Madjid Boumekla est cet infatigable militant pour les causes justes, il a fait des études en Algérie à l’Institut de planification et des statiques de Ben Aknoun puis à l’Université Paris-Sorbonne où il obtient un DESS (Diplôme d’Études supérieurs spécialisées) en économie des ressources humaines, il a entamé un doctorat qu’il a arrêté pour devenir chef d’entreprise jusqu’à sa retraite.
Il vient de publier deux livres sur l’Académie Berbère, Académie berbère – Genèse et question identitaire, et, Académie berbère – Genèse et question identitaire : témoignages et entretiens, Agraw imaziɣen, cette association emblématique, l’élan précurseur pour la reconnaissance de l’identité berbère, dont les membres fondateurs sont Mohand Arab Bessaoud, Abdelkader Rahmani, Mohand Said Hanouz, Naroun Amar, Khelifati Med Amokrane, et Taos Amrouche et bien d’autres personnes de renom.
Invité par l’écrivain Youcef Zirem au café littéraire parisien de l’Impondérable, Madjid Boumekla a expliqué comment cette formidable association malgré les difficultés, les pressions de l’Algérie, de la France de l’époque et les nombreuses tentatives de l’amicale des algériens en France pour saboter et avorter son travail, a malgré tout aidé à l’éveil des consciences bien avant l’apparition du concept d’identité comme l’a expliqué le chercheur, l’ethnopsychiatre Hamid Salmi.
Madjid Boumekla évoque la genèse, l’évolution et l’impact de l’Académie berbère sur l’imaginaire berbère.
Le Matin d’Algérie : Vous avez dit au café littéraire que vous n’étiez qu’un bistrotier qui écrit, mais vous êtes aussi universitaire, alors qui est Madjid Boumekla ?
Madjid Boumekla : il est vrai que j’ai fait des études d’économie que j’ai arrêtées après mon obtention du DESS à la Sorbonne. Ce n’était pas l’envie de continuer qui me manquait, mais plutôt les moyens financiers. Je suis arrivé à Paris avec un pantalon, une chemise, quelques sous-vêtements de rechange dans un petit sac, et également la somme de 350,00 frs de change que l’État algérien permettait, dans la poche.
Ma situation précaire m’a obligé à trouver du travail dans la restauration et j’ai continué parallèlement mes études. Une telle situation est supportable seulement pendant un court laps de temps, ce qui m’a poussé à interrompre mes études. Dans un premier temps, c’était temporaire. Je pensais reprendre mon cursus universitaire une fois que j’aurais amassé un petit pécule. Hélas, ou pas, les choses se sont passées autrement. J’ai continué à travailler pour finir définitivement dans le commerce jusqu’à ma retraite.
Une fois dans le commerce, je me suis légèrement éloigné du travail intellectuel, bien que mes connaissances en économie m’aient partiellement aidé dans mes activités de chef d’entreprise dans la restauration.
Porté sur le combat culturel, j’ai réussi tout de même à joindre l’utile à l’agréable en utilisant mon espace commercial pour des activités culturelles en plus de celles liées à la gastronomie. Cela m’a permis d’utiliser mon restaurant de tremplin pour sortir Yennayer de son espace privé et lui donner sa place dans l’espace public en organisant régulièrement son dîner depuis 1985, première année de l’achat de mon restaurant. J’ai également utilisé mon commerce pour d’autres rassemblements militants. Il a servi de lieu pour le lancement de la dynamique des associations de villages kabyles en France et de lieu de réunions politiques lorsque j’étais militant du FFS.
Cette situation, avec un pied dans le commerce et un autre dans le monde politico-culturel, m’a permis d’écrire des articles, un peu plus tard, avant d’investir l’univers du livre.
Le Matin d’Algérie : Pourquoi avez-vous décidé d’écrire ces deux livres sur l’Académie Berbère ?
Madjid Boumekla : la publication de ces deux livres sur l’Académie berbère est venue après quatre autres, mes livres sont disponibles sur Amazon.
Pour répondre à la question, je dois remonter à ma période d’adolescence. En tant que lycéen en Kabylie, avec certains de mes amis, nous recevions le bulletin de l’Académie berbère, Itij de l’OFB (organisation des forces berbères ) et la revue de l’association Afus deg fus, que nous faisions circuler autour de nous. Cela m’a valu six mois de prison ferme, deux ans avec sursis, une amende pécuniaire et une interdiction d’avoir un passeport pendant longtemps. Tout ceci m’a sensibilisé un peu plus au combat identitaire amazigh, car mes débuts de prise de conscience de l’amazighité remontent à mon enfance, avec un père militant aux côtés de Laïmèche Ali à Tizi-Rached. Ensuite, la chanson engagée, avec tous les groupes de chanteurs kabyles qui ont fait florès à l’époque, a contribué à mon éveil identitaire.
Suite à ma deuxième opération chirurgicale du dos, j’ai arrêté de travailler pour incapacité physique, pour ensuite partir à la retraite. Et là, après ma militance sur le terrain, je me suis entièrement consacré à celle de l’écrit. Les sujets qui me sont venus à l’esprit étaient ceux liés à ma propre vie. Voilà, comment j’ai écrit et publié les deux livres sur l’Académie berbère. À ces raisons s’ajoute celle de rendre hommage à cette association qui avait bravé tous les dangers pour contribuer à faire avancer le combat culturel et identitaire des Amazighs.
Le Matin d’Algérie : Quand on parle de l’Académie berbère, on pense à Mohand Arab Bessaoud, est-ce ses livres ou sa forte personnalité qui ont masqué les autres membres fondateurs ?
Madjid Boumekla : j’oserai dire les deux en mettant tout de même un bémol. Le passé de combattant au sein de l’ALN (armée de libération nationale), celui dans les rangs du FFS (Front des forces socialistes ) dans sa guerre contre le duo machiavélique Ben Bella – Boumediene qui s’apprêtait à prendre le pouvoir après l’indépendance du pays, en cassant le processus constituant qui se mettait en place, son statut d’ancien instituteur et d’écrivain, a probablement joué dans le lancement de l’Académie. Le bémol est qu’il n’est pas le seul à avoir un passé aussi convaincant. Il y avait tous les autres y compris des chercheurs émérites sur la berbérité, qui ont apporté leurs cautions à la naissance de l’Académie. J’ai cité toutes ces personnes dans le premier volume.
Le Matin d’Algérie : Qu’est-ce qui a empêché l’Académie berbère d’évoluer vers une véritable académie ?
Madjid Boumekla : Ma réponse va recouper en partie la précédente. À ses début, l’Académie a regroupé beaucoup de personnes « intellectuelles ». Je mets le terme intellectuel entre guillemets car ces personnes étaient plutôt des universitaires, des politiques, des artistes et d’étudiants en plus de quelques travailleurs manuels.
À l’origine l’Académie portait le nom ABERC (Association berbère d’échanges et de recherches culturels ). Effectivement, le but recherché était celui d’une académie qui va s’atteler à la recherche et la publication. Sa destinée a été tout autre. Pourquoi ? Je vois deux grandes raisons. La première était politique. Le coup d’État orchestré par Boumediene en 1965 a verrouillé tout l’espace politique et l’opposition s’est retrouvée à l’étranger, singulièrement en France. Le climat au sein du mouvement militant était prédominé par l’esprit politique. Ceci me permet d’évoquer la deuxième raison. Cet esprit a traversé l’Académie dès sa naissance. Deux tendances se sont affrontées, celle culturaliste et celle politico-culturaliste. In fine, la deuxième tendance, autour de Mohand Arab Bessaoud, l’a emporté après l’immobilisme de l’association pendant environ un an et demi. En 1969, un changement structurel est intervenu. Hormis Abdelkader Rahmani, président de l’ABERC, qui avait quitté l’association, la majorité des membres fondateurs était restée. Certains la quitteront progressivement. Ceux qui sont restés se sont occupés des activités de l’association que j’ai traitées en profondeur dans mes deux livres. C’était cette tendance que j’ai qualifiée de politico-culturaliste qui a pu donner une dynamique à l’Académie berbère.
Le Matin d’Algérie : Pourquoi les autres cofondateurs n’ont-ils pas écrit d’après-vous ?
Madjid Boumekla : Les véritables raisons ne pourraient être apportées que par certains des intéressés eux-mêmes, malheureusement décédés. Dans ma réponse, je ne peux qu’approcher la question
Je dirai que la peur joue en partie un rôle. Les pouvoirs successifs en place en Algérie depuis l’indépendance n’ont pas hésité à recourir à des politiques de répression et d’oppression. Qui pourrait oublier les assassinats des opposants perpétrés par la sinistre sécurité militaire à l’époque de Boumediene ? L’oppression a instauré l’autocensure dans les esprits.
Je vois également deux raisons. La première est liée à la structure interne de l’Académie et la seconde à notre culture orale. Pour ce qui est de la première, à l’exception des cofondateurs « intellectuels », le reste des adhérents qui ont participé à la fondation de l’Académie étaient des ouvriers qui n’avaient pas nécessairement les capacités d’écrire. Quant à la seconde raison, notre culture est restée longtemps dominée par l’oralité et l’écrit peinait à y trouver sa place, surtout en l’absence de lecteurs. Ce phénomène s’accentue avec l’avènement de la culture des réseaux sociaux, qui accorde une plus grande importance à l’audiovisuel, favorisant ainsi notre tradition orale.
Le Matin d’Algérie : L’académie berbère est gravée dans la mémoire collective des berbères, particulièrement des kabyles, quelles conclusions peut-on en tirer aujourd’hui ?
Madjid Boumekla : Malgré ses moyens matériels limités et les pressions qu’elle a reçues de la part des pouvoirs politiques en place dans les pays de l’ex-tamazgha, l’Académie berbère a fortement contribué à l’éveil identitaire des peuples amazighs. Il est vrai que son travail a eu un impact beaucoup plus important sur les Kabyles que les autres amazighs. La raison en est qu’elle était constituée en majorité de Kabyles, et donc le premier travail de sensibilisation s’est principalement concentré en Kabylie, notamment à travers son fameux bulletin « Imazighene ». Néanmoins, le combat avant-gardiste mené par les kabyles a pu entrainer les autres berbères dans la lutte. Actuellement, la berbérité se manifeste partout où les berbères existent. Peu nombreux étaient ceux qui ont cru à cet éveil des peuples amazighs. Les militants de l’Académie y étaient du nombre. Ils ont pu mener des petites actions ayant un impact grandiose.
Quelques repères historiques prouvent l’impact des actions de l’Académie sur le mouvement berbère. Lors de la manifestation de la fête des cerises de Larba Nat Iraten, en 1974, et de la finale de football de la coupe d’Algérie, en 1977, remportée par la JSK (jeunesse sportive de Kabylie ) dans les tribunes du stade et dans les rues d’Alger, les personnes présentes ont scandé Imazighen, l’un des slogans phares de l’Académie. Lors du gala d’Idir en 1977 à la Coupole d’Alger, une lettre écrite en tifinagh a été projetée sur un écran géant placé sur le bord de la scène a suscité l’euphorie général au sein des spectateurs. Pendant la même époque, des tags en tifinagh ont été apposés sur des plaques d’indication routières et sur des routes en Kabylie. Qui a vulgarisé le tifinagh après l’avoir actualisé ? C’était bien l’Académie. Elle a également créé le drapeau que tous les amazighs arborent, le système d’énumération, le calendrier, etc. Tout est bien détaillé dans mes deux livres.
Le mouvement de Mai 1981 ou l’autre pilier du Printemps berbère (I)
Le Matin d’Algérie : Avez-vous des projets en cours et à venir ?
Madjid Boumekla : comme je l’ai dit précédemment j’écris sur des sujets liés à mon vécu. Je suis donc en train de collecter des informations sur la dynamique des associations de villages kabyles en France. Si tout se passe bien j’essaierai d’en publier un livre.
Le Matin d’Algérie : Un dernier mot peut-être ?
Madjid Boumekla : Toi aussi, Brahim, tu excelles dans l’écriture poétique. Je te souhaite bon courage. Il faut écrire, écrire, … comme notre ami commun Youcef Zirem n’arrête pas de le dire.
Merci pour le journal Le Matin d’Algérie qui m’a offert la possibilité de m’exprimer. Je lui souhaite longue vie.
Entretien réalisé par Brahim Saci
Livres publiés :
– Académie berbère : genèse et question identitaire, independently published
– Académie berbère- Genèse et question identitaire : témoignages et entretien, Independently published
– Yennayer amager n tefsut… rituels fondamentaux dans la tradition kabylo-amaziɣ, Independently published
– Couscous artisanal, mode de préparation et recettes, de Madjid Boumékla et Malika Boumekla, Independently published
– La crise berbériste de 1949 ou le sursaut de la berbérité, Independently published
- Berbérités: Entre amalgame et manip, Spinelle éditions
Tout écrit relatif à notre histoire et notre patrimoine est un jalon qui montre la voie aux générations futures. Tout écrit, quel qu’il soit, quel que le domaine auquel il se consacre, pour peu qu’il soit de qualité, est à encourager. Merci et bonne continuation à l’auteur que je découvre pour la première fois.