbeux.
J’ai commencé cette recension par nommer le célèbre auteur de L’Amour au temps du choléra. Je terminerai également par dire que, comme chez Garcia Marquez, Arezki Metref a transformé un endroit quelconque en un périmètre mythique qu’il réussit à sauver de l’obsolescence et de l’oubli. Les Gens du Peuplier est un roman lumineux, truffé de force d’âme et de tendresse pour des personnages fragiles et précaires.
Les Gens du Peuplier est un roman beau et émouvant où la puissance d’une plume nous catapulte dans un passé relativement lointain que nous réussissons à vivre au présent.
Kamel Bencheikh